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Y a-t-il augmentation ou stabilité de la violence à l’école? Le débat est toujours ouvert, les avis sont partagés. D’après certains, la violence chez les enfants, nettement plus fréquente qu’auparavant, continuerait de croître (Danyluk, 1995). D’autres vont défendre le point de vue inverse. Un manque de données objectives empêcherait de circonscrire dans le temps l’ampleur du phénomène de la violence scolaire (Funk, 2001; Hébert, 2001); le nombre de méfaits demeurerait proportionnellement restreint par rapport à l’ensemble des élèves (Debarbieux, 2001). L’intérêt accordé par les médias à la violence scolaire, particulièrement en raison des homicides à multiples victimes, avive les inquiétudes et donne une fausse impression sur le phénomène (Astor, 1995; Charlot et Émin, 2001; Debarbieux, 2001; Funk, 2001; Hébert, 2001; Lemay, 1995; Tremblay et al., 1996; Trépanier, 1999; Verlinden et al., 2000).

Une chose est sûre : une majorité de la population perçoit maintenant cette violence comme un enjeu crucial (Lorrain, 1999; Carrington, 1999; Verlinden et al., 2000). L’intérêt que l’on porte au contrôle de la violence dans les écoles semble augmenter d’année en année (Bullis et al., 2001). On cherche à saisir la problématique des victimes (Debarbieux, 2001; Fortin, 2002; Centre national de prévention du crime, 2002). On tente aussi de réduire les manifestations de violence dans les jeux, dans les films et à la télévision (Freedman, 2002). Plus particulièrement, on s’intéresse davantage à la prévention et à l’intervention précoces (Loeber et Farrington, 2000).

Depuis un certain temps, une attention particulière est portée aux enfants de 3 à 6 ans (Astor, 1995; Herrenkohl et al., 2001; Saravanamuttoo, 2001; Tremblay, 2000). D’une part, c’est entre l’âge de 2 et 3 ans que les enfants sont les plus violents physiquement (Tremblay, 2000). D’autre part, les conduites violentes, lorsqu’elles se maintiennent au préscolaire et surtout lorsqu’elles y sont fréquentes et stables, deviennent un important facteur prédictif de violence ou même de délinquance à l’adolescence ou à l’âge adulte (Farrington, 2000; Kosterman et al., 2001; Leblanc, 1999; Stormont, 2000; Tremblay, 1995 et 2000). En ciblant ce groupe d’âge et les années préscolaires, on espère diminuer la délinquance et la criminalité (Eisenberg et al., 1999; Tremblay, 2000).

Le gouvernement de l’Ontario s’intéresse également aux jeunes enfants (McCain et Mustard, 1999; Saravanamuttoo, 2001) et à la problématique de la violence scolaire. Intervenir face à la violence dans les écoles ontariennes signifie depuis 1994 appliquer la politique de Tolérance Zéro, adoptée cette même année par le ministère de l’Éducation et de la Formation (MÉFO, 1994). Cette politique oblige chaque école à se doter d’un code de conduite prévoyant les diverses conséquences des conduites violentes des élèves. L’une de ces conséquences était déjà l’imposition de la suspension externe dès la première infraction jugée grave. Le ministère de l’Éducation a durci cette politique en 2000 en adoptant la nouvelle Loi sur la Sécurité dans les écoles (MÉO, 2001). Fondée sur le principe que tous les membres du système scolaire ont droit à la sécurité et à la protection contre toutes les formes de violence, cette nouvelle loi autorise l’application de mesures coercitives et dissuasives sitôt l’apparition, chez le jeune enfant, des premières conduites jugées inappropriées par le milieu scolaire; la suspension scolaire externe peut dorénavant être appliquée dès la maternelle, soit dès l’âge de 3 ans. En même temps, le Ministère adoptait le Code de conduite provincial qui uniformise les conséquences des conduites violentes perpétrées par les élèves.

C’est dans tout ce contexte que s’inscrit cette étude exploratoire. Celle-ci veut circonscrire la situation d’enfants de 3 à 6 ans ayant des conduites violentes envers leurs pairs à l’école, ainsi que mieux comprendre leurs familles. Cette recherche se fonde sur les perceptions de parents concernés par cette problématique. Qu’est-ce qui selon eux caractérise leurs enfants? Quelles sont à leurs yeux leurs pratiques éducatives? Quelles sont leurs conditions de vie? Quelles pistes d’intervention peut-on dégager de leur vision du problème, en vue de bonifier le soutien accordé à ces enfants, à leurs parents et à leurs familles?

Mais tout d’abord, qu’entend-on par le terme conduite violente? Bouchard et al. (1996) proposent, à partir du Conflits Tactics Scale de Strauss et Gelles, la définition suivante de la conduite violente : « toute action qui, dans une situation de conflit, compromet ou risque de compromettre l’intégrité ou le bien-être psychologique et/ou physique de la personne » (p. 10). La notion d’intention s’avère ici repoussée pour mettre l’accent sur les résultats des conduites présentées. Au cours de la présente recherche, cette définition a été privilégiée parce qu’elle rejoint davantage l’idée que le jeune enfant n’est pas toujours conscient des conséquences de ses gestes, qu’ils soient prémédités ou non. La violence peut être une atteinte physique (Bouchard et al., 1996; Hoff, 1994), telle que mordre, frapper, bousculer, donner des coups de pied, donner des coups de poing (Centre national d’information sur la violence dans la famille, 1997), ou être de nature plutôt verbale (Bouchard et al., 1996; Ohsako, 1997), comme insulter ou menacer (Anatrella, 1995).

Les conduites violentes les plus problématiques se présentent de façon constante et stable dans divers milieux et à travers le temps (Loeber et Farrington, 2000; Tremblay, 2000). En outre, déterminer si une conduite est violente réfère à des considérations culturelles et à certaines divergences selon les milieux (Bouchard et al., 1996).

