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L’engagement dans un processus d’alphabétisation pour les femmes est un enjeu social important qui va au-delà d’un apprentissage formel et instrumental puisque s’investir dans une telle démarche suppose un engagement dans un projet de transformation et de réappropriation de sa vie (Savoie 2011). Dans le présent article, la perspective féministe nous permet d’interroger les rapports que des femmes qui ont participé à un processus d’alphabétisation entretiennent avec leurs mondes sociaux (famille, école et travail). Ces derniers, imprégnés par des rapports sociaux de sexe, semblent structurer le rapport au savoir des femmes et la manière dont elles intègrent le marché du travail. Nous voulions comprendre la réalité de femmes vivant en milieu rural et faiblement scolarisées et la relation à leur intégration au marché du travail. Nous analysons ci-dessous la façon dont leur participation à un processus d’alphabétisation transforme leur perspective d’emploi et le regard qu’elles portent sur leur parcours professionnel. À remarquer que les femmes qui ont suivi un processus d’alphabétisation ne se sont pas seulement engagées dans les apprentissages scolaires pour acquérir des compétences liées au marché du travail, mais d’abord pour accéder à de nouveaux savoirs scolaires et sociaux qui leur permettront d’augmenter leur pouvoir d’agir et de jouer un rôle social plus satisfaisant. Comme le souligne Dominicé (2007 : 19), il s’agit de regarder « l’exigence de la formation sur toutes les facettes » en tenant compte de « l’ampleur de la vie ».

La formation en alphabétisation au Nouveau-Brunswick est destinée à la population adulte « dont les capacités de lecture et d’écriture sont inférieures à celles nécessaires pour fonctionner de manière adéquate à la maison, au travail ou dans la collectivité, et ceux qui cherchent à maintenir leur niveau fonctionnel ou à être reconnus comme l’ayant atteint » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick 2009 : 6). La mise en oeuvre des programmes d’alphabétisation concerne le développement de « compétences essentielles [1]» et est centrée sur le « développement de la main-d’oeuvre » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick 2009 : 5). Cette façon de se positionner à l’égard de l’alphabétisation réduit l’apprentissage de la lecture et de l’écriture à un processus « purement mécanique » (Freire et Macedo 1987 : 64) en limitant la portée des apprentissages au marché du travail. Pourtant, selon Robinson-Pant (2004), l’alphabétisation chez les femmes est un enjeu majeur. Toujours selon cette auteure, il faut s’éloigner du discours dominant en mettant l’accent sur l’analyse des transformations des relations de pouvoir entre les femmes et les hommes à l’intérieur des mondes sociaux.

L’alphabétisation, un regard féministe sur un enjeu social pour les femmes

Il existe dans la littérature en matière d’alphabétisation des perspectives féministes qui cherchent à comprendre la manière dont les femmes donnent sens à leur démarche de formation et la façon dont elles réussissent à développer leur pouvoir d’agir par une prise de conscience quant à leur capacité de prendre des décisions pour elles-mêmes, de revendiquer ce qu’elles considèrent comme bien pour elles et de prendre la parole (Hayes et autres 2002; Prins, Willson et Schafft 2009; Prins 2006; Robinson-Pant 2004; Stromquist 1997). Les chercheuses féministes qui se positionnent ainsi revendiquent une transformation dans les relations entre les sexes avec comme objectif une société plus juste et plus égalitaire (Robinson-Pant 2004). Horsman (2000) souligne qu’une telle approche encourage les femmes à se réapproprier leur soi tout en leur offrant une meilleure compréhension de leur monde pour ainsi donner un sens à leurs expériences. Toutefois, nous remarquons que le développement de programmes d’alphabétisation s’inscrit surtout dans une logique socioéconomique qui est de plus en plus axée sur le développement de compétences techniques liées au marché du travail. Cette position ne tient pas compte de l’ensemble de la vie des femmes dans l’élaboration des programmes d’alphabétisation (Savoie 2011).

Nous avons voulu connaître les trajectoires sociales de femmes de milieux ruraux de l’Acadie du Nouveau-Brunswick qui subissent l’influence du genre et du contexte familial, social et géographique, car nous estimons que les contextes de vie, les processus de socialisation différenciés et singuliers ainsi que les situations de vulnérabilité des femmes sont ignorés. Deux grandes questions ont guidé notre démarche d’investigation : après un engagement dans un processus d’alphabétisation, comment le contexte de vie des femmes façonne-t-il leur intégration au marché du travail? Et quelles sont les conditions personnelles et sociales avec lesquelles il leur faut composer pour que cette démarche d’intégration ait du sens à leurs yeux?

