Corps de l’article

En Chine, les organismes à but non lucratif (OSBL) sont officiellement désignés sous le terme d’organisations sociales (shehui zuzhi). Du fait de leur essor rapide au cours des dernières décennies, la question de la relation entre le gouvernement et le secteur non lucratif est devenue une piste de recherche prometteuse sur les relations entre Etat et société. Certains chercheurs l’analysent à l’aide du paradigme théorique de la société civile et du corporatisme (Fisher, et al. 2012), tandis que les universitaires chinois tendent à se dégager de cette grille de lecture pour développer de nouvelles théories comme celle de l’autonomie dépendante (Lu, 2009) et celle de l’absorption administrative de la société (Kang, Han, 2007).

Cependant, si ces théories peuvent être efficaces pour interpréter les relations entre le gouvernement chinois et les associations, elles ne permettent guère de comprendre la relation entre le gouvernement chinois et les organismes sans but lucratif fournissant des services, qui touche à la fois à la structure du système politique et à l’organisation du marché des services publics. On assiste à l’émergence d’un nouveau paradigme de gouvernance, lorsque dans les Etats sociaux modernes le secteur non lucratif devient un partenaire du gouvernement pour la fourniture des services publics. Par exemple, aux Etats-Unis, la plupart des services à la personne sont délivrés par les organisations sans but lucratif, avec un soutien financier du gouvernement sous forme de subventions, contrats et bons etc. (Salamon, 2002).

En Chine, la participation des organismes sans but lucratif aux services à la personne a mis fin au monopole des institutions publiques, tout comme l’essor des entreprises privées dans l’économie de marché a changé la situation monopolistique des entreprises publiques. Toutefois, le secteur à but non lucratif n’est pas assez fort pour être un partenaire égal des pouvoirs publics dans le domaine des services à la personne. Nous utilisons le terme d’« interdépendance dépendante » pour décrire la relation actuelle entre les pouvoirs publics et les organismes sans but lucratif orientés vers les services. Cette relation est asymétrique car le gouvernement conserve l’avantage sur le secteur sans but lucratif qui est encore dans son stade infantile. Il en résulte diverses questions : comment cette relation d’interdépendance dépendante se traduit-elle dans les services à la personne ? Quelles sont les méthodes utilisées par le gouvernement chinois pour gérer cette relation et quelles sont les réponses apportées par les organismes sans but lucratif ? Quelles sont les caractéristiques de cette relation et comment pourra-t-elle évoluer dans l’avenir ?

Après un bref historique des relations entre le gouvernement chinois et le secteur non lucratif, nous présenterons une définition globale et une classification des organismes sans but lucratif en Chine. Nous étudierons ensuite le champ d’action des OSBL engagés dans les services à la personne, ainsi que leurs relations avec les pouvoirs publics que nous analyserons à travers « l’approche des outils ». Enfin, nous résumerons les principales caractéristiques de ce lien d’interdépendance asymétrique qui s’est établi entre le gouvernement et les organismes sans but lucratif.

Evolution historique et état du secteur sans but lucratif

Bien que le concept d’organisation sans but lucratif soit relativement nouveau en Chine, il existe dans ce pays une tradition millénaire de la philanthropie privée, profondément ancrée dans le confucianisme, le taoïsme et autres anciennes pensées classiques. Elle s’exerce principalement dans le secours aux jeunes enfants, l’aide aux personnes âgées, la promotion de l’éducation, l’assistance médicale et l’aide aux funérailles.

Des relations étroites avec l’autorité publique

A la suite de la conquête militaire de la Chine par les Occidentaux, les influences chrétiennes ont pénétré dans le pays au milieu du xixe siècle. Afin de convertir la population chinoise au christianisme, les Eglises chrétiennes ont construit des hôpitaux, des écoles, des orphelinats et organisé des soupes populaires. D’abord très controversée, l’extension de l’influence occidentale a été progressivement acceptée par le pouvoir et les élites sociales qui ont fondé des organisations caritatives nationales sur le modèle occidental au tournant du xxe siècle (Zhou, Zeng, 2006). Lors de sa fondation en 1949, la République populaire de Chine a établi des entreprises d’Etat pour la production de biens ainsi que des institutions publiques (shiye danwei) pour la fourniture de services à la personne répartis en cinq catégories : sciences et technologie, éducation, culture, santé et sport. Les organisations privées ont été interdites entre 1949 et 1978. Depuis la fin de la Révolution culturelle (1978) qui a marqué le début d’une période de réformes et d’ouverture, le secteur non lucratif a été relancé, compensant en partie l’impossibilité pour les pouvoirs publics de faire face à la demande croissante de services à la personne.

