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L’Année internationale des coopératives, célébrée en 2012, a été une formidable opportunité de reconnaissance et de visibilité pour le mouvement coopératif, point d’orgue d’une décennie qui a vu une multiplication de positions officielles émanant des institutions européennes et des organisations internationales (Pezzini, Pflüger 2013).

L’année 2012 et les événements qui l’ont accompagnée et suivie [1] ont également permis une prise de conscience de la faible influence socio-politique du mouvement coopératif auprès des instances internationales et européennes. Ce manque d’influence et de visibilité politiques ne reflète ni son poids économique ni son ambition de développer une économie « différente ». Il semble de plus en plus évident que le mouvement doit se doter d’organisations solides, à la mesure des défis et des grandes transitions économiques, politiques, sociales et environnementales que vivent nos sociétés.

La conjoncture économique et politique internationale, très incertaine et instable, et la « résilience » des coopératives, c’est-à-dire leur capacité à faire face à la crise économique et à trouver des solutions innovantes, ont ouvert une brèche qui peut permettre au mouvement coopératif de se redéployer autrement, à condition qu’il se donne les moyens pour être audible et visible.

Le mouvement coopératif en Europe est une réalité très significative (160 000 entreprises, 5,4 millions d’emplois, 123 millions de membres associés) [2], mais son identité collective et sa capacité de représentation politique sont faibles. Cette situation est en bonne partie le résultat de l’évolution dans les différents pays européens des organisations coopératives, qui se sont développées de manière très distincte, en mélangeant ou en privilégiant, selon les cas, organisations sectorielles ou intersectorielles.

Les organisations représentatives des mouvements coopératifs en France, au Royaume-Uni et en Italie, par exemple, ont des parcours historiques, des structurations, des positionnements et des capacités politiques très différents. Des analyses de ces organisations nationales nous permettrons d’identifier différents modèles et de réfléchir à des orientations possibles pour l’organisation coopérative au niveau européen.

Nous aurions pu analyser également les mouvements allemand ou espagnol (ou même Québécois), fort intéressants et chargés d’histoire, mais les trois exemples retenus représentent, à nos yeux, les « extrémités » et une position médiane dans la gamme possible des modèles d’associations coopératives et donc les plus à même de nous donner les principales tendances. Ces considérations se veulent une ébauche de contribution pour une réflexion sur l’horizon organisationnel du mouvement coopératif européen. Elles sont faites sans porter de jugement et avec la claire conscience que chaque pays a développé son propre modèle comme fruit de son histoire et de la tradition du mouvement coopératif national.

Le mouvement coopératif français

Appuyées par des théoriciens comme Charles Fourier, Philippe Buchez et Louis Blanc, les premières coopératives naissent au début du xix e siècle à l’initiative des ouvriers de métiers. Elles agissent en faveur de l’organisation du travail, de la défense mutuelle de leurs membres, de l’entraide et de la formation. En 1830, la coopération de consommation prend son envol, et en 1834, à Paris, se crée l’Association chrétienne des bijoutiers en doré, qui est, avec le contrat d’association de travailleurs inspiré par Buchez, le précurseur de la coopérative de production.

Le mouvement culmine avec la révolution de 1848, puis subit une répression sous l’Empire. Dans les décennies suivantes, se développent les coopératives de production, avant l’essor des coopératives de consommation dans le dernier quart du siècle (Draperi, 2006).

La coopération de production constitue en 1884 la Chambre consultative des associations ouvrières. Charles Gide, qui organise l’Ecole de Nîmes dès 1885, jette les fondements qui permettront ultérieurement au mouvement coopératif de s’unifier. L’Union coopérative et la Bourse de coopératives socialistes fusionnent en 1912 pour donner naissance à la Fédération nationale des coopératives de consommation (FNCC). C’est également à la fin du xixe siècle que se développe la coopération agricole. En 1908, la Fédération nationale des coopératives de production et de vente est fondée, et elle intègre deux ans plus tard la Fédération nationale de la mutualité et de la coopération agricole. En 1926, la Caisse nationale du Crédit agricole est mise sur pied.

Après la Première Guerre mondiale, les coopératives deviennent un acteur important de la vie sociale. Le retour des coopératives d’Alsace et de Lorraine renforce la coopération de consommation, qui triple ses adhérents en vingt ans. En 1937, la Confédération générale des Scop (CGScop) prend la succession de la chambre consultative.