Les histoires de vie des femmes dans un processus d’alphabétisation

Comprendre la vie des femmes en partant d’une perspective féministe suppose de les placer au centre de la recherche. Il s’agit ainsi de comprendre la manière dont elles ont traversé leurs mondes sociaux tout au long de leur vie. Étudier la vie des femmes à partir d’une perspective féministe sous-entend également que les rapports sociaux ne sont pas fixes, qu’ils sont créés et recréés au gré des interactions et des rencontres vécues par les femmes dans différents secteurs sociaux comme la famille, l’école et le travail (Hayes et autres 2002).

Or, on constate deux principes d’interprétation qui demandent, d’une part, une reconnaissance de la complexité et de la singularité de la vie des femmes et, d’autre part, la reconnaissance de leur marginalité comme dans un contexte de pauvreté (Krumer-Nevo 2005). La complexité et la singularité de la vie des femmes peuvent s’expliquer par l’attention accordée à la diversité des expériences de vie racontée par chacune d’entre elles. Pour Hayes et autres (2002 : 14), les femmes possèdent « des expériences variées d’expression du soi et du “je” qui sont fluides et qui évoluent de façon continue et imprévisible ». Le regard sur la condition de marginalité des femmes conduit à une « conscience féminine de la réalité, publique ou privée [qui] survient toujours à l’intérieur d’un contexte social d’inégalité en raison des rapports de pouvoirs entre les sexes qui limitent le pouvoir des femmes sur le plan d’un contrat social asymétrique » (Krumer-Nevo 2005 : 89). La condition de marginalité des femmes suppose également, selon Morrish et Buchanan (2001), l’isolement des femmes, le manque de programmes à leur disposition, ou encore l’ignorance de leurs expériences à l’intérieur de l’environnement d’apprentissage. Cela rend nécessaire, comme l’explique Krumer-Nevo (2005), l’examen des questions relatives aux structures sociales que les femmes ont intériorisées et rejetées.

Dans le cadre de sa recherche auprès des femmes en alphabétisation au Royaume-Uni, Merrill (2004) a remarqué que, lorsqu’on permet aux femmes de réfléchir sur leurs expériences avec une méthode narrative, elles sont plus enclines à employer des mots tels que « classe sociale » et « genre ». Elles y ont recours pour expliquer l’influence de ces facteurs dans leur vie en famille, à l’école, au travail ou au chômage et pour démontrer la manière dont les attitudes stéréotypées ont conditionné leurs expériences dans ces domaines. Selon Horsman (2004), ignorer le vécu et les émotions des femmes dans les programmes d’alphabétisation signifie mettre de côté toute une partie de leur vie qui peut s’avérer significative dans leur apprentissage et dans leur rapport au savoir. Cette auteure souligne que les femmes peuvent, par exemple, être affectées par la violence[2] qu’elles ont vécue ou qu’elles vivent, et ce, jusqu’à potentiellement compromettre leurs chances de réussite dans un programme d’alphabétisation (Horsman 2000 et 2004). Nous concluons que leur engagement dans un processus d’alphabétisation est en effet marqué par des rôles sociaux incorporés, par des évènements et par la place qu’elles occupent dans la société. Leur socialisation, qui marque leur trajectoire de vie de l’enfance à l’âge adulte, renvoie ainsi à des moments biographiques significatifs qui influent sur leurs expériences.

Le processus de socialisation des femmes de l’enfance à l’âge adulte

Si l’on reconnaît différents mondes sociaux comme constituant un espace de socialisation, l’enfance s’avère alors un moment important pour les femmes puisque la famille d’origine exerce une influence qui, selon Blöss (2001), Darmon (2006) et Lahire (2001), forme le premier monde de référence constituant un lieu de « socialisation primaire ». Comme l’explique Lahire (2001 : 13), « ce rapport (sexué) […] a si bien fonctionné » qu’il « empêche d’envisager que les choses pourraient aller autrement (que l’on pourrait voir, sentir, penser et agir autrement en tant qu’homme ou en tant que femme) et interdit de ce fait toute distance au rôle ». Or, pour se conformer au modèle social qui leur est présenté, les enfants intériorisent les modèles et les modes de comportements appris (Zaidman 2000). C’est dans ce sens, comme l’indiquent Siltanen et Doucet (2008), qu’il existe une culture de garçons et une culture de filles.

Cette culture qui s’installe entre les garçons et les filles se poursuit dans le monde scolaire. Puisque l’école n’existe pas en dehors du social et de ses représentations, les attentes des établissements scolaires divergent souvent entre les garçons et les filles et sont le reflet des normes sociales et des jeux d’interaction (Zaidman 2000). Gaudet et Lapointe (2005) estiment à cet égard que certains obstacles à l’égalité des filles en éducation persistent. De nombreuses études font valoir que les enseignantes et les enseignants prêtent davantage attention aux garçons qu’aux filles et que ce phénomène s’accentue lorsqu’il s’agit de cours de science (Duru-Bellat et Jarlégan 2001; Gaudet et Lapointe 2005). L’école constitue ainsi un autre lieu de socialisation où se construit un mode d’identification à soi fortement lié à la représentation sociale du garçon ou de la fille, ce qui contribue donc largement au développement d’une identité liée au genre.

