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La Mutualité française, force de proposition pour une réforme du système de santé

Depuis la promulgation du plan Fillon, à l’été 2011, l’exaspération grandit dans le monde mutualiste, accablé par l’avalanche des mesures gouvernementales visant à résorber les déficits publics. La pétition lancée par la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) contre le doublement de la taxe sur les contrats santé, « Un impôt sur notre santé, c’est non ! », a rassemblé plus d’un million de signatures. Ce nouvel impôt indirect, qui touchera quelque 38 millions de mutualistes, devrait rapporter à l’Etat environ 2,2 milliards d’euros [1].

Le secteur optionnel, nouvelle pomme de discorde entre mutuelles et gouvernement

La tension entre les mutuelles et le gouvernement est encore montée d’un cran avec la création d’un secteur optionnel, dont le principe avait été adopté par le Parlement lors des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2012. Avec ce dispositif, les chirurgiens, les anesthésistes et les gynécologues-obstétriciens de secteur 2 (secteur des honoraires libres) s’engageant à réaliser au moins 30 % de leurs actes au tarif de la Sécurité sociale pourront pratiquer des dépassements d’honoraires sur les autres actes, dans la limite de 50 % des tarifs conventionnels. Or ces dépassements devront être intégralement pris en charge dans le cadre des contrats dits « solidaires et responsables », afin que ceux-ci puissent continuer à bénéficier d’une fiscalité avantageuse. Les mutuelles ont vivement réagi, non seulement parce que la complémentaire santé représente près de 90 % de leur chiffre d’affaires, mais aussi parce qu’en tant qu’experts et gardiens vigilants de la protection sociale, elles dénoncent depuis des années l’effet inflationniste des dépassements d’honoraires sur les dépenses de santé. Etienne Caniard, le président de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF), estime que « le nouveau secteur sera totalement inefficace pour limiter les dépassements. Il risque même de créer un effet d’aubaine, les médecins pratiquant des dépassements faibles étant incités à les augmenter, sachant qu’ils seront pris en charge [2] ».

Une fois de plus, la protestation mutualiste contre ce qui semble être une nouvelle concession faite aux logiques libérales a été relayée au niveau syndical. Un communiqué commun signé par la Mutualité française et sept centrales syndicales (CFDT, CGC, CFTC, CGT, FO, FSU, Unsa) appelle « les candidats à la présidentielle à placer l’accès aux soins au coeur du débat public, et [propose] comme première mesure d’urgence d’encadrer strictement les dépassements d’honoraires et d’ouvrir immédiatement des négociations avec les acteurs concernés ».

La création du secteur optionnel tend surtout à se décharger sur les mutuelles de la question sensible des dépassements d’honoraires, qui ont doublé en vingt ans, tout en épargnant les susceptibilités des médecins libéraux. Cette catégorie du corps médical aura été ménagée par tous les gouvernements depuis la publication en 1927 de la Charte de la médecine libérale, adoptée en opposition à la création du premier dispositif public d’assurances sociales (lois de 1928 et 1930).

Les adhérents mutualistes mieux soignés

Ce nouveau secteur risque d’aggraver le caractère de plus en plus inégalitaire de l’accès aux soins, notamment pour les quatre millions de Français qui ne peuvent souscrire à un contrat mutualiste, faute de ressources suffisantes. En 2000, le système de santé français avait été classé au premier rang mondial par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), alors qu’il subissait déjà depuis deux décennies l’érosion des mécanismes solidaires qui avaient prévalu à sa construction. Douze ans après, il n’est plus guère possible d’affirmer qu’il s’agit du meilleur système au monde. Alors que la crise de 1929 avait incité les gouvernements occidentaux à renforcer la protection sociale en tant que facteur de relance économique, celle de 2008 a accéléré la réduction des dépenses publiques de santé et, concomitamment, les transferts de charge vers les organismes complémentaires [3]. Ces derniers – et notamment les mutuelles, qui couvrent plus de la moitié des bénéficiaires d’une complémentaire santé – ont joué leur rôle d’amortisseur du démantèlement progressif du système obligatoire. Indéniablement, l’adhésion mutualiste incite non seulement à mieux se faire soigner, mais aussi à se faire soigner plus rapidement en cas de symptômes pathologiques. A contrario, les personnes ne bénéficiant pas de couverture complémentaire sont deux fois plus nombreuses que les autres à renoncer aux soins non remboursés par la Sécurité sociale (30,4 %, contre 15,3 % [4]).

