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« Libérer la femme tadjike » est un discours qui justifie durant les années 20 la présence soviétique au Tadjikistan. Ne pouvant pas s’appuyer sur un prolétariat urbain dans un pays de paysannerie rurale, les Bolcheviks imposent la mise en place d’un système soviétique en Asie centrale en promettant la libération des femmes, décrites comme totalement soumises aux traditions patriarcales et à la religion musulmane (Northrop 2004). Des changements législatifs sont accompagnés de mesures répressives et punitives pour transformer les relations de genre et mettre un terme à la résistance centrasiatique. L’entrée des femmes dans la sphère publique doit témoigner de la mise en place d’un nouvel ordre socialiste, émancipé des traditions locales et de l’islam (Alimova 2007). Si les Tadjikes travaillent en dehors de la cellule familiale, dans les champs de coton et dans les usines, si elles sont massivement scolarisées et ont le droit de vote et d’éligibilité, les relations familiales et sociales demeurent structurées par la domination patriarcale pendant l’époque soviétique. En effet, la « libération des femmes » est vécue par le peuple tadjik comme un élément soviétique et étranger. Les structures patriarcales pèsent ainsi sur les femmes, garantes de la culture locale et de l’ordre traditionnel au Tadjikistan (Fathi 2007).

La chute de l’URSS fait naître la République du Tadjikistan qui entre rapidement dans une guerre civile (1992-1997), marquée par des clivages interrégionaux et opposant une coalition islamodémocrate et les autorités communistes restées au pouvoir (Dudoignon et Jahanguiri 1994). Le traité de paix se conclut sur la promesse du respect du pluripartisme et de l’ouverture des institutions politiques aux forces d’opposition. Si cette promesse n’est pas tenue par le pouvoir en place, le Parti de la renaissance islamique (PRI), premier et seul parti d’opposition représenté au gouvernement, entend jouer un rôle dans la construction de la jeune nation. Cette période de « paix nationale » est également marquée par la diversification des structures politiques avec la présence de plus en plus importante des institutions internationales, l’entrée au Tadjikistan de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) internationales et le développement des associations et des ONG locales.

Une caractéristique commune à tous ces acteurs politiques est la production de discours sur le « droit de la femme ». Au-delà d’un simple dénominateur commun, les droits des femmes constituent un véritable enjeu pour les forces politiques actuelles. Que ce soit dans le domaine du droit privé ou public, le gouvernement, les institutions internationales et le parti d’opposition multiplient les discours autour des droits des femmes en se référant à la Constitution de la République, aux traités internationaux et au droit musulman. Outil de légitimation du gouvernement, cheval de bataille des institutions internationales, préoccupation de la mouvance islamiste, fer de lance du PRI, les discours sur les droits des femmes marquent les clivages politiques et participent aux processus de construction nationale. Dans ce contexte de diversification des acteurs, il convient d’analyser ces discours et leurs enjeux dans la construction de la nation. La première partie du présent article permettra donc d’analyser les positionnements du gouvernement, des organisations internationales, du PRI, premier parti d’opposition, et, enfin, des organisations locales sur les droits des femmes dans le contexte de construction nationale. Dans un second temps, il s’agit de se demander si la diversification des acteurs politiques, a permis l’émergence de nouvelles pratiques politiques et de nouvelles revendications des Tadjikes. Comment expliquer l’absence de mouvement social revendiquant l’égalité entre les sexes malgré les discriminations sociales, politiques et économiques qui pèsent sur les Tadjikes et malgré la banalisation du discours sur les droits des femmes?

La diversification des discours et leurs enjeux

La construction nationale, la légitimité du gouvernement et les droits des femmes

