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L’utopie en héritage : le Familistère de Guise (1888-1968), Jessica Dos Santos. Presses universitaires François-Rabelais, Tours, 2016, 452 pages[Notice]

  • Michel Dreyfus

Jessica Dos Santos retrace un épisode de l’histoire économique et sociale qui s’étend sur huit décennies : la vie du Familistère de Guise après la mort de son fondateur charismatique, Jean-Baptiste Godin. L’auteure organise son livre en trois grandes parties chronologiques, après avoir montré à quel point nous sommes ignorants de l’histoire du Familistère à partir des années 1890. La première partie – « Le temps du deuil » –, qui suit la mort du fondateur et qui va jusqu’en 1914, est elle-même divisée en trois chapitres. Jessica Dos Santos y retrace la vie du Familistère à partir de trois approches : le socialisme d’entreprise, la naissance d’une communauté et le Familistère dans son environnement. Le Palais social y est décrit comme un isolat républicain et socialiste. La deuxième partie, composée elle aussi de trois chapitres, couvre la période allant de la Première Guerre mondiale à la veille de la Seconde : elle repose sur l’idée selon laquelle, à partir de 1918, l’héritage laissé par Godin est à reconstruire de fond en comble. Après avoir retracé le triste sort du Familistère pendant les quatre ans de guerre, Jessica Dos Santos décrit les modalités de sa reconstruction avec le soutien de l’Etat. Cette reconstruction est rapide, encouragée par le contexte économique favorable des années 1920. Mais à partir de la décennie suivante, le Palais social est gravement touché par la crise économique. Jessica Dos Santos s’interroge : ses oeuvres sociales ne sont-elles pas, dès lors, un frein à la compétitivité ? C’est à cette époque que les dirigeants du Familistère, et d’abord le premier d’entre eux, René Rabaux, sont tentés par la solution corporatiste. Jusqu’en 1939, le Familistère est traversé par des tensions internes, qui sont nées lors d’une grève dix ans plus tôt. Il apparaît également de plus en plus comme un « empire » au sein de la République. Il se tient en effet à l’écart de la vie politique et sociale nationale, notamment durant le Front populaire, vis-à-vis duquel ses dirigeants ne sont paradoxalement guère favorables. Dans une troisième partie – « Evoluer pour survivre » –, Jessica Dos Santos retrace cette histoire pendant la période 1938-1968, à travers deux chapitres. L’un est consacré essentiellement aux questions économiques, l’autre au social. La Seconde Guerre mondiale est, pour le Familistère, moins désastreuse sur le plan économique que la Grande Guerre et, dans les années postérieures à la Libération, il semble relancer sa production. Mais il se révèle bientôt incapable de s’adapter et de renouveler ses produits. Dès lors, il est de plus en plus dépassé. La crise éclate au grand jour en 1964 ; les quatre années qui suivent ne sont qu’une longue agonie. L’héritage de la Seconde Guerre mondiale est lourd sur le plan des relations sociales : les dirigeants du Familistère semblent avoir fait le choix de la collaboration, ou du moins de « l’accommodement » avec Vichy. Sans doute ont-ils été mus par le désir de protéger leur Palais social et de sauver ce qui pouvait l’être. Rien de répréhensible ne leur est imputé, mais cet épisode n’en laisse pas moins de nombreuses traces. Par ailleurs, les avantages sociaux, qui ont été longtemps l’une des caractéristiques du Familistère, perdent peu à peu de leur caractère attractif et nouveau, à partir de l’instauration de la Sécurité sociale. Dès lors, le modèle social du Familistère n’a plus aucune originalité. Incapable d’innover sur le plan économique, dépassé sur le plan des oeuvres sociales, il sombre dans l’indifférence générale… le 1er juin 1968. En conclusion, Jessica Dos Santos s’interroge sur l’échec de cette expérience, aussi longue que singulière. Elle …