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Introduction

Les défis du marché du travail constituent un sujet important pour les politiques de développement. L’ampleur du chômage, la prévalence des emplois précaires et peu productifs, l’étendue du secteur informel, le nombre élevé de travailleurs pauvres ainsi que les questions liées aux fortes disparités de genre sont les caractéristiques les plus frappantes du marché du travail et des préoccupations de premier rang dans les pays en voie de développement. Des études théoriques et empiriques réalisées dans certains pays africains ont montré qu’il existe des écarts significatifs entre les hommes et les femmes selon les conditions d’activités, le plus souvent en défaveur des femmes.

Arbache (2010) identifie trois facteurs essentiels qui sous-tendent la dynamique de la participation des femmes aux marchés du travail en Afrique : les perspectives d’emploi limitées, les différences de niveau d’éducation et la dynamique du pouvoir au sein des ménages. Les études menées à ce sujet ne permettent pas de conclure à l’existence d’une discrimination contre les femmes sur le marché du travail. Néanmoins, les disparités entre les genres au regard de l’intégration sur le marché du travail ont tendance à être plus marquées dans les pays où les perspectives d’emploi sont moindres. Ekamena (2013) a révélé l’existence d’une discrimination de genre dans la participation au marché du travail au Cameroun ainsi qu’un écart total de probabilité moyenne de participation estimé au marché du travail entre les hommes et les femmes de 4,09 %. L’étude sur le Mali a montré que le marché du travail se caractérise par une faible participation des femmes au secteur moderne et un écart de salaire moyen en défaveur des femmes de l’ordre de 15,5 % (Doumbia et Meurs, 2003).

Au Cameroun, la situation économique et le poids démographique ont conduit inévitablement à une déstructuration du marché du travail. La situation de l’emploi et de l’offre des services sociaux s’est considérablement dégradée avec le développement des emplois précaires et une expansion du secteur informel. En effet, évaluée à 15 472 551 habitants en 2001, la population du Cameroun a été estimée à 19 406 100 habitants selon les résultats du troisième Recensement Général de la Population et de l’Habitat publiés au mois de janvier 2010[1]. Selon les résultats de ce dernier recensement, le Cameroun compte toujours un peu plus de femmes (50,6 %) que d’hommes (49,4 %). La fécondité, tout en montrant un fléchissement, continue d’être élevée, avec un indice synthétique de la fécondité (ISF) toujours autour de cinq enfants (INS, 2012). Par ailleurs, la crise économique et financière qui a secoué le pays ces dernières années a fragilisé son système d’information socioéconomique en général et plus particulièrement celui basé sur l’emploi et le marché du travail.

Le secteur informel, qui est le premier employeur des femmes au Cameroun, regroupe plus de la moitié des actives occupées. Selon le secteur d’activité, les femmes sont majoritaires dans le secteur tertiaire (services et commerce), comparativement aux secteurs secondaire et primaire. En général, les femmes sont peu représentées dans les professions libérales, notamment dans les métiers d’avocat, d’huissier, de médecin ou d’expert comptable (MINPROFF[2], 2012). L’entrée massive des femmes sur le marché du travail au Cameroun au cours de ces dernières années s’est faite dans un contexte d’inégalités et de différences. Différence entre la forte progression du niveau d’éducation et de formation des femmes et leur faible représentation dans les postes de responsabilité. En effet, leur niveau de scolarisation est passé d’un taux de 64,9 % en 2000 à 81 % en 2010, alors que le pourcentage des femmes dans les fonctions politiques était de 6,54 % en 2002 et de 11,6 % en 2012. Il existe aussi une différence entre la progression de la législation visant à assurer l’égalité de traitement entre hommes et femmes et les écarts persistants notamment entre les salaires féminins et masculins; en effet, les emplois ainsi que les postes de responsabilité les plus élevés sont attribués aux hommes, de même que, par conséquent, les meilleurs salaires. Les salaires des hommes sont ainsi de 1,5 à 2 fois supérieurs à ceux des femmes (INS, 2012).

L’objectif de cette étude est de caractériser les différentiels salariaux entre les hommes et les femmes sur le marché du travail au Cameroun. Le problème qui se pose généralement dans ce genre d’étude est de déterminer dans quelle mesure les écarts observés reflètent une discrimination. Pour cela, un recours à un travail empirique est souvent effectué afin de mesurer cette discrimination et, si elle existe, son ampleur.

La littérature sur l’écart salarial entre hommes et femmes est riche en tentatives d’explications. Des théories du marché du travail et de la formation des salaires ont tenté d’expliquer, voire de justifier la hiérarchie salariale. Les études faites sur les écarts[3] salariaux mettent l’accent sur la validité empirique des théories et en particulier sur leur pertinence vis-à-vis des faits caractérisant les marchés du travail actuels. Cet écart peut être dû aux caractéristiques individuelles de ces personnes ou à la discrimination à leur encontre. Les explications de ces différences sont nombreuses et plusieurs cadres théoriques ont tenté de formaliser leur origine. De nombreux travaux d’économistes se sont attachés à mesurer et à expliquer l’origine des inégalités salariales de genre. Ces travaux se situent dans la lignée des développements théoriques de Becker (1957, 1962), de Mincer et Polachek (1974) et Polachek (1981) et de Bergmann (1974) (théorie du capital humain, théorie de la discrimination) et à la structure du marché du travail (Gunderson, 1979 ; Ehrenberg et Schwarz, 1986...).

