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Introduction

De nos jours, les adolescentes, adolescents et jeunes adultes ont cette curiosité qui amène certains à voyager, à étudier ou à travailler ailleurs dans le monde. Le rêve de découvrir un monde différent suffit pour se motiver à prendre des risques et à quitter son nid familial. Ces expériences culturelles et d’adaptation invitent non seulement à une certaine ouverture d’esprit, mais surtout à un processus d’apprentissage sur soi. La réflexion personnelle effectuée lors d’un stage international peut amener une nouvelle conscience de soi qui peut aider à déterminer ses propres croyances et valeurs, de même que sa raison d’être. J’ai fait mon stage pratique de 12 semaines en tant que child and youth development officer dans un petit organisme non gouvernemental local nommé Active Youth in Development Organisation (AYIDO), partenaire du Malawi Network of Aids Service Organisation (MANASO). Dans le présent article, j’expose les raisons qui m’ont motivée à faire un stage international, les bienfaits et les habiletés en matière d’intervention sociale que j’en ai retirés, ainsi que les nombreux défis que j’ai eus à relever. Je parle enfin de mon retour au pays et des impacts de ce stage sur ma pratique actuelle.

Ce qui m’a amenée à faire un stage international

Mes motivations initiales pour un stage international comprenaient un certain désir de vivre un choc culturel. Plus de cent heures de bénévolat au Centre économique et social d’Ottawa-Carleton, un centre francophone qui accueille les nouveaux arrivants, ont confirmé ce désir lors de ma première année à l’université. Je voulais à mon tour vivre l’expérience d’être minoritaire afin de mieux comprendre les nouveaux arrivants qui s’installent au Canada. Poussée par mon sens de l’aventure et de l’exploration, j’ai décidé d’entreprendre les démarches nécessaires pour réaliser ce rêve. Dans une période de ma vie où je me questionnais beaucoup quant à mon rôle et à ma raison d’être, je voulais apprendre à mieux connaître mes forces et mes faiblesses, tant sur le plan personnel que professionnel. Avec un nouveau défi personnel en perspective, quelle excellente idée que de me lancer dans un monde nouveau, de vivre un choc culturel et de découvrir qui je suis vraiment. Heureusement, l’Université d’Ottawa et Entraide universitaire mondiale Canada (EUMC) m’ont offert la possibilité d’aller réaliser mon rêve en Afrique.

Comment se préparer à vivre un choc culturel?

Un voyage de 12 semaines dans un pays en voie de développement exige une préparation longue et intensive. Je devais participer à plusieurs formations et ateliers sur des sujets tels que la gestion du risque et de conflit — où nous devions établir un plan de sécurité —, la santé et le VIH-SIDA, les rôles sociaux de genre, et j’en passe. Cette préparation a été très utile puisqu’elle a engendré chez moi un processus de réflexion par rapport au stage, exigeant de moi une grande ouverture d’esprit, et m’a amenée à préciser mes motivations et mes attentes vis-à-vis celui-ci. En plus de devoir remplir une panoplie de formulaires médicaux et administratifs, je devais aussi participer à deux blogues, celui de la Faculté des sciences sociales et celui d’EUMC. Finalement, une recherche sur le pays d’accueil est cruciale afin d’essayer de clarifier le plus possible nos attentes, même s’il est recommandé de ne pas en avoir du tout; ce qui est difficile. Des professeurs de l’Université d’Ottawa ainsi qu’EUMC (Malawi, organisme local) m’ont vraiment aidée et encadrée en offrant les différentes formations et sessions d’orientation à mon arrivée au Malawi. Par le biais de rencontres et de suivis par courriels, ils m’ont soutenue, tout au long de mon stage, dans ma pratique réflexive et sur le terrain. Malgré tout, il est impossible de se préparer pleinement à vivre un choc culturel. On réussit à le surmonter et à s’adapter à travers les relations interpersonnelles entretenues dans le pays d’accueil.

