Éditorial

Posture critique et pratiques humanistes en santé et services sociaux : comment réconcilier les perspectives?[Notice]

  • Marguerite Soulière

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  • Marguerite Soulière
    École de service social, Université d’Ottawa

Le présent numéro de Reflets se veut une contribution à une réflexion inépuisable qui dynamise le travail social et le divise à la fois. Venue de l’extérieur de la discipline — j’ai une formation en anthropologie médicale —, je suis plongée dans ce questionnement viscéral maintenant que je suis professeure dans une école de service social. Cet enjeu m’est apparu avec de plus en plus d’insistance et de conviction à travers mes cours, à travers les préoccupations et les intérêts des étudiants et à travers les discussions avec les collègues. Ce questionnement va parfois jusqu’à opposer deux camps qui se protègent l’un de l’autre, chacun se considérant comme gardien et porteur de piliers de la discipline. Cette tension dynamique au sein du social est d’autant plus intéressante et vivante qu’elle pousse à réfléchir, à clarifier l’intention éthique que portent dans ce champ l’enseignement et la recherche. Tout cela n’est pas étranger au fait que le travail social se retrouve inévitablement confronté aux enjeux majeurs de nos sociétés modernes avancées, par le biais de la souffrance sociale qu’il se donne pour mission de pallier, à la fois ici et maintenant, et sur un fond de transformations structurelles. L’urgence d’agir talonne quotidiennement la discipline. C’est ce qui alimente à la fois son engagement… et sa cécité. Dans le contexte social, économique et politique actuel, cette urgence d’agir, de se responsabiliser et de s’engager dans le changement social concerne de plus en plus d’autres disciplines dont les notions d’inégalités, de souffrance, de soin et d’accompagnement sont des axes moteurs. Ainsi, le texte d’introduction de ce numéro dédié à des expériences d’interdisciplinarité dans le domaine de la santé et des services sociaux propose un parallèle entre trois champs disciplinaires : le travail social, la médecine et l’anthropologie médicale appliquée. Chacun de ces champs est confronté à sa manière aux mêmes enjeux sociopolitiques et se développe à travers des débats similaires. En juxtaposant ces tiraillements internes, cela risque de brouiller les frontières qui limitent la question à chaque champ isolément, de changer l’éclairage en quelque sorte, pour ouvrir la réflexion et la situer dans la conjoncture d’une époque qui se donne à lire précisément dans ces tensions. Il s’agit en fait d’une tentative de jeter des ponts entre les disciplines qui ont en partage ce courage de poser et d’articuler une posture critique tout en formant des praticiens qui, sur le terrain, dans la vie de tous les jours, sont appelés à comprendre et à agir pour soulager la douleur, la souffrance, le malheur ou la détresse. Dans son récent ouvrage Repenser le Service social (2011), Nérée St-Amand campe à sa manière les origines historiques et idéologiques du service social et de la division qu’elles suscitent. Il y présente Jane Addams et Mary Richmond, deux femmes remarquables qui se sont dévouées à soulager la souffrance qui affligeait les classes défavorisées de l’Amérique industrielle au début du 20e siècle, pendant et après la Grande Guerre. Chacune avec sa trajectoire personnelle, sa réflexion et son action, mais avec des affinités de pensée et de spiritualité, a fourni des apports substantiels dans le domaine de l’intervention sociale, des apports qui, du point de vue critique de l’auteur, comportent de profondes nuances. Sans reprendre sa thèse, j’évoquerai les trois éléments clés qu’il situe au coeur de la différenciation : l’origine de la souffrance, la manière de la soulager et le souffle qui porte l’action de ces deux pionnières. St-Amand présente d’abord Mary Richmond pour qui l’origine de la souffrance se trouve dans la personne. C’est donc en intervenant auprès de chaque individu souffrant ou en difficulté qu’il …

Parties annexes