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Introduction

L’une des particularités de la recherche SPIPRA est de ne pas cautionner la traditionnelle partition entre religion et spiritualité qui parcourt la littérature psychosociale et biomédicale (incluant les apports des sciences infirmières) qui porte sur le sujet. La théorisation ainsi que la typologie issues de cette recherche proposent plutôt d’analyser différentes conceptions de la spiritualité en tant que rapport individuel au religieux (religiosité), sur un spectre allant des religiosités normées par les cultures/religions jusqu’aux religiosités normées principalement par la subjectivité des individus. Ces deux extrémités correspondent à deux conceptions distinctes de la spiritualité, qui orientent considérablement les types de pratiques spirituelles qui sont valorisés dans un milieu donné. Cette partition entre les différentes spiritualités, que la recherche SPIPRA a mise en lumière grâce à l’analyse inductive des pratiques, nous permet de sérieusement remettre en question la pertinence de la distinction et de l’articulation entre religion et spiritualité. Rappelons que cette distinction est massivement mobilisée en tant que fondement théorique pour justifier les pratiques spirituelles en milieux de santé. Bien que le contexte de la laïcisation des institutions de soins puisse exiger un exercice de distanciation de la religion, nos analyses montrent que la persistance de la dualité religion/spiritualité dans l’esprit des soignants et des patients peut créer des incompréhensions, voire des postures éthiquement discutables.

Les éléments discutés dans cet article concernent avant tout une critique de la distinction entre spiritualité et religion (et leurs articulations possibles) fondant et légitimant les pratiques relevant de la spiritualité dans les institutions de soins ; cette discussion mérite cependant une remise en question des définitions mobilisées habituellement pour religion, religiosité et spiritualité. Notre perspective ancrée en sociologie du religieux offre des pistes de réflexion différentes permettant de clarifier en quoi il semble pertinent, dans le cadre de la spiritualité en milieu de santé, de dépasser cette partition entre religion et spiritualité qui semble pourtant acquise dans la littérature.

1. La recherche

L’objectif officiel de la recherche SPIPRA était d’amorcer une théorisation permettant d’illustrer et d’éclairer la coexistence de différents types de pratiques de soins spirituels au sein du monde de la santé, ainsi que d’en expliquer les différences et similitudes.

Élaborée de manière inductive selon les principes de la théorisation ancrée (Glaser et Strauss 1999), la recherche SPIPRA s’inscrit dans une démarche de compréhension de la perspective d’acteurs impliqués dans l’implantation de pratiques spirituelles en milieux de santé. L’étude cumule 90 entretiens semi-directifs réalisés à partir de 9 pratiques spirituelles en Suisse, en France et au Québec (Canada). Ces entretiens furent menés auprès de praticiens directement concernés par la pratique spirituelle en question (30 %), auprès de leurs collègues (27 %), auprès d’usagers (25 %) et auprès de décideurs (17 %). Les pratiques concernées ont ceci en commun qu’elles se réclament toutes de la spiritualité et étaient en place depuis un minimum de deux années au moment de leur sélection (2019).

Comme résultats de cette recherche, une typologie des pratiques spirituelles en milieu de santé fut suggérée, ainsi qu’une théorisation articulée autour de cinq grandes catégories analytiques permettant de comparer ces pratiques : le processus de médicalisation, la psychologisation, le rapport entretenu avec la théorie (ou le processus de théorisation), l’intégration de la spiritualité dans ces pratiques et enfin, les conceptions de la spiritualité en elles-mêmes, que nous souhaitons discuter dans le présent article. Le processus de médicalisation et l’articulation des différentes conceptions de la spiritualité sont au coeur de la théorisation de SPIPRA, qui cherche à inscrire les caractéristiques principales de ces pratiques dans un contexte sociologique plus large : celui de la rationalisation qui caractérise les institutions de la santé et qui influence directement les visées de ces pratiques spirituelles (une caractéristique associée au processus de médicalisation), puis celui du processus de subjectivisation du religieux qui influence les conceptions de la spiritualité mobilisées par les différents acteurs sur le terrain. Pour les détails de l’articulation de cette catégorie conceptuelle dans l’ensemble de la théorie de SPIPRA, le lecteur est invité à consulter l’article d’introduction du présent numéro[1].

Cette recherche inductive menée par l’équipe SPIPRA aborde aussi, de manière plus implicite, le décalage existant entre les apports de la littérature biomédicale en matière de spiritualité et la complexité des pratiques réelles, soumises à différents enjeux structurels, conceptuels et même à des enjeux entourant l’imaginaire social des patients et des soignants. L’analyse de la catégorie qui concerne les différentes conceptions de la spiritualité représente un bon exemple de la pertinence d’une théorisation issue de la pratique, car elle rend possible le développement d’un discours critique sur certains sujets abordés dans la littérature, dont la partition classique entre religion et spiritualité.

