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Introduction Une soixantaine d’années nous séparent des premières réflexions sur les liens entre la satisfaction au travail et celle dans la vie (Tait, Padgett & Baldwin, 1989). Le développement des connaissances produites par les recherches a rapidement mené à l’élaboration de diverses positions conceptuelles sur la nature de la relation entre la satisfaction ressentie dans ces deux sphères d’activités. À la suite de la typologie originalement proposée par Wilensky (1960), trois modes de relation prévalent dans la documentation : les effets d’entraînement, de compensation et de segmentation (Aydintan & Koc, 2016).

Pendant longtemps, l’étude du lien entre la satisfaction au travail et celle dans la vie a postulé l’existence d’un seul modèle relationnel (Gosselin & Dolan, 2003) ; les divers profils relationnels formulés étant alors perçus comme compétitifs. Ainsi, la majorité des études ont cherché à confirmer la prédominance de l’un des trois modèles de relation entre la satisfaction au et hors travail (Rain, Lane, Irving & Steiner, 1991). Malgré la prédominance de cette perspective, quelques auteurs ont contesté son pouvoir explicatif et son incapacité à rendre compte de la pluralité des relations observées (Rain et al., 1991). C’est ainsi qu’il s’avérait souhaitable, voire nécessaire, d’explorer d’autres paradigmes pour mieux éclairer la dynamique relationnelle entre la satisfaction au travail et celle dans la vie.

C’est dans cette optique que se situent les apports de Near, Rice et Hunt (1987), plus tard repris par Judge et Watanabe (1993) et Gosselin et Dolan (2003), qui suggèrent la coexistence de divers profils individuels de relation. En d’autres termes, cette approche dite polymorphique se fonde sur le postulat que différents sous-groupes d’individus, présentant des caractéristiques particulières, peuvent-être associés à certains types de rapports entre la satisfaction au travail et celle hors travail (Gosselin & Dolan, 2003). Ainsi, les divers modes de relation ne seraient pas compétitifs, mais complémentaires, chacun pouvant pertinemment circonscrire les rapports attitudinaux d’individus possédant des attributs singuliers.

Les objectifs de la présente étude se conjuguent en trois temps. Tout d’abord, empruntant une perspective polymorphique (Gosselin & Dolan, 2003; Judge & Watanabe, 1993), nous cherchons à vérifier s’il est possible de répartir les répondants de notre échantillon selon trois profils relationnels: effets d’entraînement, de compensation ou de segmentation. À l’instar de Judge et Watanabe (1993), c’est la proportion de répondants entretenant chacun de ces profils de relation qui retiendra notre attention. Ensuite, nous vérifierons si le niveau de stress et divers indicateurs sociodémographiques permettent de prédire l’appartenance individuelle à un profil relationnel particulier. Enfin, de façon exploratoire, nous chercherons à vérifier la présence de liens entre le profil et l’engagement organisationnel affectif.

CADRE CONCEPTUEL Trois positions conceptuelles ont été développées dans la littérature pour illustrer les articulations entre la satisfaction au travail et celle dans la vie: les effets d’entraînement, de compensation et de segmentation (voir figure 1).

Effet d’entraînementL’effet d’entraînement (spillover effect) fait référence au débordement de la satisfaction au travail sur celle qui est éprouvée dans la vie. Selon cette conception, un individu satisfait de son travail éprouve simultanément les mêmes attitudes ou sentiments dans sa sphère personnelle. En d’autres termes, l’un influencerait l’autre en synchronie, de façon positive (effet d’entraînement positif) ou négative (effet d’entraînement négatif; Sok, Blomme & Tromp, 2014). C’est la forme de lien qui a été le plus explorée dans la documentation, possiblement parce qu’elle fut la première à être formulée et vérifiée empiriquement (Rain et al., 1991) et à recevoir un large support empirique (Tait et al., 1989; Unanue & al., 2017).

Divers postulats théoriques sont évoqués pour expliquer l’effet d’entraînement (Rain et al., 1991). Le premier provient de la théorie de la généralisation qui suggère que les attitudes issues d’un domaine d’activités peuvent s’étendre à un autre (Champoux, 1981). Le deuxième concerne l’incidence d’une réponse conditionnée et apprise dans un contexte particulier qui se généralise à un autre (Gosselin, 2001). Finalement, le principe de la dissonance cognitive (Festinger, 1957) qui voit le nivellement des satisfactions comme une stratégie cognitive servant à éviter une inconfortable dissonance cognitive liée à une incohérence attitudinale.

Figure 1

Profils relationnels entre la satisfaction professionnelle et la satisfaction personnelle

Profils relationnels entre la satisfaction professionnelle et la satisfaction personnelle

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Cependant, force est de reconnaître que bien qu’elle soit l’hypothèse la plus soutenue de l’explication du lien entre les satisfactions, l’intensité de cet effet d’entraînement s’avère modérée. Ainsi, les résultats empiriques font état de liens corrélationnels outrepassant rarement la barre du ,40 (Bowling, Eschleman & Wang, 2010). Aussi, certains avancent que cette relation serait bidirectionnelle, allant tant vers le travail que vers la vie personnelle (Bialowolski & Weziak-Bialowolska, 2020; Judge & Locke, 1994; Mishra & al., 2014; Unanue & al., 2017). Cela s’oppose à la conception originale qui empruntait une perspective ascendante (bottom-up model) afin de justifier l’influence unilatérale de la satisfaction au travail sur celle émanant de la vie hors travail (Erdogan et al., 2012) et ouvre la voie à une conception parallèlement descendante (top-down model; Steel et al., 2019; Unanue & al., 2017; Udayar et al., 2019).

