Corps de l’article

L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) est née d’un traité signé à Port-Louis (île Maurice) le 17 octobre 1993 et révisé en 2008. Cette organisation vise l’intégration juridique à travers l’harmonisation, ou mieux, l’uniformisation du droit des affaires. L’institution regroupe actuellement dix-sept Etats [1]. La formule utilisée est l’adoption d’actes uniformes dont les dispositions sont directement applicables dans les Etats membres (Mouloul, 2008). Le neuvième en date, relatif au droit des sociétés coopératives (AU-SC), a été adopté le 15 décembre 2010 et est entré en vigueur le 15 mai 2011.

Sa préparation remonte aux années 2000. Au départ, il était question de mettre en place une législation sur les coopératives et les mutuelles. Pour des raisons techniques, le projet a finalement été limité aux seules coopératives autour des années 2007-2009 (Tadjudje, 2011).

Si l’éviction des mutuelles peut se comprendre par la nécessité de limiter l’acte uniforme aux coopératives, l’absence de règles particulières applicables aux coopératives financières, plus connues sous l’appellation de coopératives d’épargne et de crédit (Coopec), ne se conçoit que très difficilement. Dans la plupart des pays membres de l’Ohada, la Coopec a en effet été l’une des familles coopératives habituellement réglementée (Lhériau, 2009). Peut-être est-ce la raison pour laquelle le législateur Ohada, tenant compte de son développement dans les Etats et les communautés sous-régionales, s’est abstenu de se prononcer sur la question. La stratégie est toutefois critiquable, tant du point de vue de la cohérence de l’articulation des règles que de l’adéquation entre elles.

A l’origine du projet de législation de l’Ohada sur les coopératives se situait notamment un constat effectué par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sur « la viabilité financière des sociétés de financement décentralisées (SFD) [2], des difficultés rencontrées par les intervenants dans le secteur de la microfinance à respecter les formalités et les procédures Ohada, pas ou mal adaptées à leurs spécificités » [3].

Ce constat de la BCEAO était directement lié à l’ampleur que prenaient les Coopec dans le développement économique. D’après le World Council of Credit Unions, en 2012, l’Afrique comptait en effet 20 831 Coopec, regroupant 16 millions de membres, répartis dans près de vingt-trois pays (dont onze de l’Ohada), pour un taux de pénétration global de 6,43 % [4]. Dans certains pays de l’Ohada (et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine [Uemoa]) toutefois, le taux de pénétration était remarquablement élevé : 26 % au Togo, 22 % au Sénégal, 20 % au Bénin, 17 % au Burkina Faso (Woccu, 2012). Ces chiffres ont évolué au fil des années (Périllleux, 2009), ce qui nécessitait un réaménagement des réglementations, afin de promouvoir au mieux ces organisations utiles pour le développement (Diop, 2008).

Curieusement, un peu plus d’une décennie plus tard – au moment de l’adoption de l’acte uniforme –, on peut être surpris de se rendre compte que la Coopec, qui a suscité la réflexion initiale de l’Ohada, a perdu tout intérêt au cours des discussions (Tadjudje, 2011).

A son article 2-2, l’AU-SC précise que les coopératives ayant pour objet l’exercice d’activités bancaires ou financières demeurent soumises aux dispositions du droit interne ou communautaire relatives à ces activités. On comprend par là que toutes les coopératives, y compris les Coopec, sont soumises aux mêmes règles, celles de l’AU-SC, en plus de devoir observer celles régissant leurs activités respectives, au cas où ces dernières sont réglementées.

En principe, cela va de soi, l’AU-SC n’ayant pas besoin de le préciser spécialement pour les coopératives financières et la règle étant valable pour toutes les coopératives qui exerçent une activité réglementée telles que l’agriculture ou la pêche, comme le souligne l’article 20-3 du même acte uniforme : « Lorsque l’activité exercée par la société coopérative est réglementée, celle-ci doit se conformer aux règles particulières auxquelles ladite activité est soumise. »

Sous réserve d’analyses approfondies pouvant justifier cette relégation du droit spécial des Coopec, le choix du législateur Ohada reste surprenant. Finalement et, comme nous le verrons, dans la plupart des cas, ce sont les législations relatives aux activités des Coopec qui vont définir, directement ou indirectement, ces règles particulières. Ces dernières étant différentes d’un pays ou d’une région à une autre, des conflits vont surgir à propos de leur compatibilité avec le droit commun Ohada.

Après avoir établi un état des lieux du droit spécial des Coopec dans l’espace Ohada, nous examinerons les conséquences juridiques de cette éviction.

L’état des lieux du droit spécial des Coopec dans l’espace Ohad

Au sein de l’espace Ohada cohabitent deux organisations sous-régionales d’intégration économique : la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (Cemac) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). L’Uemoa regroupe huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), et la Cemac, six d’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, Tchad), tous signataires du traité instituant l’Ohada. Pour mettre en évidence le droit spécial des Coopec dans l’espace Ohada, nous distinguerons selon qu’il s’agit des espaces Uemoa et Cemac, d’un côté, et des autres pays (Comores, République démocratique du Congo, Guinée), de l’autre.

