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L’ouvrage Plus que parfaites. Les aides familiales à Montréal 1850-2000 s’inscrit dans la continuité d’une exposition, présentée au Centre d’histoire de Montréal, célébrant le 25e anniversaire de l’Association des aides familiales du Québec. Ce projet avait pour objet de sensibiliser la population aux réalités du métier de travailleuse domestique, profession qui est toujours demeurée cachée dans l’intimité de la sphère privée. Pendant longtemps le travail domestique a été l’un des seuls métiers accessibles aux femmes. L’Association des aides familiales du Québec se consacre depuis de nombreuses années maintenant à faire reconnaître l’importance de la contribution socioéconomique des travailleuses en maison privée. Les femmes formant 90 % de cette main-d’oeuvre depuis 1850, on ne parle ici que de la portion féminine de ce métier. La présentation de l’histoire de ces femmes est une action sociale en vue de l’amélioration des conditions de travail et des mesures de protection sociale de ces travailleuses par la sensibilisation. Il est alors apparu aux organisatrices de l’exposition, Elizabeth Ouellet, Raphaëlle de Groot et Denise Caron, directrice de l’Association à l’époque, qu’il était nécessaire que la contribution historique de ces femmes soit préservée par l’entremise d’un élément matériel.

Il s’agit donc d’un ouvrage tout à fait original, unique en son genre. La majeure partie est construite dans un style muséographique, c’est-à-dire qu’elle intègre des coupures de journaux, des annonces publicitaires, des encadrés qui approfondissent certains sujets, donnent des repères historiques ou présentent des anecdotes, des photographies, des documents d’archives, etc. La recherche a été menée principalement à partir d’entrevues effectuées auprès de 31 personnes, aides familiales ou personnes ayant été élevées par une nanny, des archives de l’Association des aides familiales du Québec et de l’Institut Notre-Dame-du-Bon-Conseil et de petites annonces dans les journaux. C’est évidemment une recherche documentaire très fragmentaire, car il existe fort peu de documents relatifs au travail en maison privée. L’ensemble de l’ouvrage est divisé en trois grands chapitres : l’histoire du travail en maison privée depuis 1850, la présentation de quinze entrevues et l’histoire des mouvements associatifs liés à la profession d’aide familiale.

Le premier chapitre, rédigé par Elizabeth Ouellet, retrace l’évolution du travail en maison privée à Montréal depuis 1850, mais également les changements dans l’économie, la société, la famille et la condition féminine au Québec. On voit bien ici que la perception du métier d’aide familiale varie au gré des bouleversements qui touchent la société. D’ailleurs, la variation des appellations données à ces travailleuses dans le temps démontre les différentes façons de concevoir ce métier : « servante », « bonne », « employée de maison », « domestique », « aide ménagère », « aide familiale ». On aborde également les technologies ménagères de l’époque et les conditions de travail.

La période qui s’étend de 1850 à 2000 permet de retracer en quatre étapes « le long parcours qui a mené à la défense des droits des domestiques au cours du « xxe siècle » (p. 21). La première étape (1850-1920) se caractérise par l’accroissement de la population de Montréal et de la richesse des capitalistes. Ces gens aisés, subissant l’influence des nouvelles découvertes en matière d’hygiène, recherchent de plus en plus des personnes spécialisées pour le travail domestique. Des Montréalaises des milieux aisés créent des comités afin de fournir la formation, d’offrir un service de placement, de recruter à l’étranger, etc. À l’époque, les possibilités de travail pour les femmes sont très limitées et plusieurs jeunes filles et femmes de la campagne, des milieux ouvriers ou de l’étranger choisissent de travailler en maison privée à Montréal, en particulier dans le Mille carré doré (Golden Square Mile). Les salaires sont peu élevés et les conditions de travail sont difficiles malgré le fait que plusieurs travailleuses et travailleurs domestiques sont présents dans chacune de ces grandes demeures.

La deuxième étape (1920-1945) est le théâtre de nombreux bouleversements dans la société à la suite du faste des années 20, de la crise économique de 1929 et de la fulgurante reprise durant la Seconde Guerre mondiale. Le nombre de travailleuses et de travailleurs domestiques par maison diminue en raison des revers économiques et du travail en manufacture durant la guerre. Le travail ménager se modernise avec l’apparition de nouveaux appareils et les nouvelles habitations sont construites de façon plus pratique, ce qui n’allège pas pour autant la lourdeur de la tâche. Avec la crise, on recherche maintenant des « bonnes à tout faire ». En dehors du travail domestique, il n’y a toujours pas beaucoup de possibilités d’emploi pour les femmes et la Loi des salaires raisonnables de 1937 n’inclut pas les travailleuses en maison privée.

La troisième étape (1945-1980) est marquée par la croissance du niveau de vie de la population montréalaise, l’essor du secteur des services, la syndicalisation et les revendications de différents groupes de pression. En ce qui concerne les femmes, elles ont désormais accès aux études supérieures et elles investissent le marché du travail. La famille est toujours au centre des préoccupations sociales, mais les femmes rejettent de plus en plus le travail ménager. Il y a de moins en moins de travailleuses domestiques par maison et ces dernières ne veulent plus résider chez leur employeur ou employeuse. Cependant, la demande pour des travailleuses résidant chez la personne qui les emploie est si forte que le gouvernement met en place des programmes d’immigration afin d’inciter des jeunes filles de divers pays à venir travailler comme domestiques résidantes. Plusieurs restrictions ayant pour objet de réduire la mobilité des travailleuses accompagnent ces programmes, comme l’obligation de retourner dans leur pays à la fin de leur emploi. Ouellet affirme que la multiplication des technologies est accompagnée de critères de propreté plus élevés, ce qui n’allège pas les tâches. L’image de la facilité associée au travail réalisé à l’aide des machines contribue à la dévalorisation du métier de travailleuse en maison privée. À la fin de cette période, plusieurs associations de défense des droits de ces travailleuses voient le jour.

