Corps de l’article

Si les entreprises d’économie sociale, et les associations en particulier, connaissent les mêmes exigences de financement que les entreprises classiques, à savoir couvrir leurs dépenses courantes, financer leurs investissements et faire face à d’éventuels problèmes de trésorerie, elles présentent aussi certaines spécificités qui justifient une attention particulière (Henry, 2010). Ainsi, de par la nature de leurs activités, elles recourent relativement moins au marché et davantage à des ressources dites non marchandes telles que subsides [1], dons, cotisations… Par ailleurs, leur finalité non lucrative limite leur accès au capital à risque. Enfin, et à l’inverse, elles peuvent bénéficier de ressources non monétaires, comme des apports en nature ou des prestations de travail bénévole.

En dépit de ces particularités, il existe très peu d’études empiriques dans les pays francophones portant spécifiquement sur les problèmes rencontrés par le secteur associatif en matière de financement. Certes, on relève bien certaines recherches qui concernent un aspect particulier des ressources des associations (le bénévolat, par exemple) ou portent sur un type d’activité spécifique (le secteur culturel, par exemple), mais presque aucune n’aborde la question de leur financement sous un angle véritablement exhaustif [2]. Il en ressort que beaucoup d’a priori et d’idées reçues règnent encore sur cette question, sans qu’il soit possible de les étayer d’une manière ou d’une autre à l’aide de données empiriques.

Ainsi en est-il notamment des relations qu’entretiennent les associations avec le système bancaire. Courante par exemple est l’opinion selon laquelle celles-ci éprouveraient davantage que les entreprises classiques des difficultés à accéder au crédit bancaire pour leurs investissements, soit par manque de garanties, soit parce que les formalités administratives seraient trop lourdes. Elles tendraient dès lors à privilégier nettement les opérateurs spécialisés [3]. Dans un autre registre, on entend parfois dire que, en raison de leur dépendance à l’égard des subsides publics, les associations souffriraient de manques récurrents de liquidités, sources de nombreux problèmes de trésorerie. Qu’en est-il dans la réalité ?

Pour répondre à ces interrogations et, d’une façon plus générale, pour mieux cerner la problématique du financement de l’associatif dans ses dimensions concrètes, des données de terrain sont nécessaires [4]. C’est la raison pour laquelle nous avons tenté de réaliser un premier état des lieux du financement du secteur associatif en Belgique francophone (Wallonie et Bruxelles [5]), en procédant à une enquête auprès d’un échantillon représentatif (hors écoles et hôpitaux). Ont été essentiellement visées les associations qui revêtent une forme juridique régulière – association sans but lucratif (ASBL) [6] – et occupent du personnel salarié, la qualité d’employeur étant en principe l’indice d’une activité économique significative et régulière. Au total, 445 associations ont fait l’objet d’une enquête par questionnaire en ligne début 2011 (voir annexe).

Cet article présente les principaux enseignements qui ont pu être tirés des réponses obtenues lors de l’enquête. Il aborde la question tout d’abord du financement des dépenses courantes, puis des investissements des ASBL interrogées. Leurs besoins de trésorerie sont analysés dans une troisième partie. Une synthèse des principaux résultats de l’enquête est proposée à la fin de l’article. Précisons que si des données sur les ressources des associations en Belgique sont en fait déjà disponibles dans Le compte satellite des ISBL publié annuellement depuis l’année 2000 (Mertens, 2004, ICN, 2012), elles ne permettent pas de connaître la manière dont les investissements sont financés. De plus, le compte satellite ne fournit pas d’information sur les besoins de trésorerie des associations, qui sont ici analysés pour la première fois.

Dans la suite du texte, les termes ASBL et associations seront indifféremment utilisés pour désigner les ASBL employeurs en Belgique francophone hors écoles et hôpitaux, sur lesquelles porte donc exclusivement la présente recherche. Par ailleurs, le nombre d’observations indiqué en dessous de certains tableaux présentés dans l’article est inférieur au nombre d’ASBL de l’échantillon analysé (445), soit parce que certains questionnaires sont par endroits incomplets, soit, plus souvent, parce que la question correspondante ne concerne pas toutes les associations interrogées.