Les comportements discriminatoires influencent dans une large mesure le marché du travail et contribuent le plus souvent aux écarts salariaux sur le marché du travail. Les travaux de Becker s’inscrivent dans un cadre théorique précis. Celui dans lequel le salaire, fixé par les conditions de la concurrence, mesure la productivité. Dans ce cadre, deux individus se distinguant par des caractéristiques non liées à la production (couleur de la peau, sexe), mais parfaitement substituables dans le processus de production, devraient recevoir un salaire identique puisqu’ils ont la même productivité. Une attitude discriminatoire envers l’un d’eux peut aboutir à un différentiel de salaire (Becker, 1957).

Ce travail a cinq sections. Dans la deuxième, nous décrivons les spécificités du marché du travail camerounais, la troisième est consacrée à la méthodologie et les résultats sont présentés dans la quatrième section.

Les spécificité du marché du travail au Cameroun

Selon Keledjoue (2005), le principal problème d’emploi au Cameroun serait l’existence d’un grand nombre « de pauvres qui travaillent parfois de façon temporaire ou saisonnièrement  », dans la production de biens et services, mais dont les activités ne sont pas reconnues, enregistrées, protégées ou régulées par les autorités publiques. Les indicateurs du marché du travail au Cameroun témoignent de l’existence de fortes disparités. Plusieurs facteurs méritent une attention particulière dans le cadre du suivi du marché du travail au Cameroun. Il s’agit de l’effet du capital humain, des disparités de genre dans l’activité économique, de la structure des salaires et des comportements discriminatoires.

L’effet du capital humain sur le marché du travail

Selon la conception théorique élaborée par Becker (1964), les écarts de salaires s’expliquent par les différences de productivité. Celles-ci s’expliquent, à leur tour, par l’inégalité du capital humain accumulé par les individus, particulièrement au cours de leur scolarité. Cette théorie pose l’hypothèse selon laquelle à une valeur ajoutée de formation correspond une productivité marginale chez le travailleur. La distribution inégale des salaires est considérée comme une conséquence logique de la répartition inégale du stock de savoir entre les membres d’une population.

Selon Nga Ndjobo et coll. (2011), les taux de rendement privés de l’éducation au Cameroun sont positivement élevés dans les secteurs public et privé formels, tandis qu’ils sont négatifs dans le secteur informel. En outre, les taux d’emploi varient avec le niveau d’instruction. Il est de 73,1 % pour l’ensemble de la population. Les moins instruits ont un taux élevé par rapport aux plus instruits. Le chômage qui est relativement bas dans l’ensemble affecte plus les personnes les plus instruites, quel que soit leur sexe. Le chômage augmente avec le niveau d’instruction. Les personnes les plus instruites sont plus affectées par le chômage que ne le sont les moins instruites, et ce, quels que soient le sexe ou le milieu de résidence. En effet, en 2005, le taux de chômage était de 4,4 % et le taux de sous-emploi de 75,8 % (INS, 2005). Ce constat avait permis de déceler que le problème d’insertion ne se pose pas en termes de chômage, mais plutôt en termes de sous-emploi. La deuxième enquête sur l’emploi et le secteur informel (INS, 2010) révèle, d’une part, un taux de chômage qui reste relativement faible (3,8 %) et qui croît avec le niveau d’instruction et, d’autre part, un taux de sous-emploi de 70,6 %. Ce sous-emploi est moins prononcé chez les personnes instruites que chez celles qui sont non scolarisées.

Les hommes sont dans l’ensemble mieux rémunérés que les femmes. Les écarts sont moins prononcés chez les salariés du secteur formel que chez ceux du secteur informel. En effet, dans le secteur formel, le salaire des hommes ayant un niveau d’études secondaire et supérieur est 1,3 fois supérieur à celui des femmes, alors que chez les non-scolarisés le salaire des hommes est 4 fois supérieur à celui des femmes. Dans le secteur informel, il est de 2 et 2,3 fois supérieur à celui des femmes, quel que soit le niveau d’instruction (INS, 2012).

Des disparités de genre dans l’activité économique

Depuis les années 1990, le comportement des femmes sur le marché du travail au Cameroun a évolué. Leur taux d’activité a progressé, sans toutefois atteindre celui des hommes : ce taux est passé de 62,7 % en 1996 à 68,3 % en 2005. De 79,5 % en 2007, il a baissé en 2010 jusqu’à 64,2 %. Les écarts d’activité entre les hommes et les femmes sur le marché du travail ont diminué, passant de 14 points de pourcentage en 1996 à 9 points de pourcentage en 2010. (INS, 2007, 2012). La scolarisation des femmes a connu une nette amélioration, notamment au primaire où le rapport filles/garçons est passé selon l’INS (2010) de 0,83 à 0,89 entre 2001 et 2007. Toutefois, le taux de fréquentation scolaire est plus élevé au sein de la population masculine (84,8 %) que féminine (71,8 %). L’amélioration du profil éducatif des femmes a modifié le comportement de ces dernières sur le marché du travail à travers la réduction du taux de fécondité, le recul de l’âge de mariage, la croissance du nombre de familles monoparentales dirigées par une femme, l’augmentation des divorces, l’augmentation des besoins économiques des familles. Tous ces facteurs ont obligé les femmes à exercer un emploi rémunéré, contribuant ainsi à l’augmentation du taux d’activité féminin (Njikam et coll., 2005).

