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Le monde du sport féminin semble aujourd’hui plus ouvert que dans le passé aux athlètes qui ne sont pas hétérosexuelles, comme peuvent en témoigner plusieurs sportives de haut niveau qui ont réalisé l’affirmation de leur identité sexuelle (coming out) ou, si l’on préfère, qui ont déclaré publiquement leur orientation sexuelle. Pour Martina Navratilova, dont le coming out remonte au début des années 80, alors qu’elle était âgée de 25 ans et avait déjà remporté plusieurs titres du grand chelem, cela s’est notamment traduit par une préférence pour sa grande rivale de l’époque, Chris Evert (America’s Sweetheart), et la perte importante de commanditaires (Spencer 2003). En revanche, par la suite, sa carrière ayant été couronnée de nombreux succès pendant trois décennies, elle a pu bénéficier de l’ouverture progressive de la société et, dans une moindre mesure, du sport par rapport aux sexualités non traditionnelles ainsi que de contrats publicitaires lucratifs (Ravel 2007). Toujours dans le tennis et près de 20 ans plus tard, la Française Amélie Mauresmo a réalisé son coming out alors qu’elle était au début de sa carrière professionnelle et seulement connue comme un espoir prometteur du tennis féminin. Contrairement à Navratilova qui a subi plus de conséquences négatives que positives à la suite de son coming out, il semble que ce soit justement l’ouverture de Mauresmo par rapport à sa sexualité dès le début de sa carrière qui en a fait une des athlètes préférées des Français. Et, en 1999, pour Mauresmo, déclarer son homosexualité devant les médias n’a pas été synonyme de perte de commanditaires (Ravel 2007). Du côté des sports d’équipe, la plus célèbre athlète à avoir réalisé son coming out est certainement Sheryl Swoopes, une des grandes vedettes du basketball, qui a annoncé son homosexualité en 2005 (Granderson 2005). La notoriété de ces quelques athlètes et l’appui que le public leur a accordé ne doivent cependant pas masquer le fait qu’elles sont peu nombreuses à avoir brisé le tabou du silence entourant la présence d’athlètes non hétérosexuelles dans le monde du sport.

Les cas d’athlètes non hétérosexuelles relativement anecdotiques rencontrés au plus haut niveau semblent refléter les résultats d’écrits sur la situation des femmes non hétérosexuelles dans le monde du sport de façon générale. L’étude des questions de sexualité dans le sport féminin intéresse le milieu universitaire depuis la fin des années 90 environ et, initialement, c’est l’homophobie qui a principalement retenu l’attention. La recherche sur les athlètes lesbiennes révélait à quel point leurs expériences sportives étaient associées à la difficulté de s’afficher en tant que femmes ayant une sexualité non traditionnelle compte tenu surtout de l’homophobie et de l’hétérosexisme (Cahn 1993; Griffin 1998; Hekma 1998). Pourtant, en même temps, le sport pouvait constituer un refuge pour les athlètes qui n’étaient pas hétérosexuelles (Cahn 1993; Griffin 1998; Hekma 1998). Au début du XXIe siècle, un changement important est survenu alors que plusieurs études ont été réalisées avec des approches théoriques inspirées du poststructuralisme féministe et de la théorie fondée sur la diversité sexuelle (queer) (voir par exemple : Broad (2001), Caudwell (1999, 2003), Cox et Thompson (2000)). Ces études rejetaient notamment la conception traditionnelle de la sexualité et le modèle binaire hétérosexuel/homosexuel. Ainsi, on ne relatait pas uniquement les expériences des athlètes lesbiennes, mais aussi les expériences des femmes ayant une sexualité non traditionnelle en général. Broad (2001) est une des chercheuses qui a adopté la théorie queer pour son étude sur le rugby aux États-Unis. Ses travaux ont mis en évidence l’existence de nombreuses sexualités, révélé la fluidité de la sexualité et remis en question le modèle binaire masculin/féminin. L’auteure a alors rapproché ses résultats de la résistance queer. Cox et Thompson (2000), quant à elles, ont analysé les récits de joueuses de soccer (football) néo-zélandaises et ont montré la manière dont les participantes se positionnaient par rapport à des discours multiples, et parfois contradictoires, sur le sport, le genre et la sexualité.

Des considérations théoriques et méthodologiques

Notre article porte sur les constructions discursives de la sexualité et du sport chez de jeunes femmes ayant une sexualité non traditionnelle. Il a pour objet de mieux comprendre le coming out et l’expression de sexualités non traditionnelles dans le monde du sport. Pour cela, notre étude s’inspire à la fois du poststructuralisme féministe et de la théorie queer. D’après Weedon (1987 : 40-41; notre traduction), le poststructuralisme féministe est « un mode de production du savoir qui utilise les théories poststructuralistes du langage, de la subjectivité, des institutions et des processus sociaux pour comprendre les relations de pouvoir existantes et mettre en évidence des domaines et des stratégies de changement ». Le poststructuralisme remet en question les notions absolues de vérité et d’objectivité et propose de voir le savoir comme changeant et constitué par l’entremise du langage. Dans cette optique, le langage joue un rôle clé dans la constitution de la subjectivité des individus. Les « sujets » se constituent et se positionnent par rapport à des discours multiples, mais sont principalement interpellés par les discours dominants qui participent à la reproduction des relations de pouvoir existantes. Il est cependant possible pour les individus de se positionner par rapport à des discours marginaux et donc de rejeter les discours dominants. Le poststructuralisme féministe suppose que les sujets se constituent par rapport à des discours parfois contradictoires et remet ainsi en question l’idée d’un sujet unifié et rationnel (Gavey 1989).