Le financement des dépenses courantes

Cette section concerne les moyens financiers, ou « recettes » [7], qui permettent de couvrir les dépenses courantes de l’association, à savoir essentiellement les frais de personnel et les frais de fonctionnement. Sont donc exclues les dépenses d’investissements donnant lieu à amortissement (mobilier, matériel informatique, véhicule, bâtiment…), qui font l’objet de la section suivante. Les recettes ici concernées sont les cotisations des membres, les dons, les subsides publics, les ventes et éventuellement les transferts en provenance d’une autre ASBL (les legs sont considérés comme une ressource en capital et sont, à ce titre, également envisagés à la section suivante).

Dans les lignes qui suivent, nous indiquons en quoi les informations statistiques rassemblées dans le cadre de la présente enquête – menée sur la seule partie francophone du pays – confirment et complètent celles du compte satellite, qui font l’objet d’analyses dans diverses publications (Marée et al., 2005 ; Marée et al., 2008 ; fondation Roi Baudouin, 2011).

Les types de recettes courantes

L’enquête confirme d’abord que, bien loin de n’être constitué que d’organismes d’un faible poids économique, le secteur associatif abrite en Belgique francophone des ASBL dont le montant des recettes annuelles peut être considérable. Ainsi, 30 % des associations interrogées perçoivent 500 000 euros ou plus et plus de la moitié de celles-ci atteignent ou dépassent même le million d’euros.

Si l’on examine les différents types de recettes perçues par les ASBL, l’image d’un secteur associatif « subventionné » par les pouvoirs publics qui ressort du compte satellite n’est pas démentie par les données de l’échantillon, bien au contraire. Selon le compte satellite, 44,8 % des recettes courantes des ISBL en Belgique – secteur de la santé exclu – sont en effet en 2008 [8] d’origine publique (ICN, 2011), alors que, comme l’indique le tableau 1 (ci-dessus), l’ensemble des subsides publics aux associations interrogées en Belgique francophone représentent 60,4 % de leurs recettes courantes. Le secteur associatif en Wallonie et à Bruxelles semble donc davantage subsidié qu’en Flandre. Il serait toutefois utile de recourir à d’autres sources de données pour valider ce constat.

Tableau 1

Les types de recettes courantes des associations interrogées

Les types de recettes courantes des associations interrogées

* A l’exclusion des réductions de cotisations sociales.

** A l’exclusion des fonds spécifiquement reçus pour des dépenses d’investissement. Nombre d’observations : 445.

-> Voir la liste des tableaux

L’enquête a également permis de montrer l’importance des subsides à l’emploi, puisque ces derniers représentent plus de la moitié (41,4 %) du total du financement public courant des ASBL interrogées. Loin derrière, viennent ensuite les ventes (17 % des recettes) et les cotisations des membres (8,7 %), tandis que les dons, toutes origines confondues, contribuent pour seulement 7,9 % au financement courant des associations.

Les facteurs d’influence de la structure des recettes courantes

Les données du compte satellite des ISBL indiquent que le domaine d’activité de l’association a une incidence sur le type de recettes dont elle peut bénéficier (Marée et al., 2008).

La branche d’activité de l’association

Le tableau 2 (en page suivante) confirme largement ce constat. Globalement, les différences que l’on peut observer entre les branches sont très proches de celles qui ressortent du compte satellite. Ainsi, l’action sociale dépend largement du financement public (71,7 %), en raison de la faible solvabilité de la demande dans les services sociaux. Il devrait en être de même de la santé, soumise au système du tiers payant. Le montant du subventionnement public qui ressort de l’échantillon (33,9 %) est toutefois relativement faible et très inférieur à celui du compte satellite, à savoir 83,7 % (Marée et al., 2008), en raison, d’une part, de l’absence des hôpitaux et, d’autre part, du fait que certains répondants ont repris dans la catégorie « autres » (29,9 %) une partie du remboursement des prestations. Le secteur de la culture, des sports et des loisirs, tout en dépendant également du financement public, recourt aussi sans surprise au financement privé, essentiellement sous la forme de ventes (26 %). Enfin, relevons que les associations de défense des droits et des intérêts reçoivent comparativement peu de subsides (36 %) et se financent pour plus d’un tiers (38,9 %) via les cotisations. Selon les données de l’échantillon, ce sont précisément les associations de ce secteur qui ont en moyenne le plus de membres. Leur subventionnement relativement faible se marque principalement au niveau des subsides à l’emploi, qui ne représentent que 12,9 % des recettes courantes. Les associations oeuvrant dans le champs de la santé se caractérisent par un subventionnement à l’emploi comparativement moindre (19,6 % des recettes).