Une fois adultes, ces femmes font souvent face à plusieurs stéréotypes lorsqu’elles intègrent le marché du travail. Plusieurs auteures reconnaissent que l’expérience des femmes sur le marché du travail (parcours et place) n’est pas semblable à celle des hommes (Daune-Richard 2001; Gaudet et Lapointe 2005; Gaudet et Legault 1998). Ce constat s’applique particulièrement aux femmes qui ont un faible niveau de scolarité puisque ces dernières n’ont pas nécessairement accès à des filières d’emplois stables et bien rémunérés et elles se trouvent donc assez souvent dans des situations d’emploi précaire. Plusieurs facteurs sont aussi susceptibles d’influer sur la vie de ces femmes au travail. Selon des auteures (Daune-Richard 2001; Gaudet et Lapointe 2005; Gaudet et Legault 1998), ces facteurs peuvent être attribuables aux filières d’emplois du type féminin vers lesquelles elles s’orientent. De nombreuses femmes suivent ainsi des trajectoires de travail qui s’inscrivent dans des emplois dont les tâches sont fréquemment effectuées dans la famille et dont la qualification serait des compétences jugées féminines acquises dans la pratique « des rôles domestiques féminins d’attention aux autres » (Daune-Richard 2001 : 136). Ce sont ainsi des emplois liés aux secteurs des services qui se définissent « par le relationnel » et qui sollicitent « des qualités de nature féminine » (Daune-Richard 2001 : 137). C’est ainsi que « les métiers du care, relatifs aux soins […] et à la prise en charge des enfants et des adultes dépendants », occupent une place importante dans la trajectoire de travail de plusieurs femmes en société (Bereni et autres 2008 : 128). Ainsi, il s’agit de métiers très peu reconnus dont les compétences requises sont socialement attribuées aux femmes en raison de leur caractère « aidant ».

Il appert que ce type d’emploi suppose le prolongement « du rôle et des valeurs associées aux femmes dans la sphère privée (maternage, soin, souci d’autrui) » (Bereni et autres 2008 : 131) vers la sphère sociale. De plus, selon Daune-Richard (2001), Fahmy et Veillette (1997) ainsi que Townson (2003), les femmes sont toujours en grand nombre dans les emplois atypiques, c’est-à-dire « le travail à forfait, le travail autonome, le travail temporaire ou le travail pour une partie de l’année, ou encore le cumul d’emplois chez diverses employeuses et divers employeurs » (Townson 2003 : 1). Cette réalité fait en sorte qu’elles vivent des situations de précarité d’emploi et des périodes répétées de chômage qui nuisent ainsi à leur condition matérielle.

Ces espaces de socialisation qui participent à la construction sociale des rôles « genrés » dans notre société placent les femmes et les hommes dans « deux groupes distincts » situés « de façon hiérarchique » au profit d’une valorisation des activités et des rôles masculins (Bereni et autres 2008 : 21). De l’enfance à l’âge adulte, les femmes sont ainsi soumises à des impératifs de socialisation qui font en sorte que leurs rôles sociaux se construisent dans ce prisme de valorisation que suppose cette division entre les genres. Selon Hayes et autres (2002), les différents mondes sociaux qu’elles traversent ‒ la famille (petite enfance), l’école (enfance et adolescence), la famille (adulte) et le marché du travail ‒ sont des lieux importants où elles se définissent et qui façonnent le regard qu’elles posent sur elles-mêmes, sur leur définition du soi et sur la façon dont elles se perçoivent. Ces perspectives théoriques permettent d’analyser la trajectoire sociale de femmes qui ont participé à un processus d’alphabétisation et ainsi de mieux comprendre la manière dont, à travers leurs expériences de vie, elles s’intègrent au marché du travail.

La trajectoire sociale des femmes

Pour mieux comprendre la manière dont les femmes que nous avons rencontrées intègrent le marché du travail après une démarche d’alphabétisation, nous nous sommes intéressées aux rapports sociaux, et plus particulièrement à ceux qui sont liés au genre. L’utilisation du genre est centrale puisque ce concept s’éloigne « des différences biologiques entre les hommes et les femmes » et renvoie aux « constructions sociales et culturelles qui existent dans les différentes sociétés et groupes » (Cornet 2008 : 9 et 10). Concernant les rapports sociaux, Pfefferkorn (2007) explique que tout rapport social engendre potentiellement des tensions ou des conflits entre ses acteurs et agents, à l’échelle individuelle ou collective. En fait, des tensions peuvent transformer des enjeux sociaux autour desquels se constituent des groupes aux intérêts antagoniques (Kergoat 2000). C’est dans ce sens que Mosconi (2005 : 78) définit les rapports sociaux de genre comme « des rapports que le système social institue », qui émergent d’une « structure fondamentale de la société qui organise tous les sous-systèmes sociaux, depuis la famille, l’école, le travail et les autres champs, politiques, juridiques, culturels de la réalité sociale ».