En plus de l’influence du poststructuralisme féministe, notre étude s’inspire de la théorie queer qui propose une autre façon de concevoir la relation entre sexe, genre et sexualité en présentant ces trois concepts comme des construits fluides (Butler 1990, 1993; de Lauretis 1993). En outre, la théorie queer suggère la déstabilisation des catégorisations binaires homme/femme, masculin/féminin et hétérosexuel/homosexuel et remet en question l’hétéronormativité en déconstruisant la « normalité » ou le caractère « naturel » de l’hétérosexualité (Butler 1990; de Lauretis 1993; Jagose 1996). Les approches théoriques que nous avons privilégiées (théorie queer et poststructuralisme féministe) nous permettrons, d’une part, de mieux conceptualiser les sexualités non traditionnelles des athlètes de notre étude et, d’autre part, de mettre en évidence l’influence des discours (dominants ou alternatifs) présents dans le monde du sport et dans la société sur les constructions des participantes par rapport à leur sexualité non traditionnelle. Le choix du cadre théorique employé, empruntant à la fois au poststructuralisme féministe et à la théorie queer, a des implications au niveau méthodologique, notamment aux étapes du recrutement des participantes, de la collecte des données et de l’analyse. Ainsi, l’approche que nous avons choisie privilégie la réalisation de « conversations » pour recueillir les récits des participantes. Avec cette méthode et contrairement aux entrevues plus traditionnelles, les relations de pouvoir entre la chercheuse et les participantes sont minimisées et les rôles changent (Kvale 1996). Adopter cette méthode de collecte des données suppose que les participantes contribuent activement au processus de recherche. De plus, prendre part à une recherche est censé être une expérience positive et valorisante pour les personnes recrutées à cet effet. Dans cette optique, les conversations ont été réalisées avec une chercheuse qui, à l’instar des participantes retenues, est jeune (28 ans au moment de la collecte des données) et définit sa sexualité comme non traditionnelle, outre qu’elle pratique un sport d’équipe, le hockey sur glace. L’idée était ainsi de créer un contexte de compréhension mutuelle dans lequel la communication serait facilitée et la réciprocité dans les échanges favorisée (Fontana 2002). Nous reconnaissons cependant le caractère artificiel des « conversations » avec les participantes et l’exercice de pouvoir inhérent à la position de la chercheuse, mais le climat ainsi instauré avait pour objet de rendre floue la frontière entre chercheuse et participantes durant les conversations[1].

Ayant obtenu l’approbation du comité d’éthique de la recherche de l’Université de Montréal, la chercheuse a recruté les participantes grâce à la méthode « boule de neige ». L’échantillon était constitué de 14 jeunes femmes de la région de Montréal, âgées de 21 à 31 ans et pratiquant un ou plusieurs sports d’équipe tels que le hockey sur glace, la ringuette, le soccer ou la balle molle. Elles jouent dans des ligues compétitives (à tous les niveaux et jusqu’au niveau national) ou récréatives et pratiquent parfois plusieurs sports, que ce soit dans des ligues LGBT (quatre participantes) ou dans des ligues génériques[2]. Toutes définissent leur sexualité comme « non hétérosexuelle » et un des objectifs de l’étude était d’examiner comment elles construisent leur sexualité et dans quelle mesure leurs constructions rejoignent (ou non) les adeptes de la théorie queer. Les conversations ont été enregistrées puis retranscrites et des pseudonymes ont alors été utilisés (ils sont repris dans notre article) pour garantir l’anonymat des participantes. Pour respecter l’approche privilégiée dans le cas des conversations, les retranscriptions ont d’abord été envoyées aux participantes pour vérification[3] avant d’être soumises à l’analyse des données. La première étape a consisté en une analyse thématique dans laquelle différentes portions de texte portant sur des thèmes similaires ont été regroupées puis classées en thèmes et en sous-thèmes. La deuxième étape a été une analyse poststructuraliste dans laquelle il s’agissait de mettre en évidence les discours (dominants ou marginaux) qui ont été repris dans les récits des participantes (Gavey 1989). Basée sur la lecture minutieuse des textes constituant les retranscriptions des conversations, l’analyse des discours a cherché à déterminer les patrons discursifs de significations, les contradictions ou les incohérences dans les récits des participantes. Cette approche permet d’exposer les processus par lesquels le langage et les discours sont employés par les individus pour constituer leur propre compréhension du monde ou leur « réalité ». Elle suppose que ces processus, par ailleurs liés à la reproduction ou à la remise en question de la distribution du pouvoir entre groupes sociaux, sont changeants, incohérents, contradictoires et non statiques (Gavey 1989).