Le droit spécial des Coopec dans les espaces Uemoa

En 2007, les huit pays membres de l’Uemoa ont reformé leur législation concernant les systèmes financiers décentralisés (SFD). Le nouveau corpus législatif comprend principalement la loi portant réglementation des SFD et son décret d’application, mais aussi plusieurs instructions et décisions complémentaires (Zouatcham, 2012).

La loi réglementant les SFD prévoit des règles particulières pour les institutions mutualistes ou coopératives d’épargne et de crédit (Imcec) à ses articles 85 à 120. Ces dispositions constituent le principal corpus législatif applicable aux Coopec dans l’espace Uemoa – en dehors d’autres règles que l’on peut extraire des diverses instructions et décisions.

D’après l’article 85 de cette loi, les Imcec sont régies par les principes de la mutualité ou de la coopération. Elles sont tenues de respecter les règles d’action mutualiste ou coopérative. Nous pensons que cette appellation renvoie au seul statut coopératif (les coopératives de droit Ohada), en l’absence de toute législation propre aux mutuelles financières dans cet espace (Tadjudje, 2013a).

Le même article ajoute que les Imcec sont également tenues au respect de la limitation de la rémunération des parts sociales et de la norme de capitalisation fixée par instruction de la banque centrale, qui fixe également les modalités de constitution obligatoire d’une réserve générale.

La première règle n’appelle pas de commentaire particulier. En l’absence de précision de la loi, les Coopec devront se référer à l’acte uniforme pour les modalités d’application. La deuxième règle, la norme de capitalisation, qui « est déterminée par le ratio des fonds propres sur le total de l’actif, vise à garantir un minimum de solvabilité de l’institution au regard de ses engagements ». Nous reviendrons plus loin sur la constitution des réserves.

De même, il est précisé, toujours à l’article 85 de la loi, que les sommes mises en réserve générale ne peuvent être partagées entre les membres. Une telle règle est en parfaite harmonie avec les dispositions de l’acte uniforme.

L’article 86, quant à lui, porte sur la protection des dénominations, quasiment de la même façon que l’article 386 de l’acte uniforme.

Les articles 87 à 94 traitent de l’organisation et du fonctionnement. L’article 90 mentionne, comme l’article 8 de l’acte uniforme, la notion de lien commun, lequel est défini à l’article 91 de la loi comme étant l’identité de profession, d’employeur, de lieu de résidence, d’association ou d’objectif qui lie les membres.

Les articles 95 à 101 concernent les mutations des Coopec, notamment les affiliations, les désaffiliations, les fusions, les scissions. Ils traitent aussi de la dissolution et de la liquidation. Les règles ainsi prévues concordent avec celles de l’acte uniforme, y compris la dévolution désintéressée du boni de liquidation, qui a bien été envisagée à l’article 101 de la loi.

Les articles 102 à 110 sont, eux, relatifs aux types de regroupement, notamment les unions, les fédérations et les confédérations, et les articles 111 à 117 fixent leurs règles de fonctionnement, quasiment identiques à celles de l’acte uniforme. Toutefois, une règle qui nous séduit est celle de l’article 102 disposant qu’une institution de base ne peut être membre de plus d’une union qui a la même vocation. Cette règle de l’exclusivité est valable dans les fédérations et les confédérations et ne figure pas directement dans l’acte uniforme, même si par interprétation, sur la base de l’éthique coopérative, on pourrait penser que cela irait de soi.

Plus remarquablement, les articles 118 et 119 touchent les dispositions fiscales propres aux Coopec. Les Imcec sont en effet exonérées de tout impôt direct ou indirect, taxe ou droit afférent à leurs opérations de collecte de l’épargne et de distribution du crédit. De même, les membres de ces institutions sont exonérés de tout impôt et taxe sur les parts sociales, les revenus tirés de leur épargne et les paiements d’intérêts sur les crédits qu’ils ont obtenus de l’institution.

Il convient de remarquer que la législation Uemoa limite cette exonération aux Imcec, à l’exclusion des sociétés anonymes (SA) et des société à responsabilité limitée (SARL), qui, comme les précédentes, peuvent mener une activité de microfinance et être considérées comme SFD. La limitation à ces formes juridiques d’entreprise se justifie par la propension de celles-ci à organiser leurs activités dans un cadre non lucratif, ce qui n’est pas toujours le cas pour les SA et les SARL (Abou Wélé, 2011).

Les articles 120 et 121 visent les organes financiers, ce qui est propre aux institutions financières. C’est la raison pour laquelle l’AU-SC ne limite pas le nombre d’organes des coopératives et accorde la latitude à ces dernières d’en instituer des nouvelles, à condition de mettre en place, d’ores et déjà, les organes légaux prévus. De ce point de vue, une activité particulière peut nécessiter l’introduction d’un organe spécifique. Dans les Coopec, il s’agit souvent des comités ou des commissions de crédit.

Dans l’espace Uemoa, en somme, le droit des Coopec est construit et connaît une certaine homogénéité, ainsi qu’une certaine concordance avec le droit commun Ohada des sociétés coopératives. Les règles envisagées prennent largement en compte les principes coopératifs internationalement reconnus. Il n’en est pas forcément de même dans l’espace Cemac.

Le droit spécial des Coopec dans l’espace Cemac

Comme dans l’espace Uemoa, au sein de la zone Cemac, le droit de la microfinance a été normalisé [5]. Divers règlements édictés par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) viennent compléter celui qui fait office de dispositif principal régissant la microfinance dans la zone Cemac (Zouatcham, 2012).

