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La loi pour le développement de l’économie sociale et solidaire (2014) envisage les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) sous le prisme de la redynamisation des territoires et de l’innovation sociale. D’une part, elle exclue l’initiative des « réseaux de l’ESS » et des collectivités territoriales mais non leur soutien. D’autre part, elle valorise les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS), sociétés à finalité d’utilité sociale respectant les conditions de lucrativité limitée, de gouvernance démocratique et d’affectation majoritaire des bénéfices au « développement de l’activité de l’entreprise ». Tout PTCE vise donc le développement économique et social (création et reprise d’entreprises, relocalisation et essaimage d’activités) d’un territoire spatial en friche, en reconversion ou en sommeil.

Aussi nous a-t-il semblé pertinent d’aborder les PTCE en prenant pour objet central leur processus de structuration et les attributs de leur gouvernance. Les PTCE doivent-ils être par essence appréhendés comme une forme de polarisation emblématique de l’ESS ou relèvent-ils aussi de logiques, de principes, de rationalités économiques hétérogènes, ayant trouvé dans l’économie publique une base d’appui de type take off, et dans l’économie de marché des vecteurs d’opportunités productives et commerciales ? Peut-on déceler dans cette forme de polarisation des caractères permettant d’établir une filiation avec l’ESS et conjointement de la qualifier de figure spécifique au regard des systèmes localisés de production et d’innovation (SLPI) ? En d’autres termes, les PTCE renforcent-ils ou non les normes spécifiques de l’ESS – économiques, sociales et démocratiques – ou constituent-ils une forme de polarisation promue par l’ESS mais qui lui échappe ?

Ce questionnement nous a conduits à cerner plus particulièrement les formes structurelles d’organisation des PTCE et leur mode de gouvernance, afin de préciser les dimensions partenariale, mixte et territoriale, et énoncer à la suite quelques traits communs et différences significatives dans l’administration des décisions et des ressources.

Une figure singulière de polarisation stratégique en économie sociale et solidaire

Le pôle territorial de coopération économique (PTCE) est en passe de s’affirmer comme figure singulière de polarisation stratégique. Il s’inscrit dans des dynamiques de concentration en économie sociale et solidaire et représente parallèlement une forme de polarisation à référer aux systèmes localisés de production et d’innovation (SLPI). Dans ce cadre, il importe de préciser les aspects éclairants des configurations résiliaires identifiées de PTCE.

Deux configurations résiliaires identifiées

Un PTCE résulte de volontés stratégiques d’acteurs publics et privés, prioritairement des entreprises de l’ESS, d’exploiter conjointement des ressources et des actifs complémentaires en poursuivant un objectif commun sur un territoire déterminé. Dans l’échantillon retenu, six PTCE affichent une concentration intégrée en filières constituées sur la base d’entreprises coopérantes de petite taille ou de regroupements de micro-entreprises [1] : cinq sont à dominante artisanale et industrielle ; le sixième est établi sur les services aux personnes âgées. Seuls deux PTCE étudiés se développent sur une large palette d’activités de service, processus correspondant à une concentration-diversification.

Par voisinage avec les SLPI, l’organisation productive des PTCE peut se rapporter à un découpage en secteur(s) ou en filière. A la différence des clusters (pôles de compétitivité), spécialisés dans des activités industrielles à forte valeur ajoutée, les PTCE touchent des segments de valeur à plus faibles qualifications et beaucoup moins rentables. Ils recouvrent une large palette de produits, de la production de biens et services traditionnels à de nouvelles opportunités industrielles (traitement-valorisation des déchets, écomatériaux et écorénovation). Dans les PTCE, les innovations sont à fort contenu social et organisationnel, prenant leur source dans les capacités relationnelles des acteurs participants à apporter des réponses renouvelées à des problèmes, aspirations ou besoins économiques et sociaux non couverts (demand pull en externe), et à inventer et incorporer de nouvelles normes – principes, standards, règles, conventions – d’organisation (organization push en interne).

