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Le tournant et le milieu des années 2000 ont été marqués en France par divers évènements qui ont mis la société et les politiques devant les effets de l’héritage colonial et qui traduisaient, selon certains et certaines, les ruptures postcoloniales françaises (Bancel et autres 2010). Ces évènements – nouvelles « affaires du voile », émeutes urbaines, manifestes des Indigènes de la République et des Féministes indigènes, etc. – ont aussi été les moments et lieux de deux tournants politiques conjoints : la réappropriation par le gouvernement et certains courants politiques de problématiques féministes à des fins racistes et migratoires (l’égalité des sexes comme vertu hexagonale et comme critère d’intégration sociale) de même que la crise des féminismes français, déchirés par les débats sur la laïcité, le voile, la jupe, le racisme et l’hégémonie occidentale (Nouvelles Questions féministes 2006). Parce que l’égalité des sexes est devenue le nouvel axe de naturalisation et de hiérarchisation des sociétés, les femmes constituent l’objet et le lieu de redéfinition conflictuelle du sujet contemporain, traversé par les questions d’identité nationale et d’identités postcoloniales, l’identité sexuelle étant devenue le centre de la subjectivation politique (Dorlin 2007).

C’est pourquoi la multiplication de sketches et de spectacles interprétés, parfois aussi (co)écrits et (co)mis en scène, par des humoristes issues de l’immigration ou jouant sur les codes de représentation des minorités ethnoraciales, nous semble réclamer une attention particulière – sans nier ni mésestimer l’intérêt de sketches et de spectacles interprétés ou écrits ou mis en scène par des hommes humoristes. Il ne s’agit pas de présupposer une intention politique de la part de toutes les humoristes, quelles que soient leur nationalité, leurs origines, leur religion, mais de s’appuyer sur ces constats, argumentés par Nelly Quemener dans sa thèse de doctorat consacrée aux humoristes subalternes contemporains (2010 : 571-603) : les humoristes, à l’instar des rappeurs et des rappeuses, font l’objet d’une attention judiciaire croissante, témoignant d’un malaise politique à l’égard du rire; et une nouvelle figure de l’humoriste est progressivement apparue, à plusieurs visages, qui trouble la frontière entre interprète et personnage(s) et exploite de différentes manières le récit de soi comme genre narratif principal, ce que Quemener (2010 : 381-432) désigne comme une technique d’« incarnation » créant des effets d’« authenticité ». Une nouvelle scène humoriste a donc émergé, qui laisse la place à une prise de parole subjective engagée, entre scène culturelle et scène politique.

Nous souhaiterions montrer dans le présent article que les humoristes Rachida Khalil et Nouara Naghouche posent dans leurs spectacles de manière paradigmatique la question de la prise de parole des contre-publics subalternes en démocratie républicaine, d’une part, et la crise du sujet du féminisme, du « nous, les femmes », d’autre part. Dans une perspective philosophique féministe, nous nous appuierons d’abord sur les études subalternes et les études postcoloniales pour renouveler l’idée de « rire minoritaire », lancée par Judith Stora-Sandor en 1992, puis nous reviendrons sur la notion de parrêsia, telle que Michel Foucault (2008 et 2009) la développe dans ses derniers cours sur le gouvernement de soi et des autres, cours donnés de 1982 à 1984, partant du franc-parler grec antique pour expliciter une figure du « parrêsiaste », soit celui qui prend le risque de dire publiquement la vérité de l’injustice, pour finalement reprendre les critiques de Daniele Lorenzini (2012) concernant la parrêsia foucaldienne, les travaux de Sandra Harding (1992) sur les notions de neutralité et d’objectivité et de Mary Russo (1995) sur le grotesque, afin d’esquisser un nouveau mode du franc-parler qui ne dépende plus de la « vérité ». Cela nous permettra de déployer l’idée d’un nouveau mode subalterne du franc-parler démocratique, qui, par le rire, ne cherche pas à intégrer le discours politique ou la culture hégémonique, mais plutôt à faire état de rapports de subordination, et de l’existence de voix subalternes, et à raconter comment ces sujets subalternes tentent de se faire entendre et de trouver leur place par des actes de rébellion.