Toutefois, contrairement au droit Uemoa des systèmes financiers décentralisés, le droit Cemac de la microfinance ne s’est pas attardé sur des règles particulières devant régir les Coopec. Il n’en fait allusion que sommairement, notamment à l’occasion de la définition des différentes catégories d’établissement de microfinance (article 5 du règlement n° 1) [6]. Il en ressort que les Coopec ne peuvent fonctionner qu’en première et troisième catégories et que, dans le premier cas, elles doivent respecter un principe d’exclusivité, dont nous apprécierons les effets plus loin.

Par conséquent, les règles particulières applicables aux Coopec doivent être recherchées en droit national. Dans la zone Cemac et en se référant à la base de données Natlex de l’Organisation internationale du travail (OIT), au Congo [7], au Gabon et en Centrafrique le droit des sociétés coopératives semble n’avoir pas connu d’évolutions particulières depuis le lendemain des indépendances. Seuls le Tchad, la Guinée équatoriale et le Cameroun ont introduit des modifications.

En droit tchadien, l’ordonnance n° 25-PR-92 du 7 décembre 1992 ne contient en principe pas de disposition propre aux Coopec. En Guinée équatoriale, le décret-loi sur les sociétés coopératives n° 6 du 22 juillet 1991 définit ces dernières, énonce les principes fondamentaux et les exigences générales qui doivent être remplies, de la même façon que toutes les règles de leur organisation et de leur fonctionnement. Il leur accorde des privilèges tels que des exonérations fiscales, mais n’introduit pas de règles particulières applicables aux Coopec (Esono Abeso Tomo, 2011).

Dans ces cinq pays, tout le droit des Coopec semble se limiter au nouveau droit Ohada des sociétés coopératives, en dehors des bribes de règles que l’on peut retrouver dans la réglementation Cemac sur la microfinance, ou alors des dispositions de droit coopératif interne non contraires au droit coopératif Ohada.

En revanche, au Cameroun, avant l’entrée en vigueur de l’acte uniforme, les coopératives étaient régies par la loi n° 92/006 du 14 août 1992 relative à ce type de sociétés et aux groupes d’initiative commune, suivie d’un décret d’application la même année, modifié en 1996. Ces deux textes ont été complétés en 1998 par un décret fixant les modalités d’exercice des activités des coopératives d’épargne et de crédit au Cameroun, lui-même modifié le 29 janvier 2001. Cette loi de 1992 prévoyait des règles particulières applicables aux Coopec, notamment à ses articles 42 à 48 (Zouatcham, 2012).

L’article 42 définit l’objet des Coopec, à savoir la collecte de l’épargne et la fourniture du crédit, ainsi que d’autres services financiers complémentaires fixés par les statuts. L’article 43 atténue la règle de l’exclusivité pour les activités d’épargne. Il prévoit que les Coopec peuvent recevoir et rémunérer les dépôts d’épargne provenant d’usagers non adhérents, en précisant que ces derniers ne peuvent bénéficier d’aucun emprunt auprès de la Coopec qui reçoit leurs dépôts.

Cette règle est partiellement compatible avec l’acte uniforme, qui prévoit que les coopératives peuvent engager des activités avec des usagers non membres dans la limite que fixent les statuts (article 18-18 de l’acte uniforme). Or, elle n’est pas forcément contraire aux dispositions du règlement Cemac relatif à la microfinance, qui exige des établissements de microfinance de première catégorie qu’elles collectent l’épargne de leurs membres (et possiblement de tiers) qu’elles emploient en opération de crédit exclusivement au profit de ceux-ci.

L’article 44, quant à lui, traite de la question de la mise en conformité des anciennes coopératives avec le nouveau droit de 1992. L’article 45 fixe le niveau de responsabilité des membres des Coopec à cinq fois minimum le montant des parts sociales souscrites. L’acte uniforme, à son article 210, a atténué ce niveau. D’après le texte, la responsabilité des coopérateurs est au moins égale au montant des parts sociales souscrites, avec la précision que les statuts peuvent prévoir une responsabilité plus étendue qui ne peut excéder cinq fois le montant des parts sociales souscrites.

Quant à l’article 46, il précise que les membres des Coopec doivent participer directement aux assemblées générales (AG), ce qui exclut la tenue d’assemblées de délégués ou de sections dans les Coopec. Ici également, les prévisions de l’acte uniforme sont différentes. Ce dernier dispose que, lorsque le nombre de coopérateurs est supérieur à cinq cents – ce qui ne facilite pas l’expression des votes –, les statuts peuvent prévoir que l’AG soit précédée par des assemblées de sections délibérant séparément sur le même ordre du jour. Au sein de celles-ci, des délégués sont élus et investis pour prendre part à l’AG. Il revient aux statuts de déterminer la répartition et le nombre de délégués par section ainsi que les modalités d’application (article 106 de l’acte uniforme).

L’article 47 dispose que les statuts des structures faîtières regroupant les Coopec peuvent fixer des obligations spécifiques à leurs membres. Enfin, l’article 48 mentionne que les Coopec ou leurs unions n’effectuent pas d’opération commerciale de banque, à moins de se conformer à la législation y afférente. Quant au décret de 1998, il fixe essentiellement les règles relatives à l’agrément, ainsi qu’à l’inspection et au contrôle.