Certains PTCE affichent des stratégies entrepreneuriales « verticalisées », assorties de rapports asymétriques entre participants et d’une recherche d’effets de taille. Plus rarement, comme dans le cas d’Eco-Transfaire (Gianfaldoni et Lerouvillois, 2016), un PTCE peut être érigé sur plusieurs centres de décision et de production, physiquement distants les uns des autres. Aussi, pour se révéler effective, la proximité géographique doit-elle être renforcée par une proximité organisée, conjuguant des formes de proximité institutionnelle (normes, principes, valeurs, langages communs) et de proximité organisationnelle (méthodes, outils de gestion et d’évaluation communs) (Zimmermann, 2008). Les formes de proximité géographique sont plus prononcées et s’avèrent mieux jouer leur « rôle de facilitateur de la coordination » au sein des réseaux « horizontalisés » constitués d’entités de petite taille localisées, en raison de la fréquence des liens physiques/interpersonnels et de faibles distances fonctionnelles (Pecqueur et Zimmermann, 2004). L’exploration de différentes voies de structuration a permis d’identifier deux configurations résiliaires de PTCE : d’un côté l’entité-réseau et, de l’autre, le réseau d’entités.

Dans sa configuration d’entité-réseau, la forme structurelle d’organisation est monocentrique. Le PTCE se structure autour d’une « entreprise focale » (Jarillo, 1988), entreprise sociale ou groupe d’entreprises sociales, se présentant comme l’autorité de gestion légitime et le pivot de l’organisation productive : cas des PTCE Domb’Innov, Ardaines, Matières et couleurs du Luberon, L’Argilla, Fe2i (lire tableau 1). Le mode de pilotage centralisé s’affirme dès l’origine par l’emprise stratégique d’une entité ayant pris l’initiative. Tout comme dans les clusters (pôles de compétitivité), la diversité des acteurs et la démultiplication d’interactions conditionnent « la dynamique d’innovation à l’échelle du pôle », mais peuvent se révéler « un frein à la coopération » (Boquet et al., 2009). La nécessaire régulation interne entre participants aux intérêts et motifs contrastés suppose de concevoir des groupes de réflexion et de projet, d’autant plus nécessaires si « les différents acteurs ont à s’approprier les objectifs définis par les autorités, à les réinterpréter et à les adapter à leur propre contexte concurrentiel, relationnel et cognitif » (Mendel et Bardet, 2008). L’entité-réseau peut évoluer au fil du temps vers une forme monocentrique élargie, le centre stratégique tendant à associer d’autres acteurs collectifs (entreprises, associations, collectivités territoriales…) à la prise de décision et la gestion des ressources.

Dans sa configuration de réseau d’entités, la forme structurelle d’organisation est polycentrique. Le PTCE naît d’un maillage d’entreprises de petite taille, ayant décidé d’agencer de manière plus rationnelle leurs activités productives en recherchant des supports de collaboration et de mutualisation : cas des PTCE Re-Sources, Tetris, Silver Horizons (lire tableau 1). L’architecture de ce type de PTCE fait ressortir avant tout des logiques de coopération et un pilotage décentralisé, sans exclure les rivalités et la compétition entre partenaires. Les rapports de pouvoir sont fonction des poids économiques respectifs, des compétences fonctionnelles, des facultés d’innovation et des positions de légitimité acquise par chacun des partenaires (Thorelli, 1986). Pour autant, tout comme dans les districts, ou systèmes productifs locaux (Courlet, 2002), l’établissement de systèmes hétérarchiques d’administration induit des modes auto-organisés de coordination privilégiant les ajustements mutuels. Certes, deux formes d’autorité coexistent : l’autorité hiérarchique s’affirme avant tout par la formalisation de règles et procédures instituées (structure juridique de gestion et d’animation), alors que l’autorité professionnelle s’exprime par les apports en connaissances-solutions techniques et en capacités-potentiels productifs et économiques des partenaires. Cependant, les apprentissages croisés construits sur des spécialisations sectorielles d’entités pour la plupart de taille semblable tendent à favoriser l’autorité professionnelle, « fondée sur la confiance et non sur la subordination », (Ehlinger et al., 2007).

Trois critères viennent affiner l’analyse des deux configurations résiliaires identifiées : les finalités et objectifs ; le processus d’émergence et le portage ; l’identité des acteurs participants. Cette grille synthétique appliquée aux huit PTCE étudiés livre des indications saillantes sur leur profil (lire tableau 2) [2], ouvrant la voie à une exploration plus poussée de la gouvernance.

Des propriétés distinctives du mode de gouvernance

Les deux configurations résiliaires ont adopté un mode de gouvernance multipartenarial, qui se révèle clairement antinomique avec la corporate governance de type actionnarial et à propriété capitaliste (shareholders governance). De même, la gouvernance d’entreprise aux multiples parties prenantes (stakeholders governance) ne constitue pas exactement le cadre de référence et cela pour trois raisons principales.