Au lendemain de la guerre civile, le président de la République, Emomali Rahmonov, s’empresse de publier un discours qu’il a prononcé en 1997 à Douchanbé et qui s’intitule « La place des femmes dans la société[1] ». Dans ce discours, il remercie « toutes les femmes de la République » pour avoir lutté aux côtés des forces gouvernementales pendant la guerre civile et pour avoir participé à la construction nationale. Il justifie la présence des femmes dans les institutions de la République par le rôle actif qu’elles ont joué dans le maintien au pouvoir des autorités communistes. La participation des femmes en politique est donc revendiquée par le gouvernement qui pose leur adhésion au régime en place comme caractéristique de leur engagement. Rahmonov, ancien apparatchik de l’Union soviétique, construit au lendemain de la guerre civile et malgré les promesses du traité de paix de Moscou en 1997, met en place un système autoritaire caractérisé par une concentration des pouvoirs par le président et par son clan familial et politique issu de sa région, Kulyab. S’il ne respecte pas la conduite libre des élections ni le pluripartisme, il est tout de même à la recherche d’un allié politique symbolique. Dans la construction même de son discours sur les rapports sociaux de sexe, Rahmonov s’approprie l’allégeance de la moitié de la population, celle-là même qu’il définit comme l’essence de la nation. En effet, les femmes porteraient en elles les conditions nécessaires à la mise en place d’un État-nation : « La femme est le miroir propre et pur, le reflet de l’apparence visible et cachée, de chaque peuple, de chaque nation et de chaque État. Cela signifie que vous [les Tadjikes] êtes le miroir du Tadjikistan qui incarne l’intelligence et la connaissance, la politesse (odob) et l’esprit, la perfection et le progrès, le passé, le présent et le futur de la nation et de l’État[2] ». La femme tadjike est donc censée révéler le processus de construction nationale et les caractéristiques féminines sont « naturellement » propices au développement de l’État. Dans un double mouvement, Rahmonov légitime son gouvernement et réaffirme également la souveraineté de la nation, après 70 ans de communisme et au sortir d’une guerre civile.

Le gouvernement est particulièrement attentif à l’égalité entre les hommes et les femmes dans la législation. L’ensemble des textes législatifs condamnent les discriminations sexuelles. Ainsi, la constitution de 1994, le code du travail en 1997, code pénal ainsi que le code de la famille en 1998 ne contiennent aucune disposition qui limiterait directement ou indirectement les droits et libertés des femmes. La polygamie est interdite, l’âge légal du mariage est fixé à 17 ans pour les hommes et les femmes, la loi assure les mêmes droits aux hommes et aux femmes concernant l’héritage, le mariage et la procédure de divorce. Une pension alimentaire est garantie à la mère en cas de divorce. La loi prévoit également une condamnation contre les discriminations à l’embauche, le harcèlement sexuel, le viol et la violence conjugale. En plus des codes législatifs fondamentaux, le gouvernement tadjik a ratifié une dizaine de textes spécifiques sur les droits des femmes. Le Tadjikistan est également l’un des premiers pays de la Communauté des États indépendants à ratifier les textes internationaux comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) en 1993. Le gouvernement se démarque ainsi par sa précocité et son engouement en matière de conventions internationales puisqu’il en signe 37 pour la protection et la promotion du droit des femmes et des enfants.

Cette législation abondante sur les droits des femmes témoigne de la volonté d’intégration du pays à la communauté internationale, mais elle est également associée à la souveraineté de droit et d’indépendance du régime. Ainsi l’affirme une responsable du Comité des femmes et de la famille[3] : « Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de projets législatifs sur le droit des femmes. Le président a pour objectif 50/50. À l’époque soviétique, la situation concernant les femmes n’était pas mauvaise, mais aujourd’hui elle est meilleure. Nous sommes indépendants[4] ». Écrire et signer des lois sur les droits des femmes, c’est s’émanciper de la tutelle soviétique, mais il s’agit également d’isoler la question des femmes dans le domaine juridique. En effet, dans les organes officiels, les réflexions et le vocabulaire autour du genre et des rapports sociaux de sexe sont constamment tournés vers le domaine du droit. « Le genre, c’est l’égalité juridique entre les hommes et les femmes », définit ainsi une responsable d’un programme d’accès des femmes à la terre, au ministère de l’Agriculture[5].