L’objectif de notre étude était d’examiner les discours utilisés par les participantes pour constituer leur propre subjectivité et donc de déterminer la manière dont elles s’approprient des éléments provenant de discours dominants ou alternatifs par rapport, notamment, à la sexualité et la façon dont l’espace sportif participe à une reconfiguration des discours. Nos résultats sont présentés en deux parties : dans la première, nous examinons la manière dont les participantes construisent leur sexualité et dont elles se positionnent en tant que femmes ayant une sexualité non traditionnelle dans le monde du sport; dans la seconde partie, nous nous penchons sur le coming out dans le monde du sport et tentons de voir dans quelle mesure le sport joue un rôle (ou non) dans l’expression de sexualités non normatives.

La légèreté d’être « gaie » dans le monde du sport

Représentant un large éventail de sexualités non traditionnelles, la plupart des participantes optent pour une catégorie de sexualité (« gaie », « lesbienne » ou « bisexuelle »), alors que quelques-unes définissent leur sexualité comme « ambiguë » ou refusent toute étiquette. Pourtant, bien qu’elles se positionnent différemment par rapport à leur sexualité, les participantes semblent globalement construire de la même façon la sexualité gaie et y « associer » d’autres sexualités non traditionnelles, même si ce n’est que temporairement ou par souci de simplification, ou les deux à la fois. En effet, pour les participantes qui construisent leur sexualité comme « lesbienne » ou « ambiguë » ou encore qui refusent toute étiquette, la sexualité gaie est souvent construite comme la référence ou l’étiquette rassembleuse sous laquelle d’autres sexualités non traditionnelles peuvent se retrouver.

Plus précisément, les participantes construisent la sexualité gaie comme, non seulement l’équivalent féminin de « gai », mais aussi et surtout comme une version plus féminine, plus positive, plus légère et plus jeune que « lesbienne ». Marie, joueuse de soccer de 23 ans, justifie ainsi le choix du mot « gaie » par rapport à « lesbienne » : « Couramment, j’emploie ce mot-là [gaie] parce qu’il est plus court [que lesbienne]. [Rires] Non, c’est juste que je trouve que ça fait moins maladie, ça décrit quand même ce qu’on est mais moins plate, si on veut. » Corroborant cette idée, Stéphanie, joueuse de hockey sur glace de 25 ans, déclare : « Gaie, c’est court, c’est rapide, c’est bien en plus. Gaie, ça peut faire référence au fait d’être heureux dans la vie, j’aime ça. » Et Stéphanie constitue l’exemple typique de la participante qui ne se positionne pas comme gaie (elle construit sa sexualité comme ambiguë), mais qui « s’associe » à la sexualité gaie néanmoins, comme le montre la précédente citation. Les propos de Marie et de Stéphanie traduisent bien le rejet à l’égard du terme « lesbienne », ce que plusieurs études semblent également confirmer (Cox et Thompson 2000; Iannotta et Kane 2002; Shire, Brackenridge et Fuller 2000), et illustrent la spécificité linguistique et culturelle du Québec quant à la préférence pour le mot « gaie » (terme également choisi par certaines participantes de l’étude réalisée par Podmore (2001) à Montréal). Ainsi, le rejet du terme « lesbienne » ne s’accompagne pas d’une aversion pour tout autre qualificatif, mais, au contraire, de l’appropriation d’un mot qui serait construit en termes plus positifs.

En construisant la sexualité gaie comme une version plus féminine que la sexualité lesbienne, les participantes se positionnent en opposition à l’image de la lesbienne « masculine », à savoir la butch. Et en cherchant à se distancier de cette image, elles offrent un portrait très superficiel et négatif de la butch dont la représentation typique serait la « camionneuse » ou la « bûcheronne ». L’extrait suivant montre comment Amélie, joueuse de ballon sur glace et de hockey sur glace de 24 ans, explique ce qu’est la féminité pour elle :

Je peux peut-être commencer justement par rapport aux préjugés, tu sais, qui sont versus les femmes gaies, que ce sont toutes des butchs. C’est ça qu’on appelle les femmes très masculines. C’est sûr que ça, il y en a, mais c’est un préjugé parce que, selon moi, peut-être que ces femmes-là sont celles qui passent le moins inaperçues évidemment par leur look un peu extrême. Puis, souvent, c’est plate à dire, mais, souvent, c’est celles-là qui revendiquent dans le tapis, qu’on voit à la télé, dans les événements gais, tandis qu’il y a une bonne partie de la communauté gaie, des femmes gaies qui ont l’air de Madame Tout-le-Monde. Hétéro ou gaie, c’est pas écrit dans leur front.