2. Religieux, religion, religiosité

Avant d’aborder cette critique de la partition entre religion et spiritualité, il est nécessaire de faire quelques remarques sur nos catégories conceptuelles, dont celles du religieux, de religion et de spiritualité.

Nous reprenons ici la distinction opérée par François Gauthier entre religieux, religion et religiosité (Gauthier 2017). Le religieux dont il est question représente l’être humain et sa relation au monde, la manière « dont les corps sociaux sont en relation avec leur extériorité (l’Altérité), leur fondement, et notamment avec l’origine, l’infini et l’éternité » (Gauthier 2017, 178). Une relation au valorisé et au vraisemblable, dans le sens de ce qu’une culture et une société permettent de croire et de valoriser (Perreault 2020). L’étude de ce religieux serait, en fait, une invitation à saisir ce cosmos sacré que l’homme contemporain habite.

Gauthier propose, à travers cette distinction, une classification des objets de l’étude du religieux en perspectives micro, méso et macro. La perspective macro étant celle du religieux générique, le niveau méso serait plutôt celui des religions instituées, donc de ces « formes religieuses variablement autonomisées et institutionnalisées dans une société donnée à une époque donnée » (Gauthier 2017, 179). Une structure, pour certains, qui a pour visée de perpétuer un rapport au religieux particulier et d’assurer la transmission de ce dernier dans une lignée croyante (Hervieu-Léger 1999). De ce point de vue, la religion est une structure particulière du religieux, à interpréter dans un contexte socioculturel précis. Nous retrouvons aussi, au niveau d’analyse micro, le religieux tel qu’il est vécu par les individus, sous forme d’une religiosité. Cette dernière comprend le rapport au religieux et aux religions qu’entretiennent les individus, notamment dans leurs aspects expérientiels et subjectifs.

Si la spiritualité devait se nicher dans l’une ou l’autre de ces perspectives, ce serait prioritairement au niveau micro de la religiosité des individus. Peut-on parler d’une équivalence entre le concept de spiritualité et celui de religiosité ? De notre point de vue, oui, dans le sens où la spiritualité, telle qu’elle est discutée avec les différents acteurs « sur le terrain », relève d’un rapport individuel au monde, soit d’une religiosité. Le problème semble plutôt se trouver du côté de la difficulté de penser la religiosité de manière distincte de la religion. Comme l’étude de la spiritualité tend à se construire en cherchant à se distinguer de l’étude des religions, surtout si l’on prend en considération la perspective des acteurs concernés, l’emploi d’un concept tel que celui de la religiosité semble problématique en raison de sa proximité sémantique avec le concept de religion. Comme l’observe judicieusement Sandra Marie Schneiders, la spiritualité non-affiliée est la critique idéologique contemporaine de la religion elle-même (Schneiders 2003, 174). Comment penser un objet qui cherche à s’émanciper de son contexte d’origine en employant le vocabulaire propre à ce contexte ? L’émergence de la spiritualité comme objet d’étude à part entière devrait nous inciter à être vigilant quant à l’usage d’un certain vocabulaire, afin que celui-ci reste en phase avec ces visées critiques de distanciation et d’autonomisation par rapport aux religions instituées. C’est la raison principale pour laquelle nous renonçons à l’emploi du terme religiosité, tout en prenant soin de spécifier notre perspective sur cette question sémantique.

La spiritualité dont il sera question ici concerne donc le rapport individuel au religieux tel qu’il est mis en scène dans des pratiques étudiées dans le cadre de la recherche SPIPRA. Cette manière de concevoir la spiritualité en tant que rapport individuel au religieux (générique) n’exclut pas d’appréhender « des spiritualités » en tant que rapports particuliers et contextualisés. Nous tenterons de montrer ici que ce rapport au religieux est décliné en différents types, suggérant des spiritualités particulières, comme le propose la théorisation de l’étude SPIPRA.

Ces développements sur les rapports entre religieux générique et spiritualité permettent enfin de mettre en relief une première difficulté dans la manière d’articuler religion et spiritualité dans la littérature biomédicale : du point de vue des soignants, il est impossible de comparer le rapport individuel au religieux de son patient (spiritualité) à la structure institutionnalisée qui la régule (religion). Les deux réalités ne se retrouvent simplement ni au même niveau de compréhension ni au même niveau d’analyse. Si la comparaison peut être utile au niveau de la gestion, par exemple de savoir si une organisation religieuse peut financer une pratique dans l’hôpital, elle devient cependant problématique lorsqu’elle prétend dire quelque chose de la réalité des patients ou de l’objet des soins dans une institution sanitaire.

3. Religion et spiritualité, l’opposition classique

Si l’on se fie aux travaux de Guy Jobin sur la question (Jobin 2012), la totalité des publications dans la littérature biomédicale après les années 2000 faisait état d’une distinction entre religion et spiritualité, que ce soit à travers une posture d’englobement (la spiritualité qui inclut la religion) ou d’exclusion (deux réalités séparées et autonomes). C’est la quasi-unanimité autour de cette distinction qui frappe d’abord le théologien : elle est considérée comme un donné, c’est-à-dire comme allant de soi (Jobin 2012, 17).

