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Le phénomène des jeunes de la rue n’est certes pas source de fierté pour une société moderne industrialisée qui se veut bienfaisante. Malgré la gamme des services dirigés vers la jeunesse, il demeure qu’un nombre important de jeunes, notamment ceux âgés de 16 et de 17 ans, se retrouvent dans la rue, sans recours, sans services et sans espoir. D’une part, ils sont trop vieux pour être pris en charge par les sociétés de l’aide à l’enfance et d’autre part, ils ne sont pas encore éligibles aux services destinés aux adultes. L’Association des jeunes de la rue de Sudbury est un organisme à but non lucratif qui cherche principalement à combler cette lacune. À cette fin, elle parraine des programmes visant à fournir aux jeunes sans-abri une gamme de services dirigés vers leur réintégration et leur réadaptation sociale et communautaire.
Comment les jeunes de la rue participent-ils à ces programmes? Quels défis ont-ils à surmonter? Quelle est leur perception de leur réalité? Nous traiterons brièvement de ces questions afin de mieux comprendre la situation de ces jeunes qui sont, en quelque sorte, « tombés entre les mailles du filet ».
Mise en contexte
Entre juillet 2002 et juillet 2003, une étude sur la situation des sans-abri a été réalisée à Sudbury dans le but de mieux cerner ce phénomène et de tenir compte des changements en cours dans ce domaine (Kauppi et al. 2003). Une première étude effectuée en juillet 2000 révélait que sur une population totale de 407 sans-abri, 30 étaient des enfants de 5 ans ou moins et 23 avaient entre 6 et 12 ans; 61 étaient âgés entre 13 et 19 ans et 79 avaient entre 20 et 29 ans. L’étude publiée en 2003 indique une hausse du phénomène puisqu’on y dénombre 608 sans-abri dont 68 nourrissons et enfants de moins de 13 ans; 80 adolescents de 13 à 19 ans; et 100 personnes âgées entre 20 et 35 ans (Kauppi et al. 2003). Pendant cette période, pas moins de sept études ont été réalisées et toutes indiquent que la proportion d’adolescents représente entre 10 et 18 % de la population des sans-abri. La population des jeunes dans la vingtaine présente une plus grande variation, soit entre 19 et 29 %. Ces chiffres démontrent que dans la région de Sudbury les adolescents sont relativement nombreux à être des sans-abri et que plusieurs sont à risque de le devenir. Parmi les jeunes de la rue, on retrouve donc plusieurs jeunes âgés de 16 et 17 ans. Pourquoi ces derniers se retrouvent-ils dans cette situation et que peuvent-ils faire pour s’en sortir?
Les causes
Les sans-abri ayant participé à l’enquête de Kauppi et al. (2003) évoquent d’abord leur situation financière comme cause principale à leur situation. Ils sont sans emploi ou ne rencontrent pas les critères d’éligibilité de plus en plus restrictifs des programmes d’aide sociale. Chez les jeunes cependant, les causes renvoient surtout à la situation dans le foyer d’origine. Plusieurs d’entre eux ont subi le rejet de leur famille et ont quitté le domicile familial ou en ont été renvoyés. Ainsi, pour différents motifs liés à la vie familiale (abus, conflits, négligence), ils se retrouvent sans toit, sans foyer et sans ressources financières. Par la suite, faute d’argent, ces jeunes mettent en oeuvre une diversité de moyens afin de survivre. Le travail à temps partiel constitue une solution pour certains mais il permet rarement de combler leurs nouveaux besoins en matière de logement, nourriture et autres besoins primaires. Pour survivre, certains se livrent à la prostitution ou à des activités criminelles (vol à l’étalage, trafic de drogues).