La taille de l’association

En plus de la branche d’activité, la taille de l’association (mesurée en termes de nombre de travailleurs salariés) joue-t-elle un rôle dans la structure de ses recettes ? Le compte satellite étant muet sur ce point, on a tenté de voir si les données de l’échantillon traduisaient certaines corrélations. La réponse est plutôt négative, sauf pour les cotisations où émerge une certaine tendance : les ASBL de plus petite taille dépendent davantage des contributions annuelles des membres que les autres associations, et ce principalement au détriment des ventes. C’est le cas des associations de moins de dix salariés, mais plus encore de celles de moins de cinq salariés, dont 12,1 % des recettes courantes proviennent de cotisations.

Tableau 2

La répartition des recettes courantes par type d’associations (en %, arrondi à 100)

La répartition des recettes courantes par type d’associations (en %, arrondi à 100)

Nombre d'observations : 445.

-> Voir la liste des tableaux

Cet effet apparent de la taille sur le niveau des cotisations masquerait-il en fait l’incidence du domaine d’activité de l’association ? Tel semble être le cas de la branche « défense des droits et des intérêts », caractérisée par une présence très importante de petites ASBL (plus des quatre cinquièmes des associations y emploient moins de cinq salariés). La part particulièrement élevée des cotisations dans ce secteur pourrait en effet simplement résulter du fait qu’il rassemble principalement, comme on l’a souligné, des associations – dites d’intérêt mutuel – pouvant compter sur les contributions des membres qu’elles sont supposées défendre. Le fait que le secteur de la culture, des sports et des loisirs, également caractérisé par une part importante d’associations de petite taille, ne présente pas (voir tableau 2) une part de cotisations supérieure à la moyenne semble bien confirmer le rôle déterminant du type d’activité sur la structure des recettes et partant sur la part des cotisations.

En résumé, les données de l’échantillon confirment ce qui ressortait déjà du compte satellite des ISBL : la branche d’activité des associations détermine en grande partie la manière dont elles se financent. Quant à la taille, son incidence semble apparemment secondaire. Une analyse statistique de plus grande ampleur sur le financement courant du secteur associatif serait toutefois nécessaire pour affiner ces constats.

Le financement des dépenses d’investissement

Outre le financement de ses dépenses courantes, toute association occupant au moins un salarié est confrontée à un moment ou à un autre à la question du financement de dépenses d’investissement, à savoir d’achat d’immeuble, de mobilier, d’équipement, de matériel informatique ou encore de véhicule. Comment les ASBL font-elles face à ce type de dépenses ? Le compte satellite des associations, dont il a été question à la section précédente, ne fournit à cet égard aucune information. Les résultats de la présente enquête apportent donc pour la première fois un éclairage sur cette question.

Les modes de financement des investissements

Le tableau 3 (en page suivante) énumère les modes de financement des investissements a priori possibles et indique dans quelle mesure les associations interrogées y ont recours, plusieurs réponses étant possibles.