Cependant, par « droit », il faut d’abord entendre le droit du gouvernement. Seul celui-ci peut prendre l’initiative d’une loi sur le droit des femmes. En voici un exemple : les associations de femmes soutiennent un projet de loi sur la prévention de la violence domestique en 2008, mais ce projet n’est pas présenté au Parlement en raison de la résistance du ministère de la Justice. Le refus du Ministère s’appuie sur l’absence de budget et l’existence de lois concernant la violence domestique. En se présentant comme le défenseur du droit de la femme, le gouvernement évince les différents mouvements sociaux émergents au Tadjikistan. Ainsi, il s’agit de garder le monopole du discours sur les femmes pour ne pas se laisser déborder par des mouvements autonomes. Autre exemple : une association locale contre la violence domestique a fait une campagne d’affichage en mars 2010. Une pancarte, représentant une femme battue, son enfant à la main, et son mari arrêté par la police, est placée devant l’Institut pédagogique à Douchanbé, qui forme les instituteurs et les institutrices. Toutefois, cette affiche est enlevée par la police. Deux mois plus tard, sur un écran géant, un court métrage est diffusé contre la violence domestique sur l’avenue principale de la capitale. Le ministère de la Santé fait partie de cette initiative. Sans aucune différence substantielle entre les deux campagnes, il s’agit de maintenir le monopole de la loi et du discours sur les discriminations de sexe.

Le président Rahmonov mise également sur une représentation essentialiste de la femme, notamment sa « pureté » et son incapacité à être corrompue :

C’est évident que dans toutes les campagnes importantes après l’indépendance – les discussions sur la Constitution, sur les élections présidentielles, sur les élections des provinces et du Parlement, sur les mesures économiques et également dans les programmes de désarmement, de réconciliation et la compréhension mutuelle, mais surtout dans la purification spirituelle et éthique de la société, les femmes du Tadjikistan ont eu un rôle constructif et exemplaire[6].

Le président soutient officiellement l’intégration des femmes dans tous les ministères et en particulier celui de l’Intérieur. En 2008, il félicite les 1 500 femmes travaillant au ministère de l’Intérieur pour leur lutte contre la criminalité et pour la sécurité de la société et appelle à tous les efforts pour que les femmes entrent massivement dans ce ministère[7]. Les femmes, définies comme mères protectrices et justes, sont un instrument pour afficher plus de transparence, pour blanchir symboliquement les différents organes politiques et pour témoigner d’un effort relativement à la lutte contre la corruption : « Par exemple est-ce que la contrebande de produits illégaux est l’occupation d’une mère qui crée la vie?[8] » La nation attribue des rôles, des fonctions et des pouvoirs spécifiques aux hommes et aux femmes et entérine ainsi une différence dans la notion de citoyenneté (Yuval-Davis 1997; Auslander et Zancarini-Fournel 2000). Le gouvernement tadjik donne aux femmes le pouvoir de « purifier » la politique. Il développe une reconstruction de l’État fondée sur les attributs désignés d’un sexe, instaurant un statut inégalitaire quant à la notion de citoyenneté.

La promotion du droit des femmes : enjeu de présence et de « sécurité » internationale

Les acteurs internationaux comme l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’Entité des nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des Femmes (UNIFEM) ainsi que le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) soutiennent une image de la femme dans son rôle de citoyenne, dont les intérêts sont communs avec l’émergence d’un État de droit, d’un consensus politique, d’une culture démocratique, de libertés individuelles les plus élémentaires et d’une société civile.

Dans les entretiens menés avec des responsables de projet à l’UNICEF, à l’OMS et à l’OSCE, mes interlocuteurs et interlocutrices insistent sur la dégradation de la situation des femmes au Tadjikistan, liée à l’effondrement du système éducatif et de santé et à une « retraditionalisation » de la société ou à l’influence grandissante de la religion, ou les deux à la fois. Concernant les conditions des femmes, il y aurait une vraie rupture entre l’époque soviétique et la période actuelle qui se caractérise par le recul de la scolarisation des filles, l’augmentation de la violence domestique, la hausse des mariages forcés et précoces, l’accroissement de la polygamie, l’exclusion de plus en plus forte des femmes de la sphère politique et la hausse du nombre de suicides chez les jeunes femmes.

Les premières victimes de cette « retraditionalisation » et de l’influence grandissante de l’islam dans la société, décrites par les institutions internationales, sont les femmes : elles sont victimes des discours religieux qui constituent un obstacle à leur scolarisation et à leur hospitalisation si elle est nécessaire. Les pesanteurs culturelles les empêchent également d’exercer une activité professionnelle. Elles sont ainsi forcées de recourir à la médecine traditionnelle et d’accoucher à la maison, de contracter des mariages religieux, qui ne garantissent pas les droits du mariage civil légal. Les femmes sont décrites sous l’influence d’un groupe ou d’une personne, homme ou femme (notamment la belle-mère).