L’absence de forme statutaire ou l’adoption de formes statutaires de l’ESS – association ou société coopérative d’intérêt collectif (Scic) – tendent à particulariser la gouvernance des PTCE. L’apprentissage collectif du pilotage et de l’administration apporte un surcroît de souplesse organisationnelle, en concomitance avec une exigence démocratique conduisant toutefois à rallonger les temps de la décision. Ainsi, contrairement à l’optimisation de la valeur actionnariale, la fonction-objectif vise la double satisfaction d’une valeur partenariale (Charreaux et Desbriere, 1998) et substantielle (gestion commune des ressources et actifs) entre une pluralité d’acteurs interdépendants et interactifs sur des objets et supports acceptés de coopération et mutualisation. Les partenaires présentent des légitimités de position et d’action hétérogènes. Leurs attentes et leurs motifs de participation ne collent pas en bloc aux logiques rationnelles de l’intérêt et aux logiques managériales de la motivation. Ils intègrent aussi des normes de comportement réflexives, altruistes, civiques et de solidarité.

Au sein des entités-réseau, l’existence d’un leadership entrepreneurial en veille stratégique et prospective place des entrepreneurs sociaux dans une position centrale (profils exemplaires dans les pôles Domb’Innov, L’Argilla et Matières et couleurs). Ceux-ci possèdent un esprit d’entreprise caractérisé par l’innovation sociale, l’activisme pragmatique et la prise en compte de questions sociales et sociétales (Westlund et Gawell, 2012). Cette fonction créative et visionnaire des entrepreneurs sociaux [3] existe de même dans les réseaux d’entités, mais elle est atténuée ou estompée du fait d’une plus grande dispersion cognitive et axiologique des décideurs représentant des organisations instituées dissemblables.

Les prises de risques des partenaires sont changeantes et modulables selon les PTCE. Les risques liés à l’investissement et au fonctionnement sont assumés prioritairement par « l’entreprise focale » dans les entités-réseau, alors que le processus de structuration des réseaux d’entités conduit inévitablement les partenaires à minimiser ces risques en les répartissant. En rapport avec les opportunités économiques potentialisées et les externalités résiliaires espérées, la mutualisation des coûts de gouvernance des PTCE devrait les rapprocher de la gouvernance d’entreprise aux multiples parties prenantes. Cependant, l’engagement et la responsabilité des organisations à but non lucratif (OBNL) ou à lucrativité limitée répondent à un système de valeurs combinant performance organisationnelle (economic accountability) et performance sociale (social accountability). Les prises de risques ne se limitent donc pas à un rapport avantages-coûts mais doivent s’interpréter plus largement comme des « zones d’inconfort » pour chaque partenaire, selon l’expression empruntée à un entrepreneur social de PTCE. Ces « zones d’inconfort » sont d’ordres financier, commercial, professionnel, social, et peuvent affecter les modèles économiques, les produits-services, les routines organisationnelles des partenaires, ainsi que leur conception originelle de l’utilité sociale.

Les attributs de la gouvernance des PTCE

La polarisation de partenaires autour d’un projet productif local à vocation économique et sociale génère des propriétés spécifiques du mode de gouvernance des PTCE. Les trois marqueurs du partenariat, de la mixité d’action mais aussi de la territorialisation, par l’usage concerté de ressources et d’actifs indissociables d’un territoire, impactent la gouvernance institutionnelle des pôles.

Une gouvernance partenariale mixte territorialisée

L’imbrication d’une multiplicité d’acteurs à différents niveaux territoriaux de décision et de coordination confère aux PTCE le qualificatif de gouvernance mixte territorialisée (Leloup et al., 2005). La gouvernance des PTCE peut dès lors être appréhendée sous trois angles.