Du minoritaire au subalterne

L’un des premiers articles en langue française à s’être penché sur la question de l’humour des femmes est celui, devenu célèbre, de Stora-Sandor, publié dans la revue Autrement en 1992 : « Le rire minoritaire ». Cet article posait d’abord l’humour juif comme le paradigme de l’humour d’une minorité, pour ensuite l’appliquer analogiquement à l’« humour féminin », ce sens de l’humour étant compris comme une « propension à l’autodérision » et conditionné par l’impossibilité d’une (ré)action violente, et la minorité étant comprise au sens de « groupe qui ne partage pas le pouvoir avec la majorité dominante » (Stora-Sandor 1992 : 173, 176). Vingt ans après, nous aimerions montrer que la notion de « rire minoritaire » n’est plus pertinente pour lire les productions de femmes humoristes appartenant à ce que l’on appelle effectivement les « minorités visibles », et que les études culturelles et les études postcoloniales inspirées des études subalternes indiennes ont produit des catégories d’analyse et des démarches méthodologiques plus adaptées. L’article de Stora-Sandor pose, à notre avis, deux difficultés : d’une part, il parle bien de « sens de l’humour », notion héritée des polémiques littéraires et de la psychologie philosophique de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, et de la psychanalyse freudienne, qui repose sur une mythologie du « propre » (terme qu’elle emploie par ailleurs); d’autre part, sa définition de la minorité institue un binarisme sans histoire ni territoire, figé, où le pouvoir est renvoyé à la définition propriétaire critiquée en 1975-1976 par Foucault (1997). Son article s’appuie ainsi sur un vocabulaire de la propriété et de l’attribut que les théories politiques, féministes et postcoloniales se sont employées à défaire, afin de promouvoir une conception du pouvoir comme rapport et circulation (Foucault 1997), de la culture comme circulation de codes et comme performance (Hall 1980), de l’expérience et de l’identité comme interprétations et mouvement (Bhabha 1994; Scott 1991 et 2009), de la société comme espace de confrontation entre publics concurrents (Fraser 2001).

Nous allons ici nous appuyer sur les notions de « contre-public » et de « subalternité », quittant ainsi le langage de l’identité et de la minorité pour celui du rapport de pouvoir et de l’expérience.

Les « études subalternes » ont été fondées par Ranajit Guha au cours des années 80, en s’inspirant des écrits marxistes d’Antonio Gramsci, puis aussi de Michel Foucault et d’Edward Saïd; elles avaient pour objet de relire et de renouveler l’historiographie indienne, notamment en faisant l’histoire des insurrections des « subalternes » (classes paysannes et classes populaires), loin du discours des élites indiennes et coloniales. Dans les travaux des premières études subalternes, le terme « subalterne » ne désigne pas une « classe » ni une « minorité », mais un lien de subordination, l’effet d’un rapport de domination/subordination à la fois politique et culturel, qui oppose de manière dynamique les élites/l’hégémonie et les subalternes/les résistances, où ni l’hégémonie ni les résistances ne composent des phénomènes homogènes (Merle 2004 : 138-141), où la subalternité, pour le dire avec les termes de Spivak (2005 : 476), est « une position sans identité ». Les études subalternes ont, à partir de là, développé l’idée d’un domaine d’action politique subalterne autonome, celui de l’insurrection et de l’expérience de luttes accumulées (Merle 2004 : 137-144), que Scott (2008 : 153-155) développera de son côté dans la notion d’« arts de la résistance ». Pour Scott, les discours de résistance subalterne se caractérisent soit par l’ambiguïté du message (qui laisse ouverte son interprétation comme message de résistance), soit par la dissimulation du message ou de l’instance émettrice du message (par exemple, la rumeur, les refrains populaires, les histoires drôles, etc.)[1]. Dans les deux spectacles interprétés ici, les personnages sont des subalternes, dont les sketches dessinent les situations de domination et de subordination (aux pères, maris, frères, institutions françaises, rêve américain…) et pas à pas les actions de révolte et de résistance. Cependant, les humoristes elles-mêmes sont-elles encore des subalternes? Leur travail peut-il être lu comme une résistance féministe subalterne par le rire, ou est-il autre chose?

Cette première scène théorique posée, il nous faut maintenant introduire les protagonistes : Rachida Khalil et Nouara Naghouche.

Rachida Khalil est une comédienne marocaine arrivée en France à l’âge de 5 ans, dont la carrière a débuté en 1992. Son spectacle solo (one woman show) La vie rêvée de Fatna, coécrit avec Guy Bedos, a été joué de 2004 à 2006 et a été édité en DVD, avec le soutien notamment de la chaîne France 4 (groupe France Télévision). Le spectacle met en scène trois personnages : Karima, la jeune arabe qui habite en banlieue parisienne (Mantes-la-Jolie, connue pour ses violences urbaines) et qui tente de faire carrière comme actrice; sa tante Fatna (du même âge) restée au Maroc, mariée à 15 ans et enceinte de son troisième enfant; et Sophie, la voisine française blanche de Karima, mère célibataire habituée des Assedic et de la Caisse des allocations familiales (CAF)[2] et championne du racisme ordinaire. Ce spectacle solo a eu une suite, L’odyssée de… ta race, écrit par Khalil seule, joué à peine trois mois en 2009 et qui n’a pas bénéficié d’édition en DVD[3].