Après la Deuxième Guerre mondiale, sous la présidence du Conseil du socialiste Paul Ramadier, ami du mouvement coopératif, est votée en 1947 la loi sur les coopératives, qui précise les grands principes les unissant, quelle que soit leur branche d’activité.

Un renouveau de la théorie coopérative intervient dès 1953 grâce à Henri Desroche et Claude Vienney, qui soulignent la capacité du mouvement coopératif à s’adapter à des environnements socioéconomiques différents. La coopération agricole, favorisée au début des années 60 par les lois sur la modernisation de l’organisation économique puis par la politique agricole commune européenne, continue d’être une composante importante du mouvement.

Il faut également souligner le rôle significatif des banques coopératives. Leur histoire remonte à la fin du xixe siècle, quand les idées de Raiffeisen sont reprises par Ludovic de Besse – qui crée les Banques populaires – et Louis Durand – qui crée dès 1893 les caisses à l’origine du Crédit mutuel. En 1893, la Banque coopérative des associations ouvrières de production (BCAOP) est créée, suivie au tout début du xxe siècle par le Crédit agricole et en 1938 par la Caisse centrale de crédit coopératif.

Aujourd’hui en France, les 21 000 entreprises coopératives comptent 24 millions de membres et emploient plus de 1 million de salariés, dans tous les secteurs d’activité. En 2012, elles représentent près de 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulé, filiales comprises. Les coopératives du territoire français sont leaders sur de nombreux marchés : les coopératives agricoles représentent 40 % de l’agroalimentaire français ; les coopératives de commerçants, 28 % du commerce de détail ; les banques coopératives, 60 % de l’activité de la banque de détail (Crédit agricole, BPCE, Crédit mutuel) [3].

Les associations de représentation en France

Le Groupement national de la coopération (GNC) est officiellement créé le 21 novembre 1968, à l’initiative de cinq organisations coopératives nationales : l’Union du Crédit coopératif, la Confédération des organismes du Crédit maritime, la Confédération générale des sociétés coopératives ouvrières de production, la Fédération nationale des coopératives d’HLM et la Fédération nationale des coopératives de consommateurs.

C’est en fait le résultat d’un processus de rapprochement intercoopératif qui a commencé dès l’après-guerre, avec la création en 1946 du Comité national d’entente et d’action coopératives, en 1948 de la Confédération nationale intercoopérative, puis dans les années 50 des divers instituts de formation et d’études intercoopératifs.

Pendant ses premières années d’existence, le GNC va donc essentiellement mettre en place vingt et un groupements régionaux de la coopération (GRC), destinés à se faire reconnaître dans les conseils économiques et sociaux régionaux (CESR).

Toutefois, ce n’est qu’en octobre 1973, dans le cadre de la restructuration des organismes intercoopératifs décidée d’un commun accord entre les mouvements coopératifs fondateurs, que le GNC est véritablement reconnu comme l’organisme politique de l’intercoopération et qu’il est doté de moyens propres pour mener à bien sa mission. Le GNC est reconnu par les pouvoirs publics et par l’ensemble de la coopération, au-delà des spécificités sectorielles.

La réactivation par les pouvoirs publics du Conseil supérieur de la coopération encourage l’élargissement du GNC. Aux cinq fondateurs d’origine se joignent, au fil des ans, dix autres organisations et coordinations coopératives : la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles (CNMCCA), la Confédération nationale du Crédit mutuel ; la Chambre syndicale des Banques populaires, la Fédération française des coopératives et groupements d’artisans (devenue la Confédération française des coopératives et groupements d’artisans), l’Office central de la coopération à l’école, l’Union fédérale des coopératives de commerçants ; la Fédération nationale des coopératives et groupements du transport ; la Coopération maritime ; la section coopérative du Comité de coordination des oeuvres mutualistes et coopératives de l’Education nationale (Ccomcen ; GNC, 1993).

C’est lors des assises des coopératives du 25 octobre 2010 qu’est annoncé le changement de dénomination du mouvement coopératif français, le GNC devenant CoopFR-Les entreprises coopératives, une association à but non lucratif, régie par la loi de 1901.

La France, prototype de modèle « sectoriel »

Le modèle coopératif français est probablement celui qui présente la plus forte différentiation typologique : presque tous les secteurs coopératifs ont atteint un stade de développement avancé sur le plan individuel et un considérable niveau d’intégration sectorielle.