Depuis quelques années, l’OSCE a opéré un changement dans ses programmes s’appuyant sur une approche « genrée ». Cependant, le contexte international a également changé depuis la fin de la guerre civile avec les conséquences des attentats du 11 septembre 2001. L’Asie centrale, voisine de l’Afghanistan, est devenue un enjeu majeur dans la lutte contre le terrorisme, définie et adoptée par les institutions internationales. En décembre 2001, la Conférence internationale de Bishkek, « Pour la sécurité et la stabilité de l’Asie centrale : renforcement des efforts d’ensemble pour lutter contre le terrorisme », prévoit des dispositions politiques et matérielles particulières pour les pays centrasiatiques. En avril 2009, l’OSCE renouvelle cet engagement et soutient une déclaration sur la nécessité de concevoir des « activités pour combattre l’extrémisme violent et la radicalisation qui mène au terrorisme au Tadjikistan[9] ». Les femmes ont une place particulière dans cette politique, comme le déclare l’ambassadeur de l’OSCE au Tadjikistan lors de la conférence internationale « Genre et sécurité », tenue les 25 et 26 juin 2010, sous l’égide du PNUD, « l’engagement des femmes dans les problèmes de sécurité est essentiel pour l’OSCE afin d’agir efficacement contre l’insécurité et les risques ». L’OSCE travaille en étroite collaboration avec le gouvernement tadjik qui a ratifié la « Gender Sensitive National Border Strategy » proposée par l’institution internationale en 2010. Officiellement, il s’agit d’aider le gouvernement tadjik dans l’application des lois sur la promotion des femmes dans tous les domaines professionnels. Cependant, l’OSCE mise d’abord sur la baisse de la corruption par la présence des femmes qui ne seraient pas dans les mêmes réseaux que les hommes et moins enclines que ceux-ci au trafic clandestin. Une campagne intitulée « Voter Education Campaign » est menée en 2010 dans 79 villages. L’objectif est d’informer la population tadjike sur le fonctionnement du système électoral et d’inciter les femmes à aller voter elles-mêmes. La directrice de la campagne déclare que, les élections étant un sujet sensible, il est préférable de s’appuyer sur les programmes concernant les femmes, mieux tolérées par le gouvernement pour aborder cette question[10]. Concrètement, c’est dans les bureaux des associations de femmes que ces formations auront lieu. L’OSCE a également donné deux ateliers de formation pour les élèves officiers sur la violence domestique en 2010 à Douchanbé.

Le pouvoir exécutif, le système législatif et les frontières du pays sont ainsi ciblés par l’OSCE dans le contexte d’un discours sur les droits des femmes. En assistant le gouvernement dans sa politique officielle, l’OSCE entend maintenir une stabilité politique dans la région centrasiatique pour mener à bien la lutte contre le terrorisme. Le choix du collaborateur local est d’autant plus facile que le gouvernement a signé toutes les conventions internationales sur les droits des femmes. Il faut replacer cette stratégie dans un cadre régional. Le troisième discours de justification de la guerre en Afghanistan par les États-Unis était la libération de la femme afghane : près de dix ans après l’engagement des troupes américaines, la justification d’une présence militaire passe toujours par l’oppression des Afghanes. La couverture du Time du 9 août 2010 fait le tour de la planète avec le titre « What happens if we leave Afghanistan » [Ce qui se passera si nous quittons l’Afghanistan] et montre une jeune Afghane avec un trou béant à la place du nez[11]. Cette photographie a pourtant été prise au moment où les troupes américaines sont sur le sol afghan et où les conditions de vie de la grande majorité des Afghanes vivant sous occupation américaine sont extrêmement difficiles et continuent de se dégrader (Rostami Povey 2007). La condition des femmes peut légitimer certes une intervention militaire ou, dans le cas du Tadjikistan, une présence des organisations internationales à tous les niveaux institutionnels du pays. Pourtant, ce n’est pas le seul outil de légitimation d’intervention extérieur; cependant, ce discours a déjà prouvé son efficacité dans la région.