En se distanciant de l’image de la butch, les participantes, à l’instar d’Amélie, semblent s’appuyer sur des discours dominants par rapport à la sexualité, notamment ceux qui marginalisent les butchs et leur look extrême qui les catégorisent immédiatement comme lesbiennes. Ces constructions reprennent non seulement les discours « butchphobes » et « lesbophobes » présents dans la société en général mais aussi au sein de la communauté gaie plus jeune. La tendance à s’éloigner de l’image de la butch est un résultat mentionné par d’autres études sur le sport féminin, notamment Caudwell (2003), Cox et Thompson (2000) et Theberge (2000). Par ailleurs, en insistant sur leur féminité et en minimisant les différences entre elles et les femmes hétérosexuelles, Amélie et la plupart des participantes semblent s’approprier des éléments provenant de discours minoritaires qui veulent normaliser la sexualité gaie, non seulement par rapport à l’hétérosexualité mais aussi par rapport aux autres sexualités non traditionnelles. Par ailleurs, quelques participantes se positionnent en dehors du modèle binaire hétérosexuel/homosexuel en construisant leur sexualité comme « ambiguë » ou comme n’appartenant à aucune catégorie. Ainsi, de la même manière que Stéphanie, joueuse de hockey sur glace de 25 ans, qualifie sa sexualité d’ambiguë, certaines participantes proposent une définition de leur sexualité qui se situe quelque part entre les deux pôles du modèle binaire traditionnel de sexualité et qui rejette donc l’idée d’une attirance exclusive pour les représentants ou les représentantes d’un seul sexe :

Que je sois gaie ou hétéro, à la limite, ça me dérangerait aucunement. Même que je dirais que j’aimerais mieux être fixée. Je trouve que ce serait plus simple quand même, puis je me poserais moins de questions. Mais c’est pas possible dans mon cas! [Rires] J’ai essayé mais… C’est vraiment… Comme je l’explique souvent, c’est vraiment une personne qui va faire que je vais pencher d’un côté ou de l’autre. C’est vraiment une personnalité en fait. Là, ce sera pas nécessairement, physiquement, un beau bonhomme musclé ou une belle fille bien faite. Ça va être vraiment plus ce que la personne va dégager puis ce qu’elle va dire, puis si ça me correspond bien en fait.

Les participantes comme Stéphanie réarticulent donc des éléments provenant de discours alternatifs par rapport à la sexualité en remettant en question les catégories hégémoniques de sexualité et le binaire de sexualité, résultat qui a également été rapporté dans d’autres études (Broad 2001; Shire, Brackenridge et Fuller 2000). Il est particulièrement intéressant de souligner le fait que ces participantes s’associent parfois à la sexualité gaie, que ce soit durant les conversations ou lors d’autres échanges, alors que cette sexualité est parfois construite comme excluant les autres sexualités non traditionnelles. On remarque là un certain paradoxe qui ne peut être expliqué uniquement par un souci de simplification dans l’esprit des participantes. En effet, on peut suggérer que, par cette association avec la sexualité gaie, les participantes se réapproprient une partie du pouvoir conféré au statut privilégié de la sexualité gaie qui pourrait être qualifiée de « normalisée ».

Les participantes que nous avons rencontrées représentent une grande variété d’expériences sportives et la majorité des jeunes femmes évoluent dans des ligues génériques, alors que quatre jouent dans des ligues LGBT. En se basant sur les récits des participantes, on remarque que toutes, sauf deux, sont out ou affichent leur sexualité dans le monde du sport (et les deux qui ne sont pas sorties officiellement du placard le sont pourtant dans une de leurs deux équipes mais pas dans l’autre). En général, les jeunes femmes de notre étude ont raconté ne pas être victimes d’homophobie et ne pas vivre l’expérience du placard : leurs récits montrent d’ailleurs comment le sport est principalement représenté comme un milieu embrassant la diversité sexuelle et donc facilitant l’expression de sexualités non traditionnelles. La citation suivante de Gabrielle, 24 ans, joueuse d’une ligue de soccer générique, illustre bien la manière dont la plupart des participantes construisent leur expérience sportive en ce qui concerne la sexualité :

On est vraiment rendue une équipe libérée, je te dirais. [Rires] On a constaté ça au dernier tournoi. OK, on est dans l’estrade, toute l’équipe ensemble. Il y a Mélanie, sa blonde, et Mélanie est accotée dessus. Il y a Catherine, sa blonde. Il y a moi et on regarde [nom de l’équipe pour laquelle la blonde de Gabrielle joue] qui joue. Toutes les filles sont là : « Checke la numéro X [numéro de la blonde de Gabrielle], Gab, checke la numéro X! » J’ai dit : « Crisse, on a vraiment une équipe [libérée]… Voilà quatre ans, il y avait pas de danger que même pas on aurait pensé à ça ! » On était tout le monde avec sa blonde, full relax. Puis il y avait pas aucun chum d’aucune fille dans la gang, tu sais.

