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Les associations sont, en France, des institutions dynamiques et appréciées de la population (Archambault, 2012). Leur contribution – et notamment celle des associations sociales et médico-sociales – au bien-être des personnes, à la cohésion sociale, à la vie démocratique et à l’animation des territoires est clairement reconnue aujourd’hui : « Les associations, c’est la quasi-totalité des structures d’accueil d’urgence aux personnes en détresse. Ce sont aussi les trois quarts de l’hébergement médico-social privé (maisons de retraite, hôpitaux, foyers de jeunes travailleurs, crèches) avec un quasi-monopole pour les personnes handicapées qu’elles aident également à trouver un travail adapté. La part des maisons de retraite associatives est moindre, mais compensée par un réseau dense d’aide à domicile aux personnes âgées dépendantes. Les associations gèrent aussi un lit d’hôpital sur dix et la moitié des crèches. » (Archambault, 2012 [1].)

De la fin du xixe siècle (1864, date de création de la Croix-Rouge française) au milieu du xxe siècle (1945, création du Secours Populaire ; 1949, création d’Emmaüs), l’histoire est témoin du potentiel de créativité des associations. Cette créativité a emprunté des formes et des trajectoires très variées, à l’image des initiatives citoyennes, des projets collectifs, des formes d’organisation ou encore des régimes d’action. Elle est porteuse d’un potentiel transformationnel des mentalités et de la société toujours vivace.

De nos jours, cette créativité peut également être un rempart face à la pression à la normalisation qui pèse sur les différentes entreprises de l’ESS. La diminution des financements publics, la généralisation des procédures d’appels à projets et la mise en concurrence des entreprises à but lucratif et à but non lucratif comportent un risque de banalisation décrit par Hoarau et Laville (2008) [2].

Cependant, cette perspective n’est pas une fatalité comme l’illustrent les scénarios sur l’avenir des associations développés par la Fonda [3] : 1 – La marchandisation étendue et l’effacement des associations, 2 – L’Etat se défausse et instrumentalise les associations, 3 – L’ère du développement pluriel des associations, motrices de leur développement, 4 – La société inventive fondée sur une intelligence collective et des réseaux.

Par ailleurs, la normalisation de certaines structures n’est peut-être qu’un moment dans leur processus d’évolution. Le quatrième scénario préfigure une sortie par le haut pour les associations, fondée sur l’émancipation de la logique marchande et des institutions tutélaires.

Dans le cadre de ce dossier, trois articles explorent les tensions entre la normalisation, de plus en plus prégnante sous l’impulsion de la puissance publique, et l’expression de la créativité des entreprises de l’ESS. Les deux premiers s’inscrivent dans les scénarios 1 et 2 de la Fonda alors que le troisième illustre un autre champ des possibles, développé dans les scénarios 3 et 4.

La normalisation et le risque identitaire

Deux contributions mettent en exergue le risque identitaire lié à la normalisation des pratiques et outils au sein des entreprises de l’ESS.

Laura Nirello et Ilona Delouette analysent les conséquences de la régulation publique dans le secteur des Ehpad (dont 29,3 % relèvent de l’ESS) et soulignent un risque fort d’alignement sur les logiques marchandes. La question de la pérennité et de la diversité des modèles des Ehpad est alors clairement posée.

De leur côté, Monique Combes-Joret et Laëtitia Lethielleux étudient les outils de gestion « embarqués » dans les structures de l’ESS et les effets produits sur leurs membres tant bénévoles que salariés. Les auteures montrent que le recours à des outils de gestion de la performance économique ne pose pas simplement une question de légitimité, mais bien une question d’identité organisationnelle.

Un levier à la créativité : la coopération interassociative

La créativité implique un processus de transformation entraînant des bouleversements dans les organisations dans leur ensemble (Durand, 2006) 4. La contribution de Nadine Richez-Battesti, Francesca Petrella et Céline Marival souligne les effets bénéfiques de la coopération interassociative alors que l’accentuation d’un isomorphisme est plutôt attendue de ce type de coopération. Cet article montre que, paradoxalement, ces démarches de regroupement peuvent contribuer à redynamiser et réaffirmer la dimension sociopolitique des associations.

Au-delà de ces trois exemples, la créativité pourrait emprunter dans l’avenir différents chemins et objets. Au moins deux se dessinent aujourd’hui :

  • une créativité statutaire (dans le prolongement de la loi 2014),

  • une créativité organisationnelle à deux niveaux, intra-organisationnelle (nouvelles formes d’organisation du travail, nouvelles démarches basées sur l’empowerment…) et inter-organisationnelle (réseau, groupement, cluster…).

Enfin, renouer avec le projet d’émancipation de l’ESS, tant au niveau individuel que collectif, permettra de libérer d’autres voies d’expression de la créativité.