Corps de l’article

Il a été maintes fois souligné que l’emploi dans les associations présente des aspects dont les conventions en vigueur dans la statistique publique ne peuvent pas rendre compte. Il y a plusieurs décennies, des travaux pionniers sur le sujet signalaient déjà combien la mesure de l’emploi associatif était malaisée en raison de l’existence d’un continuum entre salariat « classique » et bénévolat (Archambault, 1984 ; Marchal, 1984 ; Gateau, 1985). S’agissant du travail rémunéré, Chadeau et Willard (1985, p. 69) observaient néanmoins que si le travail atypique était particulièrement fréquent dans les associations, ces dernières n’en détenaient pas pour autant l’exclusivité. Cette remarque n’a évidemment rien perdu de sa pertinence après plus de trente ans de développement des formes particulières d’emploi dans l’ensemble de l’économie. Il n’en reste pas moins que l’emploi associatif conserve des singularités régulièrement mises en évidence comme l’importance du temps partiel, des contrats à durée déterminée (CDD) et des contrats aidés (Hély, 2009 ; Observatoire national de l’ESS, 2014 ; Bisault et Deroyon, 2014), même si les situations se révèlent fort variables d’un domaine d’activité à l’autre (Bailly, Chapelle et Prouteau, 2012).

Au titre de ces singularités, Chadeau et Willard (1985, p. 72) évoquaient le travail « en miettes », prenant notamment la forme de ce que les auteurs appelaient des « vacations ». Pas davantage que d’autres formes de travail atypique, cet emploi que nous proposons d’appeler « occasionnel » ne saurait être circonscrit aux seules associations, comme en témoignent de récents travaux mettant l’accent sur la vive croissance depuis le début des années 2000 des CDD de très courte durée (Conseil d’orientation pour l’emploi, 2014 ; Picart, 2014). Mais la réalité contemporaine de cet emploi associatif occasionnel, ici assimilé aux postes annexes tels que définis par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), reste mal connue. L’objet de cet article est de contribuer à mieux l’appréhender.

A partir d’une exploitation des déclarations annuelles de données sociales (DADS), la première section de l’article indique que l’usage de cet emploi est effectivement plus répandu dans les associations qu’il ne l’est dans le reste du secteur privé – hors particuliers employeurs – ou dans le secteur public, mais que son intensité varie selon les domaines d’activité. Elle souligne également que cet emploi ne procède pas, tant s’en faut, de tâches à faible niveau de qualification. La seconde section s’intéresse aux salariés qui occupent ce type d’emploi : elle établit quelques-unes de leurs caractéristiques et s’attache à l’examen de leurs revenus salariaux.

Un recours plus fréquent aux emplois occasionnels dans les associations

Après la présentation du champ associatif retenu, des données mobilisées et de l’indicateur d’emploi occasionnel utilisé, l’importance du recours des associations à ce type d’emploi est mise en évidence. Les activités les plus fortement utilisatrices de celui-ci ainsi que les niveaux de qualification des postes qui lui correspondent sont ensuite examinés.

Champ de l’étude, données utilisées et indicateur de l’emploi occasionnel

Dans cet article, les associations prises pour objet d’étude sont celles qui entrent dans le périmètre de l’économie sociale et solidaire (ESS) tel qu’il a été défini par l’Insee, en collaboration avec le Conseil national des chambres d’économie sociale (CNcres) et l’ex-Délégation interministérielle à l’innovation, à l’expérimentation sociale et à l’économie sociale (DIIESES). A des fins comparatives, nous confronterons un certain nombre de résultats obtenus sur ce champ avec ceux relatifs au reste du secteur privé et avec ceux du secteur public. Dans le reste du secteur privé sont incluses les autres familles de l’ESS (coopératives, mutuelles et fondations). Les emplois offerts par les particuliers au titre des services domestiques ne seront qu’occasionnellement évoqués.

Pour notre investigation empirique, nous avons utilisé les DADS de l’année 2010. Les DADS sont des formalités déclaratives que tout employeur est tenu de compléter et de transmettre aux organismes de protection sociale. Elles constituent donc un fichier administratif, et non des données d’enquête. Les DADS concernent tous les salariés sauf les agents des organismes de l’Etat, les salariés des services domestiques et des activités extraterritoriales. Toutefois, les fichiers de diffusion, appelés « DADS–Grand format », assurent depuis 2009 une couverture exhaustive des salariés en complétant les DADS à partir d’autres sources. L’Insee traite les DADS afin de produire des statistiques sur l’emploi et les salaires.

