Des pratiques à notre image

L’aide : entre compassion et militantisme[Notice]

  • Nérée St-Amand

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  • Nérée St-Amand, Ph.D.
    Professeur titulaire, École de service social, Université d’Ottawa

Quand je me suis inscrit en travail social, à la fin des années 1970, c’était tout simplement pour aider les autres et, ce faisant, rejoindre cette génération de personnes rêvant à la fois de compassion, de charité et de justice. Les lieux et formes d’intervention étaient alors en train de changer radicalement, passant, en une décennie, des institutions religieuses aux réseaux professionnels qui s’implantaient à la suite du vide laissé par une Église chancelante. Au Nouveau-Brunswick, ma province natale, comme ailleurs, nous assistions à la mise en place de cette professionnalisation de l’aide orchestrée par l’État. En parallèle, mais souvent à l’écart, se développaient diverses initiatives communautaires basées sur le partage, la solidarité, le militantisme. Ces formes de pratique étaient souvent considérées comme marginales et non comme du « vrai » travail social. Mais dans l’ensemble, qu’importe les lieux et formes d’intervention, nous aidions les gens! Aider! Un idéal tout simple, tout pur! Je faisais alors partie de cette génération de missionnaires désenchantés qui se cherchaient un champ de pratique autre que l’Église, institution qui se vidait alors et qui ne constituait plus une avenue acceptable pour les transformateurs sociaux. Car l’Église, bastion espéré du changement social, perdait ses troupes. Pour ma part, j’avais envisagé une carrière dans une communauté religieuse, mais j’avais constaté, comme plusieurs, la schizophrénie d’une Église aux discours et pratiques contradictoires. En cours de route, Ivan Illich m’a aidé à comprendre ces contradictions entre nobles discours et difficiles réalités. À la suite de Vatican II en particulier, cette Église faisait face à de nombreux défis, comme la place des femmes ou encore le célibat des prêtres, l’avortement et l’homosexualité. Nonobstant les nombreuses contradictions dont j’étais aussi témoin et porteur, l’aide altruiste m’interpellait toujours, héritage de cette idéologie chrétienne. Je souhaitais consacrer ma vie à « aider » mon prochain. Délaissant le clergé, j’ai alors opté pour ce que je considérais comme la profession la plus proche de mes valeurs : le travail social. Maintenant, après quarante ans de pratique et de recherche, je propose ici une réflexion qui se veut une remise en question de l’aide, ce concept central à notre profession. En partant de quelques observations, je tente de démontrer que le travail social est porteur de nobles possibilités mais aussi de profondes contradictions. Je souligne ainsi quelques interrogations que l’aide suscite pour ensuite présenter des pratiques basées sur des valeurs et principes qui s’éloignent de l’empathie charitable. Je souhaite ainsi participer à la construction d’une conception militante de l’aide qui s’éloigne à la fois de la psychologie et de nos héritages chrétiens pour proposer des pistes de réflexion axées sur la justice, l’écologie et la solidarité. Dans les années 1970, au sein d’une équipe de protection de l’enfance, aider une jeune mère célibataire enceinte était tout simple : il s’agissait de lui conseiller — sinon de lui imposer — de donner son enfant en adoption! De la sorte, nous apportions une aide évidente et généreuse à trois personnes au moins : la mère biologique qui ne pouvait pas garder son enfant, un couple adoptif qui voulait fonder une famille et un enfant « illégitime ». En plaçant l’enfant dans un contexte favorable à ce qu’elle ou il devienne une citoyenne ou un citoyen respectable, aux bonnes valeurs, nous faisions en sorte qu’elle ou il ne reproduise pas le parcours que sa mère biologique avait emprunté. Nos valeurs ressortaient éloquemment de cet exemple dans un contexte où l’aide semblait un geste aussi simple qu’évident! Cependant, il ne tenait pas compte des rapports de classe et de genre, des enjeux de pouvoir ni de la force …

Parties annexes