A l’instar des gouvernements de nombreux autres pays, le gouvernement chinois se trouve obligé d’arbitrer entre les limites à imposer au secteur non lucratif et l’autonomie à lui accorder. D’un côté, les ressources provenant de ce secteur et les services qu’il fournit aident le Parti communiste au pouvoir à accroître sa légitimité. D’un autre côté, le gouvernement veille à contenir les risques de contestation politique tels que le mouvement étudiant de la place Tiananmen à la fin des années 1980 et les « révolutions de couleur » au début des années 2000 (Ma, 2006).

Bien que le secteur sans but lucratif ait connu des hauts et des bas au gré des fluctuations du climat politique depuis 1978, dans l’ensemble, l’attitude du gouvernement chinois à l’égard des organismes sans but lucratif a évolué de la méfiance vers une confiance relative, de la répression vers l’accompagnement et de l’exclusion vers la coopération. Si le Parti communiste a conservé une fonction hégémonique dans la société chinoise, il a progressivement reconnu la compétence des organismes sans but lucratif dans le domaine des services à la personne et des initiatives philanthropiques. Cette reconnaissance officielle s’est traduite par un allègement du contrôle et par la mise en place d’un soutien effectif.

Le nombre des organisations sans but lucratif a augmenté rapidement en Chine au cours des trois dernières décennies. Toutefois, la contribution du secteur à l’emploi et à la croissance économique ne dépasse pas 1 %, ce qui est très peu par rapport aux pays développés.

Une diversité d’organismes allant des associations aux fondations 

Les organismes sans but lucratif chinois ne répondent pas tout à fait à la définition des organisations établie par le manuel des Nations Unies sur les institutions sans but lucratif (Handbook on Nonprofit Institutions in the System of National Accounts, ONU, 2003). Certes, il s’agit bien d’organisations, mais elles ne sont pas complètement privées puisque nombre d’entre elles sont affiliées à des organisations publiques. Elles sont censées ne pas distribuer de bénéfices à leurs dirigeants ou à des actionnaires, mais certaines d’entre elles dérogent à cette règle. Elles n’ont pas la maîtrise absolue sur leurs opérations, car les pouvoirs publics les contrôlent à des degrés divers. Par ailleurs, la participation à un organisme sans but lucratif n’est pas obligatoire. En fait, ces organismes occupent une zone grise entre le gouvernement et les institutions vraiment privées, mêlant des éléments de contrôle gouvernemental et d’autonomie institutionnelle. Leur classification reflète l’ambiguïté de leur statut. Au regard de leur relation avec le Parti communiste et le gouvernement, ils pourraient être classés en deux catégories : les organismes sans but lucratif gouvernementaux et les organismes sans but lucratif d’origine populaire. Les premiers sont initiés par le gouvernement qui, souvent, rémunère leur personnel. Les organismes sans but lucratif populaires sont fondés par des citoyens, ils reçoivent peu de subventions publiques et rémunèrent leurs employés ; ils sont généralement de petite taille et implantés localement. Si cette classification peut aider les Occidentaux à comprendre le secteur sans but lucratif en Chine, elle ne correspond pas à la classification officielle qui se fonde sur le statut d’enregistrement et que nous allons utiliser pour notre analyse afin de mieux tirer parti des statistiques disponibles.

La première catégorie officielle est celle des organismes sans but lucratif enregistrés auprès du ministère des Affaires civiles et des administrations qui en dépendent. Elles sont divisées en trois groupes : les associations (shehui tuanti), les unités privées non entrepreneuriales (minban feiqiye danwei) et les fondations. Les associations sont proches des « organisations au service de leurs membres », alors que les unités privées non entrepreneuriales sont proches des « organisations fournissant des services ».