Les réalités « religion » et « spiritualité » sont surtout décrites dans la littérature biomédicale à travers leurs caractéristiques réciproques, que l’on peut résumer par quelques traits grossiers : la religion est considérée comme étant une réalité collective, relative et culturelle, qui se laisse voir à travers des rites, croyances et pratiques prédéfinies. La spiritualité, à l’inverse, serait une réalité individuelle et universelle, une réalité anthropologique, qui agit en tant que facteur d’harmonisation relationnelle (relation à soi, aux autres, au monde) (Jobin et Cherblanc 2013). Un exemple de définition de la spiritualité récurrent dans la littérature biomédicale est la définition développée par consensus par l’équipe de la Dre Christina Puchalski :

Spirituality is the dynamic dimension of human life that relates to the way persons (individual and community) experience, express and/or seek meaning, purpose and transcendence, and the way they connect to the moment, to self, to others, to nature, to the significant, and/or the sacred.

Puchalski et al. 2009

Cette délimitation de la spiritualité constitue un bon exemple de définition dite « inclusive », qui fut développée selon une articulation où la spiritualité englobe la religion. Jobin et Cherblanc avaient souligné la prédominance de cette articulation particulière dans la littérature, tenant généralement pour acquis que « l’être humain est naturellement spirituel et culturellement religieux » (Cherblanc et Jobin 2013, 48). Dans ce schéma classique d’articulation, le religieux devient un « accident » du spirituel, ce qui entre en contradiction avec la tripartition que nous avons proposée ci-dessus. Cependant, il est facile de comprendre que cette affirmation vise plutôt à faire de la spiritualité un rapport au monde, intrinsèquement humain, alors que la religion (et non le religieux) n’en serait qu’une forme particulière institutionnalisée. En traduisant dans nos catégories, cela revient à dire que l’être humain possède universellement un rapport au religieux, et que celui-ci est parfois culturellement déterminé par une religion. Cela étant, cette base théorique est-elle à même d’éclairer la pratique des soignants ou des professionnels de santé qui s’intéressent à la spiritualité dans les milieux de soins ?

La persistance de la partition entre religion et spiritualité dans l’imaginaire des soignants peut mener à des situations délicates, comme en témoigne l’exemple de la création de la salle de ressourcement de Purpan, qui fut l’un des terrains de l’étude SPIPRA. Malgré la visée très inclusive de la designer de cet espace, la persistance de cette distinction entre religion et spiritualité dans l’esprit de certains acteurs a permis de développer des exclusions qui ciblent particulièrement les religions. La designer voulait aborder une spiritualité universelle à travers des symboles communs :

Ce sont des symboles qui sont universels, en fait. Et qu’on peut retrouver aussi dans toutes les religions, et ça, c’était très important pour moi. […] De pas mettre de côté totalement, en fait, les gens qui ont besoin de se raccrocher à quelque chose de religieux, en fait.

Purpan

Malgré cette volonté d’inclusion, la conception de la spiritualité qui est véhiculée par ces lieux est centrée sur l’intériorisation silencieuse et le ressourcement intérieur autonome, justifiant de ce fait l’exclusion graduelle de l’implication des aumôniers (en accompagnement) et surtout l’exclusion des pratiques collectives, toutes deux associées à la religion :

Je pense que c’est un lieu qui, effectivement, cherche à incarner la spiritualité à l’hôpital, et cherche à incarner une notion de la spiritualité sortie du contexte religieux, en tout cas. Je pense que c’était l’objectif au départ […] qu’il ne soit pas étiqueté d’un sceau religieux, d’une religion ou d’une autre. […] Je pense que c’est un lieu, effectivement, de méditation personnelle.

Purpan

Il est parfaitement justifiable dans un contexte d’institution laïque que la salle ne soit pas gérée par une communauté religieuse en particulier. Cependant, du point de vue des usagers de cet espace, l’universalité et l’accessibilité de l’espace sont discutables en raison de l’exclusion de l’expérience des usagers qui s’inscrivent dans une spiritualité alimentée par des traditions religieuses. Cette exclusion étant justifiée selon certains par la présence d’une chapelle dans les environs, cette perspective ne fait que renforcer l’idée d’un clivage existant entre les expériences religieuses et les expériences spirituelles des usagers.

4. La révolution spirituelle

L’importance accordée à la distinction ou l’articulation entre spiritualité et religion n’est pas le propre des milieux de soins, elle fut diffusée dans la culture à partir des années 1960 à partir des travaux en théologie et sciences des religions :

Une telle distinction est rendue possible par les phénomènes de sécularisation de la culture occidentale et par la dé-traditionalisation des spiritualités, c’est-à-dire par le fait que les contemporains considèrent la spiritualité comme une dimension intrinsèquement liée à la nature de l’être humain et qu’il n’est pas nécessaire d’appartenir à une tradition religieuse précise pour qu’elle soit effective […] Cette compréhension commune des rapports entre spiritualité et religion fera son entrée dans le monde du soin et la littérature biomédicale dans les années 1980.