Comprendre la trajectoire sociale des femmes engagées dans un processus d’alphabétisation implique ainsi d’exposer certains éléments de leur histoire de vie ou encore de comprendre leur « formation sociale » historiquement située (Bertaux 1997 : 9). Une démarche méthodologique qualitative, empruntant une perspective féministe et fondée sur l’approche des récits de vie de Bertaux, permet de dépasser un apprentissage formel qui amène à « s’intéresser aux écritures et aux lectures ordinaires qu’imposent les rapports aux administrations, au marché du travail » (Lahire 2005 : 47).

Pour sa part, Freire (1985 : 50) met l’accent sur une conception de l’alphabétisation selon laquelle l’apprentissage de la lecture et de l’écriture consiste plutôt en « un acte de connaissance » impliquant une réflexion critique sur le processus de lecture et d’écriture et le développement d’une profonde connaissance du sens réel du langage qui est appris. De son côté, Giroux (1987) considère que la production du savoir est un « acte relationnel » qui doit tenir compte du contexte actuel de la personne, de son histoire et de ses conditions sociales et culturelles.

La démarche méthodologique

Nos objectifs de recherche consistant à décrire au-delà de la surface l’hétérogénéité des situations, des trajectoires et des expériences des participantes, nous avons étudié, pour y répondre, leurs expériences liées à leur participation à un processus d’alphabétisation, et ce, à partir d’une méthode qualitative en privilégiant une perspective féministe. Celle-ci, selon Mayer et Ouellet (1991 : 207), signifie pour la chercheuse ou le chercheur un « engagement sans équivoque pour les valeurs féministes comme base d’un cadre conceptuel ». Dagenais (1987 : 25) ajoute qu’« entreprendre une recherche du point de vue des femmes veut donc dire relier leur vécu aux processus sociaux plus larges qui lui donnent un sens ».

Afin de bien saisir les différents parcours constituant la trajectoire sociale des participantes, nous avons eu recours aux récits de vie. Nous nous sommes référées à la conceptualisation de Bertaux (2005) et aux recherches de Grell (1999) menées à partir des récits de vie. De façon plus concrète, les récits de vie de ces femmes ont permis de mettre en lumière des fragments de leur trajectoire sociale selon la vision personnelle qu’elles en ont. Ce n’est donc pas la totalité de leur expérience qui est traitée dans nos interrogations. Nous avons aussi voulu mettre l’accent sur « les contextes sociaux dont [elles] ont acquis par l’expérience une connaissance pratique » (Bertaux 2005 : 23).

Un seul entretien individuel, d’une durée moyenne de deux heures, a été mené auprès de douze participantes du Nouveau-Brunswick qui devaient avoir terminé un processus d’alphabétisation depuis au moins un an. Afin de mieux saisir les dimensions de leur trajectoire, nous avons abordé les grands thèmes suivants : la vie actuelle de la participante; son histoire familiale, scolaire et de travail; sa réflexion menant vers l’engagement dans un processus d’alphabétisation; son histoire d’alphabétisation; son rapport à soi et aux autres. Ces grands thèmes nous ont permis d’apprécier le parcours de ces femmes de l’enfance à leur vie actuelle.

Nous sommes entrées sur le terrain en passant par la Fédération de l’alphabétisation du Nouveau-Brunswick par messagerie électronique afin de solliciter sa participation. Après avoir obtenu l’appui de l’organisme, nous avons été mises en contact avec d’autres spécialistes, personnes-ressources et enseignantes venant de différentes régions du Nouveau-Brunswick. Ces personnes-ressources en alphabétisation ont téléphoné à des femmes et leur ont expliqué le but de notre recherche. Une liste de femmes nous a été communiquée par la suite et nous les avons jointes par téléphone. En ce qui concerne la sélection des participantes, le choix s’est fait en considérant « leur compétence perçue comme étant pertinente en regard de la problématique de recherche » (Savoie-Zacj 2000 : 180). De plus, Bertaux (2005 : 28) ajoute que, pour bien comprendre le phénomène à l’étude, il faut s’assurer que le choix des participantes comporte des personnes qui sont porteuses « non seulement d’expériences différentes des rapports sociaux selon leur position structurelle (et leurs cheminements passés), mais aussi qu’elles aient des visions différentes (voire opposées) des mêmes réalités sociales ». Le point de vue des participantes, même si elles ont toutes suivi un processus d’alphabétisation, sera différent selon leur positionnement social, leur âge ou encore selon qu’elles soient mères, mariées, séparées, chefs de famille monoparentale, célibataires, etc. C’est autant la diversité des positionnements exprimés que la diversité des points de vue apportés qui sont nécessaires afin d’assurer « la variété des positions » (Bertaux 2005 : 27-28). Dans notre recherche, les femmes participantes avaient toutes suivi une formation en alphabétisation d’une durée qui variait de 5 mois à 10 ans. Au moment des entrevues réalisées en 2009-2010, l’âge de ces femmes variait de 21 ans à 75 ans.