En revanche, il n’est pas parvenu à une intégration à l’échelle de la structure organisationnelle de troisième niveau. La situation reste caractérisée par une grande segmentation organisationnelle. Cela n’est pas tant le résultat d’un choix ou d’une absence de volonté politique que de l’histoire qui a vu la naissance des fédérations sectorielles avant la création de CoopFR.

L’élément qui permet le mieux de comprendre le niveau de fractionnement organisationnel du mouvement coopératif français est révélé par la composition de son secrétariat national, n’employant que trois personnes.

Le mouvement coopératif britannique [4]

La coopération organisée au Royaume-Uni remonte au début du xvi e siècle et est associée à la naissance d’une compagnie d’assurance mutuelle : la Mutual Fire.

C’est dans les années 1770 que l’on voit l’émergence de sociétés de logement, des organisations de type coopératif qui ont essayé de résoudre le problème des mauvaises conditions de logement liées à l’exode rural. La première guilde des tailleurs est également formée au cours de cette décennie. Elle est un précurseur du mouvement coopératif d’ouvriers du textile. A la fin du siècle, Robert Owen joue un rôle très important dans le développement du mouvement coopératif, en créant en 1799 New Lanark sur la Clyde comme un modèle de coopération industrielle.

Dans les premières années de 1800, se développent diverses expériences de magasins et d’ateliers organisés selon les principes coopératifs, qui culminent en 1820 avec l’organisation de la première coopérative de consommateurs connue, fondée à Brighton par le docteur William King, également promoteur de The Cooperator, le premier journal coopératif.

En 1830, quelque trois cents coopératives et douze journaux coopératifs sont officiellement enregistrés. Le premier congrès coopératif du Royaume-Uni est célébré l’année suivante, à Manchester. En 1844, la fondation de la Société des équitables pionniers de Rochdale est considérée comme le moment d’inauguration du mouvement coopératif moderne. En réalité, il y a eu presque cent ans d’expérimentation et de réflexions coopératives, en Grande-Bretagne et ailleurs, dont la société coopérative de Rochdale est le produit.

La période qui va de Rochdale à la Première Guerre mondiale est une époque de forte croissance et de développement. Le gouvernement soutient l’action coopérative en établissant le registre des coopératives en 1846, suivi par l’Industrial and Provident Societies Act en 1852 (la première législation coopérative dans le monde), qui a été revue en 1862 pour permettre la formation des unions de coopératives. De nouveaux domaines de coopération font leur apparition : la production et le travail (1850), la consommation en gros (1862-1863), l’assurance (1867), l’agriculture (1867), la banque (1868, 1872, 1876), le logement (1884) et l’immobilier (1900).

On assiste aussi à la naissance de fédérations coopératives et d’autres groupes de soutien, dont l’Union coopérative de Manchester (1869), une fédération de production (1882), une fédération agricole (1901) et une fédération de la pêche (1914).

L’entre-deux-guerres est marqué par une période d’institutionnalisation.

En 1919 sont fondés le Co-operative College de Loughborough et le Co-operative Party. Les activités de production de la coopération de consommation se développent. La Fondation Horace Plunkett (Plunkett Foundation for Co-operative studies), née à Londres en 1919, devient l’outil principal d’informations sur les activités des coopératives agricoles.

Après la Deuxième Guerre mondiale et le redressement économique, les coopératives rétablissent leurs réseaux. Les coopératives de consommateurs font face à une féroce concurrence, ce qui nécessite de repenser de façon radicale la manière d’exploiter leurs activités. Les petits magasins sont souvent remplacés par des supermarchés plus modernes.

Dans les années 90, à la suite de la perte rapide de parts de marché par la Co-operative Wholesale Society (CWS) et après une tentative de rachat par une firme privée, a lieu la fusion avec le deuxième groupe du Royaume-Uni, le Co-operative Retail Services (CRS). Ainsi est créé le Co-operative Group, devenu la plus importante coopérative de consommateurs du pays, à laquelle sont aussi rattachés le CIS (assurances) et Co-operative Bank.

Co-operative Group a fait une énorme campagne afin de revitaliser la marque The Co-operative pour ses 4 500 magasins, dont l’éventail d’activités couvre la distribution alimentaire, les agences de voyages, les banques, les assurances, les pharmacies, les services funéraires et les services juridiques.