Jobin 2012, 87

Les chercheurs Paul Heelas et Linda Woodhead, qui sont à l’origine de l’expression « Spiritual Revolution » (Heelas et Woodhead 2005), sont des acteurs influents dans la manière de concevoir aujourd’hui la distinction entre spiritualité et religion. Le livre de Heelas et Woodhead constitue en fait une analyse du Kendal Project, une étude des religiosités des habitants de la petite ville de Kendal, en Angleterre. Les chercheurs y développent un modèle théorique expliquant à la fois le grand mouvement de sécularisation de nos sociétés et celui de la recomposition religieuse. Le point de rupture entre spiritualité et religion qui fut proposé par cette recherche s’inspire de la thèse de Charles Taylor sur le tournant massif de la culture moderne vers la subjectivité (massive subjective turn) (Taylor 1991). Taylor fait référence, par cette expression, à l’histoire humaine de la découverte d’une intériorité, individuelle, unique, prête à être explorée et enrichie par diverses expériences. Chacun d’entre nous, nous dit-il, découvre qu’il a sa façon personnelle de réaliser sa propre vie. Il devient alors important de découvrir et de vivre sa propre humanité « au lieu de se conformer au modèle imposé de l’extérieur par la société, ou par la génération précédente, ou par l’autorité politique et religieuse » (Taylor 2003). Une autre expression employée par le philosophe pour qualifier ce tournant est celle de la généralisation de la « culture de l’authenticité » (Taylor 2003), à comprendre dans le sens du souci de l’adéquation à cette intériorité individuelle en tant que critère moral d’action (comment déterminer le bon agir). Ce qu’entend le philosophe lorsqu’il parle d’un tournant subjectif « massif » de la culture, c’est que cette conception contemporaine de la vie touche non seulement toutes les couches sociales de nos sociétés occidentales mais aussi qu’elle est devenue en quelque sorte le modèle culturel dominant.

Le tournant subjectif de la culture moderne serait, selon Heelas et Woodhead, le mouvement nous ayant fait passer d’une vie en termes de rôles objectifs (life-as) à une vie centrée sur l’expérience subjective (subjective life) (Heelas et Woodhead 2005). Dans la première forme de vie, l’individu trouve sens au service de ce qui le transcende : un groupe, une idéologie, Dieu. Nous y retrouvons les vertus d’obéissance, le sens du devoir et du sacrifice. Son moteur est celui de l’adéquation à la Vérité. Cette forme de vie est incarnée généralement dans les structures religieuses plus traditionnelles, appelées dans le contexte du projet Kendal « milieux congrégationnels ». Dans la seconde forme de vie, l’individu puise en lui-même les sources de signifiances : dans ses états d’âme, ses expériences et son vécu intérieur. Nous y retrouvons la vertu de l’authenticité et le souci de « devenir soi-même ». Cette forme de vie se retrouve surtout dans ce que les chercheurs ont qualifié de « milieux de spiritualité holistique ». La spiritualité devient donc, pour ces auteurs, les « subjective-life forms of the sacred, which emphasises inner sources of significances and authority and the cultivation of sacralization of unique subjective-lives » (Heelas et Woodhead 2005, 6).

Ces changements majeurs dans la relation au monde et à soi-même seraient à l’origine de ce que Heelas et Woodhead ont appelé « la révolution spirituelle », qui expliquerait à la fois le déclin de certaines structures religieuses, celles orientées vers la promotion des formes de vies objectives, et la croissance des structures axées sur la valorisation de la vie subjective, associées directement à la spiritualité. La révolution spirituelle annoncée par Heelas et Woodhead devait éclairer le déclin des milieux congrégationnels au profit des milieux de spiritualité holistique, ce qui mériterait en d’autres circonstances d’être discuté, mais nous en retenons surtout une distinction très utile entre deux formes de religiosité : un rapport au religieux déterminé par des normativités extérieures à l’individu, et un rapport déterminé par la vie subjective de l’individu.

Dans cette approche sociologique, que l’une et l’autre de ces religiosités soient associées exclusivement et respectivement à « la spiritualité » et à « la religion » reste cependant critiquable. La religion n’a pas le monopole des normativités extérieures à l’individu, et la spiritualité ne saurait reposer exclusivement sur la vie subjective des individus. Ces religiosités ont simplement des affinités plus ou moins fortes avec certaines structures ou avec l’institutionnalisation du religieux, qui dépendent à leur tour du contexte socioculturel. La question est de savoir si le contexte particulier des institutions de soins favorise l’une ou l’autre de ces religiosités.