Pour mieux saisir cette problématique, il importe de cerner certaines caractéristiques individuelles de l’enfant qui peuvent devenir des facteurs de risque de gestes violents ainsi que le type de relations qu’il entretient avec ses pairs. Une attention spéciale sera aussi portée au milieu familial dont il est issu. La recension se base en particulier sur les principaux bilans en la matière écrits récemment. Ces synthèses font surtout état des recherches américaines, britanniques, canadiennes et québécoises dans le domaine des conduites violentes et des difficultés comportementales chez les enfants (Bennett et Offord, 2001; Bullis et al., 2001; Burke et al., 2002; Farmer et al., 1999; Loeber et Farrington, 2000; Tremblay, 2000).

Les caractéristiques individuelles

Un facteur qui influe sur les conduites à caractère violent est le sexe de l’enfant. Les garçons seraient plus à risque de violence physique (Cloutier et Renaud, 1990; Day et al., 1995; Tremblay et al., 1996), mais lorsqu’il s’agit de violence verbale, les filles démontreraient autant, sinon plus, de conduites violentes que les garçons (Loeber et Farrington, 2000; Tremblay, 2000).

Le tempérament de l’enfant joue également un rôle (Baudier et Céleste, 2000; Turcotte et al., 2001). Colère, frustration (Fabes et al., 1999), impulsivité, humeur changeante et degré d’activité élevé (Burke et al., 2002; Farrington, 2000; Turcotte et al., 2001) encouragent les conduites violentes. Enfin, l’enfant identifié comme ayant un déficit d’attention ou des difficultés d’apprentissage (Crowell, 1987; Farrington, 2000) est plus porté qu’un autre à faire montre de gestes violents. De surcroît, « les garçons du préscolaire qui présentent des hauts niveaux d’opposition et d’hyperactivité sont ceux qui ont les plus hauts risques de conduites violentes physiques persistantes » à l’adolescence (Nagin et Tremblay, 1999 : 389), voire à l’âge adulte (Kratzer et Hodgins, 1997).

L’école et les pairs

L’entrée préscolaire, habituellement vers les 3 ans, force les enfants à se conformer à un nouveau milieu et à créer des relations très différentes de celles de la famille (Angelino et Meyer, 2001; Dumont et al., 1990; Provost, 1990; Tessier et al., 1996) et même de la garderie. Ces nouvelles relations peuvent susciter le rejet de l’enfant par les pairs (Cowie, 2000; Evans et Scheuer, 1987) ou révéler un manque de sociabilité (Pearl, 1987; Tarabulsy et Tessier, 1996).

Les enfants qui montrent des conduites violentes sont souvent rejetés par leurs pairs (Evans et Sheuer, 1987; Farmer et al., 1999). Ces enfants deviendront souvent eux-mêmes victimes de violence de la part des autres enfants (Evans et Scheuer, 1987). Ce rejet risque de pousser l’enfant à se comporter encore plus de manière agressive (Boivin, 1996) et à faire preuve d’inaptitudes sociales (Dumont et al., 1990). Il devient donc difficile de savoir si les comportements agressifs provoquent le rejet ou si, inversement, le rejet occasionne des conduites violentes (Ladd, 1999). Les programmes de compétences sociales auprès des enfants (Bowen et al., 2000; Couture-Côté, 2001; Duhamel-Maples, 1996) et l’intérêt accordé aux victimes reposent sur cet enjeu systémique, sur ce cercle vicieux.

Les parents et la famille

Certains auteurs croient que l’enfant qui a des comportements violents est fort probablement issu d’une famille qui les favorise et que ses parents ont des lacunes relatives aux compétences éducatives parentales (Akande, 2001; Cowie, 2000; Loeber et al., 1998; Tremblay, 2000). Des chercheurs ont relevé, dans les différents styles de discipline parentale (autoritaire, indulgent-permissif, indifférent-désengagé), l’attitude, l’aspect ou la pratique qui peut encourager les conduites violentes chez les enfants (Dumont et al., 1990).

L’élément qui ressort le plus dans les écrits est qu’une discipline trop stricte, punitive ou coercitive (style autoritaire) entraîne chez les enfants une grande possibilité de problèmes de comportements violents (Day et al., 1995; Ladd, 1999; Rubin et al., 1996; Schreiber et Schreiber, 2002; Burke et al., 2002). En réaction à un tel contrôle, l’enfant peut utiliser des gestes violents pour se rebeller contre le parent ou pour se venger (Dumont et al., 1990; Loeber et al., 1998). Certains vont même affirmer que les enfants montrent de la violence parce qu’ils proviennent de familles où celle-ci existe et où ils l’apprennent (Loeber et Farrington, 2000; Loeber et al., 1998; Schreiber et Schreiber, 2002; Tremblay, 2000).

Avec un parent indulgent-permissif qui laisse faire presque n’importe quoi (Cavell, 2000; Vézina et al., 1995), l’enfant pose des gestes violents puisqu’il sait que ceux-ci n’engendrent pas de conséquences (Cowie, 2000; Dumont et al., 1990; Farrington, 2000). Le manque de supervision est un facteur reconnu comme encourageant les comportements violents des enfants (Cowie, 2000; Farrington, 2000; Loeber et al., 1998).

Finalement, le parent indifférent-désengagé utilise de façon inconstante l’une ou l’autre des méthodes de discipline mentionnées ci-dessus. L’enfant peut ne subir aucune conséquence de ses méfaits ou il peut être sévèrement puni pour des actes similaires (Cavell, 2000; Vézina et al., 1995). De plus, « la constance dans le style d’éducation appliqué est considérée comme tout aussi importante, voire plus importante, que l’approche choisie » (McCain et Mustard, 1999 : 104). Il est de plus très ardu pour des parents de régler le problème de violence de leur enfant; ils finissent par se sentir impuissants et désespérés face à la situation (Cavell, 2000). La famille subit alors divers changements et ajustements (Cowie, 2000; Turcotte et al., 2001).