Cependant, cette évolution s’est soldée par un taux de chômage féminin élevé, supérieur au taux masculin. En 2010 au Cameroun, alors que le taux de chômage des hommes était de 3,1 %, celui des femmes s’élevait à 4,5 %. Ce taux de chômage connaît des changements de structure et concerne de plus en plus une main-d’oeuvre jeune et instruite. Il est plus faible en zone rurale, parce que presque toute la population travaille le plus souvent dans le secteur informel agricole (INS, 2012). En zone rurale, les inégalités liées au genre sont très répandues sur le marché du travail, où hommes et femmes travaillent souvent dans différentes combinaisons d’emplois, en étant à la fois agriculteurs à leur compte, travailleurs saisonniers ou, encore, main-d’oeuvre familiale non rémunérée. Les femmes rurales continuent d’être pénalisées par l’invisibilité de leur travail lié à l’économie de la maison. Elles sont fortement engagées dans les fonctions domestiques et reproductives, qui sont cruciales pour l’entretien des foyers, des familles, des parents et des communautés, mais cela est perçu comme une extension des devoirs familiaux, ce qui explique que cette part importante soit invisible économiquement.

Selon la théorie des différences compensatrices, les écarts de salaire entre les hommes et les femmes apparaissent à cause des différences de genre dans les préférences des conditions de travail. Les risques redoutés sont des accidents de travail ou des décès. Les femmes préfèrent donc des emplois avec moins de risque de blessures, d’accidents ou de décès (Hersch, 2006). Au Cameroun, il est à relever que la représentation des femmes dans les bâtiments et travaux publics (BTP), le transport et la réparation n’atteint pas 4 % de ses effectifs. Les femmes sont par ailleurs largement représentées dans la confection (84,4 %), la restauration (75,1 %), l’agroalimentaire (70,6 %) et le commerce de détail (54,8 %) (INS, 2012).

La structure familiale

Les écarts de salaire entre hommes et femmes dépendent aussi de la structure salariale du pays en question. Selon la théorie du capital humain (Becker, 1964), les hommes et les femmes ont des dotations différentes en termes de formation et d’expérience et occupent des emplois différents dans des secteurs différents. Toutes choses égales par ailleurs, lorsque les rendements du capital humain et les rendements dans quelques secteurs favorisés augmentent, l’écart salarial entre hommes et femmes se creuse. Par ailleurs, la structure salariale est déterminée par de multiples facteurs, parmi lesquels la structure de négociation salariale occupe une place prépondérante. Blau et Khan (1999) ont trouvé dans leur étude qu’une négociation centralisée favorise une réduction des écarts salariaux de genre.

Au niveau national, dans le secteur public, le revenu moyen mensuel dans l’administration publique est de 134 000 FCFA, soit 149 000 FCFA pour les hommes et 119 000 FCFA pour les femmes. Dans les entreprises privées formelles, il est de 260 000 FCFA, soit 305 000 FCFA pour les hommes et 215 000 FCFA pour les femmes. Dans le secteur privé informel, le revenu mensuel moyen est le plus faible. Il n’est que de 65 500 FCFA pour les activités informelles dépendantes (87 000 FCFA pour les hommes et 44 000 FCFA pour les femmes) et de 18 000 FCFA pour les travailleurs indépendants (25 000 FCFA pour les hommes et 11 000 FCFA pour les femmes). Par ailleurs, la proportion des femmes ne recevant aucune rémunération est nettement supérieure à celle des hommes (soit 35,6 % contre 21,4 % respectivement). Cette situation s’expliquerait par une combinaison de facteurs, notamment les préjugés défavorables aux femmes de la part de l’employeur, et par le fait qu’elles s’insèrent le plus souvent pour compte propre ou comme aides familiales (INS, EESI 2, 2012).

Le marché du travail au Cameroun est caractérisé par une prépondérance des formes flexibles des contrats de travail (contrats à durée déterminée (CDD) et contrats verbaux) relativement aux contrats à durée indéterminée (CDI). Dans le secteur privé, 21,63 % des contrats sont établis sur la base d’un contrat à durée indéterminée, 78,37 % d’entre elles étant régies par un « contrat flexible ». Dans le secteur privé informel, 48,35 % des relations de travail n’existent que sous forme verbale et 79,81 % des contrats ne sont pas écrits (Tchana et Abessolo, 2009).

Dans le secteur privé informel, peu de travailleurs reçoivent un bulletin de paie, alors que 59 % en reçoivent dans le secteur privé formel. Cette situation rend très difficile la question de savoir quel est le montant du salaire payé ou à payer. D’autant plus que le contrat de travail écrit est rare dans le secteur informel. Seulement 14 % de salariés du secteur privé informel disposent d’un contrat de travail écrit, contre moins de 50 % pour le secteur privé formel. Le taux d’activité salariale des femmes dans le secteur non agricole est en nette augmentation, passant de 20,3 % en 2005 à 21,4 % en 2007. La proportion des hommes ayant un contrat avec bulletin de paie ou un contrat simple est de plus de deux fois supérieure à celle des femmes. Ces écarts sont plus prononcés en milieu rural qu’en milieu urbain (INS, 2008, 2010).

La ségrégation occupationnelle

Le modèle de cantonnement ou « Crowding hypothesis » de Bergmann (1971, 1974) constitue l’une des explications théoriques de la ségrégation professionnelle. Selon ce modèle, la concurrence est imparfaite sur le marché du travail : le groupe dominant (les hommes) peut rationner l’entrée dans certains types d’emplois et ainsi bénéficier d’un taux de salaire plus élevé dans ces emplois. En revanche, le groupe défavorisé (les femmes) est exclu de ces emplois et se retrouve dans un nombre limité d’emplois. La ségrégation dans les activités de travail constitue un facteur supplémentaire d’inégalité : non seulement les femmes sont tenues à l’écart de certains métiers traditionnellement réservés aux hommes (ségrégation horizontale), mais en plus elles se voient exclues des postes hiérarchiquement supérieurs (ségrégation verticale).