Comme on a pu le voir, il existe autant du flou que du vide dans l’identification des règles particulières applicables aux Coopec dans l’espace Cemac. Le bilan dans les autres pays est encore plus mitigé.

Guinée, République démocratique du Congo et Union des Comores

La Guinée a développé un droit de la microfinance en 2005 quasiment calqué sur le modèle Cemac. L’article 7 de la loi afférente définit en effet les catégories d’établissement de microfinance dans les mêmes termes que le droit Cemac précité (article 5 du règlement Cemac n° 1). De la même façon, il ne traite pas de règles particulières applicables aux Coopec. En se référant au droit des sociétés coopératives (loi n° 2005/014/AN du 4 juillet 2005), on s’aperçoit également que des règles spéciales relatives aux Coopec n’ont donc pas été élaborées.

Aux Comores, un décret (n° 04-069/PR) réglementant l’activité des institutions financières décentralisées (IFD) a été signé le 22 juin 2004. Il ne s’agit là que d’une réglementation concernant la microfinance. D’après l’article 22 de ce texte, les IFD sont constituées entre personnes physiques ou morales, soit sous forme de société à capital fixe ou variable, soit sous forme de société ou d’association mutualiste. Le texte n’en dit pas beaucoup plus sur les règles particulières applicables aux Coopec. En l’état actuel du droit, il n’existe pas, dans le corpus juridique national de l’Union des Comores, d’autres règles pour les coopératives en dehors, principalement, des dispositions de l’acte uniforme, le pays ayant continué à appliquer les lois coopératives coloniales jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau droit coopératif Ohada.

Quant à la République démocratique du Congo, elle a adopté en 2002 une loi portant spécifiquement sur les Coopec (loi n° 002/2002 du 2 février 2002). Celle-ci a pour objet de définir un cadre institutionnel spécifique aux coopératives d’épargne et de crédit destiné à sauvegarder les particularités inhérentes à leurs modalités d’organisation et de fonctionnement.

Il importe de rappeler que les Coopec, avant cette loi, étaient régies en République démocratique du Congo par les dispositions du décret du 24 mars 1956 relatif aux coopératives indigènes.

Les articles 1 à 9 de ladite loi déterminent les dispositions générales et le champ d’application. Il est remarquable de constater que le législateur prévoit que les Coopec doivent partager un lien commun se concevant quasi dans les mêmes termes qu’en droit Uemoa. De même, elles doivent fonctionner suivant les principes coopératifs internationalement reconnus, qu’il prend la peiner de citer à l’article 9.

Les articles 10 à 21 règlent l’agrément, la constitution et le capital social. La Coopec requiert la tenue d’une assemblée générale constitutive au cours de laquelle les membres fondateurs adoptent ses statuts et signent une déclaration de fondation, qui sont ensuite déposés au greffe du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la Coopec a son siège social (articles 10 et 11). Il convient de rappeler que ce dernier point va changer, puisque l’acte uniforme introduit de nouvelles règles devant régir le registre des coopératives.

La Coopec n’obtient la personnalité morale qu’après son agrément par la banque centrale. Son capital social est constitué de parts sociales dont la valeur est déterminée par les statuts (article 20).

Les articles 22 à 57 traitent des membres, des organes dirigeants et de la gérance. Pour devenir membre d’une Coopec, il est nécessaire de partager le lien commun. Des conditions supplémentaires sont prévues, notamment la souscription et la libération d’au moins une part sociale, la signature d’une demande d’adhésion, etc. (article 22). Le législateur a également sauvegardé la liberté pour tout membre de se retirer de la structure. Les organes de la Coopec sont l’assemblée générale, le conseil d’administration, le conseil de surveillance et la commission de crédit. Le législateur fixe les attributions de chaque organe et laisse aux Coopec la liberté de déterminer les règles de fonctionnement dans leurs statuts et leur règlement intérieur.

Il expose par ailleurs les critères stricts de moralité et de compétence que doit remplir un membre pour prétendre devenir dirigeant d’une Coopec.

Les articles 58 à 78 portent sur les règles de gestion et de divulgation financière. L’activité des Coopec génère des risques susceptibles de mettre en péril les épargnes de leurs membres. A travers les dispositions des articles 58 à 61, le législateur entend instaurer les principes fondamentaux d’une réglementation prudentielle, pour garantir une gestion saine et une solidité financière de ces établissements. Des incitations fiscales sont également prévues pour promouvoir les activités des Coopec et assurer la promotion sociale de leurs membres (article 62). La protection des épargnes de ces derniers requiert aussi la mise en place de mécanismes, de normes et de règles destinés à assurer la transparence dans la gestion des Coopec en vue de permettre à l’autorité de supervision, aux organes de contrôle, aux membres et à chaque tiers intéressé d’obtenir toute information nécessaire (articles 63 à 66).

Les articles 79 à 82 portent sur le secret professionnel et le retrait d’agrément. Les organes de contrôle mis en place par le législateur ont pour mission de veiller au respect par les Coopec des règles de gestion saine, pour une meilleure protection de l’épargne des membres.

Les articles 83 à 87 portent sur les fusions, les scissions, les dissolutions et les liquidations. Ces opérations s’effectuent sous la supervision de la banque centrale, qui veille à la sauvegarde des intérêts des membres.