Un nombre important de ces jeunes connaissent de plus des difficultés liées à la consommation de drogues ou à d’autres formes de délits. Non seulement sont-ils dépourvus en termes de besoins primaires, mais ils se trouvent souvent aux prises avec des problèmes liés à la toxicomanie ou à des activités clandestines. Enfin, bien qu’aucun diagnostic n’ait été posé par les études dont il est ici question, plusieurs connaîtraient des problèmes de santé mentale : « …beaucoup de jeunes sans-abri ont une mauvaise santé mentale, en partie parce que la dislocation sociale précoce et l’exposition à la vie dans la rue sont des facteurs propices à la détérioration de la santé mentale. » (Kauppi et al. 2001 : 49).
Dans ces circonstances, plusieurs jeunes se sentent isolés et rejetés par la société. Cette exclusion n’est pas un résultat spontané, ni une simple forme de marginalisation (Lesemann 1994), mais plutôt le résultat d’un processus d’exclusion sociale résultant d’une accumulation d’inégalités sociales. Les jeunes se désengagent socialement de manière progressive et, le plus ils avancent dans cette voie, le moins il leur est facile de s’en sortir. Il est bien connu parmi les travailleurs de la rue que le plus tôt on peut récupérer un jeune sans-abri, meilleures sont ses chances de s’en sortir. C’est pourquoi les foyers de substitution, tels que celui offert à Sudbury par l’Association des jeunes de la rue, ont un rôle à jouer auprès de ces jeunes dans leur transition vers l’autonomie.
La transition
Quels choix s’offrent à ces jeunes lorsqu’ils se retrouvent dans la rue, sans ressources et sans soutien? Quelles étapes doivent-ils franchir pour s’en sortir? Que peut leur offrir un organisme comme l’Association des jeunes de la rue? Dans cette section, nous rapportons l’information recueillie lors d’une rencontre avec la directrice générale du centre, Madame Lise Sénécal.
Les jeunes sans-abri ont une caractéristique dont il faut tenir compte : ils sont jeunes. Les capacités d’analyse de jeunes de 16 ou 17 ans sont souvent limitées par leur manque d’expérience. À cet âge, on se sent invincible. Il y a un écart entre la façon de penser du jeune et la vraie vie. Par exemple, un jeune qui se retrouve sans logis pense souvent qu’il pourra aisément se trouver un emploi et régler ce problème. Il ne conçoit pas sur le coup les montants nécessaires à se loger, à se nourrir, à se vêtir et il ne se soucie pas de savoir si le salaire minimum qu’il recevra pour son travail sera suffisant pour répondre à ces besoins. Pour cette raison, l’Association des jeunes de la rue encourage les jeunes à acquérir un peu d’expérience financière. On leur apprend à faire un budget pour subvenir à leurs besoins. Dans certains cas, cette expérience sera déterminante dans la décision de retourner aux études.
L’Association assigne aux jeunes qui la fréquentent un intervenant qui s’occupe d’établir avec eux des buts et des objectifs de vie. Bien que les intervenants encouragent le retour aux études, ils souhaitent aussi que les jeunes apprennent à vivre de façon autonome. Ils assurent un suivi de la situation de chaque jeune et, au besoin, le réfèrent aux services appropriés. À cette fin, l’Association des jeunes de la rue offre depuis peu des ateliers individualisés, orientés vers les besoins spécifiques des jeunes. Orientés surtout vers des activités d’habiletés personnelles (lifeskills), ces ateliers visent encore le développement personnel et l’estime de soi.
Cependant, on ne se limite pas à offrir des services et du soutien aux jeunes. Ces derniers doivent aussi participer activement à l’atteinte de leurs propres buts et objectifs. Par exemple les jeunes doivent eux-mêmes entreprendre des démarches pour trouver un appartement ou une chambre avec pension, ouvrir un compte en banque, chercher un emploi ou acheminer une demande au programme Ontario au travail (surtout dans le cas d’un retour aux études). Ainsi, les jeunes doivent faire leurs propres appels téléphoniques, fixer des rendez-vous, se déplacer pour leurs rencontres et par la suite faire un suivi des démarches entreprises. En d’autres mots, les jeunes effectuent le travail «de fond», tout en recevant du soutien de la part des intervenants. Afin de faciliter la transition de l’hébergement temporaire à leur propre logis, on accorde aux jeunes l’équivalent d’au moins deux versements de loyer, leur permettant ainsi de garantir la stabilité de cette transition.