Le marché du travail camerounais est caractérisé par une segmentation en deux secteurs largement juxtaposés : un secteur moderne ou formel plus ou moins structuré (secteur public et parapublic, grandes entreprises et PME déclarées) et un secteur non structuré dit « informel », dominé en milieu urbain par l’auto-emploi et en milieu rural par l’agriculture traditionnelle. Le secteur informel fournit le plus de possibilités d’insertion économique. En effet, il occupe aujourd’hui environ 90 % d’actifs, tandis que le secteur public en comprend 5,8 % et le secteur privé formel 3,7 %. Au Cameroun, on constate que les femmes tendent à être surreprésentées dans les emplois à bas salaire et surtout dans le secteur informel agricole où les rendements et les revenus d’exploitation sont plus faibles. En 2010, 93,8 % des femmes travaillent dans le secteur informel, contre 87,5 % des hommes (INS, EESI, 2010, 2012).

Méthodologie

Les décompositions des écarts salariaux de genre entreprises par les travaux de Oaxaca (1973) et de Blinder (1973) sont devenues une des voies privilégiées de l’étude des écarts salariaux de genre, la méthodologie étant basée sur l’idée qu’il y a une partie expliquée par les différences de capacités productives et par des différences de structure de l’emploi et une autre partie résultant de la discrimination. Une approche alternative des différentiels salariaux ne se limite pas aux différences de salaire dans le même emploi, mais à la répartition des hommes et des femmes dans des catégories socioprofessionnelles différentes. C’est la ségrégation occupationnelle.

La méthode de décomposition de l’écart salarial

Pour mesurer la discrimination salariale selon le genre et expliquer les écarts de salaires observés par sexe, nous utilisons une extension de la décomposition Oaxaca-Blinder développé par Neuman et Oaxaca (2004), et par Dupray et Moullet (2003). Ces méthodes de différence salariale permettent de distinguer entre qui est dû à des différences socioéconomiques entre les salariés et ce qui est dû à la discrimination. Nous nous heurtons cependant au problème d’un éventuel biais de sélection dû au fait que seuls les individus ayant un emploi reçoivent un salaire. La méthode de Heckman (1979) en deux étapes permet de résoudre ce problème. Cette méthode repose sur l’estimation d’une équation de sélection par un modèle Probit déterminant un terme de correction appelé inverse du ratio de Mills. Ce terme est ensuite introduit dans l’équation de salaire, qui est par la suite estimée par les moindres carrés ordinaires.

Le modèle que nous utilisons est constitué de l’équation de salaire suivante :

forme: 1979001n.jpg est le logarithme de salaire sur le marché du travail de l’individu i du groupe j ; forme: 1979002n.jpg est le vecteur des déterminants du salaire sur le marché du travail. Ce sont l’âge, l’âge au carré, le sexe, le niveau d’éducation, l’expérience, l’expérience au carré[4], le secteur institutionnel, la catégorie socioprofessionnelle, la formation professionnelle, le milieu de résidence, le statut matrimonial. forme: 1979003n.jpg est le vecteur des paramètres associés ; forme: 1979004n.jpg est le terme d’erreurs. Dans toute décomposition se pose le problème du choix de la pondération. Comme Oaxaca et Ransom (1994), nous utilisons comme norme non discriminante les rendements de l’estimation d’une équation de gains pour l’ensemble de la population étudiée, quel que soit le sexe. La décomposition du salaire se fera comme suit :

Si l’on soustrait et que l’on ajoute forme: 1979005n.jpg et forme: 1979006n.jpg dans l’équation (6), en réarrangeant, on obtient :

avec forme: 1979007n.jpg et forme: 1979008n.jpg les moyennes du logarithme du salaire espéré des hommes et des femmes respectivement ; forme: 1979009n.jpg le vecteur de la moyenne des variables explicatives du salaire ; forme: 1979010n.jpg le vecteur des rendements estimés des déterminants du salaire. forme: 1979011n.jpg est la structure salariale estimée non discriminante ; forme: 1979012n.jpg est un estimateur de forme: 1979013n.jpg ; forme: 1979014n.jpg est un estimateur de la moyenne de l’inverse du ratio de Mills.

L’expression (3) de la décomposition du salaire est constituée de quatre termes : les deux premiers termes représentent la part de l’écart salarial en termes de rendement que l’on attribue généralement à la discrimination. Le troisième terme est l’estimation de la part justifiée de l’écart de rémunération expliquée par les différences de caractéristiques productives des individus. Le quatrième terme représente l’effet de sélectivité.

La décomposition de l’écart à l’accès aux catégories socioprofessionnelles

L’emploi occupé est un phénomène important qui différencie les populations sur le marché du travail et, donc, décide de l’attribution des salaires. Une méthode de décomposition alternative à celle du différentiel salarial est fournie par Brown, Moon et Zoloth (1980). Cette méthode introduit les différences d’occupation des emplois dans l’analyse des écarts salariaux incorporant les distinctions des différentiels de salaire entre les catégories d’emploi (écart inter-catégorie) et également au sein des mêmes catégories d’emploi (écart intra-catégorie). Ces deux types d’écarts salariaux sont par la suite décomposés afin d’y distinguer la part justifiée et la part attribuable à la discrimination.