Nouara Naghouche, Alsacienne Algérienne, est une comédienne dont la carrière a aussi débuté durant les années 90. Son spectacle solo Sacrifices, coécrit avec Pierre Guillois, a été joué de 2008 à 2011, de Colmar à Paris, avec le soutien de différents acteurs associatifs et institutionnels, notamment le Théâtre du peuple, le CDR d’Alsace, le Théâtre du rond-point et l’Atelier du Rhin, pour n’en citer que quelques-uns. Un DVD a été produit par l’Atelier du Rhin (Naghouche et Guillois 2009). Le spectacle met en scène divers personnages : Marie-France, bourgeoise blanche qui présente le spectacle en début et en fin, Nouara, incluse dans l’histoire, Zoubida, une femme mariée battue qui n’a pas le droit de sortir et fan de Radio Nostalgie, Marguerite, la vieille Alsacienne raciste à l’accent très prononcé, ou encore Smaïn, jeune garçon à la voix peu assurée.

Ces deux spectacles ont en commun de ne présenter les personnages masculins adultes qu’in absentia. Khalil se sert de l’ombre des coulisses depuis lesquelles le mari de Fatna la menace sans qu’on entende sa voix (on devine ses propos aux mimes, reprises et réponses de Fatna). Naghouche utilise le discours rapporté et indirect libre et le mime (Zoubida rapporte les phrases de son époux et l’imite lorsqu’il lui impose des rapports sexuels), et la lecture d’une lettre d’un père à ses enfants, où elle alterne langues arabe et française.

Ces deux spectacles ont aussi en commun l’inhabituel mélange des genres : ce ne sont pas des pièces de café-théâtre ni du pur monologue comique (stand-up), mais des spectacles théâtraux, où vont de pair rire et larmes, comique et drame (Khalil et Bedos 2006 : 08 : 00-08 : 30). Khalil, à l’instar de son coauteur Guy Bedos[4], insère une saynète utopique en dernière partie de La vie rêvée de Fatna, qui dépeint le rêve américain postcolonial de Fatna (partir avec ses fils aux États-Unis et devenir la reine du burger-corne-de-gazelle, sans mari ni père) puis revient mélancoliquement à la « réalité ». Naghouche ouvre son spectacle avec une saynète où un frère menace avec un sérieux mortel de tuer sa soeur si elle quitte son mari. Les deux actrices rompent souvent la dynamique comique d’un sketch en hurlant : Sophie-la-voisine qui, dans La vie rêvée de Fatna, explose à la CAF : « mais on n’est pas des chiens, merde! » (Khalil et Bedos 2006 : 45 : 21); ou Zoubida qui, dans Sacrifices, après avoir subi les élans de son mari, se rebelle en criant au public : « et mon plaisir, à moi, il est où? » (Naghouche 2009). On est loin ici de l’« anesthésie momentanée du coeur » dont Bergson caractérisait le comique (2004 : 3-4). En effet, comment oublier, alors même qu’elle file la métaphore culinaire de manière comique, que Naghouche/Zoubida décrit des violences conjugales? (Nagouche 2009).

Enfin, les deux spectacles se terminent sur des adresses à la salle et au monde, des appels au vivre-ensemble en paix et dans l’égalité : Khalil fait muter le rêve de Fatna en plaidoyer durant lequel elle enlève son hijab pour le poser par terre « comme un linceul » pour « faire le deuil de l’enfermement », et Naghouche déclame un (très) long poème dédié aux femmes. Leurs messages ne sont donc ni ambigus ni dissimulés, contrairement aux discours subalternes étudiés par Scott (2008).

Le nombre de personnages mis en scène, la présence/absence de figures de la domination ou de l’hégémonie (maris, employée de la CAF, journalistes, etc.) et l’hybridité stylistique des spectacles indiquent, à notre avis, que ces derniers ne peuvent être lus comme l’avait fait Scott et que leur inscription dans un réseau médiatique (théâtres, DVD, extraits diffusés sur Internet) ou un réseau politico-institutionnel (la lutte pour la visibilité des « minorités », le soutien d’associations, de théâtres et de conseils régionaux) complexes ne permet plus de les situer dans un rapport « texte caché/texte public » (Scott 2008 : 19). Faut-il pour autant abandonner l’idée d’un statut subalterne de ces humoristes et de leurs spectacles? Le concept de « contre-publics subalternes » élaboré par Nancy Fraser peut nous aider à comprendre la place occupée par ces spectacles dans l’espace public et politique. Celle-ci développe ce concept en réponse au livre de Jürgen Habermas, L’espace public (1997), dont elle critique la conception idéalisée, bourgeoise et masculiniste de la sphère publique libérale, qui fait l’impasse sur la formation de publics concurrents. Elle désigne par l’expression « contre-publics subalternes » les « arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours, afin de formuler leur propre interprétation de leurs identités, leurs intérêts et leurs besoins » (2001 : 138). Les contre-publics subalternes fonctionnent, d’après Fraser, selon deux modes, dans un rapport dialectique (Fraser 2001 : 139) : l’entre-soi, espace de repli et de regroupement; et l’expérimentation locale, discursive et pratique, destinée à une publicité plus large. Nous proposons de rattacher les spectacles de Khalil et Naghouche, et d’autres similaires, au mode de l’expérimentation locale. C’est leur caractère local et expérimental qui les signale comme étant bien des arts de résistance subalterne, des prises de parole mêlant voix individuelle et polyphonie d’une communauté.