Les chercheurs ont la possibilité d’exploiter les DADS–Grand format à l’exception de celles qui sont collectées par le canal de la Direction générale des finances publiques (DGFIP). Cette amputation de la base de données affecte surtout certaines activités relatives à l’agriculture. Elle a un impact limité en ce qui concerne le présent objet d’étude.

L’unité d’observation des DADS est le poste. Un poste correspond à la présence d’un salarié dans un établissement, quel que soit le nombre de périodes d’emploi qu’il a connu en cours d’année en son sein. En revanche, un salarié ayant travaillé dans deux établissements différents apparaît sur deux postes distincts. Dans les DADS de 2010, on recense 41 556 851 postes dont la catégorie juridique de l’employeur est connue, parmi lesquels 3 200 914 dans les associations d’économie sociale. L’Insee distingue deux types de postes : les postes non annexes et les postes annexes. Pour être considéré comme non annexe, un poste doit satisfaire à l’une des deux conditions suivantes : avoir une rémunération annuelle supérieure à trois Smic mensuels ou bien avoir un volume annuel d’heures supérieur à 120, une durée annuelle supérieure à trente jours et un rapport volume horaire-durée supérieur à 1,5. Si aucune de ces deux conditions (en termes de rémunération ou de durée) n’est remplie, le poste est considéré comme annexe.

Est identifié en tant que poste principal le poste non annexe qu’occupe un salarié ou, s’il en occupe plusieurs, celui qui lui procure le plus fort salaire net. Les postes non annexes sont réputés constituer de « vrais » emplois et ils sont les seuls à être pris en compte dans les statistiques publiques sur l’emploi. Il en est ainsi pour la publication annuelle par l’Insee des effectifs salariés de l’économie sociale.

Dans cet article, l’emploi occasionnel est assimilé aux postes annexes. Il eût bien sûr été possible de construire un indicateur alternatif en définissant d’autres seuils que ceux qui sont présentés ci-dessus, mais il a semblé préférable, notamment pour faciliter le travail d’exploitation statistique, de travailler à partir des catégories de l’Insee. Il faut toutefois signaler qu’un poste considéré comme annexe n’est pas toujours un emploi occasionnel, dans la mesure où il peut parfois se rapporter à des rémunérations supplémentaires telles que des primes gérées par des associations pour des salariés de la fonction publique hospitalière ou de collectivités territoriales. De tels « faux postes » peuvent résister au traitement des données qu’opère l’Insee en amont de la diffusion des DADS. Il n’est pas possible de les identifier. Il faut donc garder à l’esprit cette possibilité de surestimation de l’emploi occasionnel qui sera rappelée quand elle sera susceptible d’affecter plus particulièrement certains résultats. A l’inverse, l’indicateur retenu peut sous-estimer ce type d’emploi. Par définition, un poste peut en effet couvrir plusieurs périodes d’emploi dans l’établissement. Supposons ainsi qu’un salarié ait connu deux très courtes périodes d’emploi dans l’année séparées par plusieurs mois d’inactivité, comme ce peut être le cas pour certains emplois saisonniers. Le cumul des deux périodes d’emploi peut suffire à faire franchir les seuils d’entrée dans la catégorie des postes non annexes, bien que le salarié ait le sentiment d’occuper dans cet établissement un emploi occasionnel, même s’il est réitéré. Ainsi, notre indicateur n’est certainement pas parfait, mais il est douteux qu’on puisse en trouver un autre de meilleure qualité, et il nous semble constituer une approximation raisonnable de l’emploi occasionnel.

Un poste associatif sur trois est annexe

Sans surprise, ce sont les particuliers employeurs qui ont l’utilisation la plus intensive des postes annexes, puisque la part de ces derniers dans l’ensemble des postes y atteint près des trois quarts (tableau 1). Si l’on excepte ce secteur très particulier, c’est dans les associations que la proportion des emplois occasionnels est la plus forte : ces derniers représentent un tiers des postes offerts, contre un peu plus d’un cinquième dans le reste du privé et un sixième dans le secteur public.

Tableau 1

Part des postes annexes dans l’ensemble des postes selon le secteur

Part des postes annexes dans l’ensemble des postes selon le secteur
Source : DADS 2010-Insee. Calculs de l’auteur

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Il ne peut pas être exclu que cette situation découle de la concentration des associations dans certaines activités plus exposées à l’usage de ces emplois. Cette hypothèse d’un « effet de structure » doit d’autant moins être négligée qu’il apparaît en effet que les différents domaines d’activité n’ont pas recours dans les mêmes proportions aux postes annexes. Toutes catégories d’employeurs confondues (à l’exception des particuliers), ce sont les services qui en sont les plus fortement utilisateurs, avec 25 % du total de leurs postes, pour à peine 7 % dans l’industrie et la construction [1]. Or, c’est précisément dans les services que l’on trouve la quasi-totalité de l’emploi associatif (plus de 99 % lorsqu’il est mesuré en termes de nombre d’heures de travail rémunérées), tandis que ce domaine représente une proportion moindre de l’emploi du secteur privé hors associations (68 %). Néanmoins, c’est bien également dans les services que prend place l’écrasante majorité des activités du secteur public (99 % des heures rémunérées), alors même que la part des emplois occasionnels y est nettement plus faible.