Elle peut tout d’abord être qualifiée de collective-démocratique à dominante privée (Gilly et al., 2004) en raison du statut privé des acteurs investis, du collectif pluriel institué et du caractère démocratique inscrit dans les projets mis en oeuvre. Sans sous-estimer le soutien des acteurs publics nationaux et territoriaux, leur implication doit être relativisée [4]. En revanche, les formes institutionnelles d’administration d’un pôle tendent à renforcer l’influence des acteurs privés. Ainsi, dans la période d’émergence et de construction, l’instance de direction peut être assurée informellement par des acteurs privés de l’économie sociale et solidaire (organisation typiquement adhocratique) : comité de pilotage non statutaire, cercles décisionnaires concentriques, groupes d’animation. Elle peut durablement, dans un certain nombre de cas, être déléguée à une entreprise sociale ou un groupe d’entreprises sociales à statut privé et à l’origine du projet. Suivant une troisième voie, le choix privilégié par l’acteur ou le collectif d’acteurs concepteurs du projet peut être de créer une structure dédiée de type associative ou coopérative. La diversité/hétérogénéité des acteurs composant l’instance de direction et la dimension collective des prises de décision en conseil d’administration représentent des marques démocratiques de la gouvernance institutionnelle, dont l’effectivité dépend principalement des règles décisionnaires établies et de la distribution réelle du pouvoir décisionnel. Toutefois, la formalisation tempérée de l’instance de direction (comme celle du PTCE Re-Sources), « l’informalisation » des règles collectives (comme pour le PTCE Silver Horizons), l’existence préalable ou le maillage de réseaux informels d’acteurs (comme pour le PTCE Tetris) façonnent des espaces de médiation (concertation, négociation, convivialité, créativité) (Fraisse, 2015). La solidité d’une structure juridique représentative n’exclut pas pour autant ces creusets de démarches participatives, qui tendent à compléter, enrichir et renforcer les normes démocratiques codifiées du mode de gouvernance.

La gouvernance d’un PTCE apparaît clairement territorialisée, comme système dynamique construit sur des relations récurrentes et durables entre partenaires inscrits et coordonnées dans un espace territorial délimité. L’entrelacs de réseaux socioprofessionnels, socioéconomiques et socioculturels génère des proximités organiques (règles communes), des proximités de similitude (adhésion à des valeurs partagées) et des proximités géographiques (encastrement social situé). Aussi, l’ancrage territorial de la gouvernance est-il indissociable des ressources et actifs spécifiques. Les proximités organiques, de similitude et géographiques relèvent non pas prioritairement de logiques d’agglomération ou de spécialisation mais de logiques de spécification. Dans les PTCE, les ressources constituent « une réserve, un potentiel latent ou virtuel » (Benko et Pecqueur, 2001) de matières, d’immatériels, mais aussi de pratiques non codifiées et de règles tacites. Elles ont à l’état brut un caractère générique en tant que gisement de matières existantes (bois, ocre, argile, déchets…), main-d’oeuvre non qualifiée, épargne liquide, informations et connaissances disponibles non utilisées. Tout PTCE a pour objet de se doter d’une capacité à transformer certaines de ces ressources, leur octroyant un caractère économique spécifique : matériaux biosourcés, écomatériaux, produits artistiques et artisanaux, qualification de ressources humaines par l’insertion [5] et dans les services de proximité. Les ressources dépendantes de leurs conditions d’engendrement possèdent une propriété d’intransférabilité et peuvent dès lors être instrumentées-valorisées comme actifs spécifiques. La gouvernance des proximités, construite sur la spécification des ressources et actifs, induit la formation de règles de coopération non standards, permet des apprentissages collectifs et des interactions fondées sur la réciprocité entre acteurs a priori éloignés professionnellement et culturellement. Elle contribue ainsi de façon non négligeable à une reconnaissance et une légitimation mutuelles des partenaires locaux engagés dans l’organe de pilotage. Suivant cette optique, la gouvernance territoriale améliore et fiabilise les rouages de la gouvernance institutionnelle des PTCE.

Sous l’aspect du partenariat, la gouvernance met des entreprises possédant un statut associatif ou de société (coopérative, SA, SARL, SAS…) en rapport de coopération technique, fonctionnelle et/ou stratégique [6]. Les partenaires d’un PTCE s’avèrent les bénéficiaires en premier ressort de la structure créée et sont pour l’essentiel des coproducteurs de biens et/ou de services. Plus que des parties prenantes, il s’agit donc de bénéficiaires associés dont l’action collective repose sur des intérêts et motifs convergents fondés sur des échanges non marchands et non monétaires (bénévolat, travail volontaire non contractualisé et dons de différentes formes). Toutefois, favoriser les comportements « réciprocitaires » des bénéficiaires associés implique d’établir, au cours des phases de projection, de constitution et de consolidation d’un PTCE, un climat, un état ou un capital de confiance (Enjolras, 2009). La confiance s’affermit dans les pratiques démocratiques représentatives et participatives avérées d’un pôle et, dans un autre registre, dans la formation de relations professionnelles et d’accointance solides. Le maillage de liens interpersonnels entre dirigeants d’association et d’entreprise relève d’un partenariat entre individualités, que l’on retrouve dans les structures de gouvernance. Dans ce sens, la confiance organisationnelle découle d’expérimentations répétées et se fonde sur « la mémoire de situations de coordination antérieures réussies » (Colletis et Pecqueur, 2005).`