Imposer la protection sociale comme thème essentiel du débat électoral

Au cours des trente dernières années, les débats sur l’Assurance maladie ont été monopolisés par les questions techniques et comptables. Tel est le constat établi par les auteurs du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, qui plaident pour une « re-politisation » du débat [5]. Nombre de responsables mutualistes reconnaissent d’ailleurs que la mutualité elle-même s’est laissé prendre à cette tendance, contribuant parfois à sa propre banalisation en négligeant de mettre en avant sa vision solidaire au bénéfice des objectifs économiques.

En cette période pré-électorale, la Mutualité française affirme sa volonté de mettre la santé au coeur du débat politique, rejoignant ainsi les préoccupations de trois quarts des Français. Le président de la FNMF a invité les dix candidats à l’élection présidentielle à faire part de leurs engagements dans ce domaine insuffisamment évoqué au cours de la campagne. La Mutualité s’attache à promouvoir ses idées auprès des candidats. Parmi ses propositions, relevons [6] :

  • la limitation des exonérations et des exemptions de cotisation, ainsi que le relèvement de la CSG, pour assurer un meilleur financement ;

  • une définition claire des rôles respectifs de l’assurance maladie obligatoire (AMO) et de l’assurance maladie complémentaire (AMC) ;

  • le droit pour tous d’accéder à la complémentaire santé ;

  • le développement de conventionnements avec les professionnels de santé, auxquels les services de soins et d’accompagnement mutualistes (SSAM) pourraient servir de référence ;

  • la définition d’une offre de soins de premier recours ;

  • des propositions d’intervention pour les situations de handicap et de dépendance.

Rappelons qu’en matière de prévention et de prise en charge du risque maladie comme de qualité des soins « au juste prix », le mouvement mutualiste comptabilise un siècle et demi d’expertise. Le gouvernement serait bien inspiré de prêter une oreille attentive à ses propositions de réforme visant à pérenniser un système de santé plus juste et plus efficace.

Patricia Toucas-Truyen

Le manifeste du mouvement coopératif français

Au nom des entreprises coopératives françaises, Coop FR a interpellé le 10 avril les candidats à l’élection présidentielle. Le mouvement coopératif réaffirme dans ce document sa volonté de participer à l’élaboration et à la mise en oeuvre des politiques qui impactent les coopératives, dont l’activité contribue « à la réalisation des objectifs économiques et sociaux des politiques publiques ». Il formule sept propositions dont voici les éléments clefs [7].

  • Favoriser la création et la reprise d’entreprises coopératives :

    • S’engager en faveur de la création de coopératives.

    • Renforcer la transmission d’entreprises coopératives.

  • Améliorer les dispositifs de financement :

    • Garantir une égalité de traitement effective dans l’accès des coopératives aux outils financiers pour les PME (Oseo, FSI, etc.).

    • Assurer un accès égal à toutes les tranches du programme d’investissement d’avenir.

  • Encourager un environnement concurrentiel équitable et adapté :

    • Tenir compte des spécificités des entreprises coopératives dans les dispositions législatives et réglementaires.

    • Développer la présence des coopératives dans la commande publique.

  • Promouvoir le modèle coopératif dans l’enseignement :

    • Faire reconnaître le rôle des coopératives dans l’Education nationale et dans les politiques de formation.

    • Valoriser la pédagogie coopérative.