Effet de compensation — L’effet de compensation est le premier modèle alternatif qui a été proposé pour rendre compte des liens entre la satisfaction au travail et celle dans la vie. Il s’observe statistiquement par la présence d’une corrélation négative entre les satisfactions et il se matérialise dans deux scénarios: satisfait dans la vie et insatisfait au travail (compensation vers la vie), ou a contrario, insatisfait dans sa vie et satisfait au travail (compensation vers le travail). Champoux (1980) apporte deux types d’explications à ces scénarios. La « compensation positive » survient lorsqu’un individu ne trouvant pas de satisfaction dans une sphère de sa vie recherche sa satisfaction ailleurs. La « compensation négative » existerait lorsqu’un individu entièrement satisfait dans une sphère d’activités (travail ou hors travail) perçoit les autres activités qui n’y sont pas liées comme moins satisfaisantes. De leur côté, Rain et al. (1991) expliquent l’effet de compensation par le principe de substitution (Kabanoff & O’Brien, 1980) selon lequel un individu insatisfait dans un domaine d’activité va chercher sa satisfaction, ou combler certains besoins, dans d’autres; aucune sphère d’activité ne possédant le monopole de la satisfaction des besoins, quels qu’ils soient.

L’effet de segmentation Bien que la plupart des études se soient concentrées sur les effets d’entraînement et de compensation, certains chercheurs suggèrent une autre hypothèse: celle d’une indépendance entre la satisfaction dans la vie et celle au travail, nommée effet de segmentation. Certains auteurs (Andrews & Withey, 1974; Campbell, Converse & Rodgers, 1976) proposent ce profil de relation par défaut, estimant que les liens trouvés sont soient trop faibles pour soutenir l’effet d’entraînement ou trop désorganisés pour appuyer celui de compensation (Gosselin & Dolan, 2003). Certaines explications théoriques viennent soutenir cette hypothèse. Tel que l’expose Champoux (1981), les gens embrassent plusieurs rôles au travail et à l’extérieur du travail qui sont temporellement et fonctionnellement séparés. Ces rôles sollicitent différents aspects de la personnalité, différentes valeurs et un éventail de comportements qui ne les lient pas forcément entre eux (Dubin, 1973; Meissner, 1971). De plus, le principe de l’inclusion partielle d’Allport (1933) soutient que les individus peuvent facilement changer de rôle en fonction du contexte et du cadre institutionnel dans lequel ils se trouvent. En somme, malgré un certain support à l’égard de cette hypothèse, celle-ci requiert assurément davantage d’attention (Rain et al., 1991).

Polymorphie de la relation L’émergence d’une conception polymorphique de la relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie est plus récente (Heller et al., 2002). Selon cette perspective, les individus se répartissent dans les trois modèles relationnels et la démonstration de l’existence d’un modèle n’invalide pas forcément la présence des autres (Gosselin, 2001). À partir de cette constatation, les adeptes de cette approche postulent que des caractéristiques individuelles peuvent être associées aux effets d’entraînement, de compensation et de segmentation (Gosselin & Dolan, 2003). Cette perspective s’éloigne donc de l’approche traditionnelle basée sur la moyenne (average-based approach) et vise à favoriser l’identification de profils relationnels individualisés (Heidemeier & Göritz, 2013).

Des explications théoriques appuient l’idée d’une polymorphie. La première provient des rôles multiples simultanés. Selon Champoux (1980), les divers rôles adoptés peuvent inciter une personne à opter pour la coexistence de différents types de relations permettant de satisfaire des besoins spécifiques. Par exemple, un individu pourrait privilégier un effet d’entraînement pour les relations interpersonnelles dans son travail et dans sa vie personnelle, mais il pourrait préférer un autre type de relation pour satisfaire d’autres besoins (Rain et al., 1991). La seconde explication théorique émane des rôles successifs exercés par une personne au cours de sa vie. Burke (1986) et Evans et Bartolomé (1984) proposent l’hypothèse des stades de vie selon laquelle une personne est susceptible d’adopter, à différents moments de sa vie, un type privilégié de relation entre son travail et sa vie personnelle (Rain et al, 1991). En raison de leurs liens logiques, ces appuis théoriques, même s’ils sont limités, justifient le déploiement d’efforts empiriques pour vérifier l’existence de cette polymorphie relationnelle.

MODÈLE DE RECHERCHE Le modèle présenté à la figure 2 illustre les trois catégories de variables prises en compte dans l’étude et précise les liens qu’elles ont entre-elles.

Variables du modèle — Le modèle de recherche présente une structure comprenant deux catégories de variables indépendantes: les variables sociodémographiques (âge, sexe, état civil et ancienneté) et la variable stress. La variable nature de la relation agit théoriquement, selon cette modélisation, comme une variable intermédiaire qui s’avère un médiateur entre certaines variables individuelles et des extrants. Cette variable se décline selon trois profils incluant cinq types relationnels: l’effet d’entraînement (entraînement positif [E+] et entraînement négatif [E-]), l’effet de compensation (vers le travail [Ct] et vers la vie personnelle [Cv]) et l’effet de segmentation [Sg]. Finalement, l’unique variable dépendante, qui a été retenue en raison de l’absence de recherche la considérant malgré ses liens logiques avec l’objet d’étude, est l’engagement organisationnel affectif. L’orientation indiquée par les flèches se fonde sur les écrits scientifiques en la matière; cependant, il importe de spécifier que l’utilisation d’un design de recherche transversal et le recours à des analyses de régression permettront d’éclairer la présence et l’ampleur des liens, mais pas de confirmer une stricte causalité entre les variables.

Figure 2

Modèle explicatif

Modèle explicatif

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Hypothèses Quatre hypothèses principales de recherche relatives aux divers liens proposés sont formulées.

H1 -

La relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie est de nature polymorphique; cela signifie que les individus se répartissent à l’intérieur de trois profils relationnels: les effets d’entraînement, de compensation et de segmentation.