Trois enseignements ressortent de ce tableau. Tout d’abord, une très grande majorité d’ASBL interrogées (77,3 %) comptent sur leurs propres ressources pour acquérir des biens d’équipement. On peut parler à cet égard d’une nette tendance à l’autofinancement, surtout si l’on met ce constat en rapport avec le fait que le recours à l’emprunt est, à l’inverse, moins fréquent : à peine 12,8 % des ASBL acceptent d’emprunter auprès des banques (hors opérateurs spécialisés). Encore convient-il de noter que, selon les données de l’enquête, les deux tiers de ces associations n’y recourent qu’occasionnellement. En d’autres termes, seule une très petite minorité d’ASBL voit l’emprunt bancaire comme une source de financement régulière. On notera enfin l’importance des subsides publics à l’investissement, dont bénéficient 29,2 % des associations interrogées. Le rôle des pouvoirs publics dans le financement des investissements des associations ne doit donc pas être négligé. Rappelons à cet égard que 60 % des recettes courantes des associations en Belgique francophone sont d’origine étatique (voir supra).

Tableau 3

Nature du financement des investissements des associations interrogées

Nature du financement des investissements des associations interrogées

Nombre d'observations : 415.

-> Voir la liste des tableaux

Pourquoi les ASBL recourent-elles peu au crédit bancaire ?

Comme on l’a rappelé dans l’introduction, l’une des affirmations souvent formulées envers les associations porte sur le fait qu’elles rencontreraient davantage de difficultés que les entreprises classiques pour obtenir des crédits bancaires. Cette hypothèse est-elle validée par le faible pourcentage relevé à ce sujet dans le tableau précédent ? Avant de répondre à cette question, il est utile de voir si les réponses des ASBL quant au recours au crédit bancaire peuvent varier selon certaines de leurs caractéristiques. Peut-on, tout d’abord, supposer l’existence d’un effet de taille ? La réponse est positive : selon les données de l’échantillon, plus sa taille (en termes de nombre de travailleurs salariés) est élevée, plus l’association tend à recourir au crédit bancaire. Concrètement, deux tiers (65,2 %) des ASBL interrogées de cinquante salariés ou plus empruntent aux banques, alors que c’est le cas pour une petite minorité seulement (4,9 %) des ASBL de moins de cinq salariés.

Quant au type d’activité de l’association, a-t-elle une incidence sur sa propension à solliciter un crédit bancaire ? Il est vrai que, d’une branche à l’autre, le pourcentage d’ASBL qui empruntent aux banques peut varier sensiblement : 

on relèvera ainsi que ce pourcentage fluctue entre 3,6 (activités associatives non définies) et 25 % (santé). L’incidence de la taille en termes d’emploi ne constituant pas une explication suffisante (les associations de la branche « activités associatives non définies » ne se caractérisent pas par une taille nettement moindre que celles de la santé), ces écarts sont sans doute en partie imputables à la nature même de l’activité de l’ASBL. Dans le secteur de la santé par exemple, réputé être davantage capitalistique que d’autres secteurs, le recours au crédit bancaire peut se justifier par l’exigence d’équipements médicaux coûteux et amortis sur plusieurs années.

De nombreux facteurs peuvent influencer l’attitude des associations vis-à-vis du crédit bancaire. La littérature relative aux PME énumère une série de raisons pouvant expliquer le refus d’emprunter auprès des banques (voir par exemple Cefip, 2012). Ces raisons, soumises aux ASBL de l’échantillon, sont classées par ordre décroissant d’importance dans le tableau 4 (plusieurs réponses étant possibles ; voir ci-dessous).

Deux causes de non-recours au crédit bancaire classique ressortent nettement. La première, avancée par la majorité des ASBL interrogées (58,9 %), indique que c’est apparemment par principe que ces associations renoncent à s’endetter auprès des banques. Il s’agit là d’une attitude assez générale du secteur associatif dans la mesure où, d’après les résultats de l’enquête, la taille de l’association ne joue aucun rôle dans ce choix. Ainsi, 68,8 % (soit plus que la moyenne de toutes les associations interrogées) des ASBL de cinquante salariés ou plus avancent cette raison pour justifier leur renoncement au crédit bancaire.

La seconde raison, évoquée par plus du tiers (36,5 %) des répondants, concerne le volume des investissements, qui est jugé trop faible pour justifier de s’adresser aux banques pour leur financement. Cette cause de non-recours au crédit bancaire rejoint évidement l’effet de taille précédemment évoqué. Il y a d’ailleurs, dans les réponses de l’enquête, une corrélation négative entre le fait d’avancer l’argument du volume trop faible des investissements et la taille de l’association : plus celle-ci augmente, moins cet argument est proposé pour expliquer le renoncement au crédit bancaire.