Pour déterminer l’équation de décomposition du salaire de Brown et coll. (1980), nous partons des équations de salaire des hommes et des femmes respectivement estimées par les MCO et exprimées comme suit :

j indique la catégorie d’emploi occupée, forme: 1979015n.jpg et forme: 1979016n.jpg sont respectivement le logarithme du salaire moyen des hommes et des femmes, forme: 1979017n.jpg et forme: 1979018n.jpg sont les vecteurs des coefficients estimés, forme: 1979019n.jpg et forme: 1979020n.jpg sont les matrices des caractéristiques moyennes individuelles des travailleurs. Soient forme: 1979021n.jpg et forme: 1979022n.jpg , les probabilités de travailler dans la catégorie j j=1...J.

Il en résulte que :

En ajoutant et en enlevant forme: 1979023n.jpg au côté droit de l’équation (12), nous obtenons :

Le premier terme de l’équation (6) représente la composante intra-catégorie qui mesure la part de l’écart due aux différences de salaire entre les catégories d’emploi. Le second représente la composante inter-catégorie : c’est la partie du différentiel salarial attribuée aux différences dans la répartition des travailleurs hommes et femmes dans les catégories d’emploi. La partie expliquée de l’écart intra-catégorie est attribuable aux différences des caractéristiques individuelles dans les emplois, tandis que la partie inexpliquée est due à la différence entre les hommes et les femmes dans les rendements des caractéristiques individuelles pour les emplois considérés : c’est la discrimination salariale. La partie expliquée du terme inter-catégorie mesure la part due à la différence de structure des emplois liée aux différences de dotation entre les hommes et les femmes. La partie inexpliquée reflète la part due au fait que les deux populations sont traitées différemment dans l’accès aux différents emplois : c’est la discrimination dans l’emploi (Meurs et Ponthieux, 1999).

Base des données et définition des variables

Les contraintes les plus importantes sont relatives aux données disponibles et à leur qualité. Au Cameroun, la source des données la plus récente, qui rassemble des informations permettant de quantifier la discrimination salariale, est la troisième Enquête Camerounaise Auprès des Ménages (ECAM III) réalisée en 2007. Du point de vue de nos objectifs, cette source s’avère la plus appropriée pour l’objet de notre étude. L’échantillon dont nous disposons comprend 9 616 salariés, dont 7 248 hommes et 2 368 femmes. Il renseigne sur diverses caractéristiques individuelles.

Une limite qui marque ce travail vient de ce que la population salariée est considérée comme homogène selon le critère de durée effective du travail pendant la semaine de référence. Or, les actifs salariés, en milieu urbain, sont souvent sujets au phénomène de sous-emploi en raison de l’importance des emplois saisonniers, l’effort fourni pendant certaines périodes de l’année. Cela est d’autant plus important que certaines professions (infirmerie, textile…) sont à dominante féminine et d’autres (pêche, artisanat…) à dominante masculine. Il est donc vraisemblable qu’une part des écarts salariaux entre les deux sexes provienne de ce phénomène de sous-emploi, qui n’est pas appréhendé par l’ECAM III.

Nous limitons nos analyses aux individus âgés de 15 à 60 ans déclarant être des actifs occupés et percevant un salaire. La variable lnsalaire est le logarithme népérien du revenu mensuel déclaré, que ce soit sous la forme d’un montant ou d’un intervalle. Elle comprend les salaires, les traitements et autres gains en espèces ou en nature tirés de l’activité. Les variables retenues pour expliquer le revenu sont les suivantes : l’âge, l’âge au carré, le sexe, le niveau d’éducation, l’expérience, l’expérience au carré[5], le secteur institutionnel, la catégorie socioprofessionnelle, la formation professionnelle, le milieu de résidence, le statut matrimonial. La difficulté dans la mesure de l’expérience vient du fait qu’on ne dispose pas d’une mesure de l’expérience effective : l’expérience est mesurée par la durée en nombre d’années dans l’emploi actuel. Cette mesure ne tient pas compte des expériences passées dans d’autres emplois ou depuis le début de la vie active. L’expérience au carré est introduite pour avoir le portrait de la contribution marginale d’une année d’expérience.

Les résultats

Dans cette section, nous rapportons les statistiques descriptives des variables d’intérêt et l’estimation du salaire des hommes et des femmes. Ensuite, nous présentons les résultats de la décomposition de l’écart salarial entre les hommes et les femmes, puis, enfin, la décomposition de l’écart à l’accès aux catégories d’emploi.

Quelques statistiques descriptives

Les statistiques descriptives des variables utilisées différemment pour les hommes et les femmes sont résumées dans le tableau 1. On observe que l’âge moyen d’accès à l’emploi pour tous les individus est d’environ 40 ans. En ce qui concerne les hommes, ils entrent en moyenne un an plus tôt sur le marché du travail que les femmes. À cet âge, la plupart des individus vivent en couple (78,5 %) ou sont des parents, et les charges et responsabilités familiales augmentent. Le besoin de travailler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille est donc plus intense. La proportion d’hommes vivant en couple est plus élevée, à 90,67 %, que celle des femmes (30 %). Il y a donc plus de femmes chefs de ménage seules. En effet, il y a 21,94 % de femmes célibataires et 48 % de femmes séparées (veuves ou divorcées). Le nombre de femmes vivant seules, et de femmes chefs de ménage est relativement élevé. Cela explique le nombre élevé de ménages monoparentaux dont le chef est une femme (81 %), alors qu’on trouve plus d’hommes dans les ménages nucléaires (69,69 %).