À l’instar de Gabrielle, une majorité des participantes ont construit leur milieu sportif comme étant homophile (gay-friendly) ou ouvert aux femmes non hétérosexuelles de façon plus générale. Certaines participantes vont même plus loin en construisant leur milieu sportif par rapport à la présence élevée de femmes ayant une sexualité non traditionnelle. Ainsi, alors que les discours dominants établissent l’hétérosexualité comme la norme, les participantes se représentent majoritairement leur milieu sportif à partir d’éléments provenant de discours marginaux qui non seulement normalisent la sexualité gaie, mais remettent également en question l’hétéronormativité, à tout le moins dans le monde du sport. Cela constitue un résultat tout à fait surprenant si l’on considère que seulement quatre participantes ont évolué dans des ligues LGBT et que la grande majorité des récits concernent les expériences sportives dans des ligues génériques. Notre étude apporte donc des données empiriques qui contrastent avec les résultats d’autres études sur la participation des athlètes non hétérosexuelles dans le monde du sport dont les auteures rapportent plutôt l’importance de l’homophobie et de l’hétéronormativité dans l’expérience des athlètes (Eng 2002; Fusco 1998; Griffin 1998; Mennesson 2005; Sablik et Mennesson 2008). Une des hypothèses formulées pour expliquer ce résultat surprenant, à savoir qu’autant d’athlètes s’affichaient dans le monde du sport même dans des ligues génériques, était que Montréal était une ville ouverte, reconnue pour sa tolérance, voire son acceptation des différences, culturelles ou autres (voir notamment l’étude de Podmore (2001)). Et, en effet, c’est certainement un facteur qui entrait en ligne de compte, notamment quand certains discours sur la sexualité qui circulent dans la société québécoise (et montréalaise surtout) sont repris dans les récits des participantes. Or, ces dernières ne construisent pas les autres milieux dans lesquelles elles évoluent (par exemple, la famille, le travail, les études) de la même façon que leur milieu sportif et les représentent plutôt comme des milieux moins ouverts à la diversité sexuelle. Le fait que les participantes de notre étude qui s’affichent dans le monde du sport ne sont pas autant out dans d’autres sphères sociales semble donc indiquer que le sport (féminin à tout le moins) est un espace dans lequel les discours en circulation sont encore plus subversifs.

Le coming out dans le monde du sport

Nous examinerons ci-dessous le coming out dans le monde du sport et, pour ce faire, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : devient-on gaie? Et si oui, le sport joue-t-il un rôle dans ce processus? La seconde question rejoint une hypothèse formulée par plusieurs chercheuses qui investiguent les expériences des lesbiennes dans le monde du sport et selon laquelle le sport peut « produire » ou « fabriquer » des lesbiennes (Cahn 1994; Griffin 1998). Afin de répondre à la première question, nous avons jugé utile de déterminer si la sexualité est perçue comme un construit fixe ou non. Les données provenant des récits des participantes indiquent que la sexualité est, pour certaines jeunes femmes, construite comme fixe, alors que, pour d’autres, elle est construite comme changeante. Ainsi, d’un côté, certaines participantes construisent leur sexualité comme stable et ont tendance à en avoir une conception très essentialiste dans laquelle on ne « devient » pas gaie, mais plutôt on naîtrait gaie. Shane, joueuse de balle molle de 23 ans, explique sa définition d’une lesbienne « pure et dure » en ces termes :

Tu sais, l’échelle sur 6, je suis à 7. Je veux dire au niveau du « pur et dur », là-dessus [attirance envers les hommes], physiquement, vraiment rien. Au niveau de la culture aussi, de la culture lesbienne, je suis végétarienne! [Rires] Puis j’écoute la musique punk! [Rires] C’est des gros stéréotypes, mais je sais pas. Quand je regarde mes amies lesbiennes, je trouve qu’on se ressemble. Je trouve qu’il y a quelque chose de commun.

En opposition avec une conception très essentialiste de la sexualité, on trouve de l’autre côté des participantes pour qui la sexualité est construite de façon beaucoup moins stable. Pour elles, la sexualité est un construit plus fluide et potentiellement changeant. L’extrait suivant tiré de la conversation avec Florence, joueuse de hockey sur glace de 31 ans, illustre bien ce type de construction, plus fluide ou ambiguë, de la sexualité :

Moi, je me vois comme un être libre donc ça, ce que ça veut dire, c’est que, depuis que je suis née, j’ai laissé mon coeur tomber amoureux peut-être de qui bon lui semblait, si je puis dire. Donc ça a donné qu’au départ c’était ma meilleure amie au secondaire, puis après là ça a été un copain français puis, pour la suite, c’est revenu aux filles, et je pense que ce sera pour de bon. Mais, comme je ne peux pas jurer, vu mon expérience passée [Rires], ce que je peux dire, c’est que je ne mets pas de barrières ou je me sens pas porte-étendard à vie de quelque chose. S’il y a quelque chose dans la vie où je veux me sentir libre, c’est bien celle-là!