D’autres facteurs associés à la famille jouent également un rôle important par rapport à la violence chez l’enfant. Les enfants ayant des conduites violentes proviennent de plusieurs types de familles (monoparentales, biparentales intactes ou recomposées) (Turcotte et al., 2001). Cependant, Nagin et Tremblay (2001) avancent que la plupart des mères des garçons du préscolaire qui présentent des conduites violentes persistantes ont une faible scolarité et elles ont souvent donné naissance à cet enfant alors qu’elles étaient encore adolescentes.

Les enfants posant des gestes violents viennent très souvent de familles ayant un statut socio-économique peu élevé (Farrington, 2000; Pearl, 1987); cette classe sociale est identifiée comme une source importante d’enfants démontrant des conduites violentes (Cavell, 2000; Centre national d’information sur la violence dans la famille, 1997; Farrington, 2000; Loeber et Farrington, 2000). Par ailleurs, l’Enquête longitudinale canadienne sur les enfants et les jeunes met en lumière que par rapport aux enfants éprouvant des difficultés comportementales, « le facteur le plus déterminant n’était pas celui du revenu familial mais plutôt celui du style d’éducation parentale » (McCain et Mustard, 1999 : 103). Les pratiques parentales appropriées apparaissent ici comme un facteur de protection contre la vulnérabilité des enfants provenant de milieux socio-économiquement défavorisés (Landy et Tam, 1996). McCain et Mustard (1999) en élargissent la portée et mettent en valeur ce facteur de protection pour tout milieu d’origine.

La majorité des parents d’enfants ayant des conduites violentes vivent de l’isolement social étant donné leur situation (Martichoux, 2000), le faible soutien social étant aussi un facteur de risque important quant aux difficultés encourues par les enfants (Landy et Tam, 1996). En outre, les programmes de soutien aux parents et à leurs compétences éducatives (Duhamel-Maples, 1996) se basent principalement sur ces recherches concernant les pratiques éducatives des parents et leurs effets sur les enfants.

Il est possible que le récent intérêt face aux conduites violentes à l’école soit dû à la surreprésentation de cette problématique dans les médias. Il n’en demeure pas moins important d’intervenir; l’intervention précoce semble être une voie importante pour contrer le problème. Afin de mieux agir, il importe de prendre conscience de diverses réalités. Le regard posé sur leur situation par des parents concernés par cette problématique se révèle un aspect peu exploré. D’où les questions de recherche suivantes : selon les perceptions de parents d’enfants de 3 à 6 ans montrant des conduites violentes à l’école, qu’est-ce qui caractérise leur enfant?; quelles sont leurs pratiques éducatives et leurs conditions de vie? De ces constats, nous dégagerons des pistes pour mieux soutenir ces enfants, leurs parents et leurs familles.

Méthodologie

Afin de répondre à ces questions, des entrevues qualitatives ont été menées auprès de 23 parents d’enfants de 3 à 6 ans démontrant des conduites violentes à l’école. Pour que les parents soient concernés par cette recherche, leurs enfants devaient poser des gestes violents à l’école à l’égard de leurs pairs et être l’objet d’une suspension scolaire ou d’une possibilité de suspension. Dans un tel contexte, c’est le milieu scolaire qui juge de la teneur des conduites et détermine si elles sont inappropriées par rapport à la Loi sur la Sécurité dans les écoles (MÉO, 2001). Le recrutement s’est fait auprès des deux conseils scolaires de langue française d’Ottawa et des organismes francophones d’aide aux enfants et à leurs parents, dont principalement le Centre psychosocial pour enfants et familles d’Ottawa et le Centre de ressources de la Basse-Ville.

L’échantillon en est un de volontaires (Mayer et al., 2000). Les 23 parents sont un sous-échantillon de 60 parents qui font partie du projet de recherche Pour contrer la violence chez les jeunes enfants : Une collaboration entre les écoles et les parents concernés, occasions d’empowerment pour les parents; ils ont été sélectionnés en fonction du jeune âge de leur enfant (3 à 6 ans) alors que l’échantillon global rejoint des parents d’enfants de 3 à 9 ans.

Les entrevues téléphoniques qualitatives auprès des parents de ces enfants ont été menées entre juin 2000 et juin 2002. Elles étaient structurées (10 parents) ou semi-structurées (13 parents), d’une durée de trente minutes à deux heures en fonction de la disponibilité des parents. Les verbatims transcrits ont été dépouillés et triés à l’aide du programme N-Vivo 1.3, codifiés à partir d’une analyse de contenu (Mayer et al., 2000), où les résultats ont été analysés de manière inductive et déductive (L’Écuyer, 1985).

La grille d’entrevue initiale voulait cerner les perceptions des parents interrogés en ce qui a trait aux thèmes suivants : les conduites violentes de leur enfant, leur situation familiale, leurs pratiques éducatives pour contrer les conduites violentes de leur enfant, la suspension scolaire et les autres moyens d’intervention utilisés par le milieu scolaire, la collaboration entre l’école et eux concernant la problématique des conduites violentes, ainsi que leurs occasions d’empowerment dans ce contexte. Seuls les renseignements sur l’enfant, les parents et la famille ont été ici considérés à partir de cette grille d’entrevue. Pour mieux circonscrire les pratiques éducatives parentales, les propos des parents ont été analysés à l’aide du document Diagnostic et traitement de l’enfant en danger — ICBE (Vézina et al., 1995).

Le nombre limité de sujets et le recrutement non aléatoire ne permettent pas la généralisation des résultats, qui cernent des perceptions de parents sur le sujet. Une des limites de la présente étude est que les familles à faible revenu de notre échantillon ne sont pas assez représentées par rapport au facteur de risque qu’est la pauvreté en regard des comportements violents. Notre échantillon ne reflète pas non plus suffisamment la nouvelle réalité de la diversité des communautés francophones de l’Ontario. Par contre, il est intéressant de constater une diversité des milieux socio-économiques, notamment une importante représentation des familles ayant un revenu de plus de 75 000 $, soit 25 % de ce sous-échantillon. La saturation du contenu d’entrevues a été atteinte, compte tenu de ces limites quant à la diversification des familles.