S’agissant spécifiquement de la liquidation, lorsqu’à la clôture il subsiste un excédent, l’assemblée générale peut décider de l’affecter au remboursement des parts sociales des membres. Le solde éventuellement disponible après cette opération est dévolu à une autre Coopec ou à des oeuvres d’intérêt social. Les articles 88 à 96 se réfèrent aux regroupements des Coopec. Le législateur retient comme structures faîtières de ces dernières, la coopérative centrale d’épargne et de crédit (Coocec) et la fédération des Coopec.

Les articles 97 à 104 portent sur les sanctions. Le législateur prévoit des punitions disciplinaires, administratives et pénales dont sont passibles les Coopec ainsi que toute personne qui participe directement ou indirectement à leur administration, à leur gestion ou à leur contrôle.

Les articles 105 à 108 traitent des dispositions transitoires et finales.

Dans l’ensemble, les règles de cette loi concordent avec celles de l’acte uniforme. Toutefois, quelques petits ajustements pourraient être nécessaires, notamment en ce qui concerne les structures faitières. L’acte uniforme a en effet prévu quatre étages : les unions, les fédérations, les confédérations et les réseaux coopératifs de moyens et d’objectifs. En considérant les Coopec comme des unions et au vu de l’existence, déjà, de fédérations, les Coopec congolaises n’auront qu’à prévoir les deux étages supérieurs, à savoir les confédérations et les réseaux.

Quoi qu’il en soit, on arrive bien à la conclusion que leur droit est divers dans l’espace Ohada. Or, cette diversité est contraire à la volonté d’uniformisation du droit par l’organisation, surtout que lesdites règles avaient au départ été prévues, avant d’être progressivement retirées. Il s’ensuit donc une certaine inadéquation entre cette diversité de règles régissant les Coopec et la politique d’uniformisation du droit par l’Ohada.

L’inadéquation entre la diversité du droit spécial des Coopec et le procédé d’uniformisation du droit par l’Ohada

Les règles spéciales du droit des Coopec étudiées plus haut, qu’elles soient nationales ou communautaires, ont été élaborées en coordination avec les législations nationales antérieures régissant les sociétés coopératives dans les Etats membres (Tadjudje, 2013b). Ainsi, leur coordination actuelle avec le droit commun Ohada pourrait manquer de cohérence. Dans cette optique, il nous semble que l’AU-SC répondrait mieux à un environnement d’harmonisation du droit et contraste par conséquent avec la volonté de l’Ohada d’uniformiser celui-ci (Fetze Kamdem, 2010). Ce silence de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (AU-SC) à propos des règles spéciales propres aux Coopec peut être à l’origine de conflits de lois.

Les effets de la déviation du procédé de l’uniformisation

Comme on a pu l’examiner plus haut, le droit spécial des Coopec est multiple dans l’espace Ohada. Face à cette diversité et à cette hétérogénéité des règles, des conflits peuvent éclater. Dans ce cas, les solutions peuvent être distinctes, selon la législation concernée. Nous distinguerons deux situations, suivant qu’il s’agit du droit national ou du droit communautaire.

En droit interne

Lorsqu’il est question des lois nationales, deux cas peuvent être différenciés, selon qu’il s’agit du droit des sociétés coopératives ou du droit régissant les activités, comme la microfinance par exemple. Dans la première situation, notamment au Cameroun et en République démocratique du Congo, l’article 2-1 de l’acte uniforme s’applique. Il précise que les dispositions de ce dernier sont d’ordre public, sauf s’il autorise expressément les coopérateurs, soit à substituer les stipulations dont ils ont convenus, soit à compléter par leurs stipulations les dispositions de l’acte uniforme.

Cela suppose que les règles des droits camerounais et congolais relatifs aux sociétés coopératives ne peuvent s’appliquer aux Coopec que dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux dispositions de l’acte uniforme, sauf si celui-ci en dispose autrement. Elles doivent donc être conformes aux dispositions de ce dernier, notamment dans le cas où elles visent à le compléter (Tadjudje, 2011).

La lecture de l’article 2-1 de l’acte uniforme peut laisser croire que le caractère d’ordre public du droit Ohada des sociétés coopératives se limiterait uniquement aux dispositions du droit coopératif interne. Il nous semble toutefois que le spectre de cet ordre public est plus large, comme en témoigne le contenu de l’article 10 du traité instituant l’Ohada : « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure. » De cette façon, les actes uniformes, y compris celui relatif au droit des sociétés coopératives, se substituent obligatoirement et sans autre formalité aux règles de droit interne applicables dans tous les Etats parties au traité instituant l’Ohada (Raynal, 2000, p. 5).

Dans cette perspective, le droit national de la microfinance guinéen ou comorien, par exemple, doit se conformer au droit coopératif Ohada. S’il contient des dispositions touchant aux coopératives contraires aux règles posées par l’acte uniforme, celles-ci sont immédiatement et directement abrogées et remplacées par celles du droit coopératif Ohada. Comme nous le verrons plus loin pour le droit communautaire, la suprématie du droit Ohada des sociétés coopératives sur le droit interne de la microfinance peut entraîner des conséquences négatives sur la pertinence même de l’organisation de cette activité.