L’étude de Judge et Watanabe (1993) effectuée auprès d’un échantillon de 804 répondants représentatif de la population américaine montre que les individus peuvent se distribuer dans différents groupes selon le profil de relation qu’ils privilégient entre la satisfaction au travail et celle dans la vie. Plus précisément, leurs observations permettent de différencier trois groupes : un premier qui présente une relation positive caractérisant 68 % des participants (effet d’entraînement); un deuxième qui se démarque par une relation négative privilégiée par 12 % des participants (effet de compensation); un troisième groupe qui n’affiche aucun lien significatif entre leurs satisfactions et qui comprend 20% des personnes étudiées (effet de segmentation). Des recherches ultérieures, dont celle de Dolan et Gosselin (2003) auprès de 846 répondants du secteur de l’automobile, confirment ces constatations initiales. Ces derniers observent que 52,5% des membres de leur échantillon expriment une relation d’entraînement, 24,6% une relation de compensation et 22,7% une indépendance (segmentation) entre les sphères de satisfaction. Compte tenu notamment de l’évolution du monde du travail et de la société depuis la réalisation de ces travaux, il appert pertinent de vérifier si les trois profils de relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie continuent de coexister malgré l’évolution des frontières entre les temps sociaux (Genin, 2017) et, si oui, par quelle proportion d’individus chacun est-il privilégié?

H2 -

Certaines caractéristiques sociodémographiques (âge, genre, état civil, ancienneté) agissent comme déterminants du profil de la relation entre la satisfaction au travail et la satisfaction dans la vie.

Diverses caractéristiques sociodémographiques sont susceptibles d’influencer l’adoption d’un profil spécifique de relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie. En raison de la divergence des résultats rapportés dans la littérature scientifique (Unanue et al., 2017), il est cependant préférable de ne pas chercher à prédire le sens de cette influence.

Nous formulons l’hypothèse que le profil de la relation entre la satisfaction au et hors travail varie selon le genre (H2a). Champoux (1979, 1981) a constaté que les femmes sont prédisposées à avoir une relation d’entraînement ou de compensation, tandis que les hommes sont davantage caractérisés par un effet de segmentation. Cependant, les effets précis du genre varient selon les études.

Nous proposons aussi que le profil de la relation adopté entre la satisfaction au travail et celle dans la vie diffère selon l’état civil (H2b). Par exemple, Dolan et Gosselin (1998) ont observé une tendance plus prononcée pour l’effet d’entraînement chez les personnes mariées et davantage d’effet de segmentation chez les célibataires.

Nous considérons, en troisième lieu, que le profil de la relation entre les satisfactions varie en fonction de l’âge (H2c). Malgré le fait que les études sur l’âge révèlent des résultats souvent contradictoires, certains observent que l’intensité de la relation entre la satisfaction au travail et la satisfaction dans la vie augmente en fonction du vieillissement. Par exemple, Gechman et Wiener (1975) soutiennent que l’avancement en âge est lié à une perception plus positive de la vie et du travail. Il est probable que la maturité et l’acquisition de conditions professionnelles et de vie plus avantageuses incitent à percevoir la vie et le travail sous un angle plus favorable.

À l’instar de l’âge, nous proposons que l’ancienneté soit liée au profil de la relation (H2d). Cette hypothèse se fonde notamment sur les résultats de Gechman et Wiener (1975) qui ont démontré que l’ancienneté modère significativement la relation entre le vécu au travail et celui hors travail et ceux de Bamundo et Kopelman (1980) qui ont rapporté, pour leur part, une relation curvilinéaire significative caractérisant l’effet d’entraînement.

H3 -

Le stress psychologique est lié significativement au profil de la relation entre la satisfaction au travail et la satisfaction dans la vie.

Concernant le lien entre le stress psychologique et le profil de relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie, nous formulons l’hypothèse selon laquelle un faible niveau de stress est lié davantage à un effet d’entraînement positif (H3). Cette hypothèse se base sur divers résultats de recherche. D’une part, plusieurs auteurs ont démontré que le stress est négativement associé à la satisfaction au travail (Daily & Near, 2000; Kahn & Byosiere, 1992; O’Driscoll et al, 1992). D’autre part, les résultats de plusieurs études indiquent que le stress est négativement corrélé à la fois avec la satisfaction au travail et avec la satisfaction dans la vie (Boles, 1996). Par exemple, Hayes et Weathington (2007) ont observé une corrélation négative significative entre le stress perçu et la satisfaction dans la vie. Or, ces auteurs ajoutent que les participants rapportant des niveaux élevés de stress mentionnent également un plus faible niveau de satisfaction dans la vie et des indices d’épuisement professionnel plus élevés, ceux-ci étant négativement corrélés avec la satisfaction au travail. Aussi, puisqu’il est reconnu que le stress est lié positivement à la fatigue émotionnelle et aux ruminations hors travail, les individus stressés par le travail apportent davantage le stress à la maison. C’est pourquoi nous soutenons qu’un faible niveau de stress psychologique favorise davantage une relation d’entraînement par son effet à la hausse tant sur la satisfaction au travail que sur celle issue de la sphère personnelle.

H4 -

Le profil de la relation entre la satisfaction au travail et dans la vie est lié significativement au niveau d’engagement organisationnel affectif.

Plusieurs résultats de recherche indiquent des liens positifs entre la satisfaction au travail et l’engagement organisationnel, ce que confirme la méta-analyse de Tett et Meyer (1993). Quant à la littérature portant sur la relation entre la satisfaction dans la vie et l’engagement organisationnel, elle révèle elle aussi une association positive (De Cuyper & De Witte, 2007; Yilmaz, 2008), suggérant qu’un individu satisfait dans la vie serait également plus engagé envers son organisation. En revanche, aucune étude n’a jusqu’à présent mesuré le lien entre, d’une part, la nature de la relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie et, d’autre part, l’engagement organisationnel.