La population camerounaise en âge de travailler a une scolarité moyenne de niveau secondaire à 32,5 % et primaire à 36 %, alors que 24,81 % des individus sont non scolarisés. Les dotations en capital humain montrent que les hommes sont plus instruits et plus formés professionnellement que les femmes, que ce soit au niveau secondaire ou au niveau supérieur. En effet, 33,22 % des hommes ont fait des études secondaires, contre 29,63 % des femmes, et 7,12 % des hommes ont effectué des études supérieures, comparativement à 5,08 % des femmes. Le nombre d’années d’études des hommes est en moyenne plus élevé de 9 points en pourcentage que celui des femmes. De plus, les hommes ont plus de chance d’avoir une formation professionnelle (51,54 % contre 35,46 % de femmes). Nous constatons également qu’après les études secondaires les Camerounais sont plus nombreux à préférer se lancer dans la recherche de l’emploi, abandonnant ainsi les études supérieures. Certains pensent que, malgré l’obtention d’un diplôme supérieur, ils finiront par se trouver sans un emploi correspondant à leur profil.

La répartition des actifs par catégories socioprofessionnelles (CSP) montre que les travailleurs indépendants demeurent dans l’ensemble le groupe le plus important sur le marché de l’emploi, avec 62,56 % des effectifs. L’ampleur du phénomène dans ce groupe tient à sa composition, puisque cette catégorie rassemble les agriculteurs qui, du reste, demeurent majoritaires mais pratiquent en général des cultures de subsistance, et des actifs exerçant des petits métiers informels, comme vendeurs de produits alimentaires, vendeurs à la sauvette, « call-boxeurs[6] », coiffeurs, etc. Dans ce groupe, les femmes sont majoritaires à 82,4 %, contre 65,2 % d’hommes. Les employés qualifiés viennent en seconde position (17,67 %) parmi lesquels les hommes sont largement majoritaires (15,4 % alors que les employées qualifiées sont de 6,8 %), suivis des cadres (7,5 % d’hommes, contre 5,2 % de femmes). Il y a plus d’hommes cadres que de femmes. Les actifs de ces deux derniers groupes sont pour la plupart des fonctionnaires qui vivent en majorité dans les villes de Douala et Yaoundé et dont le principal mode d’emploi est le salariat.

En ce qui concerne les secteurs institutionnels, les salariés du secteur informel, dans l’ensemble, sont en moyenne majoritaires. Les femmes salariées sont plus nombreuses dans le secteur informel. Leur proportion est en moyenne de 88,7 %, contre 80,8 % d’hommes. Dans le secteur formel, il y a plus de salariés hommes que de femmes. Le groupe le plus important comprend les salariés des entreprises privées formelles où les hommes (19,2 %) sont près de deux fois plus nombreux que les femmes (11,3 %). Le marché du travail camerounais est aussi marqué par un fort exode rural ; en moyenne, les individus (surtout les femmes) en âge de travailler se trouvent pour la majorité en zone urbaine (53,47 %). Elles abandonnent les villages et viennent en ville où elles espèrent trouver plus de possibilités d’emploi. Quant aux hommes, 56 % résident en zone rurale où les conditions d’accès au marché du travail sont moins contraignantes.

L’estimation de l’équation de salaire

L’équation de salaire est estimée par la méthode de Heckman (1979) en deux étapes. Cette méthode repose sur l’estimation d’une équation de sélection par un modèle Probit déterminant un terme de correction appelé inverse du ratio de Mills. Ce terme est ensuite introduit dans l’équation de salaire qui est par la suite estimée par les moindres carrés ordinaires (MCO).

Les résultats de la première étape (tableau 2) indiquent que les variables comme l’âge, l’âge2, les années d’études, les personnes seules et le milieu urbain contribuent à expliquer l’accès à l’emploi tant des hommes que des femmes. Cependant, la variable religion musulmane est négative et significative chez les femmes et pas chez les hommes. Ce phénomène s’expliquerait par les croyances ancestrales et traditionnelles, qui seraient encore fortes, selon lesquelles le rôle de la femme serait au foyer avec comme occupation les travaux domestiques.

Le tableau 3 montre les résultats de la deuxième étape. L’expérience de l’individu sur le marché du travail est mesurée en années. On s’attend à une relation positive dans l’explication du salaire. L’expérience au carré vise à tenir compte des rendements décroissants relatifs à la courbe d’apprentissage. Dans ce cas, un coefficient négatif correspondrait normalement aux attentes, parce que l’expérience épouse le cycle de vie d’un salarié. Mais nous constatons que les coefficients ne sont pas significativement différents de zéro chez les femmes. Cela peut s’expliquer du fait que la carrière des femmes est souvent interrompue par la maternité et la garde des enfants; de plus, à force d’abandonner tout le temps l’emploi, certaines finissent par le perdre. L’expérience des femmes n’influence pas leur revenu.

L’éducation mesure le nombre d’années de scolarité. On s’attend à ce que plus l’éducation est élevée, plus le salaire sera aussi élevé : c’est une mesure de la productivité. C’est le cas ici, que ce soit chez l’homme ou chez la femme. Une année supplémentaire d’études augmente le salaire des hommes de 4,44 % et de la femme de 6,38 %, toutes choses étant égales par ailleurs. Cela confirme donc l’existence de rendements croissants dans l’éducation, ces rendements étant toutefois plus élevés chez les femmes.