Les droits de la femme et le clivage sur l’échiquier de l’islam politique

Le PRI est la principale force d’opposition au gouvernement en place. À partir des principes de l’islam, il appelle au respect de la Constitution du Tadjikistan qui garantit le pluripartisme, la mise en place d’élections libres, la liberté de la presse et l’instauration d’un processus démocratique au pays. Par ailleurs, il condamne l’extrémisme religieux. De la même manière qu’en Iran où la question des femmes a pu être le point de clivage entre les forces conservatrices et réformatrices (Mir-Hosseini 2002), le PRI se démarque de l’islam conservateur par sa position sur la place des femmes dans la société. Une des missions que se donne le PRI est « d’augmenter le niveau de connaissance politique et culturelle des citoyens, en particulier celui des femmes et des jeunes afin qu’ils puissent participer aux activités politiques et de l’État[12] ».

À travers cette position, il s’agit de se démarquer des discours d’un islam conservateur, s’appuyant sur une très forte domination patriarcale. Dans les bazars et aux alentours des mosquées, des livres et des petits carnets[13] sont destinés à diffuser des interprétations très conservatives et patriarcales du Coran. Ainsi, le premier conseil de la mère à sa fille dans le carnet intitulé Conseil de la mère à la fille honorable est : « Sois satisfaite! Cela veut dire, qu’à chaque chose que ton mari t’apporte, des habits ou de la nourriture, reçois-le avec bonheur. » Le deuxième conseil est : « Écoute attentivement ton mari et obéis-lui en tout. Ne discute pas les paroles de ton mari et fais pour qu’avec lui tu n’aies qu’un coeur et une pensée. » Puis viennent les conseils pour laver la maison, faire disparaître les mauvaises odeurs, la préparation des repas et du lit ainsi que les obligations sexuelles.

Au contraire d’une interprétation conservatrice du Coran, le PRI soutient la présence des femmes dans la vie politique, économique et sociale et condamne la domination de l’homme sur la femme qui est de l’ordre de la tradition. Zarafo Khojaeva, représentante du PRI, déclare ainsi : « Les femmes sont importantes dans la vie politique, car c’est la preuve qu’elles ont leur propre voix. Ce n’est pas l’islam qui est un obstacle mais la tradition. Elles doivent montrer davantage leur talent et leur compétence. »[14] Zarafo Khojaeva insiste sur l’importance du libre choix dans la pratique religieuse et sur la condamnation de la tradition : « Porter le sater[15] est mon propre choix. Les femmes qui le portent se sont demandé pourquoi elles le portent. Le sater montre mon respect envers Dieu et il n’est pas le signe d’une tradition assimilée. » Le président du PRI, Muhiddin Kabiri, actuellement député au Parlement, insiste sur l’éducation des filles dans le contexte politique actuel sensible. En effet, le gouvernement a ratifié une loi en 2010 interdisant aux femmes de porter le sater à l’université. Il se démarque de la mouvance conservatrice de l’islam en déclarant : « Aujourd’hui, les filles voilées ne peuvent plus aller à l’université. Alors je préfère qu’une femme musulmane aille à l’école plutôt qu’elle porte le voile. »[16]

L’émergence des associations de femmes

Les associations et les ONG spécialisées en matière de problématiques de femmes ou de genre se sont largement développées après la guerre civile. Dans le sud du pays, la fin de la guerre permet l’apparition de regroupements de femmes, qui se constituent plus tard comme associations. Si les conflits se sont officiellement terminés, les familles n’autorisent pas leurs enfants, en particulier leurs filles, à aller à l’école. La crainte que celles-ci soient victimes d’abus physiques et sexuels persiste. À Shahritus, dans la région du Khatlon, quelques femmes, institutrices et infirmières, se sont d’abord mobilisées pour rassurer la population. Ces femmes créent des groupes de soutien psychologique et se déplacent dans les familles pour discuter. Elles insistent sur la spontanéité du mouvement originel et sans aide de l’État, elles se sont mobilisées sans structure formelle. Certains groupes de « soutien psychologique » se sont ensuite transformés en association de défense du droit des femmes.