5. Les deux formes typiques de spiritualité

Comme nous l’avons déjà avancé, les soignants et autres professionnels des institutions de soins sont principalement en contact avec des patients (ou usagers des services) qui ont leur propre rapport au monde et au religieux. C’est pourquoi la religion, en tant que potentiel cadre normatif de ce rapport au monde, ne sera jamais rencontrée au pied du lit. Autrement dit, ces acteurs du monde de la santé ne traitent pas avec la religion mais bien avec la religiosité des patients, que cette dernière soit normée de l’extérieur par une tradition religieuse ou non. Le déplacement de l’attention au niveau de la source de la normativité (et non au niveau de la catégorie spiritualité/religion) permet d’appréhender plus finement la réalité des patients et d’en rendre compte dans une prise en charge.

Il est important de distinguer ces deux types de spiritualité sur le plan de leur rapport à la normativité, sachant que les deux extrémités du spectre correspondent plutôt à des idéaux-types. L’étude SPIPRA a permis de dégager la manière dont les différentes personnes interrogées se représentaient ce qu’est la spiritualité, établissant une distinction pratique entre deux « types » de spiritualité (ou deux conceptions typiques différentes). Un premier type de spiritualité correspond à un rapport au religieux totalement normé de l’extérieur, par une autorité religieuse ou une autre source normative. Cette conception de la spiritualité tient pour acquis que l’individu accorde à une autorité extérieure la crédibilité pour définir son rapport au monde sur le plan religieux (son rapport à l’absolu, à Dieu, à la vie, etc.). Parce que cette autorité extérieure est susceptible de normer la religiosité d’un ensemble d’individus, la religiosité de ces derniers devient reconnaissable à travers des marqueurs précis : leurs pratiques religieuses, le type de croyances auxquelles ils adhèrent, les valeurs morales qui sont priorisées, etc. L’étude SPIPRA définit cette conception particulière de la spiritualité comme étant une réalité « culturo-normée », c’est-à-dire normée par une culture extérieure. La reconnaissance de cette source normative extérieure renseigne sur la religiosité de l’individu, à condition d’avoir une certaine connaissance de cette culture. Par exemple, nous retrouvons une telle représentation de la spiritualité chez cet intervenant qui accompagne des gens ayant des problèmes de santé mentale (à PECH[2]) :

C’est un peu comme ça que les rencontres AA se font : en disant qu’on reconnaît que y’a quelqu’un de plus grand que nous autres qui peut nous aider. Bon, maintenant, le détail de c’est qui cette personne-là ou cette entité-là, on ne rentre pas là-dedans.

PECH

L’intervenant reconnaît une croyance particulière, celle associée à un dieu salvateur, et en déduit l’utilité potentielle dans un parcours de rétablissement. Il comprend la spiritualité de cette personne comme étant normée par cette croyance en une force extérieure à laquelle il est possible de se référer au besoin. Ce n’est pas une spiritualité comprise comme étant le sens ou la valeur accordée à cette expérience de se sentir soutenu par une présence bienveillante, par exemple, mais bien une spiritualité comprise comme étant définie par des croyances culturellement déterminées, susceptibles de servir un plan de rétablissement.

Cette conception de la spiritualité comme étant une religiosité culturo-normée était dominante lorsque la majorité des religiosités s’inscrivaient dans une religion instituée. Sans avoir pour autant disparu des institutions, cette conception côtoie pourtant aujourd’hui une conception fort différente de ce qu’est la spiritualité, comme étant avant tout une religiosité normée par la vie subjective des individus.

Nous retrouvons donc à l’autre bout du spectre des conceptions de la spiritualité un autre type, que nous qualifions de fortement subjectivisé. Pour ceux et celles qui conçoivent la spiritualité comme étant une religiosité normée de l’intérieur (individuo-normée), l’individu puise en lui-même, dans sa vie subjective, les sources d’autorité qui déterminent son rapport au religieux. Les pratiques rituelles sont ancrées dans son expérience du monde (et leur efficacité), la valeur des croyances est jugée à l’aune de la cohérence interne de cette vie subjective. La construction de ce rapport au monde à partir de ses propres normes s’inscrit dans cet impératif de devenir soi-même. Cette subjectivisation produit une religiosité unique et singulière, qu’il n’est possible de connaître qu’à travers le récit de sa construction. Si des « marqueurs » religieux classiques peuvent se retrouver à l’intérieur de ce type de religiosité, par exemple la pratique de la prière, la valeur et le sens accordés à ces marqueurs ne dépendent pas du rôle traditionnel attribué par l’autorité religieuse, mais bien de l’expérience du sujet. L’appartenance à une religion n’est plus à même d’indiquer le type de rapport au monde qu’entretient un individu. Dans ces cas de spiritualité individuo-normée, la religion peut servir de ressource culturelle mais ne possède pas d’autorité normative en elle-même. Les individus qui conçoivent la spiritualité comme étant quelque chose de normé par la subjectivité, comme nous le montre l’étude SPIPRA, ont tendance à la décrire comme étant une dimension englobante de la vie subjective des personnes :

La spiritualité, c’est quelque chose qui te dirige dans la vie, c’est ce en quoi tu crois, c’est ce qui te nourrit quand t’as… Pas juste quand t’as pu rien d’autre, mais c’est quand même la base […] la spiritualité, ça fait partie du bagage de vie de la personne, c’est souvent ce qui dirige un peu les valeurs de la vie, les valeurs de la personne, un peu le sens qu’elle donne à ça, donc la spiritualité a toute sa place, c’est quelque chose à aller connaître, c’est propre à chaque personne, c’est quelque chose qui est unique. Donc cette partie d’unicité de la personne qui est devant nous, qu’on va accompagner, elle a toute sa place.