On compte 6 169 coopératives au Royaume-Uni. Depuis 2008, le nombre de ces structures a augmenté de 28 %, l’économie coopérative de 23 % et le nombre de coopérateurs de 36 % – ils sont désormais 15 353 000 (Co-operatives UK, 2013) [5].

Les associations de représentation au Royaume-Uni

Co-operatives UK est l’organisation centrale des entreprises coopératives du Royaume-Uni. Elle est l’héritière de la fédération coopérative fondée en 1870 Co-operative Central Board, qui a modifié son nom en Co-operative Union, avant de devenir finalement Co-operatives UK, suite à sa fusion avec les coopératives de travail réunies dans Industrial Common Ownership Movement (Icom) en 2001.

Cette nouvelle dynamique et cette organisation ont commencé à prendre forme lorsque Pauline Green est devenue directrice générale (chief executive) de Co-operative Union, le 1er janvier 2000. Sous sa conduite a été lancée la Co-operative Commission, qui a rendu en 2001 le rapport final « The co-operative advantage: Creating a successful family of Co-operative businesses ».

Les réponses opérationnelles immédiates au rapport ont été le resserrement des liens, une visibilité accrue et un nouveau rôle pour Co-operative Union. Une situation qui encourage cette dernière et Icom à fusionner. Les deux secteurs coopératifs, de consommation et de travail, se sont donc réunis pour la première fois depuis leur séparation en 1880.

Co-operatives UK est une fédération coopérative qui en inclut d’autres (actuellement au nombre de dix-neuf), mais il faut reconnaître que leur poids est considérablement plus faible par rapport au secteur de la consommation.

L’équipe de Co-operatives UK est composée de vingt-sept personnes, qui remplissent plusieurs fonctions : du politique au conseil, de la communication aux adhésions [6]. On peut également considérer le personnel du Co-operative College (environ trente personnes) comme faisant partie de l’activité de promotion et de lobby.

Le Royaume-Uni, prototype de modèle « intersectoriel »

Dans la brève description de l’hitoire de l’organisation du mouvement coopératif anglais, on peut identifier une évolution progressive vers un modèle « intersectoriel ». Le mouvement reste fortement caractérisé et dominé par le secteur de la consommation et une concentration de l’activité en deux grandes entreprises, Co-operative Group et John Lewis Partnership [7]. Le conseil d’administration compte vingt et un membres, avec une répartition des places comme suit : neuf sièges pour les grandes coopératives de consommateurs (Co-operative Group, Midlands Co-operative Society et Midcounties Co-operatives), cinq sièges pour les élus des sociétés coopératives de consommation (pour chacune des quatre régions géographiques, Ecosse, Nord, les Midlands et Sud), deux sièges pour les élus des coopératives de travail, un siège pour les Co-operative Development Bodies, un siège pour les fédérations et un siège pour les membres restants.

Le mouvement coopératif italien

La première coopérative de consommation est ouverte en 1854 par l’Association générale des ouvriers de Turin. La première coopérative de production est constituée en 1856 à Altare (province de Savone) et la première Banque populaire apparaît à Lodi en 1864. C’est en 1883 que Leone Wollemborg crée la première Caisse coopérative de prêts à Loreggia (province de Padoue) et que Nullo Baldini fonde la première coopérative de journaliers agricoles dans la province de Ravenne. En 1886 au congrès de Milan, qui réunit cent délégués de 248 sociétés représentant 70 000 associés, le mouvement coopératif italien se donne une première structuration, avec la constitution de la Fédération nationale des coopératives italiennes. Cette dernière devint la Ligue nationale des coopératives italiennes en 1893 (aujourd’hui Legacoop). Mazziniens, socialistes, libéraux giolittiens et catholiques firent la synthèse des différentes sensibilités et conceptions de la coopération. En 1919, la composante catholique constitua une organisation autonome, la Confédération des coopératives italiennes (Confcooperative), qui, avec les autres organisations, fût enrôlée dans l’organisation fasciste des coopératives en 1926. Confcooperative et Legacoop renaissent en mai 1945. En 1952, la composante républicaine et social-démocrate sort de Legacoop et constitue l’Association générale des coopératives italiennes (AGCI), tandis qu’en 1975 un groupe issu de la Confcooperative donne vie à l’Union nationale des coopératives italiennes (UNCI, www.unci.eu). Enfin, c’est en 2004 que naît l’Union italienne des coopératives (Unicoop, www.unicoop.it).