Le secteur formel et le milieu urbain sont favorables à une augmentation du salaire. Cela s’explique par le fait que dans le secteur informel les salaires et leurs évolutions sont régis par le Code du travail. Dans le milieu urbain, les salaires sont plus régularisés. On n’y trouve plus les salariés du secteur formel. De plus, le système informel urbain qui occupe la majorité des actifs est plus développé et mieux organisé qu’en milieu rural. La présence des revenus issus des salaires des fonctionnaires et autres employés des entreprises privées permettrait aux travailleurs informels du milieu urbain d’accroître considérablement leur revenu. Les catégories socioprofessionnelles ont un impact positif sur le salaire. Chaque variable de cette modalité est significativement différente de zéro ; cela signifie qu’à chaque catégorie d’emploi correspond un salaire précis. Quant au statut matrimonial, il n’influence en rien le salaire.

La décomposition de l’écart salarial

Les tableaux 4 et 5 présentent les résultats de la décomposition Oaxaca-Blinder du différentiel de genre du salaire avec correction du biais de sélection. Le salaire moyen mensuel estimé des hommes est supérieur à celui des femmes. En effet, le logarithme de salaire moyen estimé des hommes est de 10,4791, tandis que celui des femmes est de 9,9555, soit un écart salarial de genre de 0,5236. La décomposition de cet écart montre que la part expliquée liée aux différences enregistrées en termes de caractéristiques individuelles est de 49,4 % de l’écart total. La part non expliquée associée aux différences de rendements des caractéristiques individuelles et attribuée à la discrimination salariale est de 50,6 %. Nos résultats de décomposition soutiennent ainsi l’hypothèse de la discrimination à l’égard des femmes au Cameroun.

Considérant la décomposition des différentes variables dans le tableau 5, les variables qui contribuent les plus à l’écart salarial sont l’âge (97,52 %), l’âge au carré (45,96 %), puis les catégories socioprofessionnelles « employés qualifiés » (47,65 %) et « travailleurs indépendants » (43,06 %) et, enfin, l’expérience (21,83 %). Par ailleurs, nous constatons que les années d’études, l’âge2 et l’expérience2, le statut matrimonial « personne seule » et le secteur formel contribuent à renforcer la discrimination. Nous observons également qu’il y a un effet manifeste des variables du capital humain sur les écarts salariaux. En effet, l’écart salarial selon les années d’études est négatif, soit de (-8,71 %). Cela signifie que les femmes plus instruites reçoivent en moyenne un salaire plus élevé que celui des hommes à caractéristiques égales. Dans ce cas, ceux sont les hommes qui sont marginalisés. Une année d’études supplémentaire diminuerait donc la probabilité qu’une femme soit discriminée.

L’écart de genre en matière d’expérience est de 21,83 %. La différence de revenu entre hommes et femmes vient du fait que de plus en plus, sur le marché du travail camerounais, l’arrivée massive des femmes bénéficiant d’un capital humain assez élevé ne garantit plus l’accès à un meilleur revenu. Les femmes doivent acquérir une plus longue expérience sur le marché du travail avant d’accéder à l’emploi, ce qui maintient une bonne partie d’entre elles dans une situation de chômage et donc d’absence de revenu ou, encore, dans une situation de précarité avec un revenu assez faible.

L’effet de la catégorie socioprofessionnelle sur l’écart salarial est également observable. Bien qu’il demeure en faveur des hommes, l’écart de salaire entre les deux sexes est de 18,36 % chez les cadres supérieurs. Toujours en faveur des hommes, cet écart est de 47,65 % chez les employés qualifiés, de 13,27 % chez les patrons et de 12,23 % chez les manoeuvres. Cependant, chez les travailleurs indépendants, cet écart est de 43,06 %, mais cette fois en faveur des femmes. Analysé par secteur d’emploi, l’écart de salaire moyen se révèle moins prononcé dans le secteur formel, où il est de 6,58 % en faveur des hommes. Toutefois, le signe négatif de sa différence de coefficient montre que le secteur formel renforce le phénomène de discrimination envers les femmes. En ce qui concerne le milieu de résidence, l’écart salarial en milieu urbain est de 10,51 % en faveur des hommes. Cet écart est davantage lié aux caractéristiques individuelles entre les hommes et les femmes qu’à la discrimination.

La décomposition de l’écart à l’accès aux catégories socioprofessionnelle

Les résultats de cette décomposition sont contenus dans le tableau 6 et montrent chaque part déterminée. Ils indiquent que la composante intra-catégorie explique plus l’écart salarial par rapport à l’écart total. En fait, 0,5639 (83 %) représente l’écart salarial intra-catégorie, alors que 0,1148 (17 %) correspond à l’écart salarial qui résulte des différences de genre dans la distribution des emplois (ségrégation occupationnelle). Ainsi, une plus grande partie de l’écart salarial total est due aux différences dans les salaires des hommes et des femmes à l’intérieur des mêmes catégories d’emplois, tandis qu’une petite part de cet écart est expliquée par la ségrégation occupationnelle.

L’analyse de la composante intra-catégorie dans les parties expliquées et non expliquées montre l’importance significative de la partie non expliquée dans l’explication des écarts dans les mêmes emplois. En effet, la part non expliquée représente totalement et même davantage la composante intra-catégorie. Alors que 4 % de cette composante s’explique par les différences de caractéristiques entre les hommes et les femmes sur le marché du travail, l’autre part est expliquée par la discrimination salariale. En ce qui concerne la composante inter-catégorie, une proportion de 37,38 % de l’écart est expliquée par les différences de caractéristiques entre les hommes et les femmes sur le marché du travail, alors que la proportion de 62,62 % s’explique par la discrimination dont sont victimes les femmes dans l’accès à certains emplois.