Les dynamiques institutionnelles

Notre échantillon présente six profils de gouvernance institutionnelle dynamique : (1) une gouvernance quasi intégrée à un groupe associatif, puis création d’une association porteuse (après quatre ans pour Domb’Innov) ; (2) une gouvernance quasi intégrée à une entreprise d’insertion (SAS), puis création d’une association porteuse (après deux ans pour Fe2i) ; (3) une gouvernance informelle puis création d’une coopérative (Scic) porteuse (après deux ans pour Tetris) ; (4) une gouvernance quasi intégrée à une coopérative (Scic) existante lors du lancement du PTCE (Matières et couleurs du Luberon) ; (5) une gouvernance associative indépendante d’emblée (Ardaines, Re-Sources, Silver Horizons) ; (6) une gouvernance coopérative d’emblée par réaménagement d’une Scic existante (L’Argilla).

Les trois gouvernances quasi intégrées correspondent à une phase d’incubation-maturation d’une entité-réseau. Sur les cinq entités-réseaux repérées, trois ont opté pour une gouvernance associative, une pour une gouvernance coopérative et une se trouve dans la phase d’émergence quasi intégrative. Parmi les trois réseaux d’entités repérés, deux ont opté pour une gouvernance associative et une pour une gouvernance coopérative. Il n’y a donc pas de concordance entre configuration résiliaire et dispositif institutionnel de gouvernance.

La préférence pour une gouvernance associative s’explique tout d’abord par les facilités de création et de fonctionnement formel. Par comparaison, la gouvernance coopérative apparaît trop exigeante du double point de vue statutaire et de l’engagement concret des partenaires. L’association offre simultanément la possibilité de capter la société civile, par l’adhésion de personnes individuelles et l’implication citoyenne, et de percevoir parallèlement du financement hors marché par la collecte de subventions publiques et privées (fondations). La gouvernance coopérative (société coopérative d’intérêt collectif, ou Scic) ouvre, quant à elle, des perspectives de croissance du pôle par l’apport variable et évolutif en capital social (souscriptions successives ou nouveaux associés). Elle traduit aussi de manière effective et efficace le principe démocratique dans une gouvernance collégiale de multisociétariat, mobilisant une large palette de bénéficiaires associés, essentiellement personnes morales.

Deux autres dispositifs hybrides de gouvernance ont attiré notre attention.

D’une part, une forme duale composite (Fe2i) se matérialise par la création de deux instances de gouvernance. Une association porteuse est récipiendaire de ressources non marchandes (subventions, dons) et habilite des alliances entre entreprises partenaires (appels d’offre et appel à projets). Parallèlement, une « entreprise focale » (entreprise sociale à statut de société) détient les compétences stratégiques de patrimonialisation, de différenciation de produits-services et de diversification sectorielle.

D’autre part, une forme intermédiaire ambivalente (Domb’Innov et L’Argilla) se matérialise par une association ou une coopérative de portage juridiquement indépendante mais contrôlée par les groupes associatifs géniteurs et tutélaires (respectivement Val Horizon et La Varappe Développement). Pourvue d’un poste d’animation-coordination, de fonctions administratives attribuées et de temps de travail mutualisés entre membres, la structure de pilotage est néanmoins largement financée par les groupes associatifs géniteurs et tutélaires relativement aux contributions associées des partenaires bénéficiaires. Ajoutons que la création d’une société ou de tout autre montage financier dans l’optique de constituer un capital immobilier ou productif collectif répond à une logique d’imbrication [7].