Les services ne représentent toutefois pas un tout homogène. Ainsi, en utilisant une nomenclature de l’appareil productif qui reste encore très agrégée, nous pouvons distinguer trois ensembles. Le premier est constitué du commerce de gros et de détail, des transports, de l’hébergement et de la restauration. Le deuxième, très composite, est celui des services divers [2]. Le troisième est formé du regroupement de l’administration publique, de l’enseignement, de la santé et de l’action sociale. Dans chacun de ces ensembles, la part des emplois occasionnels demeure la plus faible dans le secteur public. En revanche, la comparaison entre le secteur associatif et le reste du secteur privé conduit à des constats plus nuancés que ceux suggérés par le tableau 1. L’intensité du recours à l’emploi occasionnel apparaît assez fortement variable au sein même des associations. Certes, dans le commerce de gros et de détail, les transports, l’hébergement et la restauration ainsi que dans les services divers, la part des postes annexes est encore nettement plus élevée en milieu associatif (respectivement 50 % et 52 %) que dans le reste du privé (18 % et 35 %). Cependant, dans l’enseignement, la santé et l’action sociale, l’ensemble le plus important pour l’emploi associatif puisqu’il en représente près des trois quarts, on observe l’inverse, avec une part de 22 % dans les associations, contre 27 % dans le reste du privé. Le plus faible recours à l’emploi occasionnel par les associations dans ce dernier ensemble d’activités s’explique probablement, au moins en partie, par la taille importante de certaines d’entre elles et l’ancienneté de leur processus de professionnalisation (notamment dans la santé et le social ou médico-social) qui les a éloignées d’un recours aux formes les plus atypiques de l’emploi.

L’emploi occasionnel : un très faible volume de travail

Que peut-on dire des caractéristiques des emplois occasionnels associatifs ? Sans surprise, la part des contrats à durée indéterminée y est très faible (18 %, contre les deux tiers pour les postes non annexes). De même, les contrats à temps partiel sont très majoritaires. Près d’un poste annexe sur cinq néanmoins est à temps plein, ce qui pourrait étonner et ne peut s’expliquer, eu égard à la définition de ces postes, que par une durée d’emploi très faible : elle est effectivement alors de 9,4 jours en moyenne (5 jours pour la durée médiane), contre 124 jours pour les emplois à temps partiel (49 jours pour la médiane) [3]. Dans le reste du secteur privé, la part des contrats à durée indéterminée (CDI) parmi les postes annexes est un peu plus élevée (23 %), mais surtout la part des temps pleins y est nettement plus forte (43 %), tout comme dans le secteur public (42 %).

Le volume horaire moyen des postes annexes est du même ordre dans les associations, dans le reste du secteur privé hors salariés des particuliers employeurs et dans le secteur public (respectivement 68,9 heures, 69,5 heures et 71,4 heures, voir tableau 2). Leur volume médian est un peu plus faible (42 heures dans les associations et 45 heures dans le reste du privé ainsi que dans le public). La dispersion des volumes horaires de ces emplois occasionnels est assez similaire dans les trois secteurs. Un quart des postes annexes ont une durée de 16 heures au maximum tandis que la durée du quart de ces emplois situés à l’autre extrémité de la distribution est d’au moins 94 heures dans les associations, 100 heures dans le reste du privé et 110 heures dans le public.

Tableau 2

Volumes horaires annuels moyen et médian des postes annexes et non annexes selon le secteur

Volumes horaires annuels moyen et médian des postes annexes et non annexes selon le secteur

Lecture : les valeurs des premier et troisième quartiles se comprennent de la manière suivante : le quart des postes annexes ayant les volumes horaires les plus faibles dans les associations ont un nombre annuel d’heures inférieur ou égal à 16. Le quart des postes annexes ayant les volumes horaires les plus élevés ont un nombre d’heures égal ou supérieur à 94.