Échantillon

Les enfants de cette étude vivent dans la région d’Ottawa. Ils ont 3-4 ans (30 %) ou 5-6 ans (70 %). Trois enfants sur 5 sont au préscolaire; certains sont encore à la garderie (13 %) et le quart (6) a intégré la première année. Il y a très peu de petites filles (3) et près de 90 % de garçons. Plus de la moitié sont bilingues (français, anglais), environ le tiers ne parlent que le français, un seul que l’anglais et 2 le français et une autre langue que l’anglais. Dix sont enfants uniques (44 %), plusieurs cadets (35 %), d’autres aînés (17 %). Sept des enfants, soit presque 1 enfant sur 3 de cet échantillon, ont reçu un diagnostic de déficit d’attention avec hyperactivité.

Tous les enfants ou leur famille, sauf un, consultent un professionnel : 2 un pédopsychiatre, 22 % un psychologue privé, 35 % un psychologue scolaire, 56 % un travailleur social, 52 % le Centre psychosocial pour enfants et familles d’Ottawa. Sept des enfants font partie d’une classe dans une école spéciale : Le Transit. Certains utilisent deux ressources ou plus.

Nous pouvons dégager que la moitié des familles sont formées de gens mariés ou en union de fait (11; 49 %), le reste majoritairement de familles monoparentales (10; 44 %). Il n’y a que deux familles recomposées. Dix-huit des 23 mères sont canadiennes-françaises, 2 canadiennes-anglaises, 3 d’une autre origine. Onze pères sont canadiens-français, 4 canadiens-anglais et 8 d’une autre origine. La très grande majorité ont entre 25 et 44 ans.

Le revenu annuel est très varié. Le quart des familles se retrouvent sous le seuil de pauvreté (CNBS, 2002), le reste étant de classe moyenne ou de classe-moyenne supérieure. Tel qu’il a déjà été signalé, 25 % de l’échantillon rejoint des familles ayant un revenu de plus de 75 000 $. Chacune des familles biparentales intactes ou recomposées, à l’exception d’une seule, a les deux parents au travail. Pour cette exception, le père travaille mais la mère termine ses études et est sur le point d’accéder au marché du travail. Des 10 familles monoparentales, 8 parents gardiens travaillent, une mère est aux études et une autre reçoit des prestations sociales.

Portrait d’enfants présentant des conduites violentes

La violence physique ressort clairement des données d’entrevues. Quatre-vingt-sept pour cent des 23 enfants (20/23) frappent, 87 % (20) donnent des coups de pied, 65 % (15) donnent des coups de poing, 61 % (14) mordent, 57 % (13) poussent, 57 % (13) se battent, 52 % (12) malmènent ou intimident leurs pairs. Les parents décrivent ainsi certaines conduites violentes remarquées chez leur enfant : « Il avait donné un coup de pied à son frère qui était en train de jouer, et à l’estomac en plus (108) »; « Il n’aime pas ce que les autres disent, il va le frapper (92) »; « Au début de l’année, c’était à coups de poing. Maintenant ça semble être mieux, il va juste les pousser (91) ». Le plus souvent, les enfants vont surtout frapper les pairs (Cowie, 2000) ou les frères et soeurs. Ces enfants vont rarement diriger leur violence contre un adulte. Seulement 3 des enfants concernés ont en fait frappé leur enseignante, et un seul lui a fait des menaces. Quoique le nombre d’enfants qui frappent leurs parents est un peu plus élevé (5), il demeure toutefois assez minime. Quant à la violence verbale, les enfants vont le plus souvent insulter (12; 52 %) et menacer (10; 44 %). Les trois quarts (17; 74 %) des enfants vont détruire leurs jouets et ceux des autres, ou d’autres objets qui leur tombent sous la main. Ils vont lancer des objets ou leur donner des coups (15; 65 %). Cette forme de violence envers les objets décrite par les parents vient ici compléter la définition de violence introduite précédemment, cela afin de mieux cerner la perception des parents à l’égard de cette problématique.

À l’instar des avancées de Nagin et Tremblay (1999), les 23 enfants concernés par cette recherche présentent également des conduites oppositionnelles et un haut niveau d’activité. À cet effet, presque tous les parents, sauf 3, disent que leur enfant n’écoute pas. D’autres comportements oppositionnels sont fréquents, comme les 14 enfants qui grognent ou environ la moitié qui font des crises. Ces enfants dégagent un haut niveau d’activité (19/23); 7 d’entre eux ont été diagnostiqués comme ayant le déficit d’attention avec hyperactivité : « Il est superactif, il ne peut pas rester calme, comme s’il ne peut pas rester assis (102) ». Il y a aussi les changements d’humeur (17/23), l’impulsivité (18/23), la frustration (14/23), l’impatience (5/23). Or, ces dernières caractéristiques sont aussi typiques des enfants ayant un déficit d’attention avec hyperactivité (Offord et Lipman, 1996; Palermo, 1994). Cet état de fait complique la compréhension de la situation-problème d’un enfant en particulier. En effet, il est difficile de départager ce qui est inhérent à la problématique des conduites violentes et ce qui demande un diagnostic de déficit d’attention avec hyperactivité, laissant place à des interprétations hâtives.

Les données d’entrevues se différencient des écrits en raison de l’accent mis par les parents sur les problèmes internalisés vécus par leurs enfants. Il s’agit ici de comportements anxieux et dépressifs (Lafrenière et Dumas, 1996). L’anxiété/insécurité ressort le plus; 19 des 23 enfants en font montre. « Avoir quelqu’un dans son espace qui le regarde, (…) on l’entend respirer vite (…). Si ça a été trop, la nuit après, il peut faire des cauchemars (108) ». Le sentiment dépressif apparaît également chez 3 enfants sur 5 : « Il est dans un stage où il est triste; il me demande tout le temps : Je vais mourir. Je ne veux pas mourir (92) »; « Il se sent triste, c’est parce que il ne se sent pas à la hauteur de ce qu’on lui demande (99) ». Certains enfants vont jusqu’à se défouler sur eux-mêmes : « Il se disait méchant et se blâmait pour tout (109) »; « Elle se frappe elle-même, elle va se frapper sur la tête et sur le ventre (107) ».