En droit communautaire

Contrairement au droit interne des Etats, lorsqu’il s’agit du droit communautaire, tel que celui de l’Uemoa ou de la Cemac, la question de la compatibilité avec le droit Ohada devient plus compliquée. Il convient de rappeler que, dans les rapports entre ce dernier et le droit dérivé généré par d’autres organisations telles que l’Uemoa ou la Cemac, l’argument tiré du caractère d’ordre public du droit Ohada ne saurait prévaloir. Il nous semble que cette règle n’est valable qu’entre le droit Ohada et le droit national (Fone Mdontsa, 2010). Or, l’Uemoa et la Cemac sont des organisations internationales reposant sur un traité au même titre que l’Ohada. Cela suppose, à notre sens, que le droit qu’elles produisent est placé au même niveau que ce dernier, d’où l’appel à la concertation, étant donné que leurs champs de compétences peuvent se chevaucher (Fetze Kamdem, 2010).

Dans cette perspective, plusieurs solutions peuvent être envisagées. La première consiste à se référer à la solution de conflit d’instruments contenue dans les textes, notamment l’acte uniforme et les droits communautaires de la microfinance. Habituellement, les actes uniformes comportent des dispositions ayant pour objectif de régler leurs rapports avec les autres instruments internationaux. En droit des sociétés coopératives, il faudrait se référer à la combinaison des articles 2-2 et 396 de l’acte uniforme. Le premier texte dispose que « nonobstant les dispositions du présent acte uniforme, les sociétés coopératives qui ont pour objet l’exercice d’activités bancaires ou financières demeurent soumises aux dispositions du droit interne ou communautaire relatives à l’exercice de ces activités ». Quant au deuxième, il précise que « sont abrogées toutes dispositions légales contraires aux dispositions du présent acte uniforme, sous réserve de leur application transitoire pendant une période de deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur du présent acte uniforme, aux sociétés coopératives […] n’ayant pas procédé à la mise en harmonie de leurs statuts avec les dispositions du présent acte uniforme ». Ces dispositions ne nous renseignent pas amplement sur la démarche à suivre en cas de conflit de lois [8].

C’est la raison pour laquelle nous nous référerons à la deuxième solution, à savoir l’application de la règle specialia generalibus derogant, non generalia specialibus, en considérant le droit Ohada comme le droit commun et le droit communautaire de la microfinance comme le droit spécial. Ainsi, en cas de contradiction entre les deux corps de règles, le droit communautaire Uemoa ou Cemac devrait prévaloir sur le droit Ohada.

Deux exemples seront fournis et nous verrons que des confusions peuvent naître. Le premier est tiré du droit Uemoa. L’article 85 de la loi relative aux SFD prévoit que les Imcec doivent respecter un certain nombre de principes, notamment celui de la constitution obligatoire d’une réserve générale, dont les modalités de prélèvement sont fixées par instruction de la banque centrale. Or, les règles arrêtées par cette dernière sont différentes de celles envisagées par l’Ohada. Dans son instruction [9], la BCEAO exige des Imcec qu’elles affectent au minimum 15 % des excédents nets à la constitution d’une réserve générale, et ce avant toute distribution de ristourne. Par contre, l’acte uniforme enjoint aux statuts de prévoir, avant toute affectation, la constitution d’une réserve générale par prélèvements annuels sur les excédents nets d’exploitation, ainsi que d’une réserve destinée à la formation, à l’éducation et à la sensibilisation aux principes coopératifs. Il ajoute que, tant que ces deux réserves légales n’atteignent pas le montant du capital fixé par les statuts, les prélèvements opérés au titre de chacune ne peuvent être inférieurs à 20 % des excédents nets (article 114 de l’acte uniforme).

L’article 114 de l’acte uniforme limite l’affectation des fonds à la réserve dans la durée. Ainsi, l’alimentation de celle-ci n’est en principe plus obligatoire lorsqu’elle a atteint le montant du capital social. A contrario, le droit Uemoa exige un approvisionnement de la réserve générale de façon permanente. Cette permanence peut aussi, a priori, être appliquée en droit Ohada, mais de façon libre et volontaire, après avoir atteint le montant statutaire. Il convient de rappeler que l’instruction de la BCEAO ne vaut que pour la réserve générale. Les Imcec doivent en revanche constituer une réserve d’éducation introduite par le droit Ohada. Il n’y a en principe aucun conflit à ce sujet. Le droit Ohada a mis en place une catégorie nouvelle de réserves qui ne vise qu’à réaffirmer les valeurs coopératives des Coopec et dont l’allocation est complémentaire à celle de la réserve générale. Curieusement, dans les Imcec, la réserve d’éducation sera réglementée par l’article 114 de l’acte uniforme, tandis que la réserve générale sera encadrée par l’instruction de la BCEAO, si l’on applique le principe précité.

Le second exemple est tiré du droit Cemac de la microfinance. Celui-ci exige des coopératives et des mutuelles (établissements de microfinance de première catégorie) qu’elles n’engagent de services qu’avec leurs membres et donc qu’elles excluent les tiers. Cela suppose que les Coopec, exceptionnellement et contrairement aux autres formes de coopératives, ne peuvent pas admettre en leur sein des associés non coopérateurs. On se rend compte que le droit de la microfinance leur ferme un droit que leur reconnaît l’AU-SC à son article 4-2.