Proposant une vision de la sexualité également changeante mais sensiblement différente de Florence, Stéphanie suggère l’idée qu’il est possible de « devenir » gaie :

J’ai toujours pensé que j’étais aux gars et tout. Puis même ça a été jusqu’à tard quand même. Même au cégep, je veux dire, je me posais même pas la question. J’avais plein d’amies filles puis je jouais au hockey et tout, mais, tu sais, je regardais plus les gars quand même puis je trippais sur des gars, puis j’ai eu un chum et tout […] C’est rendu à l’université où là, je suis arrivée dans une équipe où c’était vraiment la moitié de l’équipe qui était gaie, l’autre moitié était hétéro. C’était très, très ouvert. Puis on avait fait un pacte : à chaque semaine, on sortait soit dans un bar gai, soit dans un bar hétéro pour faire plaisir à l’équipe au complet. Pour nous donner l’occasion d’être toute l’équipe ensemble […] Je sortais là parce que mes amies sortaient là. Puis à un moment donné, ça a été progressif, mais je me suis rendu compte que j’étais moins enthousiaste, j’étais moins en forme. Je sais pas, il y avait quelque chose qui me fatiguait un peu. Je ris tout le temps avec ça, mais je disais que j’étais comme en dépression parce que vraiment j’avais moins de… Je sais pas, j’étais moins riante. Puis je me suis arrêtée pour essayer de comprendre ce qui se passait puis ce qui me chicotait comme ça. Finalement, je me suis rendu compte que c’est ça, que ça se pouvait finalement que je sois attirée par les filles puis qu’on dirait que depuis le début, peut-être je le savais, mais, tu sais, je le refoulais puis je le cachais, et c’est ça qui faisait que j’étais pas bien avec moi. À partir du moment où je l’ai accepté, puis que ça a fait partie de ma vie vraiment, tu sais, j’ai retrouvé le sourire puis tout est redevenu beau.

L’extrait précédent suggère donc la possibilité de « devenir » gaie, même si Stéphanie se positionne plutôt comme ambiguë par rapport à sa sexualité (« c’est compliqué », dit-elle ailleurs dans la conversation). La citation insinue également que le sport pourrait jouer un rôle clé dans ce « changement » de sexualité (même si celui-ci n’est pas définitif). À la lumière des récits de participantes, le rôle du sport dans le « changement » de sexualité, tel que l’illustre l’exemple de Stéphanie, semble toutefois marginal dans la mesure où rares sont les cas dans lesquels les participantes ont rapporté être « devenues » gaies « à cause » du sport[4]. En effet, si l’on revient à l’exemple de Florence dont une citation est présentée plus haut, on remarque facilement que le sport n’est pas nécessairement lié à un « changement » de sexualité. Les jeunes femmes de notre étude construisent cependant leur milieu sportif comme un espace qui est ouvert aux sexualités non traditionnelles et qui en favorise l’expression. L’exemple d’Amélie est révélateur en ce sens :

J’ai commencé à me poser des questions justement avant, comme on disait, de jouer au hockey, sauf que le fait de jouer au hockey, ça m’a aidée à prendre de l’assurance avec mon choix. Ça m’a aidée justement, comme je disais, à me sécuriser avec ça puis à voir qu’il y avait beaucoup de monde [gai], puis que ça pouvait être une normalité pour beaucoup de gens [d’être gaie] […] Même si je connaissais pas grand-monde, on dirait que je me sentais comme bien dans ce milieu-là versus la maison. Quand je partais de la maison où je me sentais pas, au début, super à l’aise, puis j’allais dans ce milieu-là puis je me sentais bien. Je me sentais à l’aise puis je me sentais moi-même […] Je voyais que tout le monde semblait bien, je trouvais ça cool. Puis que c’était une minorité d’hétéros finalement qui allaient dans une ligue à majorité gaie puis qui étaient absolument à l’aise avec ça, puis que c’était comme la normalité justement, encore une fois [d’être gaie]. Donc super, super positif. Moi, ça m’a vraiment aidée beaucoup, beaucoup, beaucoup.

À l’image d’Amélie, plusieurs participantes construisent le milieu sportif comme offrant aux sexualités non traditionnelles une certaine visibilité et comme remettant en question l’hétéronormativité, voire comme renversant les normes par rapport à la sexualité, et ce, même dans le contexte des ligues génériques. En ce sens, le milieu sportif est construit comme un milieu potentiellement facilitant pour le coming out et l’expression de la sexualité non traditionnelle des participantes. Ce dernier résultat rejoint les résultats des travaux de plusieurs autres chercheuses sur les expériences des athlètes ayant une sexualité non traditionnelle (Griffin 1998; Mennesson et Clément 2003; Shire, Brackenridge et Fuller 2000). Par rapport au coming out en tant que tel ou au fait d’être out, les récits des participantes ont révélé plusieurs points intéressants. Ainsi, et il a été question de ce point dans la section précédente, les participantes ne considèrent pas les autres milieux dans lesquelles elles évoluent comme aussi ouverts que le milieu sportif et s’y affichent moins en tant que femmes ayant une sexualité non traditionnelle. De plus, ainsi que cela a été le cas de Marie, le coming out n’est pas construit comme une étape à franchir une fois dans sa vie, mais au contraire comme à refaire constamment, au contact de nouvelles personnes :

J’ai de la misère à savoir qui le sait exactement puis, quand il y a une nouvelle personne qui rentre, souvent elle va le savoir pas par moi parce que ça adonne comme ça : il y a du monde qui vont lancer des blagues puis ils finissent par le déduire par eux-mêmes. C’est pas quelque chose qui est difficile.