La multiplication des associations sur les droits des femmes s’explique également par l’encouragement des institutions internationales, en particulier à la suite de la Conférence de Beijing en 1995, quatrième conférence mondiale sur les femmes. Les associations rencontrées insistent sur la dégradation économique de la situation des femmes au Tadjikistan. Elles mentionnent le manque de travail de même que la dégradation du système de santé et scolaire qui pèsent sur le quotidien des femmes. La migration masculine est également un thème abordé. Chaque année, 1 million de personnes (sur une population tadjike de 7 millions), majoritairement des hommes, migrent en Russie pour travailler. Si cette migration se féminise de plus en plus, elle reste à 85 % masculine (Khusenova 2010). Quand les hommes migrent, les femmes doivent assurer seules les responsabilités au sein du foyer. Elles s’occupent des enfants et des grands-parents et elles craignent que leur époux n’envoie pas d’argent ou qu’il demande le divorce par téléphone[17].

La plupart des présidentes des associations, qui sont financées par les institutions internationales, disent avoir quitté leur ancien poste en raison de l’inefficacité des actions et de la corruption dans les institutions gouvernementales et des bas salaires[18]. Ainsi, S.K., ancienne présidente d’un kolkhoze puis d’un hukumat, a créé une association de microcrédit destinée aux femmes à Shahritus :

Je suis partie de l’hukumat. Il n’y avait pas de sens à rester là-bas. Ils mentaient, ils ne nous donnaient jamais les moyens de réaliser nos projets. Depuis que je suis partie de l’hukumat, je peux parler librement. J’écris les projets que je veux. Je les propose aux ONG et après elles décident si elles retiennent mes projets. Par exemple, j’ai rédigé un projet de construction d’école. J’ai trouvé le financement par l’aide internationale; jamais l’hukumat n’aurait donné de l’argent pour ce projet[19].

Les responsables politiques également peuvent se tourner vers l’espace associatif. Zarafo Khojaeva déclare ceci :

En tant que représentante [du PRI], je donnais des conseils au Parlement sur la santé des femmes et sur l’éducation des filles. Je n’avais aucun moyen d’action réelle. C’est beaucoup plus facile de travailler dans les ONG, car elles ont un vrai contact avec la population.

Ainsi, le développement des associations de femmes témoigne de l’impasse que représentent les institutions gouvernementales dans la lutte pour l’égalité des hommes et des femmes au Tadjikistan.

Dans ce contexte de diversification des discours sur les droits de la femme qui mettent en avant diverses qualités de la femme, assiste-t-on à un changement de pratiques politiques ou à l’émergence de nouvelles actrices ?

De nouvelles actrices? De nouvelles pratiques?

La mère, le maintien de l’ordre social et le consensus politique

Les Tadjikes connaissent de nombreux obstacles pour devenir des agentes politiques autonomes dans l’espace associatif, dans les partis politiques comme dans les institutions gouvernementales. Quand elles se lancent dans l’espace politique ou associatif, elles justifient leur action par leur statut de mère. « Plus à l’écoute », « proche des problèmes de la communauté », « plus juste », l’image de la mère qui gère une communauté comme sa famille est mise en avant par les femmes politiques au niveau local. B.H., ancienne présidente d’un mahalla de Shahritus, déclare que « les femmes sont meilleures que les hommes en politique. Elles ont une pensée vraie, juste, droite. Elles éduquent leurs enfants, donc elles savent ce qui est bien ou mal pour la communauté qui est comme une grande famille. » Comparer une circonscription à un grand foyer est l’image majoritaire des discours des femmes politiques rencontrées. Elles sont nombreuses à utiliser ce discours pour résoudre le conflit qu’elles ressentent elles-mêmes, en tant que femme et personne politique, en se considérant comme des « super femmes au foyer ». Elles légitiment leur présence dans un domaine où les femmes sont une exception, en reliant la politique au domaine qui est caractérisé par la présence de la femme. Elles traduisent les termes politiques par les fonctions et les compétences traditionnellement assignées aux femmes, garantes du foyer.