Pour les deux espèces, et comme précisé plus haut, le droit de la microfinance devrait prévaloir, étant donné qu’on peut le considérer comme un droit spécial, à côté du droit commun Ohada.

Cette argumentation pourrait toutefois être discutée : ne doit-on pas considérer les règles de constitution des réserves et le principe d’exclusivité comme relevant de la gouvernance des coopératives ? Dans ce cas, elles ne concernent pas directement, en principe, l’activité de microfinance. Il s’agirait de sujets que l’on peut rattacher à l’organisation et au fonctionnement des coopératives et qui ressortiraient normalement de la compétence de l’acte uniforme.

Exclusivité et réserves

Quoi qu’il en soit, les questions de l’exclusivité comme de l’encadrement des réserves peuvent être rattachées au droit de l’activité de microfinance. Plus concrètement, elles relèvent, nous semble-t-il, des règles prudentielles nécessaires à la sauvegarde et à la durabilité de cette dernière.

En droit Cemac, l’exclusivité se présente comme un critère de distinction de la microfinance dite solidaire (gérée par des entreprises à but non lucratif – coopératives, mutuelles et associations) de celle dite commerciale (gérée par les sociétés commerciales, sociétés anonymes notamment). Une telle différenciation entraîne, de facto, une démarcation des règles applicables aux entreprises concernées, lesquelles ne partagent pas les mêmes principes de fonctionnement. De ce point de vue, la règle de l’exclusivité devrait s’appliquer dans les Coopec conformément au droit de la microfinance. Dans ce cas, on supposera que l’acte uniforme autorise les coopératives à engager des activités avec des tiers, sauf si le droit régissant leurs activités dispose autrement. Cet avis pourrait rejoindre l’esprit du législateur Ohada, tel que cela ressort de l’article 2-2 de l’AU-SC.

Il en serait de même pour les dispositions du droit Uemoa relatives à la constitution des réserves. Il convient de rappeler qu’il s’agit là d’une règle prudentielle importante pour l’efficacité de l’activité de microfinance. Entre liberté de limiter la constitution de réserve lorsque celle-ci a atteint le montant des statuts et obligation de l’alimenter perpétuellement, il nous semble que le législateur des SFD a fait un choix opérationnel guidé par la spécificité de l’activité. Nous pensons que le droit Uemoa devrait s’appliquer pour préserver la faisabilité et la viabilité desdites activités. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les règles fiscales sont différentes en fonction des formes juridiques des sociétés.

Malgré la relative pertinence de l’application de la règle specialia generalibus derogant, non generalia specialibus, il nous semble que, dans d’autres circonstances, la règle de la loi supranationale la plus récente aurait pu prévaloir, sauf qu’elle ne devrait être invoquée normalement que s’il ne s’agit pas d’un rapport entre un droit commun et un droit spécial. Il en serait ainsi par exemple si l’Ohada développait un droit de la concurrence à côté de celui déjà existant dans les espaces Uemoa et Cemac. Il est évident qu’un rapport entre droit commun et droit spécial ne peut prévaloir dans ce cas et que la seule solution pouvant être appliquée serait bien celle de la législation supranationale la plus récente.

Toutefois, une approche différente se fait jour dans l’articulation entre le droit Ohada et le droit Cemac. Dans ce dernier espace, l’application du droit matériel communautaire ne crée pas de conflit avec les dispositions du droit uniforme Ohada, dans la mesure où l’article 4 alinéa 2 de la charte des investissements de la Cemac consacre l’adhésion des Etats membres de cette dernière au traité de l’Ohada, ainsi que leur engagement à garantir l’application des procédures et des arrêts de la CCJA.

Cette volonté de la Cemac de reconnaître la supériorité du droit Ohada sur son propre droit a été reprise par sa cour de justice. Cette dernière, saisie en consultation, a rendu le 9 avril 2003 (Koagne Zouapet, 2010) un avis affirmant solennellement la primauté du droit Ohada. Elle rappelle l’effet direct et obligatoire des actes uniformes Ohada contenu dans l’article 10 du traité de Port-Louis et déclare que « cette disposition contraignante pour les Etats concernés s’applique aux normes primaires et dérivés issues de la Cemac » (Boumakani, 2005). Cet argument n’est pas valable en droit Uemoa, étant donné qu’en principe cette organisation n’a pas formellement pris les mêmes engagements que la Cemac.

Quoi qu’il en soit, il nous semble qu’en application de cette disposition du code Cemac des investissements, le droit de la microfinance prendrait un coup fatal. En droit Cemac par exemple, toute la nomenclature des établissements de microfinance se trouverait détruite. Or, il semble important de la garder intacte afin de permettre à cette activité de maintenir sa pertinence. Par conséquent, le droit Cemac se trouve placé au même niveau qu’un droit national, dans ses rapports avec le droit Ohada. Il nous semble donc qu’en cas de contradiction entre ceux-ci et le droit Ohada des sociétés coopératives, le second devrait prévaloir, même si la logique est critiquable. D’autant plus que l’Ohada elle-même refuse de se prononcer clairement sur la question, alors que son avis aurait pu permettre de clarifier les rapports entre son droit et les autres droits communautaires (Nguihe Kante, 2009).

Les perspectives envisageables

Les solutions que nous envisageons pour plus de clarté dans l’application des règles matérielles au sein de l’espace Ohada vont dans trois sens, complémentaires les uns par rapport aux autres.