L’analyse a été effectuée à partir de trois modes qui s’entrecroisent, soit l’analyse diachronique, l’analyse compréhensive et l’analyse par catégorie de conceptualisation. L’analyse diachronique nous a permis de structurer les histoires des participantes en tenant compte des évènements vécus selon une perspective temporelle (Bertaux 2005). Ce processus a mis en lumière les évènements marquants de leur vie qui se succèdent dans le temps, et nous avons pu reconstituer leur parcours d’emploi avant et après le processus d’alphabétisation. L’analyse compréhensive nous a aidées à saisir les modes d’interaction des femmes et à circonscrire les « mécanismes sociaux ayant marqué leur expérience de vie » (Bertaux 2005 : 86). Elle a aussi donné lieu aux différentes dimensions des expériences des participantes à travers la place et les rôles qu’elles occupent dans la vie sociale. Enfin, pour accéder au « sens des expériences », nous avons eu recours à l’analyse par catégories de conceptualisation. Pour bien définir nos catégories, nous avons pris en considération les « évènements biographiques (naissance, famille, études, mariages, enfants…) et la liste personnalisée des sensations intimes (illusions, déceptions, gens rencontrés et perdus, moments pleins et creux…) » (Martuccelli 2006 :18) qui forment les expériences de vie des participantes. Il s’agissait surtout d’« apprécier l’impact que ces étapes et processus ont eu sur [les participantes], afin de cerner à leur niveau, la manière dont le social les travaille » (Martuccelli 2006 :19). C’est en faisant appel aux « évènements biographiques » et « aux sensations intimes » que nous avons vue des catégories émerger. Celles-ci nous ont permis de comprendre la manière dont les rapports sociaux des participantes se forment et se transforment. Dans la prochaine partie, nous présentons quelques résultats de la trajectoire de vie de travail des femmes.

Les femmes et l’emploi avant le processus d’alphabétisation

Pour bien comprendre la façon dont les trajectoires de travail se posent pour les femmes et dont leur processus de socialisation influe sur leur choix et sur la perception qu’elles se font de leur place au travail, nous avons choisi, dans notre analyse des données, de présenter la trajectoire des femmes avant et après leur engagement dans un processus d’alphabétisation. Dans un premier temps, nous notons que l’insertion dans des emplois traditionnellement féminins et dans des emplois précaires a constitué, pour la plupart des participantes, leur expérience dès leur entrée sur le marché du travail. Par la suite, leur vie au travail a souvent été semée d’embûches, de difficultés à trouver du travail ou à travailler le nombre d’heures nécessaires pour obtenir de l’assurance emploi. De plus, puisque ces femmes ont abandonné l’école à un très jeune âge sans la scolarisation nécessaire pour s’intégrer dans une filière professionnelle, elles ont souvent dû s’orienter vers des emplois dans les secteurs des services, généralement précaires et mal rémunérés. Dès leur entrée sur le marché du travail, la majorité d’entre elles ont dû occuper un emploi dont les compétences requises correspondaient à celles qui sont apprises dans la sphère domestique comme gardiennes d’enfants ou femmes de ménage.

Par exemple, Simone, après avoir quitté l’école à l’âge de 15 ans, a travaillé comme gardienne d’enfants. Il s’agissait pour elle de sa première expérience de travail. Elle devait s’occuper de « cinq petits garçons, pas un cadeau, je ne les ai jamais oubliés ». L’histoire de Manon illustre aussi l’expérience des participantes relativement à ce type d’emploi : « À l’âge de 15 ans, j’ai lâché l’école. J’ai commencé dans une maison privée d’une femme, je suis restée là 3 ans. J’habitais là la semaine, puis je décollais les fins de semaine. C’est moi qui lavais sa maison, je faisais ses repas. Elle avait deux enfants, je surveillais les enfants. » D’autres participantes, après avoir fondé leur famille, ont poursuivi le même genre de travail, comme s’occuper des personnes âgées. Josée raconte qu’elle travaillait « 6 jours par semaine, 10 heures par jour, j’ai fait cela pour un moyen bout de temps ».