Les parents décrivent les relations avec les pairs comme souvent problématiques : « Il ne voit plus personne. Il n’a pas d’amis (80) »; « Il a des bonbons dans les mains, puis il va arriver devant un petit ami, puis il va dire “ Écoute, j’ai des bonbons, si tu es mon ami, je vais t’en donner  (99) ». En plus, 11 des 23 parents confirment avoir appris que les copains ou copines de classe se moquent de leur enfant, le bousculent ou le frappent. Par ailleurs, près de la moitié des enfants de l’échantillon jouent beaucoup plus souvent seuls qu’en groupe. Encore plus frappant, tous les enfants décrits comme jouant souvent seuls sont aussi présentés comme aimant beaucoup jouer en groupe ou même préférant cela. Les enfants de l’échantillon éprouvent globalement de la difficulté à fonctionner avec les autres, des parents évoquant leur manque d’habiletés sociales; le quart des enfants refusent de fonctionner selon les règles imposées par la vie collective. Dans la foulée des écrits consultés, les enfants deviennent la cible de rejet en raison de leur propre conduite violente, ou au contraire, ils deviennent plus violents parce qu’ils sont eux-mêmes victimes. Ce lien entre violence et victimisation s’avère présent, créant un cercle vicieux.

Pratiques éducatives des parents

Les écrits consultés ciblent les difficultés de discipline des parents comme une des raisons importantes des conduites violentes chez les enfants. Pourtant, les parents interrogés offrent un éventail de pratiques parentales appropriées, recommandées par les professionnels et enseignées dans les groupes de parentage (Akande, 2001; Armstrong et al., 1992). Parmi les pratiques positives, 75 % des parents de l’échantillon utilisent le retrait; 70 % le renforcement positif (compliments, sorties, cadeaux); 57 % la perte de privilèges; 57 % la technique 1-2-3 magie. La moitié préfèrent discuter avec l’enfant et lui expliquer ce qui est acceptable comme conduite. Quinze des 23 répondants soulignent utiliser toujours la même technique, et 9 disent maintenir une routine que l’enfant doit suivre.

Les parents vont décrire des pratiques ayant un effet négatif sur les conduites violentes de leur enfant. Douze parents reconnaissent éprouver parfois de la difficulté à encadrer un enfant avec un haut niveau d’activité et la moitié de ces derniers disent ne pas être assez stricts : il y a un « manque de structure (108) », ou l’enfant est « trop gâté (99) ». Huit parents admettent des pratiques coercitives, quatre disent qu’ils frappent parfois leur enfant « Taper, mais j’aime pas ça. Je ne veux plus le faire (09) ». Une autre pratique coercitive consiste à crier. Quoique la moitié des parents (11) avouent le faire, ils reconnaissent que cette action est négative pour l’enfant et disent essayer de la diminuer : « Quand on élève la voix, c’est pire. Plus on s’énerve, plus il s’énerve (51) »; « Crier le fige, sauf qu’il ne comprend pas pourquoi (44) ».

De plus, un parent sur deux affirme qu’il n’intervient pas toujours lorsqu’il est fatigué : « J’essaie d’être patiente, mais il y a des jours où j’ai vraiment pas de patience. Je frappe vraiment pas mes enfants, mais des fois, ma voix est un peu forte, puis j’ai tendance à crier trop (110) ». Quoique l’inconstance ou la fatigue des parents soit nuisible à l’enfant, elle peut être expliquée par certaines situations inhérentes aux difficultés comportementales de l’enfant, au contrôle de ses conduites et à son éducation : « Pendant une couple de mois, à chaque soir pendant une heure et demie de temps. Il descendait, je le remontais. J’étais écoeurée nette (111) », ou par des situations typiques de plusieurs familles (McCain et Mustard, 1999) explorées dans les pages suivantes.

L’inégalité entre les pratiques positives et négatives décrites par les parents peut être associée au phénomène de la désirabilité sociale ainsi qu’au sentiment de culpabilité qu’ils éprouvent souvent en regard des conduites violentes de leur enfant. En outre, plus de 3 parents sur 5 sont satisfaits de leurs pratiques parentales. Comme l’avancent Trudelle et Montambault (1994), les parents disent ressentir généralement un important sentiment de compétence à l’égard de leurs capacités éducatives comme parent. Finalement, tous les enfants ou leurs familles, sauf un, consultent une professionnelle de la relation d’aide.

Conditions de vie des familles

Les conduites violentes de l’enfant affectent la situation familiale (Cowie, 2000; Turcotte et al., 2001). Les parents de l’échantillon croient également que l’inverse est vrai : « J’ai comme l’impression qu’ils vivent les mêmes rythmes que nous autres. Cet enfant-là a ses PMS en même temps que moi (99) ». Trois parents sur 5 mentionnent que les événements stressants de la famille amplifient les conduites violentes de leur enfant. Les différentes situations soulignées par les parents ont permis de dégager quatre contextes difficiles, qui selon eux ont un impact sur leur enfant et ses comportements. Présentés selon un ordre décroissant d’importance, le manque de temps et les conflits conjugaux sont les plus notés.

Le manque de temps

Plus de la moitié des parents interrogés (13 des 23) soutiennent qu’ils aimeraient passer plus de temps avec leur enfant. « Il faut que je m’organise pour avoir plus de temps, et alors, ça va bien (111) ». Huit de ceux-ci ont indiqué des difficultés de conciliation travail-famille, des horaires surchargés, ainsi que le manque de temps et le stress qui y sont associés comme des raisons importantes des conduites violentes. Ils reconnaissent que le manque de temps constitue un obstacle important à leur capacité d’accorder à leur enfant toute l’attention qu’il requiert : « À la maison, nous sommes deux parents qui travaillent, qui travaillent très très fort pour les enfants, et puis, qui leur donnent tout ce qu’ils peuvent. Naturellement, c’est sûr que par bout, c’est épuisant. Autant pour les parents que pour les enfants. Travailler au-dessus de 40 heures par semaine, autant chacun de notre côté. De partir de la maison à 7 h 15 et de revenir à 6 h 15. Là, c’est le souper, les devoirs de l’aîné, les bains puis le dodo (99) ».