Toutefois, ces discours, ces spectacles de résistance subalterne, ne correspondent pas aux formes traditionnelles du discours politique : ce ne sont ni des manifestes ni des harangues. Comment alors les identifier comme des prises de parole, des contre-discours? Dans le genre comique et l’histoire politique, l’une des figures subalternes de la prise de parole au nom des personnes laissées-pour-compte est celle du bouffon : celui qui, sous couvert de grotesque et de folie, est seul à s’exprimer librement et à s’opposer au pouvoir (traditionnellement le roi, plus récemment le gouvernement ou l’État). Ce modèle de libre parole publique, bien qu’elle soit historiquement circonscrite, avec la diversité des styles relevée plus tôt et la présence d’adresses au public, nous incite à lire ces spectacles à l’aide de la notion de parrêsia, inspirée de sa définition par Foucault : le « franc-parler » de la démocratie grecque antique.

La prise de parole subalterne et le franc-parler

Dans ses derniers cours au Collège de France, consacrés au « gouvernement de soi et des autres », Foucault revient sur une notion abordée précédemment, celle de la parrêsia, le franc-parler antique. Cette notion signifie « franc-parler », « parler librement »; et, selon Foucault (2008 : 157-162), c’est une notion fondamentalement politique, permise par l’isêgoria, droit démocratique institutionnel et juridique accordé à tout citoyen de parler. La parrêsia suppose la démocratie pour exister, et la démocratie fait l’épreuve de sa justesse avec la pratique de la parrêsia. Pour résumer les explications de Foucault, en premier lieu, la parrêsia n’est pas une question de contenu du discours mais une manière de parler (2008 : 52); en deuxième lieu, elle s’oppose point par point aux énoncés performatifs (2008 : 59-64); et, en troisième et dernier lieu, elle n’est pas une modalité de la pragmatique mais de la dramatique du discours (2008 : 64-67).

Dans la leçon du 12 janvier 1983, Foucault oppose parrêsia et performatif. Il se réfère aux travaux de John L. Austin sur les énoncés performatifs (1970), qui font ce qu’ils disent, à certaines conditions : un contexte institutionnalisé, une personne énonciatrice autorisée par son statut ou des circonstances qui confèrent à l’énonciation une autorité particulière. Or, selon Foucault, la parrêsia ne repose pas sur un contexte produisant des effets prédéterminés, mais elle ouvre une situation à des effets inattendus, son irruption entraîne un risque indéterminé. Si dans les énoncés performatifs le statut du sujet de l’énonciation est important, mais qu’aucun lien personnel n’est requis entre sujet énonciateur et énoncé, en revanche la parrêsia nécessite un pacte du sujet énonciateur avec lui-même, qui le lie au contenu et à l’acte de l’énoncé. Enfin, là où l’énoncé performatif requiert l’autorité conférée par un statut précis, l’énoncé parrêsiastique ne fait valoir que sa « propre liberté d’individu qui parle » et ne requiert donc que le courage de l’énonciation d’une vérité. Le parrêsiaste[5] de Foucault est ainsi « celui qui a le courage de risquer le dire-vrai, et qui risque ce dire-vrai dans un pacte à lui-même, en tant précisément qu’il est l’énonciateur de la vérité » (Foucault 2008 : 64). La parrêsia poserait donc la question philosophique du rapport entre la liberté et la vérité, dans la mesure où s’obliger à dire-vrai serait le dangereux exercice de la liberté.

Foucault pose une dernière distinction entre les énoncés performatifs et la parrêsia. Les premiers relèvent, selon lui, d’une « pragmatique du discours », c’est-à-dire « l’analyse de ce qui, dans la situation réelle de celui qui parle, affecte et modifie le sens et la valeur de l’énoncé » (Foucault 2008 : 65). À l’inverse, la seconde relèverait, elle, d’une « dramatique du discours », c’est-à-dire « l’analyse de ces faits de discours qui montre comment l’évènement même de l’énonciation peut affecter l’être de l’énonciateur ». Analyser la parrêsia, c’est donc faire « apparaître le contrat du sujet parlant avec lui-même dans l’acte du dire-vrai ». La dramatique du discours vrai peut s’appliquer de la même façon dans le domaine scientifique ou philosophique, par exemple. Prenons cette dramatique du discours au sérieux et tentons de voir si, que ce soit dans les spectacles mêmes ou dans les dispositifs d’explicitation en contrepoint (entrevues, suppléments de DVD, sites Web, etc.), Khalil et Naghouche correspondent à ces critères de la parrêsia.