Il ressort de ce bref aperçu historique que la coopération est une forme entrepreneuriale où se retrouvent des cultures et des traditions idéologiques différentes : la tradition libérale mazzinienne, le socialisme et le catholicisme social. Cette forte caractérisation idéologique constitue une particularité dans le contexte coopératif international.

Les associations de représentation en Italie

Traditionnellement, en Italie, l’expérience coopérative s’est organisée en référence aux centrales coopératives, qui sont des associations de représentation, d’assistance, de protection et de surveillance. Au sein d’une instance unitaire, sont organisées des coopératives de secteurs différents (agriculture, crédit, consommation, logement, etc.). Les centrales coopératives font l’objet d’une reconnaissance de la part de l’Etat, qui leur délègue l’exercice de la fonction de contrôle périodique des organisations associées : la révision coopérative.

Le 27 janvier 2011, le mouvement coopératif italien a promu la constitution de l’Alliance des coopératives italiennes, la coordination stable des trois centrales coopératives les plus représentatives : l’Association générale des coopératives italiennes, Confcooperative et Legacoop. Ces dernières ont décidé, le 29 janvier 2014, de franchir un pas supplémentaire en constituant l’association Vers l’alliance des cooperatives italiennes, une étape qui dépasse la simple coordination et dessine clairement l’objectif d’une intégration structurelle.

La nouvelle organisation regroupe 43 500 entreprises coopératives avec 12 millions de membres, 1,1 million d’emplois et un chiffre d’affaires global d’environ 127 milliards d’euro. Cela correspond à 7,3 % du PIB national. Ces entreprises représentent 12,9 % des guichets bancaires et la quatrième force bancaire, 30 % de la consommation et de la distribution commerciale, 50 % de l’agro-alimentaire et 90 % de la coopération engagée dans le secteur social (Pezzini, 2012a).

Italie, prototype de modèle « intégré »

L’organisation du mouvement coopératif en Italie, grâce à la tradition des centrales, présente des caractéristiques de forte intégration, ultérieurement renforcée avec la constitution de l’Alliance des coopératives italiennes.

Selon une stratégie précise, les centrales ont organisé la représentation politique sur deux niveaux : un premier que l’on pourrait dire horizontal, organisant sur une base territoriale (provinciale, régionale, nationale) toutes les coopératives, indépendamment du secteur d’activité ; un deuxième dont l’articulation est fondée sur leur activité.

Cela permet aux centrales d’avoir aussi un rôle d’orientation stratégique et de promotion de l’économie coopérative, en utilisant au mieux l’ensemble du réseau et des différentes spécialisations sectorielles. Ainsi, des fonctions de développement entrepreneuriales comme le transfert de savoir-faire, la formation, la coordination des projets stratégiques, la recherche et les instruments financiers du système peuvent, dans ce cadre « intégré », apporter des résultats très efficaces pour l’économie coopérative. Cela permet surtout de pouvoir orienter les énergies, les ressources et les compétences de l’ensemble du système afin d’explorer et d’expérimenter de nouveaux développements pour les entreprises coopératives.

Analyse des trois modèles

Les trois modèles-prototypes sont représentatifs de la gamme des modèles possibles que l’on rencontre dans le reste de l’Europe et du monde.

Le modèle français (prototype de modèle sectoriel) reste fortement segmenté par piliers professionnels, avec une très légère structure de coordination qui agrège efficacement les moyens des fédérations. Dans l’expérience française récente, on n’observe pas de dynamique particulière de renforcement de cette coordination. Il semblerait même y avoir un certain affaiblissement de l’organisation, qui est moins structurée et moins fédérative que dans le passé, où des services comme la formation ou le financement des études étaient prévus. Une innovation remarquable concerne la loi de 2001 qui permet une nouvelle forme coopérative, la société coopérative d’intérêt collectif (Scic), caractérisée par la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif, avec de plus l’obligation du multi-sociétariat. C’est un projet surtout conduit par la Confédération générale des Scop (Margado, 2004). CoopFR, même dans sa segmentation organisationnelle, arrive à dialoguer de manière structurelle avec les instances politiques à travers le Conseil supérieur de la coopération et peut compter dans l’actuelle contingence politique sur un secrétariat d’Etat délégué auprès du ministère de l’Economie et des Finances, chargé de l’Economie sociale et solidaire. Le récent aboutissement de la nouvelle loi pour la reconnaissance et le développement de l’économie sociale et solidaire témoigne d’une capacité de forte relation politique, même si le travail associé est le secteur qui émerge comme porteur d’innovations et objet d’attention du législateur.