Tableau 4

Causes de non-recours des associations au crédit bancaire classique pour financer leurs investissements

Causes de non-recours des associations au crédit bancaire classique pour financer leurs investissements

Nombre d’observations : 392.

-> Voir la liste des tableaux

Un pourcentage limité des ASBL (13,3 %) invoque le fait de disposer d’autres sources de financement pour éviter de s’adresser aux banques. On observera sans surprise qu’il est corrélé avec la taille de l’ASBL (il est de 37,5 % pour les associations de cinquante salariés ou plus). Enfin, très peu d’ASBL évoquent les difficultés d’obtention d’un crédit (7,1 %) et encore moins la lourdeur des formalités nécessaires (3,8 %) [9]. En d’autres termes, l’opinion courante selon laquelle le secteur associatif accéderait moins aisément au crédit bancaire que les entreprises classiques n’est apparemment pas fondée. En réalité, si les associations n’empruntent guère aux banques pour leurs investissements, c’est donc essentiellement pour des raisons de principe (ne pas s’endetter auprès des institutions bancaires), auxquelles s’ajoute le fait que le montant des dépenses concernées est souvent jugé trop faible (effet de taille).

Les besoins de trésorerie des associations

Les deux sections précédentes ont porté sur la manière dont les associations financent leurs charges courantes et leurs dépenses d’investissement. Au-delà de cette analyse, il convient de se demander si ces financements se révèlent adéquats et permettent effectivement aux ASBL de faire face, dans leur gestion courante, à l’ensemble de leurs dépenses. Comme pour toute entreprise, les difficultés éventuelles peuvent ici résulter de deux causes : un niveau de financement insuffisant, lié à une « rentabilité » trop faible [10], et l’existence de délais de paiement entraînant un décalage entre les encaissements et les décaissements. Dans les lignes qui suivent, nous nous intéressons donc à la question des liquidités dont disposent les associations et à leurs besoins de trésorerie. A nouveau, la présente enquête a permis d’obtenir pour la première fois des données empiriques sur cette problématique.

Les liquidités des associations : aperçu général

Les liquidités dont dispose une ASBL, à un moment donné, correspondent à la somme du montant en caisse et des montants disponibles sur les comptes bancaires à moins d’un an, les comptes épargne et les compte à vue. A la question de savoir si, en général, l’association dispose par elle-même de liquidités suffisantes pour faire face à ses dépenses courantes, les réponses obtenues dans le cadre de l’enquête sont sans ambiguïté (voir tableau 5  en page suivante).

Ainsi, près de huit associations sur dix peuvent faire face à leurs dépenses quotidiennes sans recourir à un apport extérieur. Ce constat contredit l’opinion selon laquelle, en raison du fait qu’elles sont largement subventionnées, les ASBL seraient des entités financièrement peu robustes et auraient des problèmes de liquidités. Cela dit, des nuances doivent-elles être apportées si l’on prend en compte la taille de l’association ? Des différences significatives s’observent entre les classes d’emplois, mais sans cependant traduire de corrélation linéaire : ainsi, les ASBL de taille moyenne (cinq à dix-neuf salariés) sont moins nombreuses que les autres associations à déclarer disposer de liquidités suffisantes. Peut-on ici faire l’hypothèse que la grande taille (plus de vingt salariés) implique davantage de réserves financières, tandis que la petite taille (moins de cinq salariés) constitue un frein aux opérations risquées ou à l’acceptation de délais de paiement importants ?