Cette représentation de la femme-mère correspond au statut valorisé des femmes par la société comme par le gouvernement. Déjà à l’époque soviétique, la mère était mise en avant par les politiques natalistes. Les Tadjikes ont été marquées par les médailles remises aux mères de 12 enfants et des aides étaient accordées. Aujourd’hui, les aides financières n’existent plus pour les familles nombreuses et le gouvernement encourage la baisse de la natalité, l’espacement des naissances et la contraception. Selon le gouvernement, la régulation des naissances devrait assurer le développement du pays[20]. Il n’en reste pas moins que le statut de mère est le seul statut valorisé et tacitement toléré par la société et le gouvernement pour investir l’espace public. La mère garantit le maintien de l’ordre social et politique. Elle est garante de la famille et de l’État non corrompu, pacifié, proche de la population. Le pays lui-même est associé aux qualités de la mère tadjike comme le suggèrent les bandeaux du gouvernement dans la rue principale de Douchanbé en juin 2010 : « Tu modari yagonai-Tojikiston » [Tadjikistan, tu es notre mère unique].

Les associations de femmes et les institutions internationales

Aujourd’hui, les associations de femmes ne constituent pas au Tadjikistan un espace de critiques, de revendications politiques ou de changement social. Les présidences sont majoritairement occupées par des femmes ayant eu des postes à responsabilités politiques, tels que présidente de kolkhoze à l’époque de l’Union soviétique, députée ou directrice du bureau local du comité des femmes, ou ayant eu une fonction dans l’éducation, c’est-à-dire enseignante ou directrice d’école. Ainsi, la majorité de ces femmes à la tête des associations a créé son réseau social et son capital militant sous le règne de l’Union soviétique : elles ont la capacité de répondre à des projets, elles ont l’habitude de se déplacer pour des séminaires dans la capitale ou à l’étranger, elles savent identifier les différents acteurs politiques et elles ont une certaine connaissance de la situation politique, économique et juridique du Tadjikistan. Pour la plupart, elles ont une grande notoriété dans leur village ou leur ville. La jeune génération n’a pas ce capital puisqu’elle est née au cours des dernières heures de l’époque soviétique. Elle a grandi pendant la guerre civile puis sous la République indépendante, marquée par l’effondrement du système scolaire. Les jeunes femmes sont largement exclues des prises de décision et elles sont très peu nombreuses à investir cet espace associatif. Quand elles le font, elles rencontrent des obstacles avec les présidentes d’association. Par exemple, une jeune fille de 19 ans, travaillant dans une association défendant le droit des femmes, à Qurghon-Teppa, dans la province du Khatlon, ne se sent absolument pas soutenue par les autres membres plus âgées de l’association et elle n’est jamais sollicitée pour les décisions importantes. Elle est cantonnée dans la traduction des documents en anglais, langue qu’elle apprend à l’université. La présidente de l’association lui a demandé de porter la kurta, tunique traditionnelle, craignant qu’elle ne puisse pas se marier en raison de ses habits du type « occidental ». Sur le plan professionnel et personnel, l’émancipation de la jeune génération n’est pas soutenue par les associations de femmes. D’autre part, la majorité des présidentes des associations rencontrées sont chefs de famille. Elles sont veuves ou leur mari est à l’étranger. Elles délèguent la majorité des tâches domestiques à leur fille ou à leur belle-fille. Elles sont ainsi dégagées des devoirs par leur âge et par leur situation au sein de la famille. Les jeunes filles et les jeunes femmes mariées doivent assumer les tâches domestiques, ce qui peut expliquer la difficulté pour la nouvelle génération à investir cet espace associatif.