Notre recherche vise à éclairer ce lien. Plus précisément, nous voulons vérifier si certains profils relationnels entre la satisfaction au travail et celle dans la vie sont reliés à la dimension affective de l’engagement organisationnel. À cette fin, nous avons formulé trois sous-hypothèses. En nous basant sur les résultats des recherches mentionnés, nous postulons, en premier lieu, que les individus privilégiant un effet d’entraînement positif (satisfaits dans la vie et au travail) démontrent un engagement organisationnel affectif supérieur à celui des individus adoptant un effet d’entraînement négatif (insatisfaits dans la vie et au travail) ou tous autres profils de relation (H4a). En deuxième lieu, nous formulons l’hypothèse que les individus optant pour un effet de compensation vers le travail (Ct) manifestent un engagement organisationnel affectif supérieur à celui des individus privilégiant un effet de compensation vers la vie (Cv; H4b). Enfin, puisque nous considérons qu’il est plus difficile de déterminer le niveau d’engagement affectif pour les personnes affichant une relation de segmentation que pour les autres, dont les réactions face au travail et à la vie en général sont interdépendantes, nous postulons que les individus optant pour un profil de segmentation démontrent un engagement organisationnel affectif plus faible que les personnes adoptant d’autres profils (H4c).

MéthodologieLa recherche a été réalisée selon un devis non expérimental, de façon transversale avec un seul temps de mesure et utilise une méthodologie quantitative appliquée à des données obtenues par questionnaire.

Collecte de données et participants La collecte de données s’est faite par questionnaire dans le cadre d’une enquête portant sur le stress et la qualité de vie au travail en milieu scolaire. La population ciblée regroupait 1100 enseignants du primaire et du secondaire d’une commission scolaire du Québec. Le questionnaire leur a été remis dans une enveloppe par la direction de chaque établissement. La participation à cette étude était volontaire. Les questionnaires dûment complétés ont été retournés dans une enveloppe cachetée via le courrier interne des écoles. Cette étude a obtenu une certification d’approbation émise par le comité d’éthique de l’Université du Québec en Outaouais.

L’échantillon de facto est composé de 420 participants, ce qui représente un taux de réponse de 38 %. L’échantillon est constitué majoritairement de femmes (77 % des répondants) et l’âge moyen des participants est de 39 ans, variant de 23 ans à 63 ans (ÉT=9,9). Par ailleurs, 78 % des répondants étaient mariés (ou en cohabitation). En moyenne, les répondants travaillaient au sein de leurs écoles respectives depuis un peu plus de 7 ans (ÉT=6,9 ans).

Instruments de mesure Quatre instruments de mesure, en version française, ont été mis à contribution pour effectuer l’étude. Le tableau 1 regroupe les indices descriptifs de ces derniers. Mentionnons que les scores, puisqu’ils se conforment aux critères usuels d’asymétrie et d’aplatissement, peuvent être considérés comme se distribuant normalement.

Le Job Diagnostic Survey (JDS) développé par Hackman et Oldham (1975) comprend une échelle visant à mesurer la satisfaction globale face au travail. Cette échelle est composée de cinq énoncés (p. ex. De façon générale, je suis très satisfait de mon emploi) où le participant doit choisir une des sept options de réponse allant de « fortement en désaccord » à « fortement en accord ». Le JDS présente des propriétés psychométriques satisfaisantes, avec une consistance interne de ,83 (Sarmiento et al, 2004). La version française de l’échelle de satisfaction globale du JDS, traduite par Rancourt (1983), a des qualités psychométriques comparables à l’instrument original. Dans notre étude, l’indice de consistance interne est de ,71.

Le Satisfaction with Life Scale (SWLS) a été élaboré par Diener, Emmons, Larsen et Griffin (1985) pour estimer un indice général de satisfaction dans la vie. Dans sa version originale en langue anglaise, cet instrument de mesure présente d’excellentes qualités psychométriques (Pavot & Diener, 2008). Pour cette étude, nous utilisons la version française du SWLS nommée « Échelle de Satisfaction de Vie (ÉSV) », traduite et validée par Blais, Vallerand, Pelletier et Brière (1989). À la suite de cinq études de validation, Blais et al. (1989) affirment que l’ÉSV reproduit la rigueur des propriétés psychométriques originales du SWLS avec des indices de consistance interne allant de ,79 à ,84. Comme l’instrument original, l’ÉSV est composée de cinq énoncés (p. ex. De façon générale, ma vie est très proche de l’idéal que je me suis fixé). Les participants doivent déterminer leur degré d’accord ou de désaccord avec chacun des énoncés sur une échelle à cinq catégories de réponse allant de « totalement en désaccord » à « totalement en accord ». L’indice de consistance interne, qui est de ,89 dans cette étude, s’avère élevé et permet de considérer les cinq énoncés comme un tout homogène.

Tableau 1

Statistiques descriptives des échelles de mesure

Statistiques descriptives des échelles de mesure

* La distribution de chacune des échelles satisfait les critères usuels de normalité (asymétrie et aplatissement).

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Le Perceived Stress Scale (PSS-14; Cohen, Kamarck & Mermelstein, 1983) est une échelle composée de 14 énoncés mesurant la fréquence selon laquelle une personne perçoit avoir été exposée, au cours du dernier mois, à des événements ou situations stressants (Cohen & Williamson, 1988). Cette mesure découle de la conception transactionnelle du stress de Lazarus & Folkman (1984). Elle soutient que le stress résulte d’un processus d’évaluation cognitive, où un individu perçoit un déséquilibre entre les demandes de l’environnement et ses ressources personnelles pour y faire face. Le PSS-14 demande au participant d’exprimer sa perception à chaque énoncé (p. ex. Combien de fois avez-vous été dérangé(e) par un événement inattendu ?) en choisissant une des cinq catégories de réponse allant de « jamais » à « très souvent ». Cette échelle, dont les propriétés psychométriques sont bonnes (consistance interne de ,75; Paulhan & Bourgeois, 1995), a été traduite et validée dans une vingtaine de langues (Cohen & Williamson, 1988).

