Entrevue

Penser autrement le nouveau monde du travailEntrevue avec Daniel Mercure[Notice]

  • Lilian Negura

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  • Lilian Negura

NDLR

On trouvera une synthèse des travaux de Daniel Mercure dans : MERCURE, Daniel (2001). « Nouvelles dynamiques d’entreprise et transformations des formes d’emploi », dans G. Laflamme et J. Bernier, L’incessante évolution des formes d’emploi et la stagnation des lois du travail, Québec, Presses de l’Université Laval.

Daniel Mercure est professeur titulaire au Département de sociologie de l’Université Laval, fondateur et directeur de la collection Sociologie contemporaine aux Presses de l’Université Laval, président d’honneur de l’Association internationale des sociologues de langue française et, à ce titre, responsable des liens avec la francophonie, président du Comité international Sociologie du travail et membre du Comité scientifique de l’Association internationale d’études québécoises.

Récipiendaire de l’Ordre de la Pléiade, il a été professeur invité à la chaire Ely Halévy de l’Institut d’études politiques de Paris et à la chaire Jacques Leclercq de l’Université de Louvain. Il a aussi été chercheur invité aux universités de Harvard, d’Oxford et de Genève, de même qu’au Laboratoire de sociologie du travail d’Aix-en-Provence.

Il est l’auteur d’une dizaine ouvrages dans le domaine de la sociologie des organisations et du travail et d’une soixantaine d’articles publiés dans une quinzaine de pays différents. Il a prononcé plus de soixante-dix conférences dans vingt-cinq pays différents. Il a dirigé récemment la publication de deux livres, l’un intitulé Le travail dans l’histoire de la pensée occidentale et l’autre L’analyse du social : les modes d’explications.

daniel.mercure@soc.ulaval.ca

Lilian Negura : Vous êtes sociologue du travail, on vous connaît comme un sociologue du travail. Comment êtes-vous arrivé à vous pencher sur ce sujet? Daniel Mercure : C’est la sociologie de la culture qui m’a amené à la sociologie du travail. Mes premiers travaux ont porté sur la construction sociale des catégories de l’entendement, particulièrement les représentations du temps. Donc, j’étais au coeur des théories de la sociologie de la culture. Mais au cours de mes travaux empiriques, ce qui m’a frappé, c’est la puissance du déterminisme économique et du déterminisme du travail dans les représentations que l’on a de l’avenir. Par conséquent, la sociologie de la culture m’a amené à la sociologie du travail, ce qui m’a aussi conduit à une analyse plus matérialiste de la culture, thème qui me concerne aujourd’hui : j’étudie le lien social en rapport avec le travail, et ce dernier en rapport avec la culture. Je tente de penser globalement la société, mais ma porte d’entrée c’est le travail et la culture. DanielMercure : Rappelons d’abord que par « impartition flexible » j’entends les différentes formes d’externalisation du travail de même que la quête de flexibilité tous azimuts de la part des employeurs. Lorsque j’ai inventé le terme au début des années 90, plusieurs considéraient qu’une telle dynamique était passagère, ou encore limitée à quelques secteurs. Mes premiers travaux ont donc été suivis d’autres études, notamment l’ouvrage Les entreprises et l’emploi, de même que de plusieurs articles, qui ont montré que cette dynamique d’impartition flexible était généralisée à l’ensemble des secteurs économiques. Finalement, cette dynamique traduit l’émergence d’un nouveau type de régulation qui modifie l’ancienne régulation fordiste dans un contexte néolibéral. Par ailleurs, l’étude des processus de flexibilité qui accompagnent l’impartition met en relief différents types de flexibilité, notamment la flexibilité fonctionnelle, qui est fondée sur la polyvalence du travail, et la flexibilité numérique, c’est-à-dire l’ajustement du volume de main-d’oeuvre selon les besoins immédiats de l’entreprise. C’est surtout la flexibilité numérique qui a conduit à l’essor de la précarité d’emploi, à la généralisation d’emplois atypiques de tous ordres. Cela se traduit dans les faits par un marché du travail en quelque sorte dual, caractérisé d’un côté par des emplois réguliers, plus polyvalents et en même temps plus exigeants et, de l’autre, par des emplois périphériques avec des statuts qui sont marqués par l’instabilité et des durées d’emploi déterminées. En ce sens, il ne fait pas de doute que la dynamique l’impartition flexible a conduit à une plus grande précarité du travail, même si la flexibilité fonctionnelle a réellement enrichi le travail. LilianNegura : On parle beaucoup aujourd’hui de vulnérabilité, d’exclusion, de nouvelle pauvreté et de désaffiliation. Ce débat intellectuel enrichit sans doute notre compréhension de l’évolution actuelle des inégalités sociales. Où vous situez-vous dans ce débat? DanielMercure : Probablement ce qui justifie ce ton alarmiste, c’est que nous assistons à l’émergence d’une nouvelle forme de pauvreté. Le travail a toujours été à la source des inégalités et l’absence de travail à la source de la pauvreté. C’est bien connu. Mais les nouvelles formes de pauvreté frappent des groupes qui, depuis l’après-guerre, étaient davantage à l’abri : les travailleurs. On assiste aujourd’hui à l’appauvrissement de gens qui sont sur le marché de travail. C’est très fort ce phénomène aux États-Unis, mais également au Canada. Donc cela peut nous aider à comprendre ce ton alarmiste dans la mesure où le travail n’est pas nécessairement une voie de sortie de la pauvreté. Dans le cas des États-Unis par exemple, ce sont des millions de personnes qui sont des working poors. C’est le …