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Responsables de l’édition de nombreuses correspondances du XIXe siècle, Renée Blanchet et Georges Aubin ont rassemblé, au fil de leurs recherches, un dossier de plus de 500 lettres de femmes. De ce lot, ils ont choisi 150 lettres qui sont présentées dans ce volume. Les lettres sont classées en six rubriques : la famille (74), les affaires (26), la politique (19), l’amour et l’amitié (14), l’éducation (11) et les voyages (6). Les lettres sont issues de plusieurs milieux, mais avec une présence plus importante des membres de onze « grandes » familles du Québec, soit 63 lettres. L’ensemble est précédé d’une introduction fort intéressante qui met en lumière les éléments les plus piquants de ce corpus et de chacune des rubriques. Un appareil critique considérable vient éclairer l’ensemble et l’ouvrage se termine par une série de très brèves notices biographiques des épistolières, suivie d’un index onomastique. Cependant, quelques erreurs ont échappé aux responsables : la lettre anonyme est la lettre 120 et non la lettre 20 (p. 10); une information méthodologique a sans doute été oubliée dans la note 63 de la section « Famille » (p. 123).

J’avoue avoir entamé la lecture de ce recueil avec enthousiasme et l’avoir terminée avec un peu de lassitude. Les lettres vraiment intéressantes ne sont pas nombreuses et, surtout, toutes ces missives sont plutôt répétitives, notamment dans la rubrique « Famille ». Elles exigent beaucoup d’informations pour être décodées correctement, et l’on se demande de quoi auraient parlé ces femmes si elles n’avaient pas été malades. Celles qui évoquent leurs lectures étant rarissimes, l’univers mental de ces femmes paraît singulièrement étroit. L’écriture est le plus souvent maladroite et seules Louise-Amélie Panet (2 lettres) et Joséphine Marchand (11 lettres) manifestent un réel talent littéraire. Comment s’en étonner? La première est artiste et la seconde, journaliste et écrivaine.

Le point le plus intéressant est certainement la rubrique « Politique », car c’est dans cette section que se trouvent plusieurs lettres d’épouses de patriotes aux autorités britanniques pour obtenir la grâce de leur mari condamné. L’émotion qui caractérise ces lettres est remarquable. Par contre, la rubrique « Amitié et amour » se révèle décevante. Comme l’affirment Blanchet et Aubin dans l’introduction, les vraies lettres d’amour « ne semblent pas avoir été conservées » (p. 23). Malgré tout, on note la timide apparition de l’amour romantique chez un certain nombre de jeunes femmes, notamment dans le cas de fiançailles rompues (lettre 50). La rubrique « Affaires » permet de comprendre que ces femmes savaient s’y prendre dans le domaine et qu’on leur confiait volontiers des responsabilités. On trouve dans cette section une lettre dramatique sur les conditions de vie des colons dans l’arrière-pays, lettre adressée à un prêtre (lettre 95). Les lettres de la rubrique « Éducation » n’offrent que peu de renseignements véritables sur cette question, sauf les lettres de Victoire Papineau, tante de Louis-Joseph Papineau, qui tenait une école privée dans sa maison au début du XIXe siècle. La rubrique intitulée « Voyages » ne mentionne que des destinations estivales (région du Bas-Saint-Laurent) ou américaines et sont avares de descriptions, si ce n’est pour signaler l’état lamentable des routes au printemps et l’inconfort des véhicules avant l’arrivée du chemin de fer.

L’appareil critique est considérable, mais le plus souvent franchement inutile. Qu’avons-nous besoin de savoir qui était présent au baptême et au mariage de chacune de ces femmes? L’information la plus significative, pour identifier chacune des épistolières (et, comme de raison, cette identification passe presque toujours par le père ou le mari) figure parfois dans la biographie, parfois dans les notes, ou encore, dans une brève mention au début de la lettre. On aurait aimé une présentation un peu plus systématique. J’avoue avoir beaucoup manipulé mon livre pour trouver le renseignement pertinent.

Je me suis posé beaucoup de questions concernant la pratique du tutoiement et du vouvoiement. On rencontre des soeurs qui se vouvoient (lettres 10 et 136), des mères qui vouvoient leur fils (lettre 138) et des filles qui tutoient leur père, et cela, dès le début du XIXe siècle dans une « grande » famille où on aurait pu penser que le vouvoiement serait plus fréquent (lettre 3). Dans la lettre 123, une jeune femme s’excuse de tutoyer son amie du pensionnat, ce qui laisse donc croire que l’étiquette épistolière exige alors de vouvoyer ses correspondants ou ses correspondantes.

Quelques détails inattendus : une femme se rappelle l’heureux temps « où elle a eu tant de plaisir à la Congrégation » (lettre 123, écrite en 1848); une femme qui veut entrer au couvent est déshéritée (lettre 73); une jeune femme épouse, sans l’avoir jamais rencontré, un prétendant qu’elle a connu par correspondance (lettre 20); 1 700 personnes se présentent, en un seul jour, près du cercueil d’une jeune femme (lettre 62). On lit aussi des détails attendus : une femme se plaint que son fils ne peut pas s’occuper de la lessive de son linge (lettre 81); une tante explique à sa nièce qu’elle doit faire des sacrifices pour élever ses enfants (lettre 4). Dans une longue lettre à sa cousine, une femme raconte, du même souffle, un bal pétillant de plaisir et le suicide du fils d’une de ses amies (lettre 38).

Blanchet et Aubin affirment que chacune des 500 lettres qu’ils ont recueillies dans leurs recherches aurait mérité d’être éditée (p. 10). Le petit nombre de lettres vraiment captivantes qui figurent parmi les 150 lettres réunies dans ce livre permet d’en douter.