Ouellet montre que la quatrième et dernière étape (1980-2000), loin d’être marquée par la disparition du travail en maison privée, se caractérise par l’essoufflement des femmes travaillant à l’extérieur du foyer et le besoin accru d’aide familiale. Les services domestiques ont peu changé, mais on demande de plus en plus de l’aide pour prendre soin de personnes âgées ou handicapées. Les travailleuses domestiques sont incluses dans la législation du travail en 1980, à l’exception des gardiennes. Cependant, Ouellet présente les résultats d’enquêtes menées par l’Association pour la défense des droits du personnel domestique de Montréal, qui montrent que les revenus ne sont généralement pas déclarés par l’employeur ou l’employeuse, que les salaires correspondent rarement à ce qui est établi dans la loi, que les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, etc. Les Philippines représentent maintenant la plus grande proportion des femmes qui immigrent au Canada pour travailler dans les services domestiques. La politique du gouvernement à ce sujet est toujours vivement contestée.

Le deuxième chapitre est une retranscription de quinze entrevues menées par Raphaëlle de Groot avec la collaboration de l’Association des aides familiales du Québec. L’auteure a eu beaucoup de difficultés à trouver des gens qui voulaient parler de leur expérience, car les préjugés associés au travail en maison privée sont importants. On pense à la travailleuse en termes d’ignorance et de stupidité et la personne qui les emploie fait figure d’exploiteur tyrannique. Il a donc été nécessaire de préciser que l’on recherchait des gens ayant de bons souvenirs à partager. Ces témoignages, qui ne sont pas analysés mais seulement livrés, illustrent le fait que les aides familiales doivent posséder de grandes qualités humaines pour exercer cette profession. Les soins aux enfants et aux personnes âgées, de même que l’organisation nécessaire à la conduite des affaires du foyer, exigent plusieurs habiletés et aptitudes particulières. Également, il est clairement montré que nombre de femmes exercent ce métier par choix et qu’elles ont conscience de la valeur de leur travail. Ces récits sont divisés en trois parties : cinq récits de femmes ayant travaillé en maison privée avant 1965, cinq récits de personnes ayant grandi avec une aide familiale à la maison et cinq récits de femmes travaillant actuellement dans les services domestiques.

Enfin, le troisième chapitre, rédigé par Elizabeth Ouellet, traite de l’évolution des mouvements associatifs concernant le métier de travailleuse domestique. L’auteure présente d’abord les foyers mis en place par l’Institut Notre-Dame-du-Bon-Conseil et la création de l’Association des aides-ménagères. De 1933 à 1946, ces foyers accueillent les jeunes filles de la campagne et leur offrent une formation professionnelle ainsi qu’un service de placement. Ces services s’inscrivaient dans la foulée du projet de Marie Gérin-Lajoie, qui voulait abolir les différences de classe sociale par l’éducation. Après la guerre, le foyer de la rue Western est transformé en Centre social d’aide aux immigrants et immigrantes.

À la fin des années 70, l’Association pour la défense des droits du personnel domestique de Montréal voit le jour et cherche à obtenir de meilleures conditions de travail pour les travailleuses en maison privée. Les membres du conseil d’administration et du conseil d’orientation sont des travailleuses domestiques. L’Association fait des pressions politiques sur le gouvernement afin que les aides familiales aient le statut de travailleuses et soient protégées par la loi. On dénonce l’exploitation dont sont victimes les aides familiales et les mesures discriminatoires du programme fédéral d’immigration concernant les travailleuses en milieu privé. Dans les années 90, l’Association concentre ses efforts sur la reconnaissance et la valorisation du métier d’aide familiale, tout en continuant d’exercer d’importantes pressions politiques. En 1998, l’Association est renommée l’« Association des aides familiales du Québec ». Elle regroupe des femmes de plusieurs nationalités et leur offre « les moyens de prendre en main leurs conditions de vie et de contrôler elles-mêmes leur destinée » (p. 150). On veut que les aides familiales défendent leurs droits. L’Association organise plusieurs activités afin de permettre à ces femmes de communiquer entre elles. Elle offre également de la formation, un service de placement et des services-conseils, notamment au niveau juridique. De plus, l’Association et ses membres participent aux manifestations de solidarité féminine à l’échelle de la société globale.

Cet ouvrage se présente comme étant essentiellement descriptif. En effet, les analyses y sont rares et peu développées. Cependant, cela n’est pas un tort puisque le but des auteures est de rendre visible le travail des aides familiales, dans une optique de sensibilisation populaire. Les styles d’écriture et de présentation sont très accessibles et intéressants. On veut que les lectrices et les lecteurs vivent des émotions et réfléchissent sur les conditions de vie et de travail des travailleuses en maison privée. Ce document a ainsi le grand mérite de présenter tout un pan occulté de la réalité des femmes québécoises et de contribuer à la reconnaissance des travailleuses en maison privée. Il ouvre plusieurs pistes de réflexion sur la condition féminine en général et pourrait inspirer de nouvelles recherches.