PECH

Ces propos sont ceux d’une intervenante de PECH ayant le même rôle et la même formation que la personne citée ci-haut, ce qui ne les empêche pas de concevoir la spiritualité de manière différente. Dans l’exercice de l’investigation de la spiritualité de l’usager des services de suivi d’intensité variable (SIV), qui correspond à la pratique étudiée par SPIPRA, ces deux intervenants ne procèderont pas de la même manière en fonction de leur conception différente de ce qu’est la spiritualité.

6. La spiritualité de l’autre et son investigation

Nous savons maintenant, à la suite des travaux de Taylor et de plusieurs autres sociologues du religieux, que la tendance sociale est à la subjectivation graduelle des religiosités, sous l’influence croisée de la sécularisation (marginalisation du rôle normatif des religions) et du tournant subjectif de la culture moderne. La prédominance dans la société se reflète inévitablement dans les conceptions de la spiritualité qui circulent dans ces institutions de soins. Les soignants qui s’intéressent à la spiritualité d’une autre personne sont susceptibles de projeter leurs propres conceptions de la spiritualité sur la réalité vécue de l’autre. En lien avec ce qui précède, cela peut devenir problématique cependant lorsque la prédominance d’une conception de la spiritualité fait obstacle à la reconnaissance d’autres conceptions possibles.

En effet, ces deux types de spiritualité n’appellent pas nécessairement les mêmes gestes de la part des soignants. Ne serait-ce que pour connaître certains éléments de la spiritualité d’un patient, d’une part il faudrait examiner le récit de sa construction alors que d’autre part il vaudrait mieux apprendre la culture qui l’alimente. L’une se reconnaît à des marqueurs précis alors que l’autre défie totalement la signification de ces marqueurs. La notion même d’accompagnement de ces deux types de spiritualité change tout autant : alors que l’une est motivée par l’adéquation à la Vérité, qu’il faudrait chercher à découvrir et mettre en pratique à partir de la tradition, l’autre nécessite un travail d’anamnèse qui vise la cohérence de la vie subjective et l’expression de soi. La mécompréhension de ces types de spiritualité peut mener à des impasses dans les services d’accompagnement spirituel. Les personnes qui manifestent une spiritualité normée de l’extérieur, par exemple, n’accordent pas la même valeur à l’investigation de leur vie subjective que ceux ayant une spiritualité fortement subjectivisée.

La recherche SPIPRA a permis de recueillir un témoignage fort intéressant en ce sens, provenant d’une patiente hospitalisée à Québec. La présence d’un intervenant en soins spirituels (ISS) à son chevet avait pour objectif, dans sa perspective, de partager la communion avec un confrère alors qu’elle s’apprêtait à subir une opération délicate. Le service d’accompagnement spirituel de ces ISS nécessite une évaluation de la spiritualité de la patiente avant d’effectuer un accompagnement, ce qui fut fait à partir de l’outil REPÈRE (RESS), axé sur l’investigation du rapport au sens et à la transcendance à travers les relations, les espoirs, les valeurs et les pratiques (Bélanger et al. 2020). Le témoignage de la dame est explicite : l’accompagnement spirituel relève du geste de la communion, le reste n’est que discussion avec un « gentil Monsieur » à propos de sa vie personnelle, ce qui n’a rien à voir avec sa vie spirituelle. Ce qui est demandé à l’ISS par la standardisation de l’évaluation spirituelle n’est pas en phase avec la demande du patient, et une conception normative de ce qu’est la spiritualité est projetée sur les besoins de cette patiente. Il n’est pas question ici de critiquer l’usage de l’outil RESS pour aborder la spiritualité, mais simplement de montrer que cet outil est beaucoup plus en adéquation avec des spiritualités individuo-normées, qui nécessitent l’investigation de la vie subjective dans son ensemble avant d’envisager un accompagnement. L’effort de théorisation de la spiritualité par les initiateurs de pratiques, les chercheurs et les institutions, surtout lorsque la distanciation de la religion reste un motif important, peut mener à la cristallisation d’une conception de la spiritualité autour de sa forme fortement subjectivisée, ainsi que la standardisation des pratiques qui s’adressent spécifiquement à ce type de spiritualité.