Leurs sketches et leurs interventions se déroulent dans des espaces et des temps légaux, autorisés, tels que les théâtres, les festivals et les entretiens journalistiques, mais les effets de leur performance et de leur discours ne sont pas préréglés, prédéterminés. La tenue d’une performance et d’un discours ouvre un risque indéterminé, un risque assumé publiquement par les deux humoristes, au nom du dire-l’injustice, comme l’expriment Khalil dans le reportage-prime de son DVD : « je peux véhiculer des valeurs, combattre des clichés, je le ferai à mon corps défendant, ça c’est clair » (Khalil et Bedos 2005 : 29 : 49), et Naghouche dans une entrevue accordée au Conseil régional de Seine-Saint-Denis (2011 : 05 : 12-05 : 15) : « je me dis que je suis en mission » et dans un reportage du Festival du rire de Montreux (2009 : 04 : 26-04 : 40) : « On s’est dit des fois ce spectacle, oui il est peut-être risqué, mais le risque c’était quoi? C’est quoi le risque? »

Un lien entre l’énonciatrice, à la fois interprète et personnage(s), et les contenus et les actes d’énonciation est effectivement à la fois mis en scène et explicité en contrepoint par les deux humoristes, lien que Quemener a qualifié de « technique humoristique d’incarnation » des personnages par leur interprète (2010 : 30, 399-408). Khalil donne ainsi au personnage principal des deux spectacles de 2004-2006 et de 2009 le nom de sa tante : Fatna. Le personnage de Karima opère une mise en abyme, où le « je » du personnage et celui de l’interprète sont difficiles à distinguer, notamment lorsqu’elle crie, après l’avoir murmuré et gémi, « Je suis arabe! », ou encore lorsque le personnage de Karima répète le rôle d’une « beurette » promise à une intégration sociale exemplaire, parce que c’est le seul type de rôle qu’une actrice arabe peut espérer à la télévision française. Le reportage-prime du DVD de La vie rêvée de Fatna insiste sur l’enchâssement de la vie personnelle de la comédienne dans la vie des personnages du spectacle, articulant expérience vécue et expérience fictionnelle. De la même manière, Naghouche le dit et répète : « Je viens pas faire larmoyer dans les chaumières, ou je viens pas faire la morale à personne, je viens juste avec mes tripes, mon coeur, et mon histoire, raconter peut-être celle des autres aussi » (Conseil régional de Seine-Saint-Denis 2011 : 02 : 00-02 : 12). Et ses sketches sont régulièrement ponctués d’apartés tels que : « c’est comme ça que ça se passe dans mon quartier », où la frontière entre personnage et humoriste se trouble au point de disparaître. Remarquons au passage que les deux humoristes mettent en pratique la parrêsia comme dramatique du discours, en explicitant de quelles manières elles sont liées au contenu de leurs énonciations, dans ce qui pourrait être interprété comme une mise en scène de l’authenticité de leur parole, et donc ici de son autorité. Cependant, concernant leur statut, l’autorité de leur parole, les deux humoristes sont prudentes et refusent, par exemple, de faire bénéficier leurs sketches d’une visée représentative, mettant en avant un engagement avant tout personnel, la partialité de leur discours. L’autorité de leur parole, même si elle est fondée sur cette trouble indifférenciation interprètes/personnages, qui fait valoir leur intimité avec les sujets dont elles parlent et les personnes à qui elles les dédient et s’adressent, se présente comme celle d’un point de vue éthique – un attachement à des valeurs. Khalil déclare ainsi (Khalil et Bedos 2005 : 29 : 20-29 : 50) :

[Je] fais mon métier en tant que comédienne […] et c’est tout, je ne veux pas être représentative de quoi que ce soit, il en est hors de question […] qui suis-je pour représenter le Maroc et les Marocains, ce serait d’une prétention et d’une démagogie folles. Par contre, je peux véhiculer, oui, des valeurs, combattre des clichés…

Naghouche, de son côté, explicite sa position (Festival du rire de Montreux 2009 : 03 : 10-03 : 55) :

Souvent on m’a demandé si mon spectacle était politique, était dans un engagement politique, mais pas du tout, pas du tout… je ne comprends pas pourquoi on en parle comme quelque chose d’un engagement politique! […] ah oui, il y a un engagement, mais il est pas politique, mon engagement, il est dans quelque chose de, de…, même pas de féministe… C’est une prise de parole, prise de parole dans laquelle il y a énormément de choses… Il y a une colère, y a un ras-le-bol, y a un attachement à un certain nombre de valeurs.