Mes défis

Vivre et travailler dans un pays en voie de développement implique une longue période d’adaptation. J’ai dû créer des liens de confiance avec les membres d’AYIDO, chercher des stratégies pour briser les barrières linguistiques et comprendre les différentes pratiques culturelles. Pour ces raisons, la courte durée de mon stage a été un grand défi et m’a amenée à remettre en question l’efficacité de mes interventions.

De plus, j’éprouvais parfois un grand sentiment d’impuissance par rapport aux diverses problématiques importantes telles que le niveau de pauvreté, l’épidémie du VIH-SIDA et les inégalités dans les rapports hommes-femmes. La région de l’Afrique subsaharienne contient 13 % de la population mondiale et au sein de celle-ci, 70 % des habitants (42 millions d’adultes et d’enfants) sont séropositifs, avec une prévalence moyenne du virus 18 fois supérieure aux pays d’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord (Anglaret et Salamon, 2004, p. 593-594). Le mode de contamination le plus commun est « hétérosexuel », un terme que je remplacerais par des « relations sexuelles non protégées » et environ 60 % des adultes infectés sont actuellement des femmes. Celles-ci vivent plusieurs formes de discrimination sociale comme l’accès restreint à l’emploi et à l’éducation; et surtout, leur statut de subordonnées dans les rapports sexuels augmente leurs risques de contamination. Pour ce qui est du Malawi, ce petit pays d’Afrique de l’Est compte parmi les plus pauvres au monde; il a peu de ressources et il est affecté par une épidémie généralisée du VIH et SIDA qui touche 12 % de la population adulte (Malawi Ministry of Health, 2007, cité dans Bertrand-Dansereau, 2012, p. 263).

Ces statistiques montrent l’ampleur des problèmes graves de santé et des problématiques sociales complexes influencées par les rapports de genre. Je me sentais impuissante face à ces réalités qu’on ignore la plupart du temps dans un pays développé. En marchant tous les matins pour me rendre au travail, dans les écoles et dans mes échanges quotidiens avec les Malawiennes et les Malawiens, j’observais attentivement les effets de ces problématiques sociales : les enfants qui demandent leur gruau en arrivant à l’école, les jeunes filles qui promènent leurs enfants sur le dos, un sac de farine sur la tête et des seaux d’eau dans chaque main, les garçons qui grimpent aux arbres pour récupérer les mangues fraîches et qui jouent au soccer. Ces images me rappellent que les jeunes femmes n’ont pas d’opportunités d’éducation et d’emploi, que les enfants suivant un traitement médical pour le VIH ne pourront pas survivre sans les nutriments nécessaires dans leur diète — car l’efficacité du traitement en dépend — et finalement que les garçons ont beaucoup plus de privilèges que les filles, et ce, dès leur naissance.

Comment donc faire de la prévention du VIH auprès des jeunes qui sont influencés par les rapports de genre, par des impératifs moraux (christianisme conservateur dans 85 % de la population au Malawi) et par certaines contradictions de la santé publique? (Bertrand-Dansereau, 2012, p. 262). En effet, President’s emergency plan for AIDS relief (PEPFAR) et l’approche AB(c), un programme bilatéral américain de prévention, préconisent un certain cadre moral qui entre en conflit avec la prescription de santé publique qui porte sur la prévention; des mesures comme l’utilisation de contraceptifs sont perçues comme immorales (Bertrand-Dansereau, 2012, p. 268). La sensibilisation se fait par des discours moralisateurs. Autrement dit, pour les jeunes et les adultes célibataires, le discours vise l’abstinence, perçue comme étant la meilleure façon de se protéger. La monogamie parfaite et la fidélité conjugale pour les adultes mariés sont aussi la meilleure solution de prévention. Et pour toute autre personne ayant des comportements « à risques » et « déviants », c’est-à-dire hors de la norme du mariage hétérosexuel, il serait préférable d’utiliser le préservatif (Bertrand-Dansereau, 2012, p. 270).