7. Les écueils de la partition religion-spiritualité

La persistance de la partition entre religion et spiritualité dans l’esprit des acteurs du monde de la santé, tout comme la cristallisation des conceptions de la spiritualité autour des formes subjectivisées, risque de créer quelques points de confusion à propos de ce qui fait l’objet de leur attention et la manière de l’aborder avec les patients. L’absence de distinction entre la religiosité et la religion représente un écueil important lorsque se pose la question « de quoi faire pour bien faire », tout comme le présupposé que la spiritualité ne peut être que sous sa forme subjectivisée. Un dernier écueil à discuter, enfin, est celui qui confond l’universalité de l’expérience humaine du rapport au monde avec l’universalité d’une spiritualité subjectivisée.

L’appartenance à une religion particulière, qui autrefois représentait un marqueur classique des religiosités, perd aujourd’hui en signifiance dans l’analyse du rapport au monde des individus. En d’autres mots, une distance est créée entre religion et religiosité, plus ou moins grande selon la subjectivisation de ce rapport au monde. Dans le cas précis des patients qui prétendent appartenir à une religion particulière, il n’est plus possible d’affirmer automatiquement que nous sommes face à une spiritualité déterminée de l’extérieur selon des marqueurs précis et reconnaissables. À l’inverse, la non-appartenance religieuse d’un individu n’exclut pas la présence dans sa vie spirituelle d’éléments typiquement attribués aux religions et à la pratique religieuse, qui peuvent influencer l’expérience de maladie du patient.

Cette désarticulation entre religiosité (spiritualité) et religion prend davantage d’importance lorsque la conception de la spiritualité exclut volontairement des composantes « associées » à la religion. Dans sa critique de l’intégration de la spiritualité dans les milieux de soins, Sophie Gilliat-Ray (2003) reprend les arguments d’Anne Bradshaw (1996) et cible directement ce décalage entre les efforts de théorisation de la spiritualité et les conceptions des patients, visible entre autres dans l’exclusion du thème de Dieu :

In the effort to distinguish ‘religion’ from ‘spirituality’, the concept of God has become increasingly excluded and virtually insignificant. The place of God or what could be called ‘Ultimate Reality’ is thus regarded as nominal and secondary to ‘meaning, purpose and fulfilment’. She (Bradshaw) questions whether patients would recognize the concept of ‘spirituality’ as it is now generally and overwhelmingly described by health care writers. What nursing writers or even nurses themselves assume to be ‘spiritual care’ might not, in fact, correspond to patient need or understanding.

Gilliat-Ray 2003, 338

Poursuivant sa critique, cette fois à partir des arguments de Tony Walter (2002), Sophie Gilliat-Ray pointe également le traitement différent que subissent parfois les confessions religieuses non chrétiennes :

There is an assumption that ‘spirituality’ is for Christians or the general population at large, whatever their belief or lack of it, while ‘religion’ of a committed and orthodox kind defines the so-called ‘spiritual needs’ of religious minority groups.

Gilliat-Ray 2003, 340

Une forme d’exclusion se retrouverait sous cette conception normative de la spiritualité subjectivisée, qui tend à être mobilisée dans le cadre des patients chrétiens ou non-religieux, alors que les patients de confessions religieuses minoritaires sont préjugés comme étant des pratiquants orthodoxes qui n’auraient que des besoins en lien avec leurs religions. La distanciation entre religion et religiosité est visiblement plus facile à envisager dans le cadre des confessions chrétiennes, alors qu’on tend à refuser cette distanciation aux individus de confession autre. De manière caricaturale, le chrétien devient automatiquement distancié de sa tradition religieuse alors que le musulman, par exemple, s’inscrirait dans une spiritualité totalement déterminée par la tradition islamique. Pourquoi un patient musulman ne pourrait-il pas avoir une spiritualité individuo-normée, qui nécessite d’investiguer sa vie subjective pour l’accompagner dans la quête et l’expression de soi et de son rapport au monde ? La confusion entre religion et religiosité, ainsi que l’absence de reconnaissance de différents types de spiritualités, peuvent mener à ce type de posture éthiquement discutable du point de vue de l’accessibilité des services.