Pour d’autres participantes, l’emploi en usine était le plus approprié puisque ce travail n’exige pas de formation. Comme l’indique Lucie, « j’ai arrêté l’école pour aller travailler dans une shop. Je m’en allais travailler à la shop à poissons, j’ai été là 18 ans ». D’autres ont travaillé dans le secteur des services (commis de magasin ou serveuse de restaurant). Nous remarquons que plusieurs femmes naviguent entre le travail de soin, le travail dans les usines ou entre des postes de commis ou de serveuses. Ce sont des types d’emploi surtout réservés aux femmes et qui reflètent leur parcours professionnel. Ces secteurs d’emploi supposent habituellement des perspectives d’avenir limitées, des conditions précaires et du travail sous-payé (Townson 2003).

Les expériences de travail des participantes avant leur engagement en alphabétisation sont marquées par une variété de contextes qui, pour chacune d’entre elles, tracent leur vie au travail et construisent leur trajectoire. Nous constatons qu’elles tentent de se tailler une place sur le marché du travail malgré leur manque de formation et la conjoncture difficile dans leur région respective. Johanne, par exemple, qui a perdu son emploi dans une usine de transformation du poisson à cause de la mécanisation des lignes de production, passera d’une usine à l’autre, outre qu’elle a eu d’autres emplois dans le but d’obtenir son assurance emploi. Elle devra même recourir au travail au noir afin d’y arriver financièrement. Johanne n’est pas la seule à avoir subi des pertes d’emploi et des changements de toutes sortes. La situation de Sylvie reflète cette instabilité d’emploi. Après avoir occupé un travail dans une usine pendant plusieurs années, elle a accepté un poste de commis dans un petit magasin puis elle est revenue à l’usine, en plus des périodes de chômage et de recherche d’emploi : « Le travail saisonnier, le chômage, tu en arraches. » Nous comprenons que les participantes ont occupé de multiples emplois avec des conditions instables et désavantageuses. Des femmes ont raconté que, en raison du chevauchement de leurs emplois, elles vivaient difficilement ces ruptures de travail. Cette précarité d’emploi constituait, pour certaines participantes, un des éléments déclencheurs qui les a motivées à retourner aux études. C’est alors qu’elles ont choisi l’alphabétisation comme stratégie dans l’espoir de transformer leur vie.

Dans le contexte de leur processus d’alphabétisation, nous avons constaté que les expériences de réussite ont généralement transformé la vie de ces femmes. Les réussites ont modifié la conception négative qu’elles avaient d’elles-mêmes à la suite de diverses expériences vécues de l’enfance à l’âge adulte et sur le marché du travail. Plus elles vivaient des expériences de réussite, plus elles reprenaient confiance en leur potentiel. Toutefois, le sens de la réussite ne s’exprime pas de la même manière pour toutes les participantes. Pour certaines, l’obtention d’un diplôme d’études secondaires est une grande source de valorisation. Par ailleurs, celles qui n’ont pu obtenir de diplôme ont la satisfaction d’avoir amélioré leur capacité de lecture et d’écriture et d’avoir développé une meilleure estime de soi. Elles considèrent qu’elles peuvent maintenant envisager une insertion à l’emploi avec plus d’assurance (Savoie 2011).

Le rapport des femmes au marché du travail après le processus d’alphabétisation

Grâce à leur formation en alphabétisation, les femmes que nous avons rencontrées ont développé un nouveau pouvoir sur leur vie qui leur permet de se sentir mieux préparées au marché du travail. Pour une des participantes, trouver du travail à l’usine, à la suite de sa formation, a été une grande réussite : Suzanne n’avait jamais travaillé à l’extérieur de la maison et son passage en alphabétisation lui a donné confiance pour aller postuler dans une usine de transformation du poisson. Elle affirme que c’est sa formation en alphabétisation qui l’a décidée à trouver ce travail. L’intégration à son nouvel emploi a transformé son rôle de mère et de femme au foyer :

Quand tu es toujours à la maison, tu es une mère au foyer, tu te lèves avec tes enfants. Quand je suis allée travailler la première journée, j’ai trouvé cela dur parce qu’il n’y a plus de maman en arrière, après ça j’ai fait comme ouf, ça fait comme du bien! Ça fait une grosse différence, comme un détachement, ça fait une coupure un peu, ça m’a fait du bien. Après cela, tu revenais, et ils t’appréciaient mieux comme maman.