Dans le cadre de cette recherche, l’utilisation d’une double échelle demandant aux répondants de répondre en fonction du contexte de travail et de celui de la vie personnelle a permis de mesurer à la fois le stress psychologique provenant de la vie professionnelle et celui émanant de la vie personnelle. Compte tenu de l’objet de notre recherche, nous avons opté pour l’utilisation d’un score total permettant d’estimer le stress psychologique global vécu par les participants (stress professionnel + stress personnel).

L’échelle d’Allen et Meyer (1990), le Affective Commitment Scale (ACS), mesure la dimension affective de l’engagement organisationnel. Cette dimension fait référence à une identification aux valeurs de l’entreprise et à un attachement émotionnel à l’organisation. L’échelle est composée de six énoncés (p. ex. Cette école occupe une grande place dans ma vie) pour lesquels les participants doivent déterminer leur degré d’accord ou de désaccord en choisissant une des sept catégories de réponse allant de « totalement d’accord » à « totalement en désaccord ». Nous avons utilisé la version française de cette échelle traduite et adaptée par Vandenberghe (1996), dont la consistance interne s’est avérée être de ,80 dans le cadre de cette étude.

Résultats L’ensemble des analyses statistiques a été effectué à l’aide du logiciel SPSS 23.0. La première étape a consisté à produire une matrice de corrélations (voir tableau 2) pour vérifier les relations entre les variables retenues. Celle-ci a révélé, notamment, une corrélation de ,36 (p = ,001) entre la satisfaction au travail et celle dans la vie, ce qui corrobore les observations antérieures à l’effet que le lien entre les satisfactions est positif, significatif et d’intensité modérée. La deuxième étape de l’analyse a servi à explorer la nature polymorphique de la relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie. Ensuite, la troisième étape avait pour objectif de vérifier la présence d’associations entre les variables indépendantes (indicateurs sociodémographiques et stress) et les divers profils relationnels à l’aide d’analyses de régression logistique polynomiale. Enfin, la dernière étape a permis d’explorer le lien entre la nature de la relation et l’engagement organisationnel affectif au moyen d’analyses de variance (ANOVA).

Tableau 2

Matrice de corrélations

Matrice de corrélations

Note:

*** Corrélations significatives à 0,001; ** Corrélations significatives à 0,01; * Corrélations significatives à 0,05

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Profils relationnels entre la satisfaction au travail et celle dans la vie La méthode statistique employée pour distinguer les profils de relation entre les satisfactions au travail et hors travail se nomme la méthode de séparation des liens corrélationnels (two-step approach); méthode qui a été conçue par Ghiselli (1960), revue par Zedeck (1971) et utilisée dans des recherches antérieures sur le sujet (Judge & Watanabe, 1993; Gosselin & Dolan, 2003). Cependant, puisque nous cherchons à distinguer cinq profils relationnels (entraînement positif, entraînement négatif, compensation vers le travail, compensation vers la vie et segmentation) plutôt que les trois profils traditionnels (entraînement, compensation et segmentation), nous avons ajusté cette méthode de séparation afin de permettre l’identification de sous-profils relationnels.

Pour ce faire, en premier lieu, la méthode de séparation des liens corrélationnels permet de distinguer les individus présentant une relation statistiquement significative entre la satisfaction au et hors travail (entraînement et compensation) de ceux pour qui les satisfactions ne sont pas liées (segmentation). La formule suivante sert à établir cette distribution :

Selon cette formule, le score D1 est obtenu à la suite de la soustraction des scores standardisés (scores z) de la satisfaction dans la vie et de la satisfaction au travail, donc après leur transformation en valeurs absolues qui permet d’uniformiser les variables et d’éliminer les effets de signe. Dans ce contexte, plus l’indice D1 est élevé, plus il y a une absence de relation (segmentation); à l’opposé, un faible indice D1 indique une relation positive (entraînement) ou négative (compensation) entre les satisfactions.

Après avoir calculé l’indice D1, un classement des valeurs obtenues selon un ordre croissant doit être opéré. On calcule ensuite la corrélation entre chaque tranche de 5 % d’individus, en partant de l’indice D1 le plus grand vers le plus petit. À un certain point, la relation entre les satisfactions devient non significative et c’est ce point de rupture, où la relation cesse d’être statistiquement significative, qui détermine la ligne de démarcation entre les individus du groupe segmenté (absence de relation) et ceux du groupe relié (entraînement et compensation). Dans notre échantillon, cette première étape a révélé que 8,3 % des sujets font partie du groupe segmenté (n = 33), alors que 91,7 % composent le groupe relié (n = 367); identifiant dès lors qu’une large proportion des participants entretient une forme quelconque de relation entre leurs satisfactions.

La seconde étape consiste à différencier, parmi le groupe « relié », les individus pour qui la relation est positive, donc associée à un effet d’entraînement, de ceux qui affichent un lien négatif entre les satisfactions et qui entretiennent ainsi un effet de compensation. En partant des scores standardisés (scores z) pour la satisfaction dans la vie et la satisfaction au travail, issus de la première étape (D1), il devient alors possible de classer les sujets dans leurs groupes respectifs à partir d’un examen visuel de la relation particulière à chacun des cas. Concrètement, il s’agit d’appliquer une méthode de « séparation au cas par cas ». Par exemple, les répondants démontrant conjointement deux scores z positifs ou négatifs sont affectés au groupe de l’effet d’entraînement. Alors que ceux pour qui les signes des scores z sont inversés (+/- ou -/+) font partie du groupe de l’effet de compensation. Or, nous avons pu déterminer que sur les 367 sujets du groupe « relié », 228 d’entre eux (62,1 %) avaient une relation d’entraînement, tandis que 139 (37,9 %) se devaient d’être associés à la relation de compensation.