Le modèle britannique (prototype de modèle intersectoriel) a su démarrer une nouvelle dynamique, the co-operative renaissance, en lien avec la nouvelle organisation intersectorielle. Le secteur dominant, à savoir celui des coopératives de consommateurs, est devenu la base et l’appui pour une fonction plus large et vaste. Il a englobé d’autres secteurs structurés avec leur personnel et s’est transformé en plateforme représentative de tout le mouvement coopératif du pays. Cela en assumant également le choix de changer, après plus d’un siècle d’histoire, sa dénomination de Co-operative Union à Co-operative UK. La récente et dévastatrice crise de Cooperative Bank et du Cooperative Group a porté atteinte à la réputation de tout le mouvement. Globalement, deux cultures coopératives subsistent : l’une est marquée par la financiarisation et la course à la taille liée au secteur de la consommation et de la grande distribution ; l’autre, par une énergie participative et une conscience politique qui se trouve davantage dans les coopératives de travail.

Concernant le modèle italien (prototype de modèle intégré), il serait difficile de comprendre et d’expliquer les innovations récentes des coopératives italiennes sans considérer le système intégré dans les centrales. Pour les trois cas emblématiques qui sont à des stades de développement fort différents – les coopératives sociales, les coopératives de santé et les coopératives de communauté –, le rôle des centrales a, selon des modalités différentes, été d’importance capitale.

Dans le cas des coopératives sociales, l’intelligence politique des promoteurs les a amenés à orienter ces nouvelles expériences vers le sillon historique du mouvement coopératif. Ce choix n’avait rien d’évident (Borzaga, Ianes, 2006). La participation à un mouvement coopératif organisé a certainement joué un rôle favorable dans l’affirmation des coopératives sociales sur le plan institutionnel, qui a finalement débouché sur l’obtention de la loi n° 381-1991.

Dans le cas des coopératives de santé et des nouvelles expériences des coopératives de communauté, il apparaît assez évident que, sans l’appui, l’accompagnement et l’organisation des centrales coopératives, les initiatives auraient difficilement vu le jour ou tout du moins pas dans des conditions aussi favorables (Pezzini, 2012b).

Le rythme de l’activité législative pour les coopératives est resté soutenu. En plus de la loi sur les coopératives sociales en 1991, l’année suivante voit la naissance de la loi n° 59-1992 « Nouvelles règles en matière de sociétés coopératives », qui apporte des nouveautés significatives, surtout au niveau des instruments financiers (membre financeur et fonds mutuel de promotion). Au début des années 2000, il a fallu accompagner quatre changements fondamentaux : les règles fiscales transitoires, la réforme de la révision coopérative, celle du droit des sociétés et les modifications de la réglementation du travail associé (Pezzini, 2003).

Ce système matriciel, précieux en soi, n’est pas sans points faibles. Les fédérations jouissent d’une autonomie fort limitée et de faibles moyens. Les modalités de fonctionnement, de financement et de représentation des instances sectorielles territoriales vis-à-vis des centrales mériteraient d’être grandement améliorées.

Même avec une analyse très rapide et inévitablement incomplète, il est possible d’observer dans chacun des pays examinés l’importance du rôle joué par les organisations.

Il apparaît que là où les conditions ont favorisé des regroupements des secteurs coopératifs dans des associations plus structurées et intégrées, l’efficacité dans la capacité de représentation politique, dans la fourniture de services, dans l’innovation, dans la promotion de nouvelles coopératives, en particulier dans de nouveaux secteurs, a été plus forte. Le personnel engagé (qui n’est évidemment pas le seul élément de mesure) par les organisations coopératives faîtières de France, du Royaume-Uni et d’Italie est emblématique : CoopFR a trois employés ; Co-operatives UK a environ une cinquantaine de personnes à son service au siège central de Manchester ; les trois organisations de l’Alliance des coopératives italiennes, uniquement au niveau des bureaux centraux à Rome, emploient environ 250 personnes. Si l’on ajoute le personnel des structures régionales et provinciales, le chiffre atteint environ 2 000 personnes.