Marie et les autres participantes illustrent bien cette conception du coming out suggérée par Sedgwick (1990) qui ne le voyait pas comme une action unique et absolue mais comme toujours à refaire. Établissant un parallèle intéressant entre le coming out par rapport à une sexualité non traditionnelle et le coming out par rapport à un handicap invisible, Samuels (2003 : 237; notre traduction) exprime bien ce point :

Le coming out n’est pas un événement statique et unique, comme Swain et Cameron le suggèrent, un changement radical qui divise notre vie entre avant et après l’événement. Bien évidemment, il y a des personnes qui vont vivre de tels événements, mais je crois que la plupart d’entre nous pensent que, même après notre propre changement intérieur, et même après une douzaine de marches de la gay pride, nous devons encore prendre la décision de réaliser notre coming out sur une base quotidienne, au niveau personnel, professionnel et politique.

En outre, Sedgwick proposait de voir les limites du placard comme peu étanches et de ne pas expliquer le fait d’être in ou out à cet égard en termes opposés, notamment, car il semble difficile de savoir jusqu’à quel point un individu est sorti ou non du placard, constat également repris par Ward et Winstanley (2005) dans leur étude du coming out en milieu de travail. Pour les deux participantes de notre étude qui ne sont pas sorties du placard dans leur milieu sportif, cette conception s’applique très bien. Ainsi, Nadia, joueuse de ringuette de 28 ans, déclare :

J’ai l’impression qu’il y en a qui s’en doutent [que je suis gaie]. À 28 ans, une fille hétérosexuelle à cet âge-là est quasiment mariée et avec des enfants. En tout cas, elle a un vécu à partager en matière de concubinage. C’est pas vrai mais… Non, je pense qu’il y en a qui s’en doutent parce qu’elles ne sont pas stupides [Rires] […] L’indice le plus révélateur, selon moi, c’est que, quand je vais à la ringuette, des fois, j’amène pas mes chums, j’amène mes copines. Quand c’est toujours la même, à un moment donné, je me dis qu’ils font un plus un égalent deux. Je sais pas si elles sont fortes en mathématiques [Rires]. Je pense que c’est pas des imbéciles. Moi, personnellement, ça m’est arrivé de faire deux ou trois blagues mais de révéler mot pour mot « je suis gaie ou lesbienne »… Moi, j’ai jamais dit ça.

L’extrait précédent illustre la manière dont Nadia construit le placard comme ayant des frontières peu étanches. Ce résultat s’applique aussi aux participantes qui s’associent à la sexualité gaie et qui ne se positionnent pas comme gaies. En effet, leur vécu sportif peut être rapproché de l’expérience de la sortie du placard dans la mesure où elles peuvent s’afficher comme femmes « gaies », mais n’adoptent pas nécessairement en dehors du contexte de la conversation des positions plus marginales (par exemple, en tant que femmes ayant une sexualité ambiguë ou construisant leur sexualité en dehors des catégories établies). En ce sens, il semblerait exister différents types de placards et certains seraient plus ou moins étanches. En outre, selon la position que les individus adoptent par rapport à leur sexualité, ils s’inscrivent dans une relation de pouvoir qui les avantage plus ou moins. On remarque, en effet, la perte de pouvoir associée à l’idée de revendiquer une sexualité ambiguë, par exemple, dans un contexte construit comme privilégiant la sexualité gaie et, à l’opposé, le gain découlant de l’adoption d’une position plus normative.

Il apparaît donc, à la lumière de nos résultats, que plusieurs participantes soient « devenues » gaies et que d’autres n’aient pas eu à « devenir » gaies, car elles ne se sont jamais positionnées comme hétérosexuelles. Par ailleurs, pour certaines, appartenir à une catégorie fixe de sexualité (c’est-à-dire « gaie » ou « lesbienne ») est quelque chose d’impossible à concevoir. Par exemple, Gabrielle suggère la futilité, dans son cas, d’appartenir à une catégorie déterminée : « Moi, le principe d’apposer une étiquette… [n’est pas pertinent]. » Pour ces dernières participantes, la sexualité ne peut être construite que par référence à des notions d’ambiguïté, d’instabilité et d’incertitude et elles s’inscrivent donc dans la lignée de la théorie queer par le rejet du modèle binaire hétérosexuel/homosexuel et des catégories fixes de sexualité (Butler 1993; de Lauretis 1993). La déstabilisation de la catégorisation binaire de la sexualité et de la conception de la sexualité comme fixe est un résultat qui a été rapporté dans des études portant sur les questions de sexualités non traditionnelles en rugby (Broad 2001) et en hockey sur gazon (Shire, Brackenridge et Fuller 2000). En remettant en question le modèle binaire hétérosexuel/homosexuel et en se positionnant en dehors de toute catégorie, certaines participantes reproduisent des discours marginaux sur la sexualité. En revanche, plusieurs autres ont plutôt tendance à s’approprier les catégories hégémoniques de sexualité (« gaie » ou « lesbienne »), à représenter la sexualité comme un construit fixe et donc à réarticuler des éléments provenant de discours dominants sur la sexualité. Les arguments avancés par la théorie queer semblent donc loin des constructions de la sexualité de ces participantes.