L’exemple sud-africain

Dans un premier, nous suggérons une réforme du droit Ohada des sociétés coopératives pour introduire des règles spéciales (les familles coopératives). Ces dernières ne doivent pas se limiter aux Coopec. En droit sud-africain des sociétés coopératives par exemple (South Africa Cooperative Act n° 14 du 18 août 2005), des dispositions particulières ont été prévues pour quatre types de structures : les coopératives d’habitat, les coopératives de travailleurs, les coopératives d’épargne et de crédit et les coopératives agricoles. Il nous semble que le législateur Ohada pourrait conduire un diagnostic afin de repérer les activités les plus exercées par les coopératives dans son espace juridique et prévoir des règles spécifiques y afférentes.

Quoi qu’il en soit, de notre expérience, nous pensons que les quatre familles coopératives introduites par le législateur sud-africain correspondraient à la réalité africaine générale (Develtere et al., 2008). Ainsi, en prévoyant des règles particulières régissant les Coopec, non seulement l’acte uniforme raffermirait sa technique d’uniformisation, mais en plus réduirait potentiellement les risques de conflits de lois.

Une instance de régulation

Une deuxième perspective, complémentaire à la première, est l’instauration d’une plus grande coopération entre l’Ohada, d’un côté, et l’Uemoa et la Cemac, de l’autre. La ligne tracée par la Cemac, laquelle reconnaît la supériorité du droit Ohada sur son droit propre, est remarquable, mais connaît des limites.

Normalement, cette reconnaissance devrait se limiter à des champs de compétence. A titre d’exemple, de la même façon que l’Ohada peut réglementer une matière déjà régie en droit interne, l’organisation devrait pouvoir le faire à propos de matières déjà traitées par le droit communautaire. C’est dans cette optique que, après négociations, l’Uemoa avait accepté d’arrimer son droit comptable sur celui de l’Ohada. C’est dans la même perspective qu’un acte uniforme relatif au droit de la concurrence est en projet au sein de l’Ohada, alors qu’il existe des règlements relatifs à la même matière dans les espaces Uemoa et Cemac.

Il est important de noter que la préparation de l’acte uniforme évolue dans une collaboration entre ces deux dernières organisations, ce qui pourrait permettre de réduire les cas de conflits et anticiper des solutions pour les régler.

Toutefois, la volonté de la Cemac de reconnaître la supériorité du droit Ohada sur son droit, que l’Uemoa admet indirectement, devrait se limiter, nous semble-t-il, aux champs de compétence et ne pas toucher au droit matériel proprement dit lorsqu’il porte sur des matières différentes, à moins d’instruire préalablement une concertation. Si on prend l’exemple de la microfinance, cette reconnaissance, loin de résoudre les problèmes de compatibilité juridique, tendrait à introduire des problèmes plus complexes, comme nous l’avons vu plus haut.

C’est la raison pour laquelle il serait intéressant qu’un dialogue soit ouvert sur la question, dans la perspective de développer des règles concrètes de résolution de conflits de lois ou de les anticiper, au moment de la rédaction des textes.

Plus de compétences aux juges nationaux

Une troisième perspective serait de modifier le procédé d’adoption des règles du droit Ohada. Il est en effet évident qu’un droit uniforme stricto sensu ne peut se concevoir que très difficilement, le législateur ne pouvant tout prévoir. De même, l’uniformisation camouflerait ou minimiserait les problèmes de conflits de lois qui peuvent survenir à l’occasion de l’application du droit uniforme (Ngoumtsa Anou, 2013).

D’autres procédés de production du droit pourraient donc être envisagés, afin d’alléger les risques de conflits de lois et, par le fait même, de redonner aux juges nationaux un peu plus de compétences. A ce sujet, le professeur Pougoué précise que « le modèle Ohada est spécifique et original, mais il est loin de répondre aux promesses des fleurs. Peut-être comporte-t-il un brin de rêve. Il faut, pour le faire rayonner avec éclat, en corriger les aspérités : contenir la compréhension du droit des affaires dans des limites strictes et raisonnables, renforcer le dialogue entre la CCJA [cour commune de justice et d’arbitrage, instance juridictionnelle de l’Ohada] et les juridictions suprêmes nationales, enrichir le fonds civiliste du droit Ohada par des apports mesurés du droit comparé, retenir à côté de l’uniformisation d’autres procédés plus souples d’intégration juridique, telles que les directives et les lois-types, etc. » (Pougoué, 2009, p. 11-19).

Conclusion

Il ressort, au terme de cette analyse, que le droit Ohada des sociétés coopératives, tout en ayant modernisé et dynamisé la matière, y a autant jeté du flou et du vide, à certains égards. Le droit des Coopec par exemple reste très divers et contraste avec la volonté du législateur Ohada de produire un droit uniforme, c’est-à-dire applicable de la même façon dans tous les Etats signataires de son traité fondateur. Il est donc nécessaire que des mesures soient prises afin d’y remédier. N’oublions pas que les Coopec constituent un acteur important dans la stratégie du développement de l’Afrique (Périllleux, 2009) et que plus les règles les régissant seront claires et accessibles, mieux elles se porteront pour accompagner le progrès socioéconomique du continent (Diop, 2008).