Ici se dessine un paradoxe, inexistant chez le parrêsiaste foucaldien. En effet, prendre la parole revient à se singulariser, et dire « nous » dans une visée représentative, même implicitement, c’est prendre un ascendant sur les autres : le courage du parrêsiaste lui octroie une certaine supériorité citoyenne (Foucault 2008 : 144-145). Or, ni Khalil ni Naghouche ne revendiquent ni n’acceptent cet effet de supériorité découlant de la pratique du dire-vrai. D’abord, ni l’une ni l’autre ne « joue » avec son public, elles ne font pas reposer leurs sketches sur une dialectique « je/vous/nous »; ensuite, il ne s’agit pas, justement, d’un dire-vrai, mais d’un dire-l’injustice, d’un franc-parler au sens strict; enfin, l’exemplarité subalterne n’existe pas, il ne peut y avoir de subalterne exemplaire parce que l’exemplarité hégémonise (Spivak 2005 : 476-477). Elles ne peuvent donc pas incarner la figure traditionnelle du bouffon, parrêsiaste grotesque et comique. Elles rompent aussi avec les techniques scéniques et rhétoriques des humoristes féministes, en n’adoptant pas de position militante explicite et en n’instaurant pas une relation d’identification entre elles et leur public (celle du « nous, les femmes ») – ce qui les distingue d’ailleurs aussi des humoristes pratiquant ce que Nancy Walker (1988) et d’autres appellent l’humour « au féminin ». Nous assistons aux limites des strictes oppositions performatif/parrêsia et pragmatique/dramatique opérées par Foucault, qui ne nous permettent pas de comprendre le refus par ces humoristes de toute labellisation politique, y compris féministe[6], ni la portée de leurs techniques d’incarnation des personnages. Une critique de l’obsession de la « véridiction » chez Foucault et une étude de l’usage du grotesque dans ces spectacles nous permettront peut-être d’y répondre.

Les femmes humoristes et le grotesque postcolonial : le franc-parler situé

Dans une intervention au séminaire « Foucault » du 21 janvier 2012 à Paris I, Lorenzini est revenu sur un aspect des travaux foucaldiens qui lui semble problématique, à savoir l’intérêt de Foucault pour la production de la vérité, au point de sur-interpréter, voire détourner, les textes anciens cités dans ses cours. Pourtant, Foucault lui-même a rappelé à diverses occasions que la traduction du terme parrêsia est « franc-parler », « parler librement » ou encore « tout dire », et ne contient pas les idées de vérité ni même de sincérité, ce qui ne l’empêche pas de bâtir ses derniers cours sur une traduction de la parrêsia comme « dire-vrai » (Lorenzini 2012 : 18-19). Selon Lorenzini, cela indiquerait les limites du projet foucaldien, ce projet d’une généalogie des régimes de vérité où le régime contemporain est celui de la subjectivation politique qui oblige dans l’assujettissement à dire qui l’on est.

La tension que nous avons relevé ci-avant, entre l’ascendant pris par le parrêsiaste chez Foucault et le refus de toute exemplarité et représentativité par les humoristes étudiées, peut s’expliquer par cette traduction de la parrêsia en termes de vérité, et sa réduction à une dramatique du discours, qui la coupe des énoncés performatifs. En effet, ce qui est en jeu dans la prise de parole libre et citoyenne du parrêsiaste foucaldien est bien la vérité et l’autorité de celui qui détient la vérité, et qui a le courage de la dire publiquement. Nous insistons ici sur la masculinité du parrêsiaste foucaldien[7], cette masculinité du sujet « savant » dont les théoriciennes de l’intersectionnalité et du point de vue ont mis en lumière la prétention à l’universalité et à la neutralité objective. Qui a besoin de la vérité[8]? Les disciplines, les dispositifs de contrôle sociaux contemporains et une certaine philosophie de l’identité. Pas les subalternes, dont la position même postule qu’ils et elles ne peuvent produire de vérité. Ce n’est pas de dire-vrai qu’il est question dans les spectacles de Khalil et de Naghouche, mais bien de « franc-parler » au sens d’une prise de parole d’un sujet qui fait valoir son droit démocratique au discours public, à la participation dans l’espace public, comme le soulignent les propos en contrepoint de ces spectacles. Ainsi, Bedos, parlant de Khalil dont il a coécrit La vie rêvée de Fatna, affirme : « Son spectacle n’est pas un meeting, mais c’est un droit de réponse qu’elle s’est octroyée en tant que femme[9] » (Khalil et Bedos 2005 : 08 : 42-09 : 00). Et Naghouche, dans un extrait cité précédemment, explique comment elle conçoit son spectacle : « C’est une prise de parole, prise de parole dans laquelle il y a énormément de choses[10]… » (Festival du rire de Montreux 2009 : 03 : 40-03 : 55). Ces prises de parole sont situées, elles ne cherchent pas à dire une vérité, mais à raconter, à faire les récits « moins faux » de vies de femmes subalternes[11], dont témoigne la polyphonie des personnages.