En conséquence, les dispositifs aboutis ou évolutifs de gouvernance résultent, tout au moins en partie, d’un processus de « bricolage », enclenché par la capacité de « l’entreprise focale » ou des entités leaders à mobiliser un savoir pratique de recherche et d’exploitation de ressources territorialisées variées ainsi qu’une connaissance inductive tirée d’expériences managériales mémorisées (Duymedjian et Rüling, 2005). Aussi, n’est-il pas surprenant que les instances de pilotage et d’orientation stratégique des PTCE présentent des morphologies adaptables. Dans chaque cas étudié, un ou plusieurs entrepreneurs « bricoleurs » ont su saisir une situation singulière concrète et les enjeux immédiats qui s’y rapportent pour établir avec pragmatisme les connexions entre bénéficiaires associés et agencer les directions adéquates. Les organes formels de décision (bureau, conseil d’administration, directoire, assemblée générale) et les organes de support (comités spécialisés et groupes d’animation et de projet) laissent transparaître cinq modèles de décision : un modèle associatif unifié (Domb’Innov), un modèle associatif centralisé (Ardaines, Fe2i), un modèle associatif consensuel (Re-Sources, Silver Horizons), et deux modèles coopératifs à collégialité réduite (L’Argilla) ou étendue (Matières et couleurs, Tetris).

Soulignons pour finir deux traits signifiants. L’influence d’investisseurs institutionnels privés à rationalité lucrative dans les dispositifs formels de gouvernance est fonction de la valeur économique des activités concernées (industrie versus services), des compétences techniques et technologiques nécessitées, de la taille financière des projets. La centralité des entreprises sociales et des organisations instituées de l’ESS se traduit, au niveau de la gouvernance politique, par l’engagement de ressources volontaires et, au niveau de l’administration technique, par l’investissement de ressources et d’actifs suivant des logiques non marchandes. Cependant, la participation citoyenne ne semble pas être un acquis actuel des PTCE. Le bénévolat d’administration est affirmé (engagement des membres) et le bénévolat d’usagers se révèle beaucoup plus marginal (sauf dans le cas de Tetris où cette dimension fait partie intégrante du projet). Les traces d’une implication non monétaire de ressources volontaires forment certes des indices d’une gouvernance « réciprocitaire », mais sans pour autant prévaloir sur les logiques gestionnaires.

Conclusion

La figure du PTCE a été sondée à la lumière des formes historiques de polarisation territoriale (SLPI). Les stratégies de développement local, les politiques de (re)localisation d’activités, l’essor d’une économie de proximité sectorielle ou de filière, se justifient par des impératifs de revitalisation industrielle et une extension aux activités de service, avec la particularité de mobiliser des démarches d’insertion. « Ecosystème productif local » à rattacher à l’ESS, le PTCE exprime la promesse d’une voie économique alternative conjuguant gouvernance territoriale et démocratique.

D’une part, la gouvernance a été qualifiée de collective-démocratique à dominante privée. Au cours de la période transitoire actuelle, nous avons discerné trois types d’instance de direction : une administration informelle non statutaire, une administration déléguée à une entreprise sociale ou un groupe d’entreprises sociales, une administration assurée par une structure associative ou coopérative. Le caractère démocratique de la gouvernance institutionnelle se perçoit dans la dimension collective des prises de décision, présupposant des comportements « réciprocitaires » des bénéficiaires associés.

Nous avons montré d’autre part que la force économique d’un PTCE réside dans l’ancrage territorial de la gouvernance ou en d’autres termes dans la gouvernance des proximités. Non seulement la spécificité des ressources révélées et la valeur d’usage des actifs spécifiques connaissent un « coût de réaffectation » ou une perte de valeur en cas de transfert, mais en outre la révélation des ressources et la valorisation des actifs procurent des « avantages différenciatifs » (Pecqueur, 2004) imbriqués aux PTCE ainsi qu’une une « rente de qualité territoriale » concourant « à élaborer l’image et la réputation de qualité du territoire » (Pecqueur, 2001).

L’identification de deux configurations résiliaires et la mise en exergue de propriétés distinctives du mode de gouvernance tendent à montrer les spécificités de cette forme de polarisation. Six profils de gouvernance institutionnelle dynamique ont été mis en lumière. Les principes de structuration et de gouvernance des PTCE laissent entrevoir une potentialisation d’opportunités économiques, cognitives, sociales et culturelles, et mettent en lumière les prises d’initiative d’entreprises « autochtones », la plupart se référant à l’ESS. Il s’agit là d’une conception du développement intraterritorialisé, endogène et localisé, pouvant contribuer à la requalification d’un territoire et à la revitalisation de la démocratie économique.