Par ailleurs, cette même méthode de « séparation au cas par cas » des profils relationnels permet de scruter davantage la nature des relations observées. Selon l’examen individualisé de chacun des cas, il est possible de classer les répondants et d’observer que 34,2 % ont un entraînement positif (travail+/vie+), 22,7 % un entraînement négatif (travail-/vie-), 22,3 % une compensation vers la vie personnelle (vie+/ travail-) et 12,5 % une compensation vers le travail (vie-/travail+). Bien que cette approche permette une ségrégation plus spécifique de la nature de la relation initialement proposée par Judge et Watanabe (1993), les sous-types conservent la direction de la corrélation ainsi que le niveau de signification prédits théoriquement. Seule exception à cela, la relation de compensation vers le travail affiche, comme prévu, une corrélation négative (r = -,15), mais se veut non-significative (p = ,29). Des pistes explicatives seront proposées ultérieurement lors de la discussion des résultats.

Somme toute, il est possible d’affirmer que ces résultats, résumé au tableau 3, vont dans le sens de la première hypothèse de recherche (H1). Puisqu’une part notable des individus se répartissent dans les diverses formes de liens postulés, la relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie peut être considérée comme polymorphique.

Incidence des variables sociodémographiques et du stress — Les hypothèses H2 et H3 portent sur la variation, selon certaines caractéristiques individuelles, de l’appartenance à un profil relationnel particulier entre les deux sphères de satisfaction. Pour comprendre ces variations, nous avons effectué plusieurs analyses de régression logistique polynomiale, en variant le profil de comparaison dans chacun des modèles. Cette façon de faire est incontournable, car les répondants ont été classés dans cinq profils distincts, ce qui nécessite autant de modèles de régression pour réaliser les comparaisons. Comme formulé par Lewis-Beck (1980), cette méthode permet d’explorer la capacité explicative de diverses variables prédictives lorsque la variable dépendante est catégorielle. De plus, elle permet d’identifier l’influence propre de chacune des variables isolément en minimisant les risques de distorsions produites par d’autres variables indépendantes.

Tableau 3

Répartition des sujets dans les divers profils relationnels

Répartition des sujets dans les divers profils relationnels

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Ainsi, l’analyse des résultats en fonction des hypothèses H2 et H3 a été faite à partir de plusieurs modèles de régression, ce qui a permis de saisir l’influence différenciée des variables individuelles sur chacun des profils de relation entre les deux sphères de satisfaction. À titre d’exemple, et par souci d’économie d’espace, seule la régression polynomiale utilisant à des fins de comparaison le profil de segmentation (profil le moins fréquent) est présentée au tableau 4.

Au niveau des indicateurs sociodémographiques, le modèle général de régression confirme globalement l’hypothèse 2 (χ2 = 83,65; p = ,000) et particulièrement l’incidence de l’état civil qui démontre un effet significatif (χ2 = 16,498, p = ,002) sur la majorité des profils relationnels. Ce résultat confirme l’hypothèse 2b. Notamment, les analyses révèlent que l’état civil est significativement associé à l’entraînement positif lorsque comparé aux groupes de segmentation et de compensation vers le travail (B = -1,410, p = ,004; B = -1,546, p = ,000). Précisément, les célibataires sont moins enclins que les gens mariés à entretenir un effet d’entraînement positif. De même, l’état civil impacte significativement la compensation vers le travail lorsqu’on compare les membres de ce groupe aux profils d’entraînement négatif et de compensation vers la vie personnelle (B = 1,105, p = 0,014; B = 1,006, p = 0,025); les célibataires favorisant davantage une relation de compensation vers le travail.

Aussi, des régressions complémentaires, outre celle illustrée au tableau 4, indiquent une confirmation partielle de l’hypothèse 2a à savoir que le genre est lié significativement à l’entraînement négatif (B = 0,747, p = ,050) comparativement à l’entraînement positif. Autrement dit, les hommes ont tendance, plus que les femmes, à avoir une relation d’entraînement négative comparativement à une relation d’entraînement positive. Enfin, les résultats des diverses analyses de régressions polynomiales révèlent que l’âge (H2c) et l’ancienneté (H2d) n’ont aucun lien significatif avec le profil de la relation entre la satisfaction au travail et dans la vie, et ce peu importe les profils utilisés comme comparables.

En ce qui a trait au stress, les analyses révèlent un lien significatif entre le stress (χ2 = 51,901; p = ,000) et le profil de la relation entre les satisfactions, confirmant ainsi l’hypothèse 3. Le stress global est significativement corrélé avec l’entraînement positif en comparaison aux quatre autres profils soit, la segmentation, l’entraînement négatif, la compensation vers la vie et la compensation vers le travail (B = -0,075, p = ,000; B = -0,079, p = ,000; B = -0,033, p = ,005; B = -0,055, p = ,000). Ainsi, les personnes affichant un niveau de stress global moins élevé sont plus susceptibles d’entretenir un effet d’entraînement positif entre leurs satisfactions.

Effet sur l’engagement organisationnel affectif Pour déterminer si les observations vont dans le sens de l’hypothèse 4 qui propose une association entre le profil de relation et l’engagement organisationnel affectif, nous avons utilisé des analyses de variance (ANOVA) suivies de tests post-hoc HSD (honestly significant difference) de Tukey. Les résultats de ces analyses sont présentés aux tableaux 5 et 6.

Les résultats de l’ANOVA sont conformes à l’hypothèse 4: les individus qui font partie de différents profils de relation entre la satisfaction dans la vie et la satisfaction au travail démontrent un engagement affectif significativement différent (F = 17,365, p = ,000). Toutefois, le test de Levene (test d’homogénéité des variances) s’est avéré significatif dans certains cas, indiquant une variance non homogène entre les types de relation. Étant donné que la taille des groupes était inégale, un test de Welch (test d’égalité des moyennes) a servi à valider la pertinence de l’utilisation d’ANOVA. Le Test de Welch étant significatif (p = ,000) pour toutes les ANOVA, il a été possible de poursuivre afin de déterminer si les résultats vont dans le sens des hypothèses spécifiques 4a, 4b et 4c.