Dans le modèle français, toutes les ressources, pas seulement humaines, restent concentrées dans la dimension sectorielle (bancaire, agriculture, transport…), qui est fortement spécialisée, mais avec une intégration intersectorielle très faible, voire absente.

En Italie, c’est le contraire : c’est la dimension intersectorielle qui prévaut. La fonction de syndicat d’entreprise est mise en avant et la déclinaison sectorielle vient ensuite.

Entre les deux, il y a le modèle anglais, qui présente une dynamique résolument orientée vers une plus forte intégration intersectorielle, malgré une concentration énorme, en poids économique et politique, dans le seul secteur des coopératives de consommateurs et en particulier dans le seul Co-operative Group.

Ces analyses nationales nous permettent de confronter les parcours et de formuler quelques orientations possibles pour l’organisation coopérative au niveau européen.

Les défis européens : l’organisation coopérative à Bruxelles

Les organisations coopératives présentes à Bruxelles, à proximité des institutions de l’Union européenne, sont d’origine strictement sectorielle.

La présence des coopératives à Bruxelles remonte à la fin des années 50, avec la constitution de la Communauté européenne des coopératives de consommateurs (Eurocoop), en 1957, et le Comité général de la coopération agricole de l’Union européenne (Cogeca), fondé le 24 septembre 1959. Au fil des ans, d’autres organisations sectorielles coopératives se sont organisées au niveau européen. C’est en 1961 qu’a été créée l’Union européenne des pharmacies sociales (UEPS) et en 1970 qu’est constituée l’Association européenne des banques coopératives (EACB). L’Association des assureurs coopératifs et mutualistes européens (Acme) a été fondée par la Fédération internationale des coopératives et mutuelles d’assurance (Icmif) pour devenir son bras européen en 1979. Le Comité européen des coopératives de production (Cecop) a été créé avec un secrétariat permanent à Bruxelles dès 1982, s’est transformé en confédération en 1997 et est aujourd’hui la Confédération européenne des coopératives de production et de travail associé, des coopératives sociales et des entreprises sociales et participatives (Cecop-Cicopa Europe). Le Comité européen de coordination de l’habitat social (Cecodhas) est constitué en 1988, à l’initiative des coopératives d’habitation italiennes, françaises et allemandes.

La construction d’une présence coopérative européenne a suivi un parcours pragmatique et sectoriel, une organisation en réaction à l’influence progressive des politiques européennes dans différents domaines. Il n’y a donc pas eu une vision stratégique globale du mouvement, mais bien un positionnement « opportuniste » des secteurs.

Une coordination coopérative à Bruxelles a vu le jour en 1983, avec la création du Comité de coordination des associations coopératives de la Communauté européenne (CCACC, devenu ensuite CCACE). CCACE était une simple coordination, sans aucune formalisation juridique, sans personnel propre, le secrétariat ayant été assumé à tour de rôle par les organisations européennes plus structurées. Une coordination très « souple et légère », ce qui n’a pas empêché des collaborations intenses avec les institutions européennes et a donné des résultats importants comme le règlement sur le statut de la société coopérative européenne et la communication sur la promotion des sociétés coopératives en Europe (Pezzini, Pflüger, 2013).

Parallèlement, l’Alliance coopérative internationale a entamé en 1992 un processus de décentralisation, avec la création de bureaux dans quatre régions : Afrique, Amérique, Asie-Pacifique et Europe. L’« ACI Europe » a été installée à Genève, dans les mêmes locaux que l’ACI, avec une fonction de promotion, de représentation et de dialogue avec les organisations coopératives et les gouvernements du continent.

Au début des années 2000, il y avait donc en Europe deux lieux de représentation des coopératives : un bureau ACI Europe à Genève, pour le continent européen, et le CCACE, vis-à-vis des institutions de l’Union européenne, à Bruxelles.

Des événements ont permis de faire évoluer la situation. Il y a eu, tout d’abord, l’élargissement de l’Union européenne de quinze à vingt-cinq, puis à vingt-sept et aujourd’hui à vingt-huit pays. La majorité des pays du continent européen font maintenant partie de l’Union.