Ces spectacles ne sont donc pas des discours de vérité (du parrêsiaste au tyran), ce ne sont pas non plus des discours politiques où un orateur ou une oratrice prend un ascendant sur la masse pour parler au nom des autres, pour les représenter (ayant eu l’autorisation d’agir ainsi par vote, par délégation ou encore par sa valeur morale – le courage de parler publiquement au nom d’un intérêt général) en s’adressant à une figure du pouvoir précise : ministre, gouvernement, État. Prises de parole publiques, ces spectacles s’adressent avant tout à celles dont ils parlent, les femmes, et s’adressent de manière libre aux groupes dominants, sans les identifier, mais en mettant en scène les rapports de pouvoir contestés. Khalil et Nagouche sont comédiennes, et leurs spectacles sont des performances théâtrales qui mêlent différents styles (comédie, drame, utopie) et des effets techniques nombreux (éclairage, décor, costumes ou accessoires, etc.) : leurs discours se présentent comme dé-monstrations. En tant que tels, leurs sketches relèvent autant de la performativité et de la pragmatique du discours : par le mime hyperbolique des normes de genre et de « race », et par les effets du mime exagéré des normes sur les corps et les sujets subalternes. Si le bouffon était associé à un corps grotesque du type carnavalesque, représentatif de sa fonction politique unique et de sa position de marginal, le grotesque des corps incarnés par Khalil et Naghouche est plus complexe, représentatif de leur statut de contre-public subalterne.

Les deux humoristes produisent de manière différente du grotesque, à travers lequel les interprètes/personnages travaillent deux des enjeux majeurs de l’époque contemporaine : la visibilité et la frontière. Ces enjeux ont été abordés par Russo dans son célèbre essai The Female Grotesque en 1995, dans les chapitres intitulés « Up There, Out There: Aerialism, the Grotesque and Critical Practice », consacré aux femmes acrobates et aviatrices du début du XXe siècle, et « Freaks, Freak Orlando, Orlando », consacré à la transformation de la catégorie infamante « monstre » en catégorie de revendication politique « freak ».

Dans son essai, Russo examine, au premier chapitre, la cascade aérienne comme « performance grotesque » soumise au risque du blâme, voire de mort. La dichotomie haut/bas corporelle, habituelle dans les analyses du grotesque, change selon elle au début du XXe siècle, troublée d’un côté par la dichotomie aérien/terrestre, et de l’autre par la dichotomie profondeur/surface (Russo 1995 : 27-29). Les aviatrices et acrobates sont des figures féminines nouvelles du grotesque en ce qu’elles incarnent littéralement la libération comme envol, y compris dans le mouvement de leur chute (disparition ou mort); Russo souligne alors que les féministes se sont détournées de ces images de libération où la visibilité n’était pas requise et la disparition productrice de possibilités futures. Selon elle, il existe un grotesque de l’invisibilité, voire de la « disparition active », c’est-à-dire un grotesque qui refuse de produire un corps et donc une identité (Russo 1995 : 41, 49). Ce lien entre grotesque et souci de visibilité du corps des femmes nous paraît faire écho au débat qui entoure toujours la question du port du « voile », et notamment du « voile intégral » (niqab) opposé au port « libéré » de la jupe, et que l’on retrouve en particulier chez Khalil, au point qu’un article du journal Le Monde du 31 juillet 2009 consacré à L’odyssée de… ta race s’intitulera « Le rire sans voile ». Khalil fait trois usages du « voile » : le détournement (avec un défilé de tchadors en collections « printemps », « mariage », « soir », et même « drapeau américain »), grotesque (apparition silencieuse et sombre d’une silhouette en burqa) et symbolique (Khalil/Fatna enlève son hijab à la fin du spectacle, qu’elle étend par terre « tel un linceul »). Cet usage du « voile » est complété par l’utilisation de la capuche, autre pièce de tissu dissimulant partiellement la tête, et rattachée dans les représentations aux styles vestimentaires des banlieues et aux « casseurs » des manifestations et émeutes urbaines, dans un port qui court-circuite les technologies de contrôle et d’identification des individus dans l’espace public[12]. Ainsi, les personnages de Karima dans La vie rêvée de Fatna (Khalil et Bedos 2006) et de Smaïn dans Sacrifices (Naghouche et Guillois 2009) portent une capuche : Khalil/Karima lorsqu’elle répète le rôle de la « beurette » future « députée-maire » qui défie son frère intégriste en tournant l’islam en dérision, et Naghouche/Smaïn, dont la capuche dissimule les yeux, lorsqu’il vient réciter un poème pour son amoureuse ou demander que l’ampoule de la cage d’escalier de la cave soit réparée. Si ces usages du voile et de la capuche font rire, celui de la burqa s’accompagne immanquablement d’un silence partagé de l’actrice (Khalil) et de la salle. Cette figure nous semble particulièrement intéressante, en ce qu’elle inaugure théâtralement une nouvelle figure du grotesque dans l’imaginaire occidental, qui allie hypervisibilité et invisibilité : la silhouette en burqa. Car, avec le débat social et politique autour de la burqa, c’est la question même de l’humanité des femmes en burqa qui a été mise en jeu, dans l’injonction à la visibilité dans l’espace public en fonction de normes de contrôle anthropométrique et d’une mythologie de l’égalité des sexes à la française (Dorlin 2010 : 430, 440). Entre accessoire de résistance aux technologies de contrôle et symbole de l’oppression des femmes, l’interprétation du voile par Khalil est sans ambiguïté en faveur du second.