Suzanne souligne aussi le changement sur le plan de son autonomie, car elle n’a plus à demander de l’argent à son conjoint. Elle affirme : « Je suis femme asteure parce que là je m’occupe de mes dépenses toute seule, j’ai jamais eu d’argent à moi-même. » Grâce au revenu que lui procure son emploi, Suzanne peut maintenant penser un peu plus à elle : « Je travaille, je peux me gâter. » Son témoignage révèle cette dimension d’indépendance et d’autonomie que les femmes peuvent acquérir en intégrant le marché du travail : « Quel soulagement d’être enfin maître de son destin! »

Johanne, pour sa part, a obtenu son diplôme d’infirmière auxiliaire après une formation d’une année qu’elle a suivie dans sa région. La route n’a pas été facile, mais ce cheminement lui a permis de trouver un emploi stable, de se faire construire une petite maison et de devenir complètement autonome. De leur côté, Lucie et Manon ont suivi une formation de six mois pour travailler avec les personnes âgées. Elles travaillent désormais à temps plein et occupent un emploi qui leur permet de répondre à leurs besoins matériels. Juliette, après avoir suivi une formation en bureautique, travaille maintenant pour une entreprise où elle se sent valorisée. Elle désire travailler dans des conditions normales, c’est-à-dire du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 4 h 30. Elle tient à être libre les fins de semaine pour passer du temps avec son enfant. Pour ce qui est de Josée, la possibilité d’intégrer le marché du travail s’est aussi avérée positive. Elle travaille à l’heure actuelle dans un endroit public où elle est au service de la clientèle. À cause de sa timidité, ce genre de travail n’aurait jamais été possible avant sa formation en alphabétisation : « Sans cela je n’aurais pas pu travailler en public, je jase avec tout le monde, moi asteure. »

Dans le cas d’Yvette, ses conditions de travail n’ont pas vraiment changé; elle occupe le même type d’emploi qu’auparavant, soit femme à tout faire dans des maisons privées. Pour elle, l’important est de ne pas laisser tomber les personnes pour qui elle travaille : « J’avais commencé un cours, mais je trouve que cette personne-là [une personne âgée dont elle s’occupe] est importante, alors j’ai continué là et je travaille. » Toutefois, Yvette se sent valorisée dans ce qu’elle fait et elle est appréciée par les personnes auprès de qui elle travaille. Elle raconte qu’elle souhaitait être infirmière, mais elle a changé d’idée : « Je pense que je peux faire plus de bien dans la communauté en travaillant auprès des personnes âgées. »

Les récits de ces femmes démontrent comment, après une démarche d’alphabétisation, elles ont acquis assez d’estime en elles-mêmes pour intégrer le marché de l’emploi. Ces femmes demeurent toutefois très liées à la fonction des soins (care), même après une formation en alphabétisation. Elles professionnalisent le travail qu’elles faisaient dans des cadres moins institutionnalisés. En fait, elles trouvent un emploi qui répond mieux à leur aspiration et qui met en valeur leurs compétences acquises dans leurs expériences de vie. On constate également que le type de travail effectué avant et après leur formation en alphabétisation ne diffère pas tellement. Toutefois, ce qu’elles ont gagné, c’est la confiance en elles pour chercher un travail qui leur convient, une plus grande stabilité et une meilleure sécurité d’emploi.

Les femmes et leur rapport aux emplois traditionnellement féminins

Comprendre le parcours de travail des femmes qui ont suivi un programme d’alphabétisation suppose de considérer la manière dont leur trajectoire de vie à l’enfance, à l’école et dans la société a façonné leur intégration à l’emploi. Ces femmes, avant le processus d’alphabétisation, avaient toutes un faible niveau de scolarité qui est apparu central dans leurs choix d’emplois. Ces participantes qui viennent de régions rurales se sont vues limitées quant aux occasions qui se sont offertes à elles lorsqu’elles ont voulu intégrer le marché du travail. Le manque d’emplois dans leur région rurale, conjugué à leur niveau de scolarité, les a contraintes à accepter des emplois traditionnellement féminins, souvent liés aux soins, emplois précaires et mal rémunérés. Pour plusieurs, l’occupation de ces emplois a été entrecoupée par des périodes de chômage, des conditions d’alternance qu’elles devaient subir. Ces secteurs font appel à des compétences associées « à la nature féminine » (Daune-Richard 2001 : 137) qui sont généralement apprises dans les rôles attribués aux filles dans la famille. Nombre de participantes ont occupé un poste de gardienne d’enfants, de femme de ménage ou de préposée aux personnes âgées, tandis que d’autres ont suivi leur mère ou leur soeur plus âgée en allant travailler dans des usines. Ces emplois sont souvent mal rémunérés et offrent peu de stabilité. La condition de vie de la majorité d’entre elles se voyait précarisée et fragilisée. Il faut dire que dans leur cas ce parcours de travail ne constituait pas un choix réel. Elles ont plutôt dû se plier aux contraintes liées à des facteurs sociaux tels que l’intégration de stéréotypes sexistes, le peu de possibilités d’emploi dans des régions en particulier, l’instabilité de certains emplois et le bas niveau de scolarité.