Cela met en évidence un aspect de la discrimination qui vient de la surreprésentation des femmes dans les entreprises les moins rémunératrices et des hommes dans les entreprises offrant les hauts salaires. En effet, les décideurs ou employeurs, se basant sur le fait que les femmes ne sont pas capables d’occuper de hauts postes de responsabilité par leur nature et par la distribution des rôles dans le ménage, envisageront la nomination ou le recrutement des hommes. Et ils proposeront pour les femmes des postes qui leur laissent le temps de s’occuper de leur foyer. De plus, l’employeur est dans l’incapacité de différencier les femmes qui resteront à long terme sur le marché du travail, sans tenir compte des heures de travail atypiques ou des conditions de travail souvent difficiles et contraignantes, de celles qui le quitteront rapidement. Il s’attend donc à une productivité moyenne moindre des femmes, avec une variance relativement élevée, et il ne sera pas prêt à engager les femmes aux mêmes conditions salariales que les hommes.

Les résultats contenus dans le tableau 7 donnent la décomposition de l’écart salarial total par composante et par catégorie socioprofessionnelle. La décomposition de la composante intra-catégorie montre que l’écart de salaire est plus élevé dans la catégorie des travailleurs à leur propre compte et est justifié par la discrimination salariale envers les femmes. En ce qui concerne les manoeuvres, l’écart intra-catégorie est de 2,4 %, tandis que l’écart inter-catégorie est de 2,98 %. Les deux sont en grande partie expliqués par la discrimination salariale, d’une part, et par l’accès limité des femmes à cette catégorie d’emploi, d’autre part. Le pourcentage des cadres à l’écart total dans les mêmes catégories d’emploi est le plus faible (0,45 %), mais il est suffisamment élevé dans la composante inter-catégorie. Cela signifie que le différentiel salarial de genre s’explique davantage par la ségrégation professionnelle que subissent les femmes dans cette catégorie d’emploi. Quant à la catégorie « employés qualifiés », les résultats montrent que l’écart de salaire est en faveur des femmes. Son pourcentage par rapport à l’écart intra-catégorie total est faible et négatif (-3,8 %). Cette catégorie d’emploi contribue à une diminution de l’écart salarial intra-catégorie. En outre, le pourcentage dans la composante inter-catégorie est le plus élevé (942 %) et en faveur des hommes comme dans la catégorie « cadres » et « patrons ».

En somme, les résultats estimés de la décomposition des salaires à partir de la méthode de décomposition de Brown et coll. (1980) montrent que l’écart salarial est largement expliqué par les disparités de salaire intra-catégorie et que la ségrégation occupationnelle n’est pas un facteur de contribution majeur à l’écart salarial observé. Cependant, quand on les analyse selon les catégories socioprofessionnelles, les résultats mettent en évidence une opposition assez nette entre les catégories « cadres », « employés qualifiés » et « patrons » et les catégories « travailleurs indépendants », « manoeuvres » et « apprentis ». Les premières sont le lieu d’une ségrégation occupationnelle marquée à l’égard des femmes qui, s’ajoutant aux discriminations envers ces dernières, créent un fort différentiel de salaire entre hommes et femmes.

Conclusion

L’objectif de cette étude est la mesure de l’écart salarial de genre sur le marché du travail au Cameroun. La décomposition de l’écart salarial entre les deux sexes a permis d’isoler un résidu inexplicable par les facteurs traditionnels de l’inégalité de rémunération. Ce résidu, attribué à la discrimination salariale entre hommes et femmes, indique dans quelle mesure le principe « à travail égal, salaire égal » n’est pas respecté. Les résultats montrent aussi qu’en plus d’être discriminées les femmes subissent une ségrégation professionnelle. Cela vient essentiellement du fait que les femmes sont majoritaires dans les entreprises collectives et informelles où les salaires sont faibles, alors que les hommes sont majoritaires dans les entreprises privées et les hautes responsabilités de l’État qui offrent des salaires élevés. Cependant, les résultats révèlent également que dans certains emplois les hommes « travailleurs indépendants » subissent une ségrégation occupationnelle, tandis que les hommes « employés qualifiés » sont discriminés. Cette étude met en lumière les différentes facettes de l’écart salarial entre les femmes et les hommes et montre que l’écart salarial existe, peu importe le point de vue adopté pour l’examiner. De plus, l’écart salarial est en majeure partie la conséquence de la structure du marché du travail et il est lié à la position différente occupée par les femmes et les hommes sur ce marché.

Au regard des principaux constats ainsi relevés, l’étude suggère une amélioration des politiques du marché du travail et la promotion de l’emploi des femmes dans les secteurs non agricoles au Cameroun. Cette amélioration doit passer par un certain nombre de mesures comme la multiplication des emplois productifs et décents, la création de possibilités d’emploi adaptées aux femmes, permettant notamment à celles-ci d’accéder à des emplois plus qualifiés, le subventionnement des services sociaux, de sorte que les femmes puissent consacrer davantage de temps à des activités économiques rémunératrices et la lutte contre les pratiques culturelles défavorables à l’éducation des filles, le développement des compétences et de l’employabilité, la fiscalité incitative pour la création des emplois, de même que la durabilité des programmes intensifs en emploi.