Les résultats sont majoritairement compatibles avec l’hypothèse 4a. Ainsi, les individus qui présentent un profil d’entraînement positif démontrent un engagement organisationnel affectif significativement supérieur à ceux qui privilégient une relation d’entraînement négatif (forme: 2185399.jpg =7,057; p = ,000), de segmentation (forme: 2185400.jpg =4,120; p = ,029) ou de compensation vers la vie (forme: 2185401.jpg =5,357; p = ,000). En revanche, les personnes optant pour un entraînement positif ou une compensation vers le travail ne se distinguent pas au niveau de l’engagement qu’elles affichent. Les résultats vont aussi dans le sens de l’hypothèse 4b selon laquelle les individus préférant un effet de compensation vers le travail démontrent un engagement organisationnel affectif supérieur à celui des individus privilégiant une compensation vers la vie (forme: 2185402.jpg =5,039; p = ,001).

Tableau 4

Analyse de régression logistique polynomiale entre les variables indépendantes retenues et les cinq profils relationnels

Analyse de régression logistique polynomiale entre les variables indépendantes retenues et les cinq profils relationnels

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Enfin, seulement quelques résultats sont conformes à l’hypothèse 4c. En ordonnançant les profils relationnels (tableau 6) selon leur score moyen à l’index d’engagement organisationnel affectif, deux groupes, ceux qui se caractérisent par la compensation vers le travail et par l’entraînement positif, expriment des résultats plus élevés que le groupe se définissant par la segmentation. Cependant, seuls les scores du groupe privilégiant la relation d’entraînement positif (forme: 2185674.jpg = 4,120; p = ,029) diffèrent significativement de celui de la relation de segmentation.

Tableau 5

Analyses de variance (ANOVA) entre les types de relations et l’engagement affectif

Analyses de variance (ANOVA) entre les types de relations et l’engagement affectif

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Tableau 6

Nature de la relation et engagement affectif; différences intergroupes et niveau de signification selon la méthode Tukey HSD

Nature de la relation et engagement affectif; différences intergroupes et niveau de signification selon la méthode Tukey HSD

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Discussion DES RÉSULTATS — En guise de discussion des résultats de cette étude, nous présenterons successivement les apports de la recherche aux connaissances scientifiques, les limites de cette dernière ainsi que certaines recommandations pour les recherches futures sur le sujet.

Les apports de la recherche — Les apports de cette recherche sont de trois types: certains contribuent à renforcer des résultats antérieurs, d’autres suscitent des questions par rapport à la littérature existante, d’autres enfin élargissent les observations quant à ce sujet d’étude.

Le premier résultat renforçant les connaissances existantes a trait à la nature polymorphique de la relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie. Plus précisément, notre recherche a démontré, à la suite de celles de Judge et Watanabe (1993) et subséquemment de Gosselin et Dolan (2003), que différents profils de relations entre la satisfaction au et hors travail peuvent coexister au sein d’une même population et chez les individus qui la composent, tout en ayant une répartition variable. Ces données confirment donc que les divers profils relationnels identifiés dans les écrits scientifiques sont définitivement plus complémentaires que compétitifs.

Le second type de résultats contribuant à supporter les connaissances existantes concerne la variation des profils en fonction de certaines variables sociodémographiques. Rappelons en premier lieu que c’est selon l’état civil que l’appartenance à un profil diffère le plus souvent. Plus spécifiquement, les analyses effectuées révèlent que les célibataires sont plus susceptibles que les gens mariés d’opter pour un effet de compensation au travail et qu’ils sont moins enclins à privilégier un effet d’entraînement positif. Il est possible de considérer que les célibataires bénéficieraient d’une plus grande liberté pour s’investir davantage dans leur travail afin de remédier à une vie personnelle moins satisfaisante. Mentionnons aussi que le genre n’est pas à l’origine de différences significatives entre les groupes de répondants, ce qui va dans le sens de résultats antérieurs (Tait & al, 1989). Toutefois, notre recherche a aussi un apport original concernant les effets du genre: comparativement aux femmes, les hommes ont plus tendance à choisir une relation d’entraînement négatif qu’une relation d’entraînement positif. Ce résultat, qui diffère de celui rapporté par Champoux (1981), peut avoir été causé par la séparation de notre population en cinq groupes plutôt qu’en seulement trois. En troisième lieu, précisons que les résultats sur les effets de l’âge et de l’ancienneté sont non significatifs, comme le sont la plupart de ceux rapportés dans les écrits scientifiques: l’absence de corrélation entre l’âge et l’ancienneté d’une part, et le profil de relation entre la satisfaction au travail et celle dans la vie d’autre part, milite en faveur d’une stabilité temporelle du profil de la relation privilégiée par les individus.

Notre recherche est aussi une source d’observation soulevant des questions par rapport à la littérature existante. Les données que nous avons collectées indiquent que la proportion de répondants dans chacun des trois profils de relations entre la satisfaction au et hors travail est quelque peu différente de celles rapportées par Judge et Watanabe (1993) et par Gosselin et Dolan (2003). Ces différences sont possiblement attribuables à des caractéristiques des échantillons, telles que le secteur d’emploi et le contexte social auquel appartiennent les participants sondés. Par exemple, certains changements dans le monde du travail, entre autres en ce qui a trait à la sécurité d’emploi et au degré de centralité du travail, ont pu influer sur la relation. De plus, il est possible que le déclin en fréquence de la segmentation soit relié à l’usage de technologies de communication et de messageries instantanées qui accroissent la perméabilité entre la vie personnelle et professionnelle, minimisant ainsi la possibilité de séparer les temps sociaux (Schnettler et al., 2020). Dans le cas de notre population d’enseignants, le faible taux de segmentation pourrait aussi s’expliquer par la nature du travail d’enseignant qui exige la correction de travaux et la préparation de cours à la maison, ou par l’omniprésence chez certains de l’aspect vocationnel encore associé à la profession d’enseignant.