Dans la deuxième catégorie officielle, figurent les organismes sans but lucratif non enregistrés. En Chine, le statut d’enregistrement des organismes sans but lucratif est en partie lié au système de gestion double, selon lequel chaque organisme sans but lucratif doit être placé sous le contrôle de deux entités, à savoir une administration d’enregistrement et une unité professionnelle de gestion. Les unités professionnelles de gestion sont des agences gouvernementales ou autorisées par le gouvernement qui sont responsables de l’encadrement professionnel des OSBL. Leur mission inclut l’approbation des rapports annuels d’inspection, les amendements aux articles des règlements, et la gestion des procédures de liquidation. Certains d’entre eux ne se font pas enregistrer parce qu’il leur est difficile de trouver une agence qualifiée qui accepte d’être leur unité professionnelle de gestion. De plus, nombre de petits organismes populaires ne sont pas recensés pour la simple raison qu’ils veulent éviter les tracasseries administratives.

Le système de gestion double a pris fin en partie en 2013. Quatre catégories spécifiques d’organismes sans but lucratif (syndicats et chambres de commerce, organisations philanthropiques, organisations scientifiques et technologiques, organisations communautaires de prestations de services) sont dispensées de l’approbation d’une unité professionnelle de gestion. Cependant, ce système s’applique toujours aux organismes sans but lucratif qui étaient enregistrés avant 2013 ou à ceux qui n’entrent pas dans l’une des quatre catégories. Il existe environ 1 000 OSBL étrangers non enregistrés en Chine (Deng, 2010). Avec la loi de 2016 sur l’administration des activités des organisations non gouvernementales internationales, tous les organismes sans but lucratif opérant en Chine continentale doivent se déclarer auprès des administrations de la Sécurité publique.

Enfin, les organisations dites « de masse », qui ont été établies par le Parti communiste pour consolider le lien avec le peuple, sont exemptées d’enregistrement et ne figurent pas dans les statistiques du ministère des Affaires civiles. La question de l’inclusion des OSBL enregistrés dans le secteur sans but lucratif fait débat du fait de leurs liens étroits avec le gouvernement, même si officiellement elles ne font pas partie de ses composantes.

Un secteur en forte progression

Bien que le démarrage des organismes sans but lucratif date de 1978, les premières statistiques officielles n’ont été publiées qu’en 1987. Selon un recensement ministériel approximatif, il y avait, à la fin 2015, entre 662 000 et 663 000 OSBL enregistrés, répartis à peu près également entre les associations et les unités privées non entrepreneuriales. Seulement 4 787 d’entre eux étaient des fondations.

Le nombre des organismes sans but lucratif enregistrés a continuellement augmenté depuis 1988, malgré un court ralentissement durant la « campagne de rectification » (1997-1999) marquée par la suspension ou la suppression des organisations réfractaires à la politique gouvernementale. Le règlement relatif à l’administration des fondations a été adopté en 2004. Le nombre des unités privées non entrepreneuriales a rattrapé celui des associations en 2015 et a ensuite progressé plus rapidement. Cependant, la majorité des OSBL enregistrés sont de petite taille et une partie d’entre eux sont « dormants », ce qui signifie qu’ils ne fonctionnent pas régulièrement.

Figure 1

Les OSBL enregistrés en Chine, 1988-2015, (en milliers)

Les OSBL enregistrés en Chine, 1988-2015, (en milliers)
Sources : ministère des Affaires civiles, China’s Civil Affairs Statistical Yearbooks, 2013. China Statistics Press. China’s Human service Development Statistical Bulletin (2013-2015)

-> Voir la liste des figures

Afin de mieux appréhender la composition de ce secteur, le ministère des Affaires civiles en Chine a adopté une classification statistique en partie fondée sur le système international recommandé par le Handbook on Nonprofit Institutions in the System of National Accounts (2003). Ce système distingue les unités privées non entrepreneuriales (UPNE) et les associations.

La figure 2 (en page suivante) montre que les trois principaux domaines d’intervention des associations chinoises sont l’agriculture, les services sociaux et les services commerciaux. Les associations agricoles regroupent majoritairement des exploitants, comme des producteurs de fruits et légumes. Ensuite, viennent les associations de services sociaux, avec un pourcentage similaire à celui des unités privées non entrepreneuriales. Les associations de service commercial sont les organismes sans but lucratif qui fournissent des services professionnels (conseil, comptabilité, etc.).