  • Assurer la reconnaissance institutionnelle du modèle et du secteur coopératif :

    • Créer au sein de l’Etat une structure interministérielle chargée des coopératives.

    • Assurer la représentation des coopératives au sein des assemblées et des organes de concertation de l’Etat.

  • Faire valoir les spécificités coopératives au niveau européen :

    • Appuyer et relayer les positions des coopératives auprès des instances européennes.

    • Reconnaître au niveau européen la contribution des coopératives aux politiques publiques.

  • Promouvoir le modèle coopératif au sein des organisations internationales :

    • Appuyer et relayer les positions des coopératives auprès des organismes comptables et régulateurs internationaux.

    • Contribuer aux objectifs fixés par l’ONU pour l’Année internationale des coopératives.

Manifeste pour l’éducation à l’économie sociale et solidaire

L’Economie sociale partenaire de l’école de la République (L’Esper) complète la sixième des « Douze propositions pour une économie démocratique » du Conseil des entreprises, employeurs et groupement de l’économie sociale (Ceges), intitulée « Développer l’éducation et la formation à l’économie sociale et solidaire » (voir « Actualité », Recma, n° 323). En partenariat avec le Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale (CNCres), elle soumet à signature un important « Manifeste pour l’éducation à l’ESS ».

Pour l’économie sociale et solidaire, l’éducation représente autant une histoire et des racines qu’un avenir et un horizon. Education et économie sociale et solidaire sont intiment liées, dès lors que cette économie est porteuse dès son origine d’un projet éducatif, qui doit, pour exister pleinement, s’appuyer sur des dynamiques éducatives.

Histoire et racines, car à l’origine de l’économie sociale, on trouve les actions d’éducation ouvrière qui se sont développées tout au long du xixe siècle dans les associations, coopératives et mutuelles : clubs de lecture, bibliothèques ouvrières, puis universités populaires… On trouve également une intervention déterminante des organisations d’économie sociale dans le combat pour une éducation laïque et républicaine garantie pour tous les enfants, autour des lois de Jules Ferry.

Avenir et horizon, car l’éducation est indissociable de l’économie sociale et solidaire, dès lors que celle-ci se donne comme objectif l’émancipation des personnes et l’exercice d’une citoyenneté économique. Or, cette émancipation passe nécessairement par l’éducation, par la capacité pour chacun de comprendre le monde, ses enjeux et les mécanismes qui régissent l’économie. Car il s’agit bien d’éclairer les choix des citoyens, afin qu’ils puissent décider de se fondre dans un système dominant ou de s’en affranchir. En ce sens, tout développement d’une économie à contre-courant du modèle capitaliste, une économie plaçant la personne et non l’argent au centre de ses préoccupations, doit impérativement s’appuyer sur le développement d’un esprit critique, une appropriation des principes fondateurs de cette économie sociale et solidaire : démocratie, propriété collective, non-lucrativité, solidarité.

Avenir et horizon également, car l’économie sociale et solidaire s’inscrit dans le long terme, ce qui implique son perpétuel renouvellement : renouvellement de ses salariés, à l’heure de nombreux départs à la retraite, mais aussi et surtout renouvellement par sa vitalité démocratique, sa capacité à attirer et à former de nouveaux bénévoles, de nouveaux militants. Cette dernière condition est vitale pour la capacité de l’ESS et de ses organisations à porter son projet, qui n’est pas qu’un projet micro-économique, un projet d’entreprise, mais bien un projet de société à part entière, un projet politique. Une véritable éducation à l’économie sociale et solidaire est donc un impératif pour mobiliser ceux qui seront demain la génération des nouveaux acteurs de cette économie.