Les branches d’activité

Concernant les branches d’activité, des différences significatives semblent se dégager des réponses, comme l’illustre le tableau 6 (ci-dessous). Ainsi, plus de neuf associations de la santé sur dix (93,3 %) déclarent disposer de liquidités suffisantes, alors que c’est le cas pour seulement 70,8 % des ASBL de l’action sociale. Une analyse complémentaire serait nécessaire pour déterminer si cette différence est liée – comme on peut le penser – à des causes contextuelles, et en particulier aux modalités de financement en vigueur dans ces branches. On sait, à cet égard, que dans le secteur de la santé le système du tiers payant garantit un remboursement quasi automatique du coût des prestations non directement assumé par les bénéficiaires. Quant à la branche de l’action sociale, on a noté précédemment qu’elle se caractérisait par une part importante (71,7 %) des subventions publiques dans ses recettes courantes, ce qui – comme on le verra plus loin – peut engendrer des problèmes de trésorerie (délais de versement, périodicité des liquidations…).

Tableau 5

Les liquidités de l’association sont-elles en général suffisantes ?

Les liquidités de l’association sont-elles en général suffisantes ?

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 6

Les liquidités de l’association sont-elles en général suffisantes ? (% des répondants de la branche)

Les liquidités de l’association sont-elles en général suffisantes ? (% des répondants de la branche)

Nombre d'observations : 436.

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 7

Laccès au crédit de caisse bancaire par les associations interrogées

L’accès au crédit de caisse bancaire par les associations interrogées

-> Voir la liste des tableaux

Enfin, comment les quatre-vingt-quatorze associations de l’échantillon dont les liquidités disponibles ne sont en général pas suffisantes pour couvrir leurs dépenses font-elles face à ce problème ? Les données recueillies montrent qu’une association sur deux (52,2 %) sollicite – comme on pouvait s’y attendre – un crédit de caisse et qu’une sur trois (36,2 %) le fait auprès du système bancaire classique.

L’accès au crédit de caisse bancaire

Le crédit de caisse est, pour une association, la manière la plus fréquente de faire face à un besoin de liquidités. Ce mode de financement ne concerne pas seulement – comme on vient de le mentionner – les ASBL qui sont généralement en manque de fonds, mais intéresse également celles qui doivent faire face occasionnellement à un excédent de leurs dépenses par rapport à leurs recettes. C’est la raison pour laquelle toutes les ASBL de l’échantillon ont été interrogées sur la manière dont elles qualifient l’accès au crédit de caisse bancaire (à l’exclusion des organismes spécialisés). Les résultats sont décrits dans le tableau 7 (ci-dessus).

Il convient d’abord de noter qu’une majorité de répondants (58,9 %) se sont abstenus d’exprimer un avis par manque d’information. Etant donné que le pourcentage obtenu est nettement plus faible (35,2 %) si l’on se limite aux quatre-vingt-quatorze associations dont les liquidités sont en général insuffisantes, on peut en déduire que l’incapacité à répondre à la question est en partie liée à l’absence de contact avec les milieux bancaires concernant cette problématique. Il est utile de remarquer que si l’on n’observe pas de différences entre les branches d’activité à cet égard (la part des réponses « ne sait pas » étant globalement la même), les associations de petite taille (moins de cinq salariés) sont relativement plus nombreuses à faire part de leur ignorance quant à l’accès au crédit de caisse.

Cela étant, seule une minorité (19,3 %) des répondants ayant pu qualifier l’accès au crédit de caisse considère que ce dernier est très difficile. Parmi les autres, environ la moitié qualifient l’accès au crédit de caisse d’aisé ou de très aisé, l’autre moitié l’estimant possible sous réserve de satisfaire à certaines conditions. Cela semble bien démentir l’idée parfois exprimée selon laquelle, en général, le secteur associatif n’a pas facilement recours au financement des banques.

Il est important de préciser que les avis qui précèdent dépendent, dans une certaine mesure, de la taille des associations. Pour ne prendre que les extrêmes, parmi les ASBL de moins de dix salariés, 13 % considèrent en effet que l’accès au crédit de caisse est très aisé, contre 26 % estimant au contraire qu’il est très difficile. En revanche, pour les ASBL de dix salariés ou plus, l’opinion s’inverse, avec respectivement 24,5 % et 3,8 %.

Comment se comporte la trésorerie des associations ?