Le dernier écueil que nous souhaitons aborder ici concerne directement le caractère universel qui est attribué à la spiritualité, qui est confondu parfois avec l’universalité d’une spiritualité de type subjectivisé. Cette universalité constitue un élément majeur de la distinction entre spiritualité et religion que l’on retrouve dans la littérature. Alors que la religion est jugée déterminée, normative et même excluante, pour certains, le recentrement des pratiques sur la spiritualité assurerait un service universel qui s’adresse à tous les humains. Ces conceptions universalistes de la spiritualité ne sont pas neutres et soulèvent d’importants enjeux éthiques et organisationnels. Si elles suggèrent que les services d’accompagnement spirituels, ou encore d’attention à la spiritualité sont susceptibles de convenir à tous les humains, elles passent souvent sous silence la non-reconnaissance de la dimension spirituelle (ou de cette forme particulière de spiritualité) par une partie de leur clientèle. En découle parfois cette vision normative de ce qu’est la spiritualité, qui alimente cette idée que les gens puissent « ignorer qu’ils ont une spiritualité ». La non-reconnaissance individuelle d’une composante humaine n’invalide évidemment pas son existence, les psychanalystes en ont fait leur métier. Mais lorsque l’attention à la spiritualité prend racine dans la reconnaissance des besoins du patient, ou encore se base sur l’idée d’une prise en charge globale de la personne, présupposer que cette dimension ou ces besoins existent chez l’usager des services est inadéquat. Il est possible, rappelons-le, qu’un usager des services puisse avoir une conception de la spiritualité comme étant une religiosité déterminée de l’extérieur par une tradition religieuse ; qu’il puisse juger que cette dimension ne fait pas partie de son rapport au monde. Est-ce le rôle de l’institution médicale de le convaincre que ce n’est pas cela la spiritualité à son avis ? Que l’empereur, au contraire, possède de tout nouveaux habits (Salander 2012) et que les composantes psychosociales de son rapport au monde (relations, valeurs, espoirs) tombent aujourd’hui sous l’appellation de spiritualité ? Cette posture est aussi normative que celle, provenant de l’autorité religieuse, dont ces soignants cherchent à s’émanciper.

L’enjeu principal auquel font face les ISS au Québec relève de la reconnaissance de leur rôle dans la prise en charge de la spiritualité telle que ces spécialistes la conçoivent, universelle et distincte de la religion, en défiant les conceptions courantes qui associent religion et spiritualité. En cherchant à s’émanciper de « la religion », pour signifier que l’accompagnement renonce à toute normativité religieuse, cette perspective peut aisément glisser vers l’exclusion des spiritualités culturo-normées de leur service d’accompagnement spirituel. Cette promotion d’une conception universelle de la spiritualité à l’intérieur d’une organisation, bien qu’elle soit utile pour justifier l’accessibilité du service, ne fait que gommer la diversité des conceptions qui existent au niveau de leur clientèle et au niveau du personnel soignant. Autrement dit, la seule universalité qui puisse être affirmée sans tomber dans des conceptions normatives de la spiritualité est l’universalité de type anthropologique, qui relève du fait qu’un individu entretient un rapport au monde particulier, dont certaines composantes sont susceptibles de relever du religieux, et que la manière dont cette religiosité est normée (de l’intérieur ou de l’extérieur) détermine le type de spiritualité auquel nous avons affaire.

Conclusion

Du point de vue de la partition de l’étude du religieux à trois niveaux, comparer religion et spiritualité revient à comparer une forme religieuse instituée (la religion) à un rapport individuel au religieux (la religiosité), deux réalités qui ne sont pas au même niveau. Les pratiques cliniques dont il est question dans la recherche SPIPRA s’adressent à des individus, usagers ou patients. La question est donc de comprendre (ou d’accompagner) le rapport individuel que ces usagers entretiennent avec le religieux (ou la religion). La pertinence d’intégrer cette dimension de la vie subjective des patients dans le cadre de l’institution de soins n’est pas remise en question dans notre discussion. En mobilisant l’attention sur la distinction entre religion et spiritualité, la littérature biomédicale et psychosociale portant sur la spiritualité tend à entretenir certaines confusions dans la compréhension de cette réalité, menant parfois à des postures éthiquement discutables. La partition entre religion et spiritualité peut s’avérer fort utile pour discuter des transformations du religieux contemporain, mais elle provoque quelques incompréhensions lorsqu’il s’agit d’en faire un support conceptuel nécessaire à l’élaboration d’une pratique en lien avec la spiritualité.

Lorsque la question est déplacée au niveau des religiosités, c’est-à-dire au niveau du rapport individuel au religieux, il devient possible de considérer qu’il existe des spiritualités normées par des autorités extérieures à l’individu (dont les autorités religieuses), puis des spiritualités qui sont plus subjectivisées, c’est-à-dire normées à partir de la vie subjective de l’individu. Ces spiritualités n’appellent pas nécessairement les mêmes gestes cliniques lorsqu’elles deviennent l’objet d’attention des soignants. Alors que les spiritualités normées de l’extérieur nécessitent l’investigation de la tradition culturelle ou religieuse qui l’alimente afin de déterminer un cheminement d’adéquation à cette norme (ou de résolution de conflit), les spiritualités subjectivisées nécessitent plutôt l’exploration de la vie subjective dans son ensemble afin d’en évaluer la cohérence et le souci de l’expression de soi. La distinction entre religion et spiritualité ne représente en fait que l’arbre qui cache la forêt : non seulement ce ne sont pas tous les patients qui reconnaissent une dimension spirituelle dans leur rapport au monde, mais en plus la conception de ce qu’est la spiritualité (et son contenu) diffère grandement en fonction de la source normative qui l’encadre. L’essor des spiritualités subjectivisées ne devrait pas monopoliser les efforts de conceptualisation des milieux psychosocial et biomédical au point d’oublier que plusieurs types de spiritualités coexistent dans nos sociétés sécularisées.