Toutes les familles biparentales, sauf une, et toutes les familles monoparentales, sauf deux, sont sur le marché du travail. Une étude récente de Santé Canada, Enquête nationale sur le conflit entre le travail et la vie personnelle (Higgins et Duxbury, 2002), complétée par celle menée par Développement des ressources humaines Canada, Témoignages canadiens : À la recherche de la conciliation travail-vie personnelle (Duxbury et al., 2003), confirme qu’il y a une augmentation globale du temps de travail des Canadiens et Canadiennes. La moyenne de ceux-ci travaillent 42,5 heures par semaine, et 25 % plus de 50 heures par semaine; cet état de fait amène une réduction de 33 % du temps disponible consacré aux enfants (Higgins et Duxbury, 2002). Puisque les parents doivent travailler de longues heures, il ne reste donc que très peu de temps pour toutes les tâches familiales (Duxbury et al, 2003; Higgins et Duxbury 2002; Institut Vanier de la famille, 2000; McCain et Mustard, 1999). Enfin, les parents de jeunes enfants expriment le sentiment de manquer de temps et globalement, les parents se disent stressés en raison des difficultés de conciliation travail-famille (Tremblay, 2003).

Nos répondantes étant presque toutes engagées sur le marché du travail, elles pourraient donc vivre des horaires analogues à ceux auxquels font référence ces études. Une mère décrit les sacrifices qu’elle doit faire pour son enfant : « Je travaille la nuit pour avoir plus de temps avec mon enfant. L’école qui sait que je travaille à la maison me demande d’aller le chercher à tous les midis. J’ai ruiné ma santé avec ça. Je dois continuer de travailler pour la situation financière (44) ». Ces conditions de travail peuvent entraîner de la fatigue et du stress, affecter les pratiques éducatives, nuire à la discipline et à sa constance, comme nous l’avons soulevé précédemment. Les conduites violentes peuvent donc être influencées sous plusieurs aspects. Il faut s’interroger sur l’impact de ces conditions de vie et sur la notion de temps de qualité avec l’enfant, à l’instar des questions que posent les horaires surchargés sur la santé des enfants (Kirkey, 2002).

Par contre, sous l’angle de la lutte contre la pauvreté, une mère dit l’importance que le retour au travail a eue : « Je suis retournée travailler, ce qui a énormément amélioré ma situation financière. J’avais un stress de moins dans ma vie. Ma qualité de vie s’est également améliorée parce que je peux mieux faire ce que je veux avec mon enfant. J’ai pu améliorer la nourriture et les vêtements (13) ». Une seconde explique son retour aux études : « Je suis retournée à l’école pour nous aider, pour avoir une meilleure job. Je ne lui donne pas autant d’attention qu’avant, parce que je suis à l’école. Je suis absente le soir. Sauf quand je suis là, je suis là (112) ».

Les conflits conjugaux

Les tensions conjugales sont souvent un facteur de stress important au sein des familles. Huit des 23 parents suggèrent que les conflits conjugaux constituent la cause principale des conduites violentes de l’enfant. Pour ceux-ci, les conflits réfèrent soit à des disputes, soit à une séparation ou à de la violence. En incluant ces 8 familles, 65 % des parents rapportent des épisodes de tension conjugale qui ont affecté le climat familial et leur enfant.

Les disputes régulières, le premier type de conflits conjugaux, sont indiquées par 3 de ces 8 parents. Une des mères explique ainsi que le stress découlant des querelles affecte chaque membre de la famille dont l’enfant : « Quand le niveau de stress est extrêmement élevé, il y a des problèmes partout. Le niveau de stress est gardé de façon normale, il n’y en a pas (109) ». Ces disputes ou malentendus ont mené, dans 2 cas, à une séparation. Ces parents exposent comment le contexte de rupture a bouleversé leur enfant et l’a amené à se conduire de manière violente : « Mon fils me dit “ Papa, j’ai un trou dans mon coeur. Maman a fait beaucoup de peine à toi! (…) C’est comme une flèche que j’ai dans mon coeur. (…) Quand cette flèche-là, je la sens, je deviens un enfant méchant, c’est pour ça que je fais mal aux autres ” (93) ». Bien que les parents voient la séparation comme la raison de la conduite violente, les situations y menant engendrent une qualité moindre du fonctionnement familial et fragilisent les enfants (Flanagan, 1999; Saint-Jacques et al., 2001), cela dans la foulée des témoignages concernant les disputes régulières. La séparation demeure toutefois une importante source de stress et de problèmes comportementaux pour l’enfant (Jutras, 1999; Saint-Jacques et al., 2001; Schick, 2002).

Un dernier type de conflit abordé par les parents concerne la violence conjugale. Trois des répondantes croient que la violence qu’elles ont elles-mêmes subie et à laquelle l’enfant a été exposé a beaucoup affecté ce dernier. Une première admet qu’elle a vécu des sévices physiques de la part de son ancien conjoint et que son fils en a été témoin : « J’ai été une femme battue et il a vu ça à l’âge de 4 ans. Il a vu “ you do what you want ”. Il est méchant. Si ça ne va pas à sa façon, il frappe. Il dit qu’il a peur de moi (80) ». La seconde mère raconte que son ancien conjoint était très agressif, qu’il a proféré des menaces de mort à son encontre et à celle de son nouveau conjoint, menaces que sa petite fille a dû entendre : « Quand je rencontrais mon mari, il disait toujours qu’il était pour tuer mon nouveau chum. Il disait ça devant mon enfant. Qu’il était pour le battre. Puis de faire attention parce que s’il nous voyait dans la rue, il était pour nous faire mal (107) ». De plus, cette mère et une autre mentionnent l’existence possible d’agressions sexuelles mais n’élaborent pas davantage. Il faut noter que seulement 3 parents sur un total de 23 signalent la présence de violence à la maison, autre que celle de l’enfant. Il importe néanmoins de noter qu’un lien bien documenté existe entre l’exposition à la violence conjugale et les difficultés comportementales présentées par des enfants (Bourassa et Turcotte, 1998).