Le VIH-SIDA et les infections transmises sexuellement et par le sang sont des maladies extrêmement complexes et deviennent une « réflexion du caractère moral de la personne malade » (Allen, 2002, p. 20, cité dans Bertrand-Dansereau, 2012, p. 268). En conséquence, les gens sont discriminés et jugés par rapport à leur état de santé. Je crois qu’il est aussi important de comprendre que la prévention est soit négligée ou « adaptée » au cadre moral de la société puisqu’« il [est] immoral d’enseigner aux personnes comment éviter une maladie transmise par un acte qui n’aurait pas dû être accompli en premier lieu » (Allen, 2002, p. 20, cité dans Bertrand-Dansereau, 2012, p. 268).

Je me heurtais à ce conflit entre ordre moral et santé publique lorsque je devais animer des groupes de discussions dans diverses écoles secondaires, ayant comme mandat de faire de la prévention du VIH-SIDA. Nous posions quelques questions aux étudiants afin de voir leur niveau de connaissance sur les modes de transmission du virus et les moyens de prévention. La plupart du temps, nous devions les sensibiliser davantage et nous terminions le groupe de discussion par une période de questions et en distribuant des préservatifs. Je me rappellerai toujours ces jeunes adolescentes qui me demandaient pourquoi je leur expliquais l’importance du préservatif alors qu’elles n’avaient pas de relations sexuelles. Je réussissais habituellement à répondre en mettant l’accent sur la santé et la réalité du taux de transmission du virus. Par contre, celles qui me demandaient si je n’étais pas en train de les encourager à avoir des relations sexuelles en faisant la promotion du préservatif me laissaient toujours temporairement bouche bée. Je devais à ce moment-là tenir compte du contexte, des rapports de genre et du cadre moral pour répondre à ces jeunes femmes que l’abstinence n’était pas toujours une possibilité et qu’il était acceptable d’utiliser le condom pour se protéger afin de rester « en bonne santé ». La sensibilisation des jeunes a été l’un des défis les plus choquants. Le jour où j’ai réalisé que des jeunes venaient se procurer des préservatifs au centre (AYIDO), je savais que malgré mon sentiment d’impuissance, des changements se produisaient devant mes yeux.

D’autres défis comme le rapport au temps et la mobilisation des jeunes pour certains programmes ont également été difficiles à comprendre et à surmonter. Bref, j’ai souvent planifié des activités de trois heures qui ont eu lieu en une heure et demie, ou moins, car les participants avaient d’autres obligations avant de pouvoir se libérer. Je devais encore comprendre que le rapport au temps est très différent, et que le retard n’est pas nécessairement une mauvaise chose avant de juger les gens et de devenir frustrée.

Enfin, les défis vécus m’ont amenée à me dépasser et à m’épanouir. Ils ont contribué à mes apprentissages et au développement de mes habiletés en tant que travailleuse sociale. Malgré mes frustrations et mon sentiment d’impuissance vis-à-vis ces défis et injustices, les remerciements de mes collègues et amis pour l’inspiration acquise en ma présence, la poursuite de leurs études et les changements apportés à leurs comportements m’ont donné et me donnent encore à ce jour la force et les motivations pour continuer mon travail et demeurer idéaliste. En l’absence de défis, je crois qu’il n’y a pas possibilité de changement.

Les apprentissages faits lors de mon stage

Sur le plan personnel, j’ai eu la possibilité de vivre une expérience de vie inoubliable et de créer des liens professionnels et d’amitié. J’ai dû développer ma capacité d’adaptation et de débrouillardise faute d’accès à toutes les ressources auxquelles nous sommes habitués. Par ailleurs, l’importante barrière linguistique m’a incitée à développer des habiletés de communication non verbale et à apprendre un peu de chechawa, la langue nationale. Compte tenu de la barrière culturelle, j’ai dû raffiner mon esprit de curiosité, m’informer et écouter les besoins réels des gens, afin de mieux comprendre le contexte socioculturel et politique de la communauté où j’habitais et de développer des pistes de solutions à certaines problématiques observées dans mon milieu de travail.