Un deuxième élément a favorisé une prise de conscience quant à la nécessité d’un changement de structuration du mouvement coopératif : les dossiers, de plus en plus fréquents, ayant une dimension et un impact général sur toutes les coopératives (la norme comptable internationale IAS 32, l’élaboration d’un droit des sociétés européen, etc.). Cela a révélé l’urgence d’avoir un interlocuteur coopératif unique pour les institutions européennes.

Le dernier problème était lié aux coûts du transfert du siège de l’ACI Europe à Bruxelles. Il a été résolu par Confcooperative, qui a gratuitement mis à disposition pendant quatre ans ses bureaux dans le quartier européen de Bruxelles.

La présence de l’ACI Europe à Bruxelles dès 2004 a permis de créer rapidement une plateforme commune avec le CCACE. Les deux entités ont fusionné pour constituer, lors de l’assemblée régionale de Manchester le 11 novembre 2006, Cooperatives Europe, une nouvelle organisation intersectorielle représentative de toutes les organisations coopératives d’Europe.

Conclusion

Il y a une vaste littérature sur le lobbyisme en Europe (Grossman, Saurugger, 2012) et sur le nombre de groupes d’intérêt à Bruxelles (Greenwood, 2011), qui, selon les sources, varie entre 1 450 et 2 600. Cooperatives Europe est donc confrontée dans son action à la multitude des lobbies, qui disposent souvent de ressources infiniment plus importantes. De plus, elle a été créée quelques décennies après les organisations coopératives sectorielles européennes, qui sont, dans la majorité des cas, bien plus structurées et avec une longue tradition de relations avec les autres acteurs socioéconomiques et les institutions européennes.

Cooperatives Europe, dans ce contexte difficile, n’a pas encore de stratégie d’action ni de vision politique claire, restant souvent liée aux plaidoyers qui insistent sur les valeurs et les « vertus » des coopératives, mais pas assez sur les faits, les politiques, les stratégies ou les pratiques des coopératives. Actuellement, chaque fédération européenne de coopératives a sa propre stratégie, alors qu’une stratégie d’ensemble du mouvement coopératif n’est pas encore perceptible.

Il y a certes des raisons et des explications externes à ce manque de visibilité et de reconnaissance, notamment la domination d’une pensée économique qui s’appuie sur de puissants lobbies dont le rôle est aujourd’hui de plus en plus déterminant. Il ne faut cependant pas sous-estimer les facteurs internes. L’histoire des organisations représentatives et de soutien des entreprises coopératives a montré la prédominance des expériences sectorielles. Les coopératives se sont organisées historiquement, dans la plupart des pays et au niveau européen, grâce à l’homogénéité de leurs activités. Le choix est compréhensible, mais répond à un schéma qui a trouvé ses limites.

L’expérience consolidée comme celle de l’Italie et les récentes évolutions au Royaume-Uni ou en Allemagne et l’expérience historique de l’ACI au niveau mondial montrent qu’il est indispensable d’avoir, à côté des organisations sectorielles, des fortes organisations faîtières intersectorielles et intégrées. Ces dernières sont en mesure de se concentrer davantage sur la défense et la promotion de l’expérience coopérative en tant que telle, ce qui est particulièrement nécessaire aujourd’hui vis-à-vis, notamment, des gouvernements nationaux et des institutions européennes et pour l’élaboration de cadres légaux et fiscaux adéquats.

Le mouvement coopératif a très probablement sous-estimé jusqu’ici sa dimension « systémique » en laissant prévaloir la dimension professionnelle-sectorielle (Sibille, Ghezali, 2010). Cela a fortement retardé une capacité de prise de parole collective forte, en s’organisant pour « faire mouvement » (Favreau, Molina, 2011). Le défi principal est donc aujourd’hui de donner une voix unitaire à la spécificité coopérative afin qu’elle puisse être mieux considérée et mieux écoutée.

Le modèle d’organisation du futur, si le mouvement coopératif veut relever les énormes défis, mais aussi explorer les grandes opportunités qui lui sont offertes, est d’aller décidément vers une plus forte intégration régionale et intersectorielle.

Les analyses de cas nationaux ont montré que dans les pays où l’on a dépassé la logique des intérêts strictement sectoriels, la dynamique d’innovation et la capacité de promouvoir et d’accompagner la naissance des nouveaux secteurs coopératifs sont plus fortes que l’interlocution politique.

Ce n’est pas une question de ressources, mais de volonté politique.