Les rôles traditionnels attribuables au genre, la position sociale et la ruralité ont défini les mondes sociaux des participantes, dans leur enfance, à l’école et au travail. Ces contextes, comme l’exprime Kaufmann (2008 : 64), ne représentent pas « un simple décor » : ils sont porteurs d’« une très longue et profonde mémoire historique, lentement cristallisée dans des mots, des attitudes, des formes de perceptions ». Les participantes font face à des situations dans lesquelles les rôles qu’elles apprennent et qu’elles adoptent orientent leurs conduites et leurs pratiques sociales. Elles utilisent des stratégies singulières pour composer avec les évènements de la vie, alors que cette socialisation « signale le comportement attendu […] en fonction de la place [que la femme] occupe dans un système social donné » (Martuccelli 2002 : 141). Comme le précise Kaufmann (2004 : 73), « la perception des rôles médiatise la plupart des interactions » et les rapports sociaux sont structurés selon cette perspective. Le genre, le statut social, la question de la ruralité et le niveau de scolarité de ces femmes interagissent et produisent un apprentissage qui influe grandement sur leurs rapports à elles-mêmes et aux autres et sur la place qu’elles occupent sur le marché du travail. Dans de telles circonstances, comment l’expérience d’alphabétisation transforme-t-elle le rapport au marché du travail?

En écoutant le discours des participantes, nous comprenons que leur expérience en alphabétisation va bien au-delà des apprentissages formels liés au marché du travail. Les résultats montrent que, peu importe si ces femmes obtiennent ou non un diplôme, le sens que prend leur processus d’alphabétisation est très fortement lié à la valeur formative et culturelle de l’expérience et s’ancre particulièrement dans les relations sociales qu’elles développent. Ainsi, les apprentissages expérientiels agissent comme élément déclencheur d’une prise de conscience de soi et de ses conditions d’existence dans le contexte d’une formation (Prins, Willson et Schafft 2009; Stromquist 1997). La recherche de Prins, Willson et Schafft (2009), conduite auprès de femmes pauvres de la Pennsylvanie aux États-Unis qui ont suivi un programme d’alphabétisation familiale, a démontré que cette formation offre un espace où il est possible de sortir de leur milieu familial, de développer un réseau social et d’entraide, de créer des relations de soutien avec les enseignantes, de se découvrir et de se développer. Hayes et autres (2002) soulignent que les femmes préfèrent apprendre dans un contexte qui leur permet de bâtir et de maintenir des relations significatives avec les autres.

Les participantes qui nous ont raconté leur expérience d’alphabétisation ont insisté sur ces aspects pour expliquer la manière dont leur formation en alphabétisation et leurs différents apprentissages expérientiels ont contribué à les sortir de leur quotidien, à transformer leur regard sur leur propre personne et à développer leur confiance en elles. Ces apprentissages expérientiels influent de façon importante sur le parcours des femmes sur le marché du travail.

Les récits des participantes révèlent toute l’importance qu’elles accordent au travail des soins dans leur perspective d’insertion au marché du travail, même après leur passage dans un programme d’alphabétisation. Leur trajectoire vient illustrer ce que Galerand et Kergoat (2008 : 71) nomment les « rapports paradoxaux » des femmes avec le travail. Ces auteures soulèvent trois niveaux de paradoxes : le rapport à l’activité, le rapport à la satisfaction au travail et le rapport positif fondé sur l’utilité à leur travail. Même si les femmes sont entrées massivement sur le marché du travail à partir de la seconde moitié du xxe siècle, elles s’intègrent encore souvent dans un emploi traditionnellement féminin, atypique et aux conditions précaires. C’est encore plus vrai pour les femmes qui ont un faible niveau de scolarité. Pourtant, et le discours des femmes que nous avons interrogées le démontre, la plupart d’entre elles sont satisfaites de leur emploi, et ce, même si les conditions de travail demeurent difficiles. Elles accordent de la valeur à ce qu’elles font et sentent qu’elles contribuent à la société. Leur rôle de mère et de conjointe demeure central dans leur choix de s’engager dans tel type de travail ou non. Elles vivent en région rurale et veulent y demeurer, une condition qui détermine souvent leur choix de carrière. Enfin, elles ont appris à aider et à se valoriser dans l’aide qu’elles accordent aux autres, ce qui oriente en grande partie leur trajectoire professionnelle.

Enfin, l’expérience d’alphabétisation a donné aux participantes l’assurance qu’il leur est possible de repousser leurs limites et de se construire une vie à leur image. Le rêve de changer des conditions de vie qui répondent davantage à leurs besoins est maintenant réalisable. Elles ont réussi à développer un rapport à leur propre personne plus positif. Quand Yvette dit : « Je suis une femme à part entière maintenant, je peux fonctionner dans la société », c’est significatif d’un rapport à soi qui se transforme. Malgré l’obtention de son diplôme d’études secondaires, Yvette est demeurée dans le même type d’emploi et elle continue à prendre soin des personnes âgées. C’est dans ce type de travail qu’elle se sent utile et valorisée et qu’elle a le sentiment de contribuer positivement à sa communauté.