Le plus grand des bienfaits, c’est l’inspiration que j’ai reçue de mon expérience en général et de certaines personnes qui, malgré la pauvreté, la maladie et les injustices, continuent de vivre une vie heureuse et apprécient chaque moment, chaque chant et chaque rencontre. Lors de nos formations prédépart et celles à l’arrivée dans le pays d’accueil, on nous parlait souvent de capacity building, c’est-à-dire de partager nos connaissances avec les gens locaux pour qu’ils puissent amener des changements positifs à long terme, même après notre stage. Personnellement, j’ai partagé beaucoup de mes connaissances universitaires avec mes collègues, mais j’ai surtout appris énormément de leurs connaissances sur le plan de la culture ou des rapports interpersonnels et communautaires. Enfin, les problématiques sociales observées paraissent différentes à cause du contexte dans lequel on se retrouve, mais la base de l’intervention demeure la même partout dans le monde, et on s’adapte à chaque individu, à leur situation de vie, à la collectivité et au contexte dans lequel il se retrouve.

Sur le plan des diverses formes de savoir, ce stage m’a donné la chance d’élargir mes connaissances sur le VIH-SIDA et sur une culture qui m’était complètement inconnue auparavant. Par exemple, la langue, les traditions et les pratiques culturelles sont des connaissances que je ne pouvais apprendre en classe, dans un livre ou par le biais des médias. Les rapports sociaux de genres sont aussi extrêmement différents au Malawi comparativement à ceux au Canada ou dans les pays de l’Europe de l’Ouest. Les savoirs acquis lors de mon stage m’ont permis de développer mes habiletés, c’est-à-dire mon savoir-faire et mon savoir-être, lesquels selon moi ne vont pas l’un sans l’autre; ils sont interreliés.

Pour ce qui est du savoir-être, la définition d’une valeur nous aide à comprendre comment un choc culturel peut agir sur nos préjugés et sur nos valeurs personnelles. D’ailleurs, Bouquet (2003, cité dans Thibault, 2011, p. 18) stipule que « les valeurs ont un statut incertain. Elles correspondent à des concepts mouvants, qui sont à définir et à bâtir selon et par les rapports sociaux ». Il mentionne aussi (p. 20) que découvrir nos valeurs et connaître les principes éthiques est important, mais ce sont nos comportements et ce qu’on décide de faire qui comptent réellement.

C’est en vivant un choc culturel que j’ai découvert mes valeurs puisque celles de la communauté où j’habitais allaient parfois à l’encontre de celles que j’ai toujours connues. La productivité et la réussite, deux valeurs présentes dans la société occidentale, ne sont pas nécessairement au coeur des principes de travail des Malawiennes et des Malawiens et elles ne les définissent pas comme personnes. L’entraide et les croyances religieuses sont extrêmement importantes pour eux alors que dans les pays développés, l’individualisme et l’indépendance sont présents et la religion semble avoir moins d’importance. J’ai toujours eu l’idée que les gens pauvres étaient malheureux et souffraient énormément, mais j’ai vite réalisé que l’esprit communautaire et le sens d’appartenance remplacent la richesse telle que je la connais, celle de la possession de biens matériels. Un professeur me disait : « ils sont peut-être pauvres économiquement, mais ils sont riches collectivement » grâce à l’entraide, à la générosité et au partage, des valeurs qu’on ne voit pas souvent dans la société occidentale. Voilà un exemple de préjugé que je n’aurais probablement pas découvert sans cette expérience de stage.