L’absence du père

La séparation peut entraîner l’absence du père; ce dernier devient alors moins présent dans la vie de l’enfant (Cavell, 2000), parfois il se désengage (Quéniart, 2001). Dans les 12 familles monoparentales de l’échantillon, une seule est dirigée par le père. Dans les familles dirigées par une mère, 7 des 11 enfants sont en contact régulier avec le père biologique; 4 ne le voient donc jamais. Trois des mères monoparentales identifient l’absence du père comme étant la principale cause des conduites violentes. Aucune de ces mères ne souligne l’effet de cette absence sur leur propre vie, mais elles insistent sur l’influence de ce manque sur leur enfant : « Il ne voit pas son père et dans son environnement, ce ne sont que des femmes (28) »; « Il y a une absence de modèle masculin, car je vis seule. Il voit son père aux deux semaines. Des fois, il ne le prend pas (01) ». De plus, les mères chefs de familles monoparentales doivent souvent faire face à certaines difficultés socio-économiques telles l’isolement et la pauvreté (Cavell, 2000; Institut Vanier de la famille, 2000; Saint-Jacques et al., 2001), ce qui amplifie la situation-problème.

En outre, environ la moitié des mères de l’échantillon indiquent que leur enfant a très peu de relations avec le père. L’absence du père a été clairement notée par deux mères des familles intactes; elles disent que leur conjoint interagit peu avec leur enfant à cause de ses longues heures de travail, ce qui semble nuire. Par leurs commentaires, les mères interrogées remettent sur la table les enjeux de l’engagement des pères auprès des enfants (Flanagan, 1999).

L’isolement social

Le soutien social se définit comme une interaction entre deux personnes dont l’une éprouve un besoin et l’autre tente de le combler par des ressources ou diverses formes d’aide (Hamel, 2001). Lors de difficultés, le soutien des personnes de l’entourage et des réseaux informels peut avoir un effet tampon (Tarabulsy et Tessier, 1996). Cinq des répondantes admettent ne pas profiter de ce soutien et précisent que leur isolement a un effet négatif sur les conduites violentes de leur enfant.

Trois des 5 femmes réfèrent surtout à l’isolement par rapport à la famille. Celle-ci apparaît comme source possible de soutien émotionnel, d’aide concrète, de répit et d’information : « Je me sens seule. J’aimerais avoir l’appui de ma mère. Ma mère m’a beaucoup aidée avec mon fils aîné. Elle n’est plus ici maintenant (09) ». La famille peut aussi devenir un soutien à l’estime de soi et à l’intégration sociale : « Je sais qu’il s’ennuie beaucoup de ses grands-parents. Je ne viens pas d’ici. Je n’ai aucune famille dans la région. Il trouve cela très difficile (13) ». Puisque la famille est la première source de soutien (Fortin, 1999), il n’est pas surprenant que ses manquements fassent ressortir l’isolement.

Quoique le soutien puisse être important, il peut aussi avoir un effet pervers. Cavell (2000) note que les parents d’enfants ayant des conduites violentes vivent moins de contacts positifs avec leur entourage; ils sentent aisément que les gens les jugent et les critiquent. Les réseaux sociaux des parents deviennent alors une occasion de détresse au lieu d’une source de soutien réel. Les parents cessent donc de recourir à leur réseau par crainte de l’opinion que celui-ci pourrait avoir de la situation (Fortin, 1999). Une des mères explique ses craintes : « Lorsqu’on parle à d’autres, on se fait toujours critiquer et on se fait dire qu’on l’élève mal (44) ».

En somme, les conditions de vie des familles, dont l’impact se voit sous-estimé dans les écrits sur les conduites violentes des enfants, les affectent clairement. Ces parents perçoivent comme principaux agents stresseurs les conflits conjugaux et le manque de temps dû aux conditions du marché du travail. Ce nouvel aspect de la problématique nécessiterait des recherches approfondies pour bien comprendre les conséquences des conditions de travail sur les enfants.

Ce qui ressort de ce portrait de 23 enfants de 3 à 6 ans présentant des conduites violentes à l’école et faisant l’objet d’une suspension scolaire ou d’une possibilité de suspension est que nous sommes de nouveau en face de garçons. En effet, cet échantillon composé de près de 90 % de garçons a uniquement rejoint 3 petites filles. Ces enfants sont clairement portés à la violence physique et verbale envers d’autres enfants, ce qui les conduit en retour à subir le rejet par leurs pairs, créant ainsi un cercle vicieux. Les comportements anxieux (83 %) et dépressifs (61 %) transpirent chez presque tous ces enfants; un a même été jusqu’à parler de mort. De tels états sont peu discutés dans les écrits sur le sujet. Il est donc crucial de travailler sur ces problèmes internalisés. Le manque de ressources peut néanmoins expliquer qu’on s’attarde seulement sur les gestes observables de la violence, délaissant ces états d’âme où malheureusement, une aggravation des difficultés internalisées pourrait être génératrice de nouvelles violences.

La très grande majorité des parents interrogés ont recours à des pratiques parentales positives comme le retrait, le renforcement positif ou la perte de privilèges. Plus de 3 parents sur 5 sont satisfaits de leurs pratiques parentales. Comme l’avancent Trudelle et Montambault (1994), les parents disent éprouver généralement un important sentiment de compétence à l’égard de leurs capacités éducatives. Notons également que tous les enfants ou leurs familles, sauf un, consultent une professionnelle de la relation d’aide. Or, ce dernier état de fait soulève avec acuité la difficulté d’avoir accès aux parents de jeunes enfants démontrant des conduites violentes.

