Je pense à ma propre génération, celle qui est née dans les années 1940. Nous savons pourquoi nous avons le système de santé actuel et pourquoi nous pensons davantage à l’améliorer qu’à le reléguer au système privé ou à le démolir d’une certaine façon. Les générations plus jeunes n’ont pas été témoins de ce qui existait avant, comment ce pouvait être difficile de se faire soigner et comment cela dépassait les capacités financières d’une bonne partie de la population. Il y avait des inégalités énormes par rapport à la santé. Il n’est pas surprenant devant les critiques qui visent en ce moment le système de santé que des jeunes puissent penser qu’un autre système pourrait améliorer la situation. C’est la même chose pour l’éducation. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas connu la réforme de l’éducation des années 1960 qui avait comme objectif l’accès de tous les Québécois au moins à l’éducation secondaire. Pour une majorité de Québécois de l’époque, accéder au système d’éducation équivalait à assurer sa promotion sociale ou se trouver un emploi presque de façon garantie. Pour les jeunes d’aujourd’hui, l’éducation peut être encore un moyen de promotion sociale, mais pour un certain nombre seulement. Pour plusieurs autres, ça ne l’est plus et la question de la promotion individuelle est davantage liée à d’autres dimensions, dont celle de l’accès à l’emploi. Or, on sait que même les plus scolarisés ont aujourd’hui certaines difficultés d’accès à l’emploi. Alors si l’institution d’éducation ne permet pas de viser d’autres objectifs que ceux-là, l’exigence de la scolarisation peut paraître lourde. C’est en ce sens que la position de la jeunesse m’apparaît difficile, celle-ci n’ayant pas participé à l’élaboration des objectifs et des idéaux auxquels on lui demande de correspondre. Du point de vue de la santé, le système normatif est très exigeant pour les jeunes. À mon avis, la prévention est souvent présentée de façon négative et même coercitive. Le système normatif ne se présente pas dans une perspective dynamique ou positive. Je m’explique. Le système de prévention est souvent vu par les jeunes comme l’interdiction de faire des choses. À bas les drogues, les maladies transmises sexuellement, les jeux vidéos, la conduite automobile dangereuse, etc. La publicité gouvernementale et les programmes d’intervention s’appuient sur cette orientation. Tout cela au lieu de parler avec les jeunes de promotion de la santé. Même la promotion de la santé peut comporter des effets pervers. Prenons l’exemple des jeunes mères. Aujourd’hui, les jeunes femmes qui attendent un enfant sont, je dirais, « contraintes » à se soumettre à une multitude de règles. Je suis étonnée de voir toutes les obligations qui s’imposent aux jeunes femmes pendant la grossesse : suivre des cours, apprendre des choses par rapport à elles-mêmes, à l’enfant et à l’accouchement, suivre un régime alimentaire sévère, etc. J’en suis à me demander si, avec tout cela, on ne perd pas le plaisir d’être enceinte, d’attendre et de mettre au monde un enfant. Je me souviens d’une époque pas très lointaine où, dans le cadre d’une de mes recherches, j’avais rencontré une jeune femme qui m’a dit : « Ben moi, je veux pas y aller au cours prénatal, parce qu’on nous dit qu’il faut manger du foie, pis moi j’aime pas ça le foie. » Il s’agit bien sûr d’un exemple, d’une petite anecdote, mais qui illustre ce que je veux dire quand je parle de promotion de la santé qui peut avoir une connotation négative. Évidemment, toutes ces initiatives sont sans doute une des raisons qui font en sorte que nous nous classons parmi les sociétés qui ont les plus faibles …
Parties annexes
Bibliographie
- Charbonneau, Johanne (2003) Adolescentes et mères. Histoires de maternité précoce et soutien du réseau social, Collection Sociétés, cultures et santé, Presses de l’Université Laval, Québec, 273 pages.
- Gauthier, Madeleine, Pierre-Luc Gravel et Angèle-Anne Brouillette (2004) « Qu’est-ce qui pousse les jeunes à s’engager? Les valeurs de jeunes militants d’aujourd’hui » dans Les valeurs des jeunes, Gilles Pronovost et Chantal Royer (éds), Québec, Presses de l’Université du Québec, p.149-168.
- Gauthier, Madeleine, Jacques Hamel, Marc Molgat, Claude Trottier, Claire Turcotte et Mircea Vultur, avec la collaboration de Benoît Gendron, Janelle Lalonde, Tania Paiement et Manon Lavoie (2004) L’insertion professionnelle et le rapport au travail des jeunes qui ont interrompu leurs études secondaires ou collégiales en 1996-1997. Étude rétrospective, Institut national de la recherche scientifique. Urbanisation, Culture et Société, Montréal, 247 pages.
- Gauthier, Madeleine (2002) «Ajuster le regard. Un préalable à l’agir », dans Viviane Châtel et Marc-Henry Soulet (éd.), Faire face et s’en sortir. Volume 2 : Développement des compétences et action collective, Éditions Universitaires Fribourg, Suisse, p. 171-179.
- Parazelli, Michel (1999) « Prévenir l’adolescence? », dans Définir la jeunesse? D’un bout à l’autre du monde Madeleine Gauthier et Jean-François Guillaume (éds), Québec, Presses de l’Université Laval, p. 55-74.
- Perrault, Marc et Bibeau Gilles (2002) La gang : une chimère à apprivoiser. Marginalité et transnationalité chez les jeunes Québécois d’origine afro-antillaise, Montréal, Boréal, 392 pages.