Le dossier

Répondre aux besoins des travailleuses du sexe de rue : un objectif qui passe par la décriminalisation de leurs activités de travail[Notice]

  • Colette Parent et
  • Christine Bruckert

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  • Colette Parent
    Professeure agrégée, département de criminologie, Université d’Ottawa

  • Christine Bruckert
    Professeure adjointe, département de criminologie, Université d’Ottawa

La littérature sur le travail du sexe est aujourd’hui fort abondante. Les chercheures, analystes et militantes abordent tour à tour des dimensions théoriques de la question, documentent empiriquement les activités des différentes formes de pratiques, se penchent sur les composantes du travail qui peuvent affecter la santé des travailleuses, soumettent à la critique différentes politiques criminelles mises en oeuvre et proposent des solutions. Mais les recherches sur les besoins des travailleuses du sexe, sur les services offerts et sur ceux qui seraient susceptibles de répondre de façon compréhensive à leurs besoins sont encore peu nombreuses. Cette situation apparaît d’autant plus paradoxale qu’au premier regard, leurs besoins s’avèrent considérables, surtout en ce qui concerne les travailleuses du sexe de rue. C’est dans ce contexte que le Centre Espoir Sophie, un centre de jour pour femmes marginalisées de la région de l’Outaouais, a exprimé l’intérêt d’une recherche sur les besoins des travailleuses du sexe de rue francophones, les ressources disponibles et celles à privilégier pour répondre de façon compréhensive à ces besoins. Les auteures de cet article ont alors formé un partenariat avec le Centre Espoir Sophie et élaboré une recherche-action sur les besoins des travailleuses du sexe de rue de la région et, plus spécifiquement, sur les travailleuses anglophones et franco-ontariennes à Ottawa et sur les travailleuses québécoises à Gatineau (secteur Hull). Cette recherche-action a été menée avec l’appui d’un comité encadreur composé de représentantes de différents organismes communautaires de la région concernés par le problème et a pris appui sur les paramètres suivants : 1) la reconnaissance du travail du sexe comme un métier légitime et des droits des travailleuses du sexe d’une part et la prise en compte des besoins individuels des travailleuses du sexe dans l’exercice quotidien de leur métier d’autre part; 2) un cadre théorique général qui aborde la « prostitution » comme une forme de travail et qui demeure attentif aux dimensions particulières des activités exercées à partir de la rue; 3) une démarche qui prend appui d’abord et avant tout sur la parole des travailleuses du sexe de rue avec qui cette recherche a été réalisée. Dans les sections qui suivent, nous exposons d’abord les grandes lignes de la revue de littérature, notre cadre théorique et l’approche méthodologique que nous avons privilégiés. Ensuite, nous présentons les participantes puis nous nous penchons sur les besoins et services tels qu’elles ont exprimés. Comme signalé en introduction, les recherches sur les besoins des travailleuses du sexe, sur les services offerts et sur ceux qui seraient susceptibles de répondre de façon compréhensive à leurs besoins sont encore peu nombreuses. Quels sont les éléments qui ont mené à cette lacune? D’abord, comme certaines pratiques associées au travail du sexe sont illégales tant au Canada que dans d’autres pays occidentaux, notons que ces travailleuses sont d’une façon générale fort discrètes sur leurs pratiques de travail, peu faciles à rejoindre et ne participent à des recherches que lorsqu’elles sont rassurées sur les objectifs et intentions des chercheurs. Aussi, les recherches empiriques sont-elles parfois difficiles à mener; mais cette considération ne nous semble pas la plus déterminante pour expliquer l’état des études sur cette question. En effet, pour nombre de chercheures, féministes ou non, le travail du sexe est fondamentalement associé à la victimation des femmes; elles envisagent alors les besoins des travailleuses dans la perspective de leur permettre de quitter ce travail. Cette vision, on le comprend, circonscrit la conception des besoins et des services aptes à y répondre. Vanwesenbeek (1994 : 10) souligne fort justement que lorsqu’on réfère à la question d’intervention en matière de « prostitution », on se préoccupe …

Parties annexes