Source : DADS 2010-Insee. Calculs de l’auteur

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Il n’en reste pas moins que, dans tous les secteurs, les heures rémunérées au titre de ces emplois occasionnels sont très faibles si nous les comparons à celles des postes non annexes. En conséquence, au niveau de l’économie tout entière, le poids de ces emplois occasionnels est marginal. Hors salariés des particuliers employeurs, ils constituent 1,5 % du nombre total d’heures déclarées dans les DADS. Cette part est toutefois supérieure dans les associations : elle compte pour 2,9 %, tandis qu’elle est de 1,6 % dans le  reste du privé et de 1 % dans le secteur public. Au regard de ces constats, il est compréhensible que l’Insee se refuse à traiter sur un pied d’égalité les postes annexes et les postes non annexes dans la publication des statistiques standards sur l’emploi et ne retienne que les seconds. Mais cette convention ne doit pas pour autant conduire à ignorer l’existence de l’emploi occasionnel. Son importance dans les associations traduit en effet la spécificité des logiques d’emploi dans certains domaines d’activité où elles sont fortement représentées. Elle témoigne aussi de l’existence de modèles économiques propres au milieu associatif (Tchernonog, 2013).

Les activités culturelles, récréatives et de formation, fortes utilisatrices d’emplois occasionnels

Le tableau 3 (en page suivante) présente, par ordre décroissant, les quinze sous-classes de la nomenclature d’activités française (NAF) la plus désagrégée (niveau 5) qui sont les plus grosses utilisatrices d’emplois associatifs occasionnels. Il montre également dans chacune d’entre elles la densité de son usage en précisant la part qu’occupent les postes annexes dans l’ensemble des postes. Il indique enfin la part des associations dans l’activité de la sous-classe (mesurée en termes de volume horaire annuel de travail). Une forte présence d’emplois occasionnels dans une sous-classe peut relever de situations différentes. Elle peut exprimer le fait que cette sous-classe occupe une main-d’oeuvre nombreuse et, à ce titre, mobilise beaucoup de postes non annexes, mais aussi, le cas échéant, de postes annexes, sans que l’usage de ces derniers soit nécessairement intensif. Elle peut alternativement renvoyer à des activités mobilisant moins de main-d’oeuvre, mais ayant une forte propension à offrir des emplois occasionnels.

Près d’un poste annexe sur cinq relève du code 9499Z de la NAF (« autres organisations fonctionnant par adhésion volontaire »). L’Insee y inclut les activités des organismes (non affiliés directement à des partis politiques) qui militent en faveur d’une cause ou d’une question d’intérêt public, des associations défendant des intérêts, des associations dont l’objet consiste à organiser des rencontres (Rotary, associations maçonniques…), des associations de jeunes ou d’étudiants, ainsi que des associations spécialisées dans des occupations culturelles ou récréatives autres que les clubs sportifs et les cercles de jeux. Cette sous-classe est donc fort hétérogène. Son contenu mériterait d’ailleurs un examen attentif en vue du reclassement de certains établissements associatifs sous des codes plus pertinents. C’est elle aussi qui est susceptible d’intégrer des « faux postes » correspondant à des versements de primes, d’allocations ou d’indemnités dont il a été fait mention plus haut.

Les associations tournées vers les activités culturelles, sportives ou de loisirs sont également de gros utilisateurs d’emplois occasionnels. Les arts du spectacle vivant occupent ainsi la deuxième place par ordre décroissant de recours aux postes annexes (tableau 3). Les activités de clubs de sport sont au quatrième rang ; les autres activités récréatives et de loisirs, au onzième. L’enseignement (supérieur et secondaire général) et la formation continue se signalent aussi par une forte présence d’emplois occasionnels qui s’explique certainement par le nombre important de vacations dans ces activités. L’action sociale sans hébergement non classée par ailleurs (regroupement hétérogène) [4] occupe le troisième rang ; la sous-classe « autre mise à disposition de ressources humaines », le cinquième. Dans ce dernier cas, les emplois d’insertion ne sont pas étrangers à cette forte présence des postes annexes, puisque environ la moitié de ces derniers concerne des établissements d’associations intermédiaires, de groupements d’employeurs ou d’associations déclarées « entreprises d’insertion par l’économique ». L’aide à domicile est également un utilisateur non négligeable d’emplois occasionnels, mais leur proportion dans le total des postes du domaine se révèle inférieure à la moyenne associative. Le constat est similaire pour l’hébergement médicalisé pour personnes âgées et pour les activités hospitalières. Dans ces trois domaines, la densité des emplois occasionnels est donc faible. Il en va en revanche tout autrement du spectacle vivant, où plus des trois quarts des postes sont annexes, ce qui s’explique notamment par le rôle qu’y joue l’intermittence. Il en est de même, quoique dans des proportions moindres, dans les activités sportives et de loisirs, ainsi que dans l’hébergement touristique, où l’emploi saisonnier est important.