Les fondations se répartissent en deux catégories : les fondations publiques, qui peuvent demander des subventions, et les fondations non publiques, non éligibles aux aides publiques. Les fondations non publiques se sont multipliées dès lors que des citoyens enrichis par l’expansion économique ont choisi d’utiliser leur richesse à des fins philanthropiques. Fin 2015, il y avait 4 787 fondations enregistrées dont 1 548 fondations publiques, 3 198 fondations non publiques et 38 fondations étrangères.

Figure 2

Répartition des unités privées non entrepreneuriales par champs d’activité, 2015

Répartition des unités privées non entrepreneuriales par champs d’activité, 2015
Source : ministère des Affaires civiles de Chine (2015). China’s Human service Development Statistical Bulletin

-> Voir la liste des figures

Figure 3

Répartition des associations chinoises par champ d’activité, 2015

Répartition des associations chinoises par champ d’activité, 2015
Source : ministère des Affaires civiles de Chine(2015). China’s Human service Development Statistical Bulletin

-> Voir la liste des figures

D’une façon générale, le nombre des organismes sans but lucratif n’a cessé d’augmenter en Chine depuis 1978. Dans les trois catégories, les services à la personne sont devenus l’activité principale. Selon les statistiques officielles, les deux tiers des jardins d’enfants, environ 30 % des collèges et 60 % des hôpitaux sont enregistrés en tant qu’unités privées non entrepreneuriales. En 2015, l’ensemble du secteur sans but lucratif employait 7,3 millions d’employés à plein-temps, ce qui représente environ un quart de ceux qui sont employés par les institutions publiques. Le gouvernement chinois affirme qu’il compte renforcer son soutien aux organismes sans but lucratif délivrant des services à la personne.

Le champ d’action des organismes délivrant des services à la personne

Ainsi que nous l’avons vu précédemment, les services à la personne en Chine ont toujours été assurés par des institutions publiques affiliées à des agences gouvernementales et à des organisations de masse sur un mode monopolistique. Ce système a commencé à montrer ses limites à partir de 1978, lorsque l’économie planifiée a été reconvertie en économie de marché (Saich, 2008), laissant une grande partie de la population sans protection sociale. Parmi les catégories précarisées, on compte environ 80 millions de personnes en situation de grande pauvreté, quelques 200 millions de personnes âgées, 150 millions de travailleurs migrants et leurs ayant-droits, 80 millions de personnes handicapées, deux millions de jeunes sans abri, près d’un demi-million d’orphelins, environ un million et demi de toxicomanes, un million de personnes malades du sida, et cette liste n’est pas exhaustive (Bureau National de Chine, 2013). Même avec l’assistance des organisations de masse, le gouvernement chinois ne pouvait pas couvrir tous les besoins de la population.

La plupart des organismes sans but lucratif coopèrent avec le gouvernement et les organisations de masse dans les divers domaines des services à la personne. Nous allons en examiner cinq plus en détail : éducation des enfants, services aux personnes âgées, assistance médicale, services pour les travailleurs migrants et services aux personnes handicapées.

L’éducation des enfants

Le peuple chinois accorde traditionnellement une grande valeur à l’éducation des enfants. Aussi lorsque les organismes sans but lucratif se sont engagés dans les services à la personne, leur première initiative a porté sur l’assistance à l’éducation des enfants, particulièrement dans les régions rurales où elles pallient les déficiences du gouvernement et du marché. Il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre des organisations oeuvrant à la promotion de l’éducation rurale, mais il est certain qu’elles jouent un rôle majeur et bénéficient d’un fort appui gouvernemental. Le programme le plus connu est le Project Hope initié en 1989 par la Fondation de développement de la jeunesse de Chine (CYDF), qui a été créée par un haut fonctionnaire du comité central de la Ligue de la jeunesse communiste. En 2013, le Project Hope avait construit 18 335 écoles primaires Hope. Un autre exemple est celui de l’Association des jeunes volontaires chinois, qui a mené un programme d’enseignement volontaire à long terme, dont les frais ont été couverts par la Ligue de la jeunesse communiste.