Nous avons cherché à connaître les problématiques qui touchent le plus les jeunes avec lesquels travaille l’Association. Selon la directrice du centre, la mode vestimentaire, l’acceptation par les pairs et l’orientation sexuelle constituent des dimensions importantes de l’intervention. En premier lieu, contrairement à leurs pairs masculins qui aiment suivre certaines modes vestimentaires, les garçons de la rue semblent se contenter des vêtements qu’ils ont. De leur côté, les filles cherchent à attirer le regard des autres en étant vêtues selon les dernières modes, en portant des jupes courtes et en se maquillant. Selon la directrice du centre, ce comportement est lié à leur désir d’être acceptées. Les jeunes filles ressentent la pression de leurs pairs et de la société et elles n’aiment pas se sentir isolées. Bien qu’on ne sache pas exactement d’où vient l’argent dépensé en vêtements à la mode, la directrice affirme que certaines filles s’adonnent occasionnellement à la prostitution, alors que d’autres travaillent dans les clubs de danseuses nues. Pour certaines, le vol à l’étalage est une façon de se procurer des vêtements.
La question de l’orientation sexuelle des jeunes filles attire également l’attention de la directrice de l’Association. Plusieurs de ces adolescentes ont clairement affiché leur orientation sexuelle et ne se cachent pas d’être lesbiennes. Cette prise de position montre que malgré leur situation, ces jeunes adolescentes peuvent affirmer leur identité, du moins en ce qui concerne leur orientation sexuelle. Alors que les jeunes filles affirment généralement avec force leur identité sexuelle, les garçons l’affichent moins clairement, notamment parce qu’ils ressentent davantage de pressions sociales.
Conclusion
Voilà donc livrées certaines dimensions de la vie de jeunes sans-abri âgés de 16 et de 17 ans qui effectuent tant bien que mal une transition entre la rue et la stabilité résidentielle et personnelle. Une telle transition est-elle toujours possible? Bien que certains jeunes réussissent cette transition, plusieurs demeurent dans la rue et ont de la difficulté à s’en sortir. Malgré ces difficultés, il faut sans doute se réjouir de l’existence d’organismes qui tentent de palier les faiblesses des réponses offertes par le système social aux jeunes de 16 et de 17 ans. L’Association des jeunes de la rue de Sudbury permet ainsi de récupérer quelques-uns de ces jeunes qui sont « tombés entre les mailles » d’un système qui aurait dû prévenir ces chutes. Un intervenant dans la communauté commente ainsi leur situation :
« Il est vrai que ces jeunes tombent dans un vide entre les programmes pour adultes et les programmes pour enfants. Ce qui est triste, c’est le manque de soutien offert. Ces jeunes en ont besoin et il n’existe pas dans la communauté, sauf par le biais de l’organisme que tu mentionnes. Au plan de la prévention, ce manque de services maintient ces jeunes dans des situations à risque alors qu’ils se cherchent une place dans la société. »
Parties annexes
Bibliographie
- Kauppi Carol, Bélanger Jean-Marc et Jennifer Keck (2001). « Les sans-abri et la maladie mentale : perspectives des fournisseurs de services de Sudbury » Reflets, volume 7, numéro 1, printemps, pp. 48-69.
- Kauppi Carol, Gasparine Janet, Bélanger Jean-Marc et Cheryle Partridge (2003). Rapport sur le sans-abrisme à Sudbury : Comparaison des résultats de juillet 2000 à juillet 2003, volet 7. Préparé par le conseil de planification sociale de Sudbury.
- Lesemann Frédéric (1994) « La pauvreté : aspects sociaux » in Dumont Fernand, Simon Langlois et Yves Martin (dir.).Traité des problèmes sociaux, Québec : Institut québécois de recherche sur la culture, pp. 581-604.
- http://www.jeunesdelarue.ca/mission-f.html. L’association des jeunes de la rue, page consultée le 29 septembre 2004.