Tableau 3

Les quinze domaines d’activité les plus fortement utilisateurs de postes annexes associatifs

Les quinze domaines d’activité les plus fortement utilisateurs de postes annexes associatifs
*

La part des associations dans chaque sous-classe est mesurée à partir du nombre d’heures annuelles rémunérées.

Source : DADS 2010-Insee. Calculs de l’auteur

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Il a déjà été signalé que, en matière d’emplois associatifs occasionnels, il importait de prendre en compte l’existence d’un possible effet de structure lié à la présence inégale des trois secteurs ici considérés (associatif, reste du privé, public) dans les différents domaines d’activité. Le tableau 3 montre bien que les associations sont dominantes dans plusieurs activités à forte intensité de postes annexes. Elles ont notamment, et logiquement, le quasi-monopole de la sous-classe « autres organisations fonctionnant par adhésion volontaire ». Elles sont fortement représentées dans les arts du spectacle vivant, dans les activités des clubs de sport et dans les « autres enseignements », qui font tous un usage fréquent des postes annexes.

Toutefois, la comparaison des propensions qu’ont les trois secteurs à faire appel à l’emploi occasionnel ne conduit pas à des conclusions identiques dans tous les domaines d’activité. Si, dans le domaine des arts du spectacle vivant, la part des postes annexes est la même dans les associations et dans le reste du privé (75 %), elle est sensiblement inférieure dans le public (47 %). Dans l’enseignement supérieur, elle est plus forte dans les associations (65 %) que dans le reste du privé (57 %) et, surtout, que dans le public (40 %). Mais, à l’inverse, dans la formation continue d’adultes, c’est dans les associations qu’elle est le plus faible (38 %) et dans le secteur public le plus élevée (66 %). Dans ce dernier cas, cela s’explique par le fort recours des Greta, les groupements d’établissements publics locaux d’enseignement qui mutualisent leurs compétences et leurs moyens pour proposer des formations continues pour adultes, à des vacataires de courte durée venant notamment de l’Education nationale. Dans l’hébergement touristique et autre hébergement de courte durée, l’emploi occasionnel est de nouveau nettement plus fréquent dans le secteur associatif (64 % des postes), probablement plus exposé à la saisonnalité des activités, que dans le reste du secteur privé (40 %). La situation est la même dans les autres activités récréatives et de loisirs (65 %, contre 49 %). Dans l’aide à domicile, on constate le contraire : 23 %  des postes sont annexes dans les associations, contre 47 % dans le reste du secteur privé. La présence récente de ce dernier dans un domaine d’activité où le secteur associatif a longtemps été hégémonique peut contribuer à expliquer la plus grande difficulté des entreprises privées non associatives à offrir de « vrais emplois » dans un contexte de difficultés de recrutement pour des métiers peu attractifs.

Les emplois associatifs occasionnels ne se réduisent pas à des emplois peu qualifiés

Les niveaux de qualification des postes annexes associatifs peuvent être appréhendés à partir de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles des emplois salariés (PCS-ES). Si l’on raisonne au niveau le plus agrégé de cette nomenclature en distinguant les cadres, les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers, on observe alors que ces emplois occasionnels sont en nette majorité (61 %) des postes de cadres et de professions intermédiaires (21 % pour les premiers et 40 % pour les seconds), à la différence des postes non annexes pour lesquels ces catégories socioprofessionnelles représentent 46 % du total (14 % pour les cadres et 32 % pour les professions intermédiaires). Ces emplois occasionnels qualifiés sont occupés notamment par des artistes, des formateurs et des animateurs de formation continue, des enseignants de l’enseignement supérieur ou de l’enseignement artistique, des médecins ou des infirmiers en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), des moniteurs et des éducateurs sportifs, des éducateurs spécialisés… Cette situation diffère substantiellement de celle du reste du secteur privé (hors particuliers employeurs) et du secteur public, dans lesquels la part cumulée des cadres et des professions intermédiaires est nettement plus faible parmi les postes annexes [5].