Les organismes sans but lucratif populaires et internationaux apportent également un soutien aux enfants désavantagés des zones rurales. Ainsi, le Programme du nouveau citoyen fournit des services aux enfants des travailleurs migrants, avec l’aide financière de la Fondation Narada. Zhou (2012) a identifié 464 organismes sans but lucratif travaillant dans le domaine de la promotion de l’éducation obligatoire en zone rurale en Chine. La catégorie la plus représentée est celle des organisations populaires (37,5 %) suivie des organisations d’origine gouvernementale (16,4 %), d’origine universitaire (15,5 %) et d’origine corporative (12,9 %). Les organisations internationales non gouvernementales (OING) comme Save the children, Action Aid International et World Vision sont aussi activement engagées dans la promotion de l’éducation rurale en Chine.

Les services aux personnes âgées

Le vieillissement rapide de la population et le manque de structures publiques pour les personnes âgées fragiles représentent une autre opportunité de développement pour les OSBL chinois. D’une part, les maisons de retraites gérées par le gouvernement ne peuvent pas satisfaire la diversité des demandes. D’autre part, malgré l’attachement traditionnel à la piété filiale, il devient plus difficile pour les familles de s’occuper des parents infirmes. La politique de planning familial a réduit la taille des familles. En outre, l’importance du travail féminin est un facteur d’affaiblissement de la capacité à soigner les parents.

La plupart des OSBL de services aux personnes âgées se trouvent dans des villes. Par le biais d’exemptions fiscales et de redevances à prix préférentiels le gouvernement les encourage à remédier au manque de services aux personnes âgées. Une étude portant sur 137 maisons de retraite non publiques à Guangzhou, Tianjin et Shanghai a montré que 81,5 % d’entre elles étaient enregistrées comme unités privées non entrepreneuriales, 11,1 % étaient enregistrées comme entreprises commerciales, et les 7,4 % restantes étaient enregistrées dans une autre catégorie (Wong, Tang, 2006).

L’assistance médicale

L’assistance sociale fait partie du système de sécurité sociale que le gouvernement chinois a mis en place au milieu des années 1980. Le système actuel inclut l’assurance sociale, l’assistance sociale et les programmes de bien-être social. Les programmes d’assurance sociale et d’assistance sociale sont menés par le gouvernement chinois [1]. Les OSBL sont actifs dans les programmes incluant l’assistance médicale, l’assistance à l’éducation, l’assistance au logement et l’assistance légale. Intéressons-nous à l’exemple de l’assistance médicale pour voir comment fonctionne l’engagement des OSBL.

Dans ce domaine interviennent des OSBL privés de plus en plus nombreux, notamment des fondations privées, à côté des organisations gouvernementales comme la Croix-Rouge et la Fédération China Charity. Certaines fondations privées adoptent le « modèle de l’action individuelle » et d’autres le « modèle collaboratif ». Dans le premier modèle, les fondations collectent des fonds auprès des donateurs et distribuent l’argent directement aux patients des familles pauvres. A titre d’exemple, la Fondation des soins aux patients atteints de maladie grave (dabing guan’ai yibai jijin) distribue une aide financière directement aux bénéficiaires. Dans le second modèle, les fondations coopèrent avec des institutions médicales publiques et privées pour fournir des services médicaux. Par exemple, The Angel Family of Funds, créée par des particuliers et gérée par la Croix-Rouge, recueille des fonds, fournit des équipements médicaux et des médicaments aux hôpitaux et à d’autres institutions médicales désignées qui assurent gratuitement des services médicaux auprès d’enfants pauvres souffrant de pathologies spécifiques.

L’aide aux travailleurs migrants

Au cours des trois dernières décennies marquées par l’accélération de l’industrialisation et de l’urbanisation, l’exode rural a concerné chaque année environ 1 % de la population chinoise. Les agriculteurs migrants peinent davantage que les citadins à accéder à un emploi, à un logement, à des soins médicaux de base, à l’éducation pour leurs enfants et à d’autres services publics, à cause du système chinois d’enregistrement du ménage (hukou[2], qui distingue ville et campagne (Ngok, 2012). Aussi les OSBL installés dans les villes chinoises apportent-ils un soutien aux travailleurs migrants.