Un deuxième obstacle est la dépendance par rapport aux institutions internationales. La dépendance financière de nombreuses associations par rapport aux bailleurs de fonds internationaux est très forte et les programmes financés concernent des périodes de plus en plus courtes, de deux à six mois pour la plupart. Les femmes, qui ont abandonné leur poste dans les structures gouvernementales en espérant une meilleure situation personnelle, expriment une grande désillusion à l’égard des organisations internationales. Cette situation de dépendance financière augmente la dépendance de l’activité des associations. Ces dernières deviennent peu à peu des sous-traitantes, peu onéreuses, qui expérimentent les politiques des organisations internationales. Elles doivent suivre les programmes axés sur le genre qui se transforment au rythme des politiques des institutions internationales. Entre participation féminine aux élections, prévention du trafic humain et lutte contre la violence domestique, les associations semblent suivre passivement. Les organisations internationales leur fournissent tout le matériel nécessaire à leur travail : calendrier, affiches, films, manuels de sensibilisation. En outre, les associations n’ont pas la maîtrise du budget concernant les programmes mis en oeuvre, ce qui empêche l’acquisition de matériel réutilisable pour d’éventuels projets des associations comme l’achat d’une voiture ou d’un ordinateur. Le contenu des programmes est également fixé et n’incite pas à la réflexion des membres. Ainsi, Oksana, association implantée à Kolkhozabad, dans la province du Khatlon, faisant partie du district de Rumi, a été créée en 2004 avec l’aide de l’OSCE, pour introduire des programmes sur le genre dans la région; en 2005, la majorité de ses subventions viennent de la United States Agency for International Development (USAID) pour soutenir une campagne de participation des femmes aux élections. En 2007, l’OSCE fait à nouveau appel à l’association Oksana pour un programme de sensibilisation à la violence domestique. Si l’association parvient à monter son propre projet d’ateliers de fabrication de kurpacha[21], le financement de ce projet est rapidement arrêté. En 2010, l’association est convertie dans la sensibilisation sur l’environnement et elle est aujourd’hui utilisée pour un projet de coopérative agricole, deux programmes de l’OSCE. Pour l’OSCE, Oksana est un centre-ressource, capable de s’adapter aux projets, qui connaît les conditions de travail avec les institutions internationales. Pour cette association, le droit des femmes est devenu un service comme un autre, interchangeable avec d’autres thématiques comme l’environnement et le développement économique.

Le troisième obstacle à la constitution d’un mouvement social autour du droit des femmes est la professionnalisation des personnes engagées et l’institutionnalisation du débat. Les « expertes en genre » locales et rémunérées par les institutions internationales ou par le gouvernement (au sein des comités du droit des femmes) conditionnent la réflexion sur les droits des femmes dans un cadre strict, celui de l’ordre en place. Charles Tilly pose le risque de la professionnalisation et de l’apparition d’une nouvelle classe d’« expertes » et d’« experts », déconnectés des enjeux locaux qui peut conduire à une « dé-démocratisation » (Tilly 2004 : 194). Le recrutement des « expertes » locales au Tadjikistan s’appuie sur un certain type de profil de femmes. Hors de Douchanbé, il s’agit majoritairement de femmes ayant eu une responsabilité politique à l’époque soviétique et étant dégagées des obligations familiales. Ce mode de recrutement n’augmente pas le nombre potentiel de personnes qui pourraient participer à la vie politique. Les « expertes en genre » ont peu de chances de pouvoir porter les revendications et les luttes des femmes. Elles sont d’ailleurs exclues des quelques manifestations spontanées de femmes dans le sud du pays. À Shahritus, un groupe de femmes a manifesté contre l’augmentation du prix de l’emplacement au bazar principal en septembre 2010. Elles ont envoyé une délégation dans la capitale pour présenter leurs revendications. Les associations de femmes n’ont pas participé à ce mouvement. Comme l’ONU en Amérique latine, les institutions internationales au Tadjikistan cherchent des partenaires, « une société civile » bien moins menaçante qu’un mouvement social, révolutionnaire ou politique (Falquet 2003).

Le Coran, un outil pour les associations des droits des femmes

Un discours sur la défense des droits des femmes à partir des principes de l’islam est né au sein des associations de femmes ou encore d’acteurs ou d’actrices évoluant autour de ces structures. Il s’oppose au discours religieux conservateur et aux interprétations patriarcales du Coran. De nombreuses présidentes d’association, dont celle de l’association Peshgirii Zurovarii Khonavodagi [Prévention de la violence domestique], affirment ceci :

[Les] dirigeants religieux au Tadjikistan ne connaissent pas le Coran. Le Coran est d’abord un message de paix et de respect. Un bon musulman ne frappe pas sa femme. J’ai entendu de très bons échos des dirigeants religieux iraniens qui sont très bien formés et qui sont très reconnus. Ce n’est malheureusement pas la même situation au Tadjikistan, ils ne connaissent rien[22].

H. G., présidente d’une ONG pour le développement de la société civile à Douchanbé et candidate indépendante aux élections parlementaires de 2000 et de 2005, soutient également cet effort pour une autre lecture du Coran : « On doit apprendre l’islam, l’islam moderne, on doit faire des recherches et développer un islam pacifique, évolué, social. Peut-être avec le modèle de Shariati, Montazeri, Nuri. »[23] D’autres initiatives s’appuient sur une interprétation réformiste du Coran