Ce constat suggère des logiques de recours à l’emploi occasionnel dans les associations assez nettement distinctes de celles des autres secteurs. Certes, la présence importante du secteur associatif dans la culture et plus particulièrement dans le spectacle vivant explique partiellement la part élevée de postes annexes classés dans la catégorie cadres. Mais on peut aussi conjecturer plus globalement que le recours à l’emploi occasionnel associatif répond à des besoins en compétences que ne peuvent fournir en interne ni les salariés en position plus stable ni, le cas échéant, les bénévoles. Ces besoins sont toutefois trop ponctuels pour justifier la création de postes plus permanents. En cela, l’importance des postes annexes dans les associations témoigne de l’existence de modèles économiques spécifiques à une partie du secteur, modèles reposant sur une hybridation des ressources humaines qui s’exprime par la combinaison d’un bénévolat opérateur (et pas seulement administrateur) et d’un salariat d’ampleur souvent limitée. On observe même que, dans un nombre non négligeable de cas, l’emploi occasionnel est la seule forme de recours au travail salarié. Sont dans ce cas 18 % des établissements associatifs, contre 6 % dans le reste du secteur privé hors particuliers employeurs [6].

Qui sont les occupants des emplois occasionnels associatifs ?

Après avoir présenté quelques aspects des postes annexes et des établissements qui les offrent, il convient maintenant de se tourner vers les salariés qui les occupent. Ont-ils des caractéristiques particulières ? Possèdent-ils par ailleurs de « vrais » emplois ? Dans l’affirmative, quel rôle joue la rémunération tirée de l’emploi occasionnel par rapport au salaire fourni par l’emploi principal ?

Moins de femmes et plus de jeunes que dans les postes non annexes

Il est bien connu que le salariat associatif est fortement féminisé (CNcres, 2012). Cela s’explique avant tout par le fait que les associations réalisent leurs activités productives dans le domaine des services où les femmes sont nombreuses. En 2010, les femmes occupaient 66 % de l’ensemble des postes en associations. Cette part est toutefois inférieure dans les postes annexes (59 %) et supérieure dans les postes non annexes (69 %).

On sait aussi que les jeunes sont moins représentés dans les associations (et plus généralement dans l’économie sociale) que dans le reste du secteur privé (CNcres, 2013). Leur part est néanmoins nettement plus élevée dans les postes annexes qu’elle ne l’est dans les postes non annexes. Les moins de 25 ans occupent un peu plus du quart des premiers contre seulement 10 % des seconds. Des résultats de même nature sont observés dans le secteur public et dans le reste du secteur privé. La surreprésentation des jeunes dans les emplois occasionnels suggère que ces derniers sont utilisés comme vecteurs d’accès au travail salarié dans l’espoir de parvenir ultérieurement à des situations moins précaires. Mais elle peut aussi renvoyer à la réalisation d’activités salariées épisodiques ou saisonnières (pendant les vacances scolaires) par des jeunes scolarisés ou étudiants.

Parmi les salariés concernés par les emplois occasionnels associatifs, 85 % n’en occupent qu’un seul, 10 % en occupent deux et 5 % davantage. La diversité des configurations est grande s’agissant de leur situation professionnelle. Pour éviter une typologie trop complexe, nous avons opéré une partition qui distingue :

  • les salariés ayant un poste principal en association ;

  • les salariés ayant un poste principal dans le privé hors associatif ;

  • les salariés ayant un poste principal dans le public ;

  • les salariés ayant un poste principal chez un particulier employeur ;

  • les salariés n’occupant que des postes annexes.

Il apparaît ainsi que plus de 40 % des titulaires d’emplois associatifs occasionnels n’ont pas de « vrais emplois » (tableau 4, en page suivante). Ces salariés sont nettement plus jeunes que les autres occupants de postes annexes, puisque près de quatre sur dix ont moins de 25 ans. Les situations des membres de ce groupe sont certainement fort diverses, quoiqu’elles ne puissent être distinguées à partir des DADS. Pour certains d’entre eux, l’absence d’un « vrai emploi » traduit la précarité de leur état sur le marché du travail, mais c’est aussi dans ce groupe que l’on trouve les jeunes scolarisés dont il a été question précédemment.

Tableau 4

Situation professionnelle des salariés en emplois associatifs occasionnels

Situation professionnelle des salariés en emplois associatifs occasionnels
Source : DADS 2010-Insee. Calculs de l’auteur

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Viennent ensuite, par ordre décroissant d’effectifs, les salariés ayant leur poste principal dans le secteur public, ceux dont le poste principal est dans le secteur privé hors associations, ceux dont le poste principal est en associations et, enfin, les salariés ayant un poste principal chez un particulier employeur [7]. Ces derniers sont en nombre limité, puisqu’ils ne représentent que moins de 2 % du total et sont en écrasante majorité des femmes dont l’âge est plutôt élevé, plus de la moitié ayant 45 ans et au-delà. Sans surprise, c’est dans l’aide à domicile qu’elles exercent le plus fréquemment leur activité salariée occasionnelle (un poste annexe associatif sur trois les concernant relève de ce domaine).