On sait que l’empathie et la conscience de soi sont des attitudes importantes à adopter, surtout en travail social, mais l’écoute et l’accueil ne sont pas toujours faciles lorsque certains problèmes sociaux comme la pauvreté extrême génèrent beaucoup de frustration (Turcotte, 2011, p. 40). Cet auteur parle d’ouverture et l’importance de voir au-delà du problème. Plusieurs professeurs m’ont dit que notre principal outil de travail en tant qu’intervenant c’est nous-mêmes et que la conscience de soi permet un certain recul : se voir agir pour ne pas juger les valeurs des autres et plutôt tenter de comprendre. D’où l’importance de reconnaître « [mes] sentiments, [mes] attitudes, [mes] valeurs, [mes] mythes, [mes] préjugés, [et mes] biais, et comprendre comment ils influencent mes interventions » (Beaudry et Trottier, 2001, p. 15, cité dans Turcotte, 2011, p. 40). Notre vie est constamment en mouvement, la société change tout comme ses valeurs; donc, le concept d’indignation est important afin de toujours remettre en question notre façon d’agir et de voir les diverses problématiques qui elles aussi changent à travers le temps.

Ce stage a non seulement permis la découverte et la confirmation de mes valeurs personnelles, mais il a aussi fait ressortir mon appréciation des valeurs féministes. Celles-ci m’ont permis d’avoir une analyse sociopolitique et de faire des liens entre les difficultés vécues par les femmes et les structures sociales opprimantes; une femme seule ne peut pas se battre pour le droit à l’éducation, par exemple, mais un pouvoir collectif est nécessaire pour atteindre des changements sociaux et structurels (Marchand et Ricci, 2010, p. 26). Lors de mon séjour au Malawi, j’ai également observé des rapports inégaux entre les genres. En fait, des normes de genre où l’on associe la sexualité débridée aux hommes et une sexualité passive aux femmes, ainsi que le concept de masculinité hégémonique permettent de mieux comprendre les comportements adoptés par les Malawiennes et les Malawiens (Carrigan, et collab., 1985, p. 592, cité dans Bertrand-Dansereau, 2012, p. 276). Ce dernier fait référence à un idéal masculin où la domination sur les femmes est justifiée et les rapports sexuels non protégés sont une façon pour les hommes d’affirmer leur pouvoir, leur maturité et d’obtenir le respect (Izugbara et Undie, 2008, p. 285, cité dans Bertrand-Danserau, 2012, p. 276).

Les femmes peuvent généralement être étiquetées selon trois différents rôles, soit la « vierge abstinente », la « fidèle mère de famille » ou la « prostituée » (Bertrand-Dansereau, 2012, p. 277). Les jeunes femmes qui s’intéressent à leur santé et aux préservatifs prennent donc le risque de se faire étiqueter de « prostituées » et de ruiner la réputation de leur famille entière. Cependant, je dois tout de même mentionner que certaines femmes — la plupart faisant partie de familles riches — ont eu l’opportunité de gagner du pouvoir économiquement et de poursuivre leurs études postsecondaires, ce qui change leur statut et leurs rapports de genre.

Durant mon stage, j’ai remarqué que les filles (des membres d’AYIDO) ne prenaient jamais ou rarement la parole lors de discussions de groupe au centre où je travaillais. Alors, j’ai repris un programme nommé « Girls Voice Group » qui avait été abandonné, et j’ai séparé les filles des garçons afin de leur donner un espace où elles pouvaient s’exprimer librement, faire de nouvelles amies et augmenter leur estime de soi. Animé par des membres d’AYIDO dans la langue nationale, ce programme permettait aussi de sensibiliser les filles sur des sujets en lien avec la santé, l’éducation, leurs droits en tant que personnes et les rôles sociaux de genres. Il leur donnait aussi un sentiment d’appartenance et de confiance en soi, aidant à contrer l’intimidation véhiculée par les relations de pouvoir entre les genres qui les empêchaient de s’exprimer en public.