Seulement 8 des 23 parents mentionnent une pratique coercitive, pourtant un élément-clé dans les écrits sur le sujet. La moitié des parents (11) avouent crier, reconnaissent que cette pratique est négative pour l’enfant et disent essayer de la diminuer. Pourtant, 12 parents disent éprouver de la difficulté à encadrer un enfant avec un haut niveau d’activité et 6 soulèvent ne pas être assez stricts. Près de la moitié nomment une inconstance dans leur discipline. Plus de la moitié des parents manifestent, toutefois, un sentiment de culpabilité face à leurs habiletés parentales : « Je me suis sentie mal. Je me sentais vraiment… à blâmer (110) »; « J’ai fait un enfant gâté-pourri (109) »; « Je me suis bien jugée (91) ». Dix parents sentent qu’ils font un effort valable en tant que parent d’enfant montrant des conduites violentes : « Il faut continuer à faire ce qu’on fait : il ne faut pas lâcher (45) »; « Je reste positive (102) ». N’y a-t-il pas là des pistes que ces parents offrent pour que les interventions les rejoignent davantage dans leurs perceptions?

Outre la désirabilité sociale et les limites de l’échantillon, il n’en demeure pas moins que ces parents ont une perception de leurs pratiques éducatives qui se distingue des écrits sur le sujet, où l’élément qui ressort le plus est une discipline trop stricte, punitive ou coercitive comme facteur crucial pour comprendre les conduites violentes chez les enfants (Day et al., 1995; Ladd, 1999; Rubin et al., 1996; Schreiber et Schreiber, 2002). Il importe d’intégrer ces perceptions dans les interventions et les programmes de soutien aux parents. Donner la parole aux parents, à leur quotidien, à leurs stratégies avec leur enfant, aux moments où ils éprouvent des difficultés à l’encadrer peut éviter une confrontation entre leurs perceptions de leurs pratiques éducatives et les cibles d’intervention. Cet écart peut alors créer une distance qui ferme la porte à un contact constructif. Les parents interrogés nous fournissent ici un cadre de référence qui mérite d’être ouvert à d’autres parents, pour tenter d’intégrer leur vision et pour les rejoindre davantage.

Les parents interrogés dans le cadre de notre étude ont nettement évoqué les conditions de vie de leurs familles comme un élément-clé de compréhension des conduites violentes de leur enfant. Ce constat remet d’emblée en lumière l’importance des conditions de vie des familles dans l’analyse des problématiques et en fait un impératif incontournable pour l’intervention sociale. Or, l’impact de ces conditions se voit sous-estimé dans les écrits sur les conduites violentes chez les enfants au détriment de l’accent mis sur les pratiques éducatives parentales. Le danger nous guette d’introduire cette même limite dans les interventions, ce qui peut nous empêcher de rejoindre les parents dans leurs défis quotidiens et créer par conséquence une distance avec eux.

Dans notre recherche, les conflits conjugaux et le manque de temps dû aux conditions du marché du travail ressortent comme les deux principaux agents stresseurs. Dans la lignée des écrits sur la séparation, les tensions et les conflits conjugaux constituent un élément marquant au sein des familles interrogées. Les enfants réagissent aux querelles; leur anxiété augmente, ce qui amène à des conduites violentes. Un cercle vicieux s’installe.

Un autre important facteur, peu connu, serait le manque de temps des parents, mentionné par près de la moitié d’entre eux comme étant une entrave à accorder à l’enfant l’attention qu’il requiert. Huit parents ont indiqué des difficultés de conciliation travail-famille. Le stress, conséquence des horaires surchargés que certains vivent sur le marché du travail, se transmettrait à l’enfant, qui voit augmenter son anxiété. Ce dernier aspect, qui met en lumière la transformation actuelle des conditions de travail (Duxbury et al., 2003; Higgins et Duxbury, 2002), exige des recherches approfondies pour comprendre l’impact de ces nouvelles conditions sur les enfants, leur quotidien, leur éducation, leurs conduites en plus de leur santé. Or, les parents de notre étude, ceux qui affrontent ces difficultés peu documentées, se sentent parfois peu rejoints sous cet angle par les interventions. Celles-ci devront donc être ajustées à cette nouvelle réalité : « Je les vois arriver. Ils me demandent toujours s’il y a quelque chose dans la famille. Je vais vous dire, on est juste bien normal. On est juste deux parents qui travaillent, qui travaillent très fort. C’est notre réalité à nous. Je pense que c’est la réalité de bien des gens aujourd’hui (99) ».

En définitive, les propos des parents nous interpellent, quel que soit notre champ de pratique : le milieu scolaire, les organismes d’aide aux familles, les centres communautaires ou la recherche. Les pratiques sont maintenant tellement centrées sur les compétences parentales et l’acquisition des compétences sociales chez les enfants que nous pouvons en oublier les conditions de vie des familles, les enjeux affectifs vécus par les parents et les enfants concernés, leur quotidien et leur souffrance. Les pratiques et les recherches en intervention précoce doivent contrecarrer et nuancer certaines pensées populaires associées aux « enfants à risques » et être sensibles aux effets pervers des connaissances non nuancées ou contextualisées en matière de conduites violentes. « Le directeur m’a dit que je devais battre mon enfant pour qu’il soit comme ça . On a tendance à ne pas en parler parce que ça retombe sur nous. On se fait critiquer (44) ». Une autre mère rapporte une situation similaire : « L’éducatrice m’a accusée que vraiment j’étais pas un bon parent. Elle a fait toutes sortes d’allusions. Elle m’a même demandé : “ Est-ce que ton fils couche avec toi, le soir? ” (111) ». Ces propos ouvrent la porte à l’étiquetage et à des interventions irrespectueuses à l’égard des parents. Ils viennent alimenter leur sentiment de culpabilité et accroître la distance entre les intervenants et eux. Sans prendre conscience de toutes ces diverses réalités, on ne peut prétendre à une enfance ou à une jeunesse sans violence.