Des salaires annuels moins élevés pour les emplois occasionnels

Quelles relations peut-on observer entre l’occupation d’un emploi occasionnel associatif et le revenu salarial ? Le poste annexe procure évidemment (et par définition) une rémunération inférieure à celle d’un poste non annexe. La question posée n’a donc de sens que si l’on se situe au niveau du revenu salarial annuel total. Il s’agit alors de comparer sous cet angle les salariés ayant un emploi occasionnel à ceux qui n’en occupent pas. L’exercice implique de faire la somme des rémunérations afférentes aux différents postes des individus, qu’ils soient annexes ou non. Le salaire ici retenu est le salaire net.

N’ont été pris en compte dans cette comparaison que les salariés ayant un et un seul poste non annexe, et ils ont été regroupés en fonction de la catégorie socioprofessionnelle de celui-ci (cadres, professions intermédiaires, employés et ouvriers). Dans chacun des groupes ainsi obtenus, deux types de salariés sont distingués selon qu’ils occupent ou non un ou plusieurs emplois associatifs occasionnels. Les revenus salariaux annuels moyens et médians ainsi que les durées horaires annuelles de travail de ces deux types sont alors comparés dans chacun des groupes. Seuls les résultats relatifs aux salariés dont le poste principal est dans une association sont ici communiqués (tableau 5, en page suivante). Les salariés ayant un emploi associatif occasionnel ont en moyenne des salaires annuels totaux inférieurs à ceux qui n’en ont pas. Cette différence a pour corollaire un écart de même nature dans le nombre annuel moyen d’heures rémunérées du fait que le poste principal des salariés qui occupent un poste annexe est plus souvent à temps partiel. Considérer le salaire et les horaires médians ne modifie pas les résultats. Appliqué aux salariés ayant leur poste principal dans le secteur privé hors associations et dans le secteur public, cet exercice conduit à des constats similaires avec des écarts de rémunérations et de volumes horaires rémunérés nettement plus importants parmi les salariés dont le poste principal est dans le secteur privé que parmi les salariés du public.

On pourrait objecter que les résultats obtenus ici le sont à un niveau trop agrégé de la nomenclature des catégories socioprofessionnelles au sein desquelles les situations peuvent être disparates. Aussi l’exercice a-t-il été renouvelé pour les emplois associatifs au niveau le plus désagrégé des  PCS-ES. Vingt et une d’entre elles ont été étudiées selon la même méthode que précédemment. Dans la très grande majorité des cas (dix-huit sur vingt et un), les résultats sont de même nature, les rémunérations annuelles moyennes et médianes des salariés ayant un emploi occasionnel associatif étant inférieures à celles de leurs homologues sans ce type d’emploi avec des différences de même signe dans les volumes horaires totaux.

De cet examen des revenus salariaux totaux, il ressort que, parmi les salariés disposant d’un (et d’un seul) poste non annexe (un « vrai emploi »), ceux qui pratiquent l’emploi occasionnel associatif ont souvent des revenus annuels inférieurs à leurs semblables qui n’en occupent pas, quel que soit le secteur d’exercice de l’emploi principal. Ces situations traduisent la faiblesse du volume horaire de l’emploi principal. On peut alors penser que l’emploi occasionnel est un moyen de limiter l’impact sur le revenu de l’insuffisance du nombre d’heures du poste principal. Cette conjecture ne peut toutefois prétendre à une validité systématique, comme le montre l’examen des quartiles à l’intérieur de chaque type (tableau 5). Il est en effet des salariés occupant un emploi occasionnel associatif en sus de leur poste principal qui perçoivent une rémunération supérieure, voire nettement supérieure, à celle de leurs homologues dans une même situation au regard de l’emploi principal, mais sans emploi occasionnel. Dans de tels cas, l’emploi occasionnel ne peut être considéré comme ayant une fonction palliative sur le plan pécuniaire.

Tableau 5

Comparaison des salaires annuels nets (en euros) et des heures annuelles rémunérées entre occupants et non-occupants d’emplois associatifs occasionnels par catégorie socioprofessionnelle

Comparaison des salaires annuels nets (en euros) et des heures annuelles rémunérées entre occupants et non-occupants d’emplois associatifs occasionnels par catégorie socioprofessionnelle

N.B. L’hypothèse d’égalité des moyennes et des médianes des deux types de salariés dans chaque catégorie socioprofessionnelle est rejetée au seuil de 0,0001.

