Entrevue avec Louis Durand

Entre la performance et la consommation[Notice]

  • Louis Durand

La majorité des personnes actives, quel que soit le type de travail qu’elles effectuent, entretient une relation ambiguë et contradictoire au travail qui varie en fonction de leurs conditions d’emploi. Pour caractériser cette relation, nous pourrions emprunter les mots de Danielle Linhart, qui disait: «le travail donne un sens à la vie et le travail empêche de vivre» . Travail et mieux être, est-ce possible ou bien s’agit-il d’un rêve?

Pour ce numéro de Reflets, nous avons choisi de vous présenter, en lieu et place de l’entrevue conventionnelle, un court billet, une réflexion à voix haute sur les thèmes du travail, du mieux-être, de l’intégration au marché du travail. Ce billet a été rédigé par le professeur Louis Durand de l’École de commerce et d’administration de l’Université Laurentienne. Louis Durand est spécialiste en ressources humaines.

Le travail. Un mot générant beaucoup de discussions puisqu’il est au centre de nos vies quotidiennes. Larousse le définit de façon générale comme «l’activité de l’homme appliquée à la production, à la création, à l’entretien de quelque chose…» et plus spécifiquement comme «une activité régulière et rémunérée». Au départ, nous pouvons tous admettre ce besoin de faire, de progresser et d’apprendre par l’intermédiaire d’une activité, qu’elle soit physique ou mentale. Mais il y a plus, l’ensemble de ces activités sont regroupées sous le vocabulaire de postes et d’emplois rémunérés disponibles à l’intérieur d’un marché du travail, marché qui effectue en fait une distribution des ressources humaines visant à répondre aux multiples besoins de l’appareil productif au sein de nos sociétés. Cet appareil productif vise à combler les besoins des individus qui sont à la fois producteurs et consommateurs des biens et services ainsi produits. Par l’intermédiaire de ce cycle productif, décrit ici tout aussi succinctement que classiquement, nous travaillons, jour après jour, parfois avec grande motivation et parfois en questionnant notre raison d’être à l’intérieur de ce cercle. Nous nous sentons tous, un jour ou l’autre, comme cette petite souris qui court et fait tourner la roue en espérant atteindre le morceau de fromage. Le processus de routinisation, qui nous assure une confiance minimale dans l’exécution de nos tâches quotidiennes, est de plus en plus difficile à gérer en période de changement continuel. L’insécurité qui en découle stimule notre réflexion et entraîne une remise en question de ce que nous faisons et de ce que nous sommes devenus au fil du temps. Que ce soit pour nos besoins psychologiques de réalisation personnelle ou tout simplement pour assurer la satisfaction de nos besoins physiques de base, le travail est en fait tout à la fois libérateur et usurpateur. Il est libérateur parce qu’il nous permet de participer à l’intérieur de la collectivité et de développer nos aptitudes et nos compétences. Il est usurpateur parce qu’il prend du temps. Le travail prend beaucoup de notre temps, mais le temps, c’est de l’argent et l’argent, ce n’est pas essentiel après tout, en autant que l’on en ait assez et assez, ça dépend de chaque personne. Ce lien fondamental entre le travail et l’argent a des conséquences qui peuvent s’avérer désastreuses avec le temps…, le temps que le travail nous a pris. À chaque emploi est associé un statut social et le niveau de rémunération devient le principal facteur de catégorisation sociale. Une famille possédant deux automobiles et un garage double pour les loger, les automobiles je veux dire, se débrouille bien et peut être fière de son succès. A partir du moment où la consommation devient le principal élément de positionnement social, il va de soi que notre questionnement quant au sens du travail refait fréquemment surface. Par le travail, nous sommes ce que nous réalisons, et par la consommation, nous sommes ce que nous possédons. La consommation nous procure donc un outil pour galvaniser les progrès réalisés par la performance au travail, c’est le vaisseau d’or, mais pour le conserver, il faut continuer à performer. Il y a un prix à payer pour l’efficience sans limite, les psychologues et les psychiatres traitent de cette question… au besoin. Une étude réalisée par Santé Canada en 2001 trace un portrait pour le moins révélateur de l’évolution de la situation au cours des dix dernières années, pour ce qui concerne les heures consacrées au travail par les Canadiens. D’une part, alors que l’on pouvait trouver une personne sur dix qui consacrait plus de cinquante heures par semaine à son travail en 1991, ce taux est …

Parties annexes