Corps de l’article
La loi sur l’économie sociale et solidaire approuvée par le parlement français le 21 juillet 2014 marque sans doute un nouveau temps dans l’histoire bicentenaire de cette économie. Né au début du xixe siècle, tantôt encouragé, tantôt réprimé par un Etat jaloux de ses prérogatives, le projet de changement économique par la création d’associations coopératives et mutualistes a longtemps connu un visage unitaire. Cette unité éclate au milieu du xixe siècle. Dès lors et jusqu’en 1970, les mouvements coopératifs, mutualistes et associatifs s’engagent dans des voies différentes. Plus encore, à l’intérieur même de ces familles, les groupements et les fédérations connaissent leurs propres destinées : les coopératives de production, les coopératives de consommateurs, les coopératives d’épargne et de crédit, les coopératives agricoles, les coopératives d’artisans, les coopératives d’habitations, de marins, de transporteurs, d’HLM, etc., les mutuelles de santé, les mutuelles d’assurances, les associations sportives, les associations de service social, les associations d’éducation populaire, les associations culturelles, etc., évoluent dans des fédérations distinctes qui ne communiquent que très peu entre elles, quand elles communiquent. A l’intérieur même de ces mouvements, la division est de mise : les associations d’éducation populaire laïques, les associations confessionnelles, etc. Bien entendu, la loi ne va pas effacer un siècle de division ou d’ignorance réciproque, mais elle nomme cet ensemble que chacun considérait hier encore comme improbable. En ce sens, si elle marque un tournant, la loi est aussi l’aboutissement d’un long cheminement né en 1970. Timothée Duverger nous restitue la préhistoire de la loi en montrant comment, à partir d’une convergence d’intérêt, les leaders coopératifs et mutualistes, ensuite rejoints par des responsables associatifs, créent un comité de liaison réunissant les trois familles fondatrices de l’économie sociale. On lira, complémentairement à cet article, celui sur Henri Desroche dans la rubrique « En mémoires ». C’est lui qui avait proposé en 1977 le terme d’« entreprises d’économie sociale ».
Longtemps, cette expression a fait l’objet de débats et de remises en cause, tant la société française paraissait vouloir l’ignorer. Le terme « économie sociale » semblait incongru. Que dire quand une nouvelle génération d’acteurs politiques ajouta à celui-ci l’adjectif « solidaire », essentiellement afin d’éviter une guerre des mots dont tout le monde risquait de sortir perdant ?
Cette loi est donc l’aboutissement d’un parcours difficile mais, précise David Hiez dans le second article du dossier, qu’elle ne trahit pas. Ambitieuse, elle renforce en effet les principes fondateurs de l’économie sociale et solidaire sans chercher à les affadir et elle donne à ses entreprises les moyens de leurs ambitions, en particulier en définissant le cadre juridique auquel elles aspirent. Ainsi que conclut l’auteur : « Il y aurait de nombreuses raisons d’être chagrin […], mais regardons un peu en arrière, et le chemin parcouru ne semblera plus négligeable. Le reste, comme toujours, c’est aux acteurs de le construire. »