Dans le troisième chapitre de son livre, Russo revient sur les exhibitions coloniales pour montrer comment la monstruosité a été re-signifiée et réappropriée par les groupes sociaux marginaux, sous le terme de freak. Elle montre comment le monstre, d’objet de la science tératologique, est devenu objet de spectacle, preuve vivante de la conquête des espaces extérieurs lointains et de la frontière, pour devenir le trope du « moi secret » identifié avec l’altérité (Russo 1995 : 79-86). Le lien entre altérité, empire colonial et grotesque est toujours d’actualité, en particulier concernant la frontière. Les humoristes subalternes de notre époque postcoloniale opèrent une nouvelle turbulence grotesque, en ce que ce n’est plus l’altérité qui est recherchée, mais le vivre-ensemble sous la forme de l’hybridité (souvent abordée en termes de métissage). Cette hybridité se retrouve dans les performances langagières (accents marocain et alsacien, usage alterné de l’arabe et du français), narratives (les aventures de Khalil/Fatna, qui se retrouve coincée à Nazareth, entre territoires palestiniens et israéliens, à cause d’un problème de visa, et la lecture d’une lettre d’un père immigré à ses enfants par Naghouche/Nouara), et péridiscursives (le reportage sur Khalil, ses représentations à Marrakech, les entrevues de Naghouche).

Ce grotesque postcolonial se retrouve aussi dans la manière dont les corps féminins des personnages servent de métaphores de l’actualité géopolitique : ainsi, Khalil/Fatna a donné à ses enfants les noms de l’ex-dictateur Saddam Hussein et des terroristes islamistes Oussama Ben Laden et Abou Moussab Al-Zarqaoui. Interrogée sur sa grossesse, Khalil/Fatna articule la métaphore sexiste des gros seins (« obus ») et la réalité des activités du vrai Zarquaoui : elle fait de la grossesse du personnage la métaphore d’une bombe à retardement, faisant rire du stéréotype macho de la « bombasse » à gros seins tout en y introduisant l’angoisse distillée par le stéréotype raciste du corps arabe comme corps explosif. La visibilité grotesque étudiée précédemment est là pour rappeler que les corps féminins postcoloniaux restent des corps grotesques, non parce qu’ils sont soumis à la tératologie scientifique, mais parce qu’ils sont les témoins de fractures coloniales, des frontières qui sillonnent le territoire national et international : espaces d’hybridité culturelle et territoriale, qui viennent contrecarrer les fictions nationalistes de l’unicité et de la clôture.

Conclusion

Dans cette lecture de La vie rêvée de Fatna et de Sacrifices à l’aide de la notion de parrêsia et à travers l’évolution du grotesque moderne, nous avons essayé de montrer que le rire des femmes subalternes est un rire impur, hybride, dont la franchise n’a rien à voir avec la « vérité », mais avec la libre affirmation de son existence, quoi qu’il en coûte. Naghouche et Khalil, par l’exercice libre et risqué d’un droit démocratique de parler, racontent ce qui s’entend si difficilement et se dit avec tant de précautions dans l’espace public : le sexisme, le racisme, leur imbrication, les douleurs de la violence et les joies de la rébellion. L’exagération et les détournements imposés aux stéréotypes sexistes et racistes font de ces spectacles des lieux et des voix de contestation, à côté d’un féminisme français en crise. Cependant, par l’emploi simultané d’une multiplicité de personnages et d’histoires, et de techniques d’incarnation de certains personnages, les deux humoristes refusent la prétention à la vérité et la stratégie de la représentation pour préférer celles du récit, du positionnement et de l’engagement. La parrêsia subalterne, dans l’exemple de femmes humoristes qui ne correspondent pas à la mythologie nationale de la « francité » blanche, ne pose donc pas la question philosophique du rapport entre la liberté et la vérité, mais la question philosophique et démocratique du rapport entre la liberté et la voix, dans la mesure où s’obliger à dire l’injustice reste le dangereux exercice de la liberté.