Par ailleurs, le programme Girls Voice Group favorise l’empowerment, encourage à participer et à prendre des décisions dans la planification des événements ou programmation (Marchand et Ricci, 2010, p. 33-34). Je crois qu’il était important de ne pas voir les filles comme des victimes, malgré leur statut séropositif ou d’orphelines, mais comme des actrices de changement (Wyche, 2001, cité dans Marchand et Ricci, 2010, p. 35). Le programme vise aussi la conscientisation des femmes, les encourage à défendre leurs droits (p. 36) et à développer leur solidarité en leur donnant un espace sécuritaire pour partager leurs expériences et créer des prises de conscience (p. 42). Je demandais aux participantes de déterminer les règles de fonctionnement du groupe, un temps de rencontre idéal et les activités et sujets qui les intéressaient. De cette manière, je respectais leur choix et déterminais leurs besoins réels en évitant de les juger (p. 29-30). J’ai essayé de favoriser des rapports égalitaires et un lien de confiance malgré mon statut privilégié (blanche, statut économique élevé, faisant partie de la religion dominante, éducation postsecondaire, etc.) et de prendre conscience de mes préjugés afin de me décentrer, c’est-à-dire, prendre du recul par rapport à mon cadre de référence pour comprendre les gens avec qui je travaillais (p. 47). Cette expérience a définitivement clarifié mon rôle d’« agente de développement des jeunes et des enfants » et m’a permis d’apprendre des habiletés d’intervention en contexte communautaire tout en changeant mes préjugés sur les stages internationaux. Cette expérience de vie marquera à jamais ma pratique d’intervention.

Mon retour et les impacts sur ma pratique aujourd’hui

Après 12 semaines de stage, lors de mon retour à la maison, j’ai vécu encore une fois un choc culturel, et plus grand — on m’avait prévenue — que celui à l’arrivée au Malawi. J’ai suivi des cours intensifs d’intégration de stage à l’Université d’Ottawa qui m’ont poussée à faire des réflexions, des échanges avec d’autres étudiants ayant fait un stage international. Mes professeurs, mes cours et mes travaux m’ont grandement aidée dans mon processus de réintégration à la culture nord-américaine, même si c’était très difficile émotionnellement. Marquée par la fatigue, j’étais aussi choquée par l’individualisme et le manque d’esprit communautaire. Le fameux sentiment d’être toujours trop occupée, de toujours n’aboutir à rien et de vouloir justifier ma productivité m’a vite rattrapée. Et le temps des fêtes approchait, une période où le matérialisme et la consommation prennent beaucoup plus d’importance que les relations interpersonnelles. Bref, je me sentais perdue. En attendant l’autobus, j’étais étonnée de voir que personne ne me saluait; je me faisais même bousculer. Le sentiment de culpabilité est revenu en choisissant d’effectuer une visite sans prévenir. J’ai vécu un choc culturel « nord-américain » et conséquemment, je voyais différemment les diverses problématiques sociales. En habitant dans un pays en voie de développement, j’ai non seulement découvert une nouvelle culture, mais j’ai aussi appris à mieux connaître celle de mon pays d’origine. Mon analyse du contexte culturel dans lequel une personne se situe, de ses besoins réels et de ses désirs de changement — par exemple, lors d’intervention auprès de femmes immigrantes en situation de violence — était différente. Les interactions entre une multitude de situations d’oppression chez les individus me paraissaient plus claires.

Avant de quitter l’Afrique, ma plus grande peur était d’oublier mes apprentissages. Je voulais vivre dans le présent et apprécier chaque moment, mes amis, ma famille. Mes écrits m’ont permis de réfléchir, de me questionner et de me rappeler. Je sais maintenant que je veux travailler dans un milieu communautaire et que ma pratique sera influencée positivement par mes apprentissages à l’international. Tout compte fait, ce stage a été une expérience de vie qui m’a changée et me rappelle constamment pourquoi l’indignation est un « besoin d’enrichissement d’une pratique qui ne s’apprend pas uniquement sur les bancs d’école » (Marchand et Ricci, 2010, p. 50).