La trésorerie est ici définie dans une optique temporelle et correspond à tout moment à la différence entre les liquidités dont dispose l’association et le découvert de caisse effectif à la banque (compte courant en négatif). Elle est très sensible aux flux de recettes et de dépenses et varie donc au cours du temps. Comment dès lors se comporte la trésorerie d’une association sur une année ? Le tableau 8 (ci-dessous) décrit les avis exprimés à ce sujet par les personnes interrogées.

Pour près de quatre associations sur cinq (73,3 %), la trésorerie est en général positive, ce qui signifie que leurs liquidités sont presque toujours suffisantes et que le recours au crédit de caisse est tout à fait occasionnel. Ce résultat est compatible avec la question relative aux liquidités, puisque 78,1 % des ASBL interrogées estimaient ne pas rencontrer de problèmes de liquidités. Pour les autres associations, la plupart voient leur trésorerie annuelle alterner entre des phases positives et des phases négatives. Seule une faible minorité (6,6 %) des associations de l’échantillon ont une trésorerie le plus souvent négative au cours de l’année.

Tableau 8

Comportement de la trésorerie des associations

Comportement de la trésorerie des associations

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 9

Causes de variation de la trésorerie des associations

Causes de variation de la trésorerie des associations

-> Voir la liste des tableaux

Causes des variations de la trésorerie des associations

Les ASBL peuvent connaître des fluctuations de leur trésorerie pour des raisons propres au secteur associatif. On a cherché à connaître l’avis des personnes interrogées quant à la validité de certaines causes parfois évoquées dans la littérature ou dans l’opinion. Les résultats sont donnés dans le tableau 9 (ci-dessus) pour l’ensemble des associations de l’échantillon, mais aussi pour les seules ASBL ayant déclaré ne pas avoir en général de liquidités suffisantes.

Il ressort clairement du tableau que les principales causes de fluctuation de la trésorerie sont liées aux subsides, en raison soit des délais dans leur liquidation (60,8 % des répondants), soit de leur caractère cyclique (40,2 %). Les autres causes sont évoquées d’une manière nettement moins fréquente. Si l’on compare ces avis à ceux des seules ASBL en manque de liquidités (colonne de droite), on ne peut que relever l’importance encore accrue du subventionnement du secteur dans les problèmes de trésorerie, puisque les délais de liquidation et le caractère périodique des subsides sont cités par respectivement 84,5 et 43,7 % des répondants.

L’importance des subsides dans l’explication des variations de trésorerie des associations est confirmée si l’on prend en compte, dans l’examen des réponses, le poids du financement public dans les recettes des ASBL interrogées. On a en effet vu dans le tableau 1 que la part des subsides (autres que les aides à l’emploi) s’élevait en moyenne à 35,4 % pour l’ensemble des associations de l’échantillon. Or, cette part monte à 44,7 % pour les associations qui incriminent ici le caractère périodique des subsides et à 45,9 % pour celles qui se plaignent des délais dans leur liquidation [11]. En d’autres termes, plus l’association est subsidiée, plus elle rencontre des difficultés liées aux fluctuations de sa trésorerie.

Conclusion

L’objet du présent article était de présenter les résultats d’une enquête menée pour la première fois auprès des associations de Belgique francophone sur leurs modalités de financement et leur situation de trésorerie. Etant donné les opinions préconçues qui prévalent encore souvent en cette matière, il a paru nécessaire d’interroger directement et sans a priori les acteurs concernés en vue d’obtenir la vision la plus impartiale possible de la manière dont ces derniers font face à leurs besoins de financement. Les données collectées ont permis d’en obtenir une « photographie » inédite comportant des enseignements de nature à faire l’objet d’analyses ultérieures plus approfondies. Ces enseignements concernent, bien entendu, le secteur associatif lui-même, mais aussi les pouvoirs publics et les acteurs bancaires.

Relevons d’abord que les associations sont loin de connaître, comme on le croit souvent, des problèmes récurrents de financement à court terme. La grande majorité des structures interrogées disposent en effet de liquidités suffisantes pour faire face à leurs dépenses courantes. Les différences que l’on observe entre les secteurs d’activité sont apparemment imputables à leurs modalités spécifiques de financement. Pour la plupart des associations de l’échantillon, la trésorerie est aussi en général positive. Seule une petite minorité d’entre elles ont une trésorerie le plus souvent négative.