Or, aujourd’hui, force est de constater que l’ESS est peu présente dans notre système éducatif et dans les formations. Les mouvements pédagogiques et les organisations d’éducation populaire, qui jouent un rôle majeur en complément de l’école pour transmettre les valeurs de l’ESS, manquent cruellement de moyens et de soutien au développement de leurs outils d’intervention. Le système éducatif français, au sein duquel les questions de l’orientation professionnelle et de la connaissance des métiers sont de plus en plus présentes, et ce de plus en plus précocement, ne travaille que trop peu en partenariat avec les acteurs de l’ESS. Pour enseigner l’ESS, des entrées sont possibles via les programmes scolaires, notamment ceux d’économie, de gestion et de sciences économiques et sociales (SES), mais elles demeurent insuffisantes et ne sont pas toujours faciles à mettre en oeuvre pour les enseignants, quand le modèle dominant présent dans les programmes demeure celui de l’économie capitaliste. Des acteurs de l’ESS développent des interventions dans les classes et les établissements, mais en l’absence d’un partenariat affirmé et d’un programme développé avec l’institution scolaire, ils se heurtent parfois à des incompréhensions et peinent à trouver des soutiens pour développer leurs actions, quand dans le même temps les entreprises capitalistes, à travers le fort lobbying exercé par le Medef, développent de plus en plus de partenariats avec les classes et les élèves pour promouvoir leur modèle économique…

Il est donc temps aujourd’hui de donner toute sa place à l’éducation à l’économie sociale et solidaire. Il est temps pour les militants de l’ESS, les enseignants, les acteurs éducatifs, les élèves, les étudiants et les parents d’élèves de se mobiliser massivement pour l’éducation à l’ESS. Il est temps pour les pouvoirs publics et les représentants politiques de prendre des mesures qui permettront la concrétisation et la réussite de cette mobilisation.

Cela passe par les dix engagements suivants :

  • mobiliser le ministère de l’Education nationale par un accord-cadre global conclu entre lui et les acteurs de l’ESS, comprenant notamment une « Semaine de l’ESS » à l’école, l’appui à la création et à la diffusion d’outils pédagogiques, l’intégration de l’ESS à la formation initiale et continue des enseignants ;

  • mobiliser le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, pour, notamment, habiliter de nouvelles licences et masters ESS, dont des masters « recherche », et développer la création de postes d’enseignants spécialisés sur ces thématiques ;

  • assurer une représentation des acteurs de l’ESS au sein du Conseil supérieur de l’éducation et du comité consultatif du Haut Conseil de l’éducation ;

  • améliorer la connaissance de l’ESS, et plus globalement la pluralité des approches en économie, dans le contenu des programmes à tous les niveaux de l’enseignement général, technologique et professionnel ;

  • améliorer la prise en compte de l’ESS lors de la conception des diplômes professionnels, à travers les commissions consultatives de conception des diplômes professionnels ;

  • développer les partenariats et projets (annuaires, « banques » de stages…) facilitant pour les élèves et les étudiants les possibilités d’effectuer des stages dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire ;

  • soutenir la coopération scolaire, les mouvements pédagogiques et assurer la diffusion des pédagogies coopératives, pour faire vivre les valeurs de l’économie sociale et solidaire (solidarité, démocratie, force du collectif…) au sein de l’école ;

  • encourager les possibilités de création d’associations et de coopératives par les élèves et les étudiants et, plus largement, le développement de projets initiés par les jeunes, à travers les instances de la démocratie lycéenne, le fonctionnement des foyers socio-éducatifs ou des maisons des lycéens… ;

  • développer, en complément et en partenariat avec l’école, l’éducation populaire et les actions éducatives, sociales et médico-sociales, nécessaires à la réussite de tous les élèves et mises en oeuvre par les organisations de l’économie sociale et solidaire, face à la concurrence des organismes à seule finalité lucrative ;

  • valoriser les engagements des enseignants et des acteurs éducatifs dans les organisations de l’économie sociale et solidaire : mises à disposition, détachements, réflexions autour des dispositifs de secondes carrières, de reconnaissance des acquis de l’expérience, de statut de l’élu…