Conclusion

Pour revenir à la question posée précédemment dans notre article (« devient-on gaie? »), il apparaît, à la lumière des récits des participantes, qu’il n’y a pas un scénario « typique » dans lequel une personne est hétérosexuelle, pratique un sport et devient gaie. Au contraire, nos résultats, tout comme l’approche théorique inspirée du poststructuralisme féministe et de la théorie queer, montrent que cette question peut être déconstruite. En effet, premièrement, la catégorie de sexualité « gaie » est en soi potentiellement problématique, car elle ne reflète pas la variété des expériences et des constructions de la sexualité des participantes. Deuxièmement, cette catégorie sous-entend que la sexualité est un construit relativement stable, ce que les récits des participantes ont souvent remis en question. Ainsi, si certaines ont construit leur sexualité comme fixe et déterminée au moment de la conversation, elles ont suggéré une instabilité temporelle dans le sens où elles sont parfois « devenues » gaies ou pourraient avoir une sexualité sensiblement différente à l’avenir. Troisièmement, l’idée même de « devenir » gaie insinuait un parcours relativement linéaire, une accumulation d’étapes à franchir avant de pouvoir se déclarer « gaie », ce que nos résultats ont également remis en question. Il existe en revanche plusieurs « parcours » potentiels associés au coming out et au fait d’être out, et la diversité des récits illustre cette multitude de scénarios qui peuvent mener à l’expression d’une sexualité gaie (ou « ambiguë », par exemple). Ceci étant dit, les récits des participantes ont souvent suggéré que le sport féminin constituait un milieu remettant en question l’hégémonie de l’hétérosexualité et que les sexualités non traditionnelles (la sexualité gaie surtout) pouvaient y être exprimées ouvertement. Nos résultats permettent donc d’attribuer au sport féminin un rôle particulier dans la constitution de ces participantes en tant que femmes ayant une sexualité marginale. En soi, cet élément de conclusion est important, car il illustre le fait que le sport féminin constitue un espace de contestation des normes sociales et offre des positions alternatives qui peuvent être adoptées par les sujets. Pour autant, le milieu sportif ne constitue pas un « refuge » pour les athlètes non hétérosexuelles, comme cela est suggéré dans certaines études (Cahn 1994; Mennesson et Clément 2003) dans la mesure où il n’est pas le seul contexte dans lequel les participantes peuvent exprimer leur sexualité non traditionnelle. Rares sont, en effet, les participantes qui déclarent dissimuler leur sexualité aux plus proches membres de leur famille ou à leur cercle d’amis ou d’amies (en dehors du sport), par exemple, même si ces milieux semblent être moins construits comme des espaces de contestation des normes.

Si les résultats de l’étude n’ont pas permis de fournir une réponse ferme et définitive à la question « devient-on gaie? », l’interprétation des données a souvent bénéficié de l’éclairage proposé par le cadre théorique qui empruntait à la fois au poststructuralisme féministe et à la théorie queer. En effet, l’analyse des récits des participantes montre comment les sujets de l’étude se positionnent par rapport à des discours multiples, parfois dominants, parfois marginaux, et révèle l’importance des discours dans la façon dont la subjectivité et l’expérience des participantes sont constituées. En outre, la théorie queer a permis de mieux comprendre et conceptualiser les constructions discursives des participantes sur la sexualité, notamment avec la remise en question de l’hétéronormativité ainsi que la déstabilisation du modèle binaire hétérosexuel/homosexuel et des catégories hégémoniques de sexualité. Cependant, l’analyse révèle que, si l’hégémonie de l’hétérosexualité est souvent contestée, les normes relatives au genre sont beaucoup plus rarement discutées et le modèle binaire masculin/féminin se trouve surtout renforcé. Les récits des participantes semblent donc ne faire écho que partiellement aux arguments proposés par les adeptes de la théorie queer.

Enfin, il importe de rappeler que les résultats de notre étude représentent seulement l’interprétation de données recueillies lors de conversations avec 14 participantes. Ces résultats subissent clairement l’influence de plusieurs facteurs importants, notamment le lieu d’habitation, le choix de pratiques sportives et l’âge des participantes. Ainsi, alors que les sports d’équipe féminins semblent relativement ouverts à la diversité sexuelle (voir également Broad (2001), Hekma (1998) et Sablik et Mennesson (2008) pour des résultats similaires sur des sports d’équipe dans différents pays), la situation des athlètes qui ont une sexualité non traditionnelle et qui pratiquent un sport individuel mérite encore d’être examinée. En outre, notre échantillon représentait un large éventail de niveaux de compétition certes, mais aucune athlète n’évoluait au plus haut niveau (par exemple, l’équipe nationale canadienne). Aucune ne se trouvait donc dans une situation où d’autres enjeux, tels que la présence de commanditaires majeurs ou une large couverture médiatique, pourraient influer sur ses expériences en tant qu’athlète et en tant que femme ayant une sexualité non traditionnelle. En ce sens, il semble qu’examiner la situation des rares athlètes élites à avoir publiquement réalisé leur coming out (pensons à Amélie Mauresmo ou à Sheryl Swoopes) permettrait d’offrir un éclairage nouveau quant à l’étude des expériences des femmes non hétérosexuelles dans le monde du sport.