Les données concernant les liens entre le stress et les profils de relations contribuent elles aussi à susciter des questions. Celles-ci émergent principalement de la constatation qu’il existe une corrélation positive entre le stress global et le profil relationnel issu de la satisfaction au travail et dans la vie. Ainsi, le stress global est significativement lié à l’entraînement positif lorsque tous les autres profils sont utilisés comme base de comparaison, ce qui signifie que les gens éprouvant un niveau de stress plus faible sont davantage susceptibles d’opter pour un effet d’entraînement positif.

Enfin, mentionnons que le premier apport original de cette recherche est de démontrer qu’il est possible de classer les individus dans cinq profils de relations entre la satisfaction dans et hors travail, plutôt que dans les trois catégories traditionnellement utilisées. Rappelons à ce sujet que la méthode utilisée a permis de distinguer la direction de l’entraînement (positif vs négatif) ainsi que celle de la compensation (vers travail vs vers la vie personnelle). En revanche, la relation de compensation vers le travail s’est avérée non significative. Il est toutefois possible que, dans la population à l’étude, certaines caractéristiques du travail aient empêché d’identifier un sous-échantillon adoptant ce profil. Par exemple, la présence de certains inconvénients, tels que les heures supplémentaires non rémunérées et la rémunération jugée insuffisamment compétitive, pourrait avoir causé une motivation négative à compenser par le travail. Nonobstant cette limite, il appert pertinent d’utiliser, auprès d’autres professions, la même méthode de classement en cinq profils relationnels, entre autres, pour valider l’importance relative de l’étalement dans chacun d’entre eux.

Le deuxième apport original de notre recherche est de fournir des données inédites sur les relations entre deux catégories de variables : d’une part, l’engagement organisationnel de forme affective; d’autre part, le profil relationnel entre la satisfaction au travail et hors travail que privilégient les individus. Jusqu’à présent, des recherches réalisées sur chacune des sphères de satisfaction avaient rapporté des corrélations élevées entre l’engagement organisationnel, la satisfaction au travail (Tett & Meyer, 1993) et la satisfaction dans la vie (Yilmaz, 2008); en revanche, aucune recherche n’avait étudié l’interface entre les deux types de satisfaction et l’engagement affectif.

Notre recherche révèle que les profils de relations entre la satisfaction au travail et celle hors travail qui sont caractérisés par une forte satisfaction au travail sont davantage susceptibles d’être également caractérisés par un engagement organisationnel de forme affective. À ce sujet, rappelons que l’entraînement positif est le profil qui affiche la moyenne d’engagement affectif la plus élevée. Suivent le groupe privilégiant la compensation vers le travail associée à un niveau élevé de satisfaction au travail et le groupe optant pour la segmentation, qui comprend des gens satisfaits et des gens insatisfaits de leur travail. Enfin, au bout du continuum se situent les individus adoptant soit un profil de compensation vers la vie, soit un profil d’entraînement négatif, qui ont tendance à exprimer des scores moins élevés d’engagement affectif envers l’organisation et un degré marqué d’insatisfaction au travail. En raison toutefois des difficultés éprouvées pour classer certains individus dans un profil spécifique, ces résultats doivent être interprétés avec prudence et être validés par d’autres recherches. Nonobstant cette réserve, la portée pratique de ces résultats ne doit pas être ignorée, car ils posent un double défi aux organisations souhaitant développer un fort engagement affectif chez leurs employés : 1. se soucier de la façon dont les individus établissent une relation entre le travail et la vie personnelle; 2. adopter des politiques encourageant d’abord la satisfaction au travail, mais aussi la satisfaction dans la vie en général.

Limites de l’étude — Comme toute recherche, celle-ci n’est pas exempte de limites. La première provient de l’échantillon lui-même qui est tiré d’une seule population, soit celle d’enseignants des niveaux primaire et secondaire, ce qui mine les possibilités de généralisation à d’autres groupes professionnels. La deuxième limite provient de la nature transversale du devis de recherche qui empêche d’établir des liens de causalité empirique entre les variables étudiées. Aussi, quelques facteurs ponctuels (p. ex. relations de travail, contexte organisationnel, charge de travail) auraient pu influencer les réponses des participants, créant un bémol dans l’interprétation de nos résultats. La troisième limite émane du fait que l’information a été collectée à l’aide d’un seul instrument de mesure, ce qui a pu causer un effet de variance commune accroissant certains des liens analysés. La quatrième limite est tributaire des analyses statistiques effectuées, qui ne tiennent pas compte des relations causales comme pourraient le faire des analyses confirmatoires de cheminements de causalité. La nature relationnelle des données de base entre les deux types de satisfaction nous a amenés à ne pas opter pour ce type d’analyses. Enfin, comme pour les données provenant d’autres questionnaires auto-administrés, il est possible que la désirabilité sociale ait pu teinter les réponses fournies. En revanche, nous sommes persuadés que ces limites n’invalident pas les principaux apports de la recherche.

Suggestions de recherche — En complémentarité à cette étude, nous suggérons de poursuivre la réflexion sur le sujet à partir de deux types de travaux particuliers. Tout d’abord, des recherches auprès d’autres groupes professionnels en essayant à nouveau d’identifier les cinq profils de liens entre la satisfaction au travail et hors travail, tout en scrutant les tenants et les aboutissant de ces profils. D’ailleurs, cette méthode de séparation des liens corrélationnels pourrait aussi contribuer à l’étude d’autres liens entre variables parentes, par exemple, ceux unissant divers types d’engagement. Ensuite, comme proposé par certains (Weziak-Bialowolska et al., 2020) des recherches longitudinales visant à identifier les facteurs causant l’adoption d’un profil spécifique de relation entre les satisfactions et permettant d’estimer la fluctuation intra-individuelle du type de profil adopté dans le temps.