Source : DADS 2010-Insee. Calculs de l’auteur

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Des salaires horaires plus élevés dans les emplois occasionnels

Si maintenant nous examinons non plus le salaire total des salariés, mais le salaire horaire perçu par l’occupant d’un poste annexe, il apparaît que, dans les associations d’économie sociale, ce salaire est supérieur à celui des postes non annexes, quel que soit l’indicateur choisi (moyenne ou médiane), tandis que c’est le contraire qui peut être observé aussi bien dans le secteur privé hors associatif que dans le secteur public (tableau 6). Cette observation reste néanmoins fragile, faute de tenir compte des différences dans la composition des populations de salariés concernés. Il a par exemple été souligné plus haut que la part des cadres est plus forte parmi les postes annexes associatifs. Une conclusion plus rigoureuse exige une investigation économétrique.

Tableau 6

Salaire horaire net (en euros) en fonction de la nature du poste et du secteur

Salaire horaire net (en euros) en fonction de la nature du poste et du secteur
Source : DADS 2010-Insee. Calculs de l’auteur

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Une équation de salaire a donc été estimée sur l’ensemble des postes associatifs [8]. Cette investigation conduit à évaluer que le salaire horaire net des postes annexes est supérieur d’environ 6 % à celui des postes non annexes. Le même exercice réalisé sur les postes du secteur privé hors associations conduit à un écart de même nature, mais plus faible (1,6 %). Ces résultats pourraient être interprétés comme l’expression d’une compensation accordée aux postes annexes du fait de la précarité de ces emplois. En revanche, dans le secteur public, le salaire des postes annexes est légèrement inférieur (1,8 %) à celui des postes non annexes.

Une équation de salaire sur les seuls postes annexes peut également être estimée avec les mêmes variables de contrôle que précédemment, auxquelles on ajoute une variable muette relative à l’occupation ou non d’un poste non annexe dans un autre établissement. Cette variable est un indicateur, certes approximatif, de l’expérience et des compétences que le salarié possède en dehors de son emploi occasionnel, et le signe attendu du coefficient associé est alors positif. Tel est bien le cas. Les titulaires d’un « vrai emploi » par ailleurs perçoivent dans leur emploi occasionnel associatif une rémunération horaire supérieure de 7 % à celle des salariés qui n’ont pas de postes non annexes [9].

Conclusion

Cet article se proposait d’examiner un aspect laissé largement dans l’ombre par les publications statistiques sur l’emploi dans les associations, à savoir les emplois occasionnels, auxquels elles font appel et qui sont identifiés ici aux postes annexes tels qu’ils sont définis par l’Insee dans les DADS. Ces emplois « en miettes » sont globalement plus fréquents dans le secteur associatif que dans le reste du secteur privé et a fortiori dans le secteur public. Cette situation n’est pas étrangère à la place importante qu’occupent les associations dans des domaines d’activité où le recours des employeurs aux postes annexes est massif (sport, loisirs, spectacle vivant…). Mais les associations ne sont pas pour autant homogènes quant à l’usage de ce type d’emploi, et les comparaisons à cet égard avec les autres secteurs ne donnent pas des résultats univoques lorsqu’elles sont réalisées à des niveaux suffisamment désagrégés de la nomenclature NAF.

Il n’en reste pas moins qu’il existe des modèles économiques spécifiques aux associations qui encouragent le recours à l’emploi occasionnel. Dans un certain nombre de cas, en effet, cette pratique se présente comme un adjuvant indispensable pour réaliser des tâches non permanentes mais demandant des compétences dont ne disposent pas les ressources humaines en place, qu’elles soient bénévoles ou salariées. Cela expliquerait pourquoi ces emplois occasionnels associatifs, dans la majorité des cas, ne procèdent pas de tâches non ou faiblement qualifiées.

Deux prolongements possibles de cette recherche revêtent à nos yeux un intérêt tout particulier. Le premier concerne les modèles d’emploi des associations qui accueillent des bénévoles opérateurs et en combinent l’usage avec celui d’une main-d’oeuvre salariée. En quoi cette combinaison influence-t-elle la gestion des ressources humaines et plus particulièrement le recours à l’emploi occasionnel ? Un tel prolongement requiert des informations sur la mobilisation du bénévolat. La seconde orientation de recherche est relative à l’analyse des logiques qui président à l’occupation de ces emplois occasionnels par les salariés. Dans quelle mesure cette occupation procède-t-elle d’une situation subie, faute d’un emploi principal satisfaisant, ou au contraire d’un choix assumé de diversification des expériences professionnelles au prix de l’acceptation de moindres revenus salariaux ? Pour envisager ces deux prolongements, la recherche aura besoin d’aller au-delà des informations fournies par les DADS.