En 2007, ceux-ci étaient 5,4 millions à Pékin et 4,67 millions à Shanghai (Hsu, 2012). Les études ont mis en évidence le développement de modèles différents entre ces deux métropoles. A Shanghai, les étudiants et les résidents d’origine jouent un rôle plus important dans l’essor des OSBL, qui sont majoritairement des associations de développement local communautaire, accompagnant l’intégration progressive des travailleurs migrants, dans un objectif de bien-être pour la communauté tout entière. En revanche, à Pékin, les OSBL sont souvent établis par des migrants eux-mêmes. Par exemple, l’organisation Un toit pour les femmes migrantes (dagongmei zhijia), fondée par une femme migrante en 1996, vise à faciliter l’autonomisation de ces travailleuses.

La prise en charge des personnes handicapées

Dans ce domaine, les organismes sans but lucratif ne jouent qu’un rôle complémentaire. C’est une organisation de masse, la Fédération des personnes handicapées (FPH) qui joue le premier rôle dans la fourniture de services aux personnes handicapées. A titre d’exemple, dans la ville de Wuhan, la FPH gère un réseau total de 152 sous-branches au niveau local et 3 193 centres dans les communautés. Ce réseau assure dans sa juridiction les soins de jour, des stages de réinsertion et de formation professionnelle ainsi que des services de loisirs pour les personnes handicapées. Les organismes de base opérant dans ce domaine sont concentrés dans les villes.

En général, les organismes sans but lucratif ont élargi leur espace institutionnel dans le domaine des services à la personne, parce que le gouvernement chinois ne peut répondre seul à l’ampleur de la demande. La plupart d’entre eux choisissent pragmatiquement de coopérer avec le gouvernement et les organisations de masse, afin d’obtenir une légitimité et d’accéder aux clients et aux sources de financement. L’influence croissante du secteur non lucratif sur les politiques publiques est un phénomène nouveau en Chine. Un exemple bien connu est le lancement en 2011 par le gouvernement central du plan d’amélioration de l’alimentation pour les étudiants ruraux dans le cadre du stage éducatif obligatoire : cette action a concerné 26 millions d’étudiants répartis dans 680 cantons, neuf mois après qu’un OSBL a initié un programme de repas gratuits pour les familles défavorisées des régions rurales sous-développées. Nous allons maintenant examiner les outils utilisés par le gouvernement chinois pour gérer ses relations avec les organismes sans but lucratif.

Les leviers d’action et de contrôle du gouvernement

Un outil d’action publique est défini par Salamon (2002) comme « une méthode identifiable de structuration d’une action collective pour résoudre un problème public ». Le gouvernement chinois aide les OSBL par le biais d’avantages fiscaux, de subventions, de contrats d’achat de services, de l’utilisation de terrains et de bonifications d’intérêts. Cependant, cette aide reste limitée et ne concerne pas l’ensemble des organisations. Selon un sondage mené en 2011 par le Centre de développement des études du Conseil d’Etat auprès des unités privées non entrepreneuriales, seulement 43,6 % des enquêtés avaient bénéficié d’un avantage fiscal.

Les avantages fiscaux

Les avantages fiscaux concernent à la fois les organismes sans but lucratif et les donateurs. Concernant les OSBL, ils couvrent l’impôt sur le revenu, la taxe sur la valeur ajoutée, le tarif, etc. Pour les donateurs (entreprises ou particuliers), il s’agit essentiellement d’exonérations fiscales. En général le taux d’imposition des OSBL en Chine est plus bas que celui des entreprises commerciales, mais plus élevé que celui des institutions publiques relevant du même domaine. La plupart des lois et des règlements relatifs aux avantages fiscaux en faveur de ces organismes ont été publiés depuis 2007.

Cependant, la mise en oeuvre de ces dispositions n’a pu se faire efficacement à cause du manque de coordination entre les administrations (finances, impôts, affaires civiles) et de la lourdeur des procédures pour bénéficier des déductions fiscales sur les dons (Li, 2014). De même, les critères pour qualifier les exemptions fiscales des OSBL sont si compliqués que peu d’organisations peuvent en profiter.

Les contrats d’achat de service par le gouvernement

Les collectivités locales ont commencé à acheter des services aux OSBL au milieu des années 1990. Cependant, ce n’est qu’en 2013 que les services à la personne ont pu être éligibles aux dispositions relatives aux achats de service par le gouvernement.