A cet égard, les données de l’échantillon confirment une assertion souvent entendue : les principales causes de fluctuations de la trésorerie des associations sont liées aux subsides, soit en raison de délais dans leur liquidation, soit du fait de leur caractère cyclique. Le subventionnement public reste d’ailleurs le principal mode de financement de leurs dépenses courantes, constat qui s’applique, avec quelques nuances, à tous les secteurs d’activité. Aussi les problèmes de trésorerie du secteur associatif qui sont liés aux modalités de versement des subventions devraient-ils se voir accorder, par les pouvoirs publics, une importance au moins équivalente à celle du financement des investissements.

A ce sujet, il n’est pas sans intérêt de relever dans l’enquête une nette tendance à l’autofinancement des dépenses de long terme alors que, à l’inverse, le recours à l’emprunt auprès des banques classiques ou des opérateurs spécialisés est relativement peu pratiqué. Ce constat est à mettre en parallèle avec le fait qu’en cas de liquidités insuffisantes la moitié à peine des associations recourent au crédit de caisse (principalement auprès des banques classiques), les autres préférant se tourner vers leurs membres, vers les pouvoirs publics ou encore vers une autre association. Au total, seule une minorité des associations interrogées se finance régulièrement auprès des banques, que ce soit pour les dépenses courantes ou pour les dépenses d’investissement.

La très petite taille de ce sous-échantillon n’a malheureusement pas permis de dresser une typologie représentative des associations qui entretiennent ainsi des relations régulières avec les banques. Par contre, concernant les autres associations, l’enquête invalide clairement l’hypothèse selon laquelle elles accéderaient difficilement au crédit bancaire et n’offriraient pas suffisamment de garanties aux banques pour constituer une clientèle stable et fiable. Le faible recours aux banques s’explique en effet très majoritairement (58,9 % des répondants) par un principe : ne pas s’endetter auprès des institutions financières. S’il traduit bien une spécificité du secteur associatif (une enquête similaire auprès des petites et moyennes entreprises serait à cet égard instructive), ce principe de non-endettement est relativement inattendu et conduit à s’interroger sur ses causes précises.

La principale explication sans doute réside dans une aversion au risque qui serait plus marquée au sein du secteur associatif, celui-ci étant davantage protégé du marché et moins habitué aux aléas financiers. Certaines recherches suggèrent en effet que le ratio dettes-passif des associations est, entre autres facteurs, lié à leur attitude face au risque (Fedele, Miniaci, 2010).

Une autre explication pourrait être qualifiée de culturelle. Un indice en ce sens réside dans le fait que certaines associations ne se reconnaissent pas d’« économie sociale », le terme « économie » paraissant pour elles faire référence au marché, aux exigences de rentabilité, etc. Estimant faire plutôt partie du secteur qualifié de non marchand [12], elles ne souhaiteraient pas entretenir des relations avec le système bancaire, jugé davantage au service des activités liées au marché.

Enfin, et non sans lien avec l’explication précédente, le fait que plus du tiers des associations interrogées estiment que leurs dépenses d’investissement sont trop faibles pour justifier le recours au crédit bancaire masque peut-être une autre réalité, à savoir, pour certaines associations, une position idéologique consistant à s’opposer à la logique capitaliste dominante et donc à ne pas s’inscrire dans une logique de croissance. A cela s’ajoute le fait qu’en Belgique les subsides publics reçus par le secteur associatif ne peuvent servir qu’à couvrir des charges d’intérêts, ce qui peut constituer un frein à l’endettement.

Ces trois explications possibles du renoncement à l’emprunt bancaire par un pan majoritaire du secteur associatif – aversion au risque lié à l’endettement, distanciation à l’égard du marché et de l’économique, frein à l’investissement – ne pourront être testées que dans le cadre d’une nouvelle recherche empirique davantage ciblée sur la politique d’investissement des associations et sur leurs relations avec les banques et en prenant le secteur des PME comme point de comparaison.