Bien que le contrat d’achat de services semble un outil gouvernemental prometteur dans le champ des services à la personne, il reste assez marginal dans les programmes des marchés publics en Chine. Les financements proviennent principalement des fonds financiers fragmentés pour des buts sociaux, de la philanthropie spéculative, de fonds sociaux publics ou de loteries du bien-être [3], plutôt que du budget des finances publiques. La plupart des achats de services ne sont pas effectués par voie concurrentielle parce que, dans de nombreux secteurs, il n’y a pas encore suffisamment de concurrents (Huang, 2013). Dans certaines villes, les branches locales des organisations de masse comme la Ligue de la jeunesse et la Fédération des personnes handicapées sont choisies par les gouvernements locaux pour acheter des services à la personne dans le secteur dont elles ont la charge.

Les subventions

Actuellement, les subventions sont assez répandues dans des domaines comme les services aux personnes âgées, l’éducation et la formation professionnelle. Par exemple, de nombreuses villes reçoivent des aides gouvernementales pour des lits dans des maisons de retraites privées non lucratives, ou pour la construction d’établissements pour personnes âgées. En 2010, Deng estimait que les subventions gouvernementales comptaient pour environ 10 % du revenu total des OSBL. Les sources de revenus des associations sont essentiellement les cotisations des membres, ajoutées aux subventions gouvernementales et aux dons, tandis que les financements des unités privées non entrepreneuriales proviennent surtout des facturations de services ajoutées aux subventions gouvernementales qui ne représentent que 3 % (Huang, 2013). Les subventions gouvernementales comptaient pour 10 % du revenu total des fondations en 2012 (China Foundation Center, 2014).

Les subventions octroyées par le gouvernement chinois aux organismes sans but lucratif présentent deux caractéristiques : premièrement, les associations en reçoivent davantage que les organisations de service, à l’inverse de ce qui se produit dans les pays développés ; deuxièmement, plus le gouvernement est impliqué dans un OSBL, plus celui-ci reçoit de subventions. La raison pour laquelle les associations obtiennent plus de subventions tient à leur proximité avec le gouvernement, de même que pour les fondations. Ainsi, 70 ou 80 % des aides gouvernementales aux fondations vont aux fondations publiques alors que les fondations privées ne reçoivent qu’une part marginale (China Foundation Center, 2014).

Dans certaines régions, les coupons distribués par les collectivités locales sont devenus une alternative aux subventions. Les bénéficiaires habilités les utilisent auprès des fournisseurs de services désignés par les pouvoirs publics, qui remboursent ces prestataires. Des coupons ont été ainsi affectés aux frais de scolarité obligatoires dans certains cantons (He, 2012) ou distribués aux résidents âgés d’un quartier de Pékin.

Les autres outils de gouvernement

Les autres outils utilisés par le gouvernement chinois sont l’occupation préférentielle des terres, les bonifications d’intérêt, la philanthropie du risque et les incubateurs sans but lucratif.

L’utilisation des terres est fondée sur le système de propriété publique du terrain. En Chine, le terrain urbain appartient à l’Etat tandis que le terrain rural appartient à la collectivité villageoise. Par conséquent, les pouvoirs publics urbains peuvent octroyer aux OSBL des terrains à titre gratuit ou à bas coût pour construire des installations. Des collèges privés, des écoles, des hôpitaux et des établissements pour personnes âgées bénéficient de terrains cédés par les autorités locales. Toutefois, l’utilisation prioritaire du terrain peut être problématique, dans la mesure où la propriété n’est pas clairement définie.

Les bonifications d’intérêt sont utilisées de façon uniquement occasionnelle.

La philanthropie du risque est un nouvel outil qui a récemment gagné en visibilité. Elle emprunte les concepts et les techniques du capital-risque et de la gestion des entreprises, qu’elle applique à des fins philanthropiques. Utilisée communément par les fondations et les entreprises, depuis 2010 elle a été reprise par les collectivités locales. Traditionnellement, les autorités locales sponsorisent les concours philanthropiques. Les prix modestes octroyés aux vainqueurs (7 000 euros environ) leur permettent de lancer des programmes innovants (Huang, 2013).

L’incubateur d’OSBL rencontre un grand succès auprès des collectivités locales en Chine. Grâce à cet outil, les autorités locales accordent aux organismes débutants un ensemble d’avantages comprenant généralement une petite subvention de démarrage, des locaux gratuits et des exonérations fiscales.

D’une façon générale, le soutien financier du gouvernement chinois aux organismes sans but lucratif reste limité. Plus de la moitié d’entre eux ne bénéficient pas de l’avantage fiscal, qui reste pourtant l’un des outils gouvernementaux les plus populaires. Les subventions apparaissent comme un vieil outil, alors que les coupons sont encore nouveaux pour de nombreuses collectivités locales. Le contrat d’achat de services est devenu récemment l’outil le plus attractif pour le gouvernement. Cependant, les sources de financement pour l’achat de services n’ont pas encore été stabilisées dans le cadre des finances publiques, bien que les pouvoirs locaux en aient développé de multiples. La philanthropie du risque et l’incubateur sont des nouveautés dont il reste à évaluer les effets dans l’avenir.

Les enjeux d’une interdépendance asymétrique

Après avoir joué un rôle secondaire durant les dernières décennies en Chine, les organismes sans but lucratif modifient le système de fourniture des services à la personne qui a toujours été monopolisé par les institutions publiques affiliées au gouvernement et les organisations de masse. L’expression « interdépendance dépendante », par laquelle nous qualifions les relations entre le gouvernement et le secteur non lucratif, signifie que le gouvernement chinois dépend des OSBL pour répondre à la demande de services à la personne, tandis que ceux-ci dépendent du gouvernement pour obtenir un statut légal, élargir l’accès au marché, gagner la confiance du public. C’est une interdépendance asymétrique parce qu’il revient principalement au gouvernement chinois, qui cherche à se réorienter vers les services, de déterminer la portée et la profondeur de la relation. Il s’agit d’un processus de coproduction, de rencontre entre la culture philanthropique chinoise traditionnelle et le concept d’organisme sans but lucratif importé de l’étranger, qui est à l’origine de l’entrepreneuriat social en Chine.

La relation entre le gouvernement et le secteur non lucratif présente trois caractéristiques fondamentales. Premièrement, les OSBL de services à la personne doivent collaborer avec un système gouvernemental incluant le gouvernement proprement dit, les organisations de masse et leurs institutions publiques affiliées. Deuxièmement, si ces organismes dépendent du gouvernement pour l’amélioration de leur environnement institutionnel, la contribution financière du gouvernement à leur revenu total est très limitée. Troisièmement, le mode d’allocation des financements est inégal. Ce système de relations compliqué fonctionne comme un système de parrainage dans lequel le gouvernement, les organisations de masse et les organisations publiques jouent leur rôle en tant que patrons des organismes sans but lucratif. Ceux qui sont étroitement liés aux patrons les plus puissants et les plus ingénieux en retirent plus de ressources et d’avantages. Toutefois, cette relation est en train de changer. Le gouvernement chinois tente actuellement d’attribuer les aides financières de façon plus impartiale en remplaçant les outils administratifs traditionnels par des outils plus axés sur le marché.

Le secteur non lucratif deviendra-t-il prochainement un partenaire à part entière du gouvernement dans la fourniture des services à la personne ? La réponse dépend de la capacité de la Chine à réformer son système de distribution des services à la personne et à améliorer son système institutionnel sans but lucratif.

Le gouvernement chinois a entrepris la difficile réforme de ce système en confiant aux organisations de masse des fonctions de services à la personne, parallèlement à leurs fonctions idéologiques, et en reconvertissant certaines des institutions publiques en OSBL, dans le cadre de la construction d’une économie de marché. Dans le même temps, l’amélioration du système non lucratif est une autre tâche ardue, si l’on considère que la majorité de ces organismes sont fragiles. En outre, le public est bien plus confiant à l’égard du gouvernement qu’à l’égard des organismes sans but lucratif, concernant les ressources, la capacité, la responsabilité et la réputation. Le paternalisme prévaut dans nombre d’OSBL car la structure autonome du conseil d’administration ne fonctionne pas bien.

Le nombre d’OSBL fournissant des services à la personne ira en augmentant lorsqu’il y aura davantage de créations ou de transformations à partir des institutions publiques actuelles. Cependant, dans un avenir prévisible, cette relation d’interdépendance dépendante se poursuivra si le gouvernement chinois persiste à maintenir un certain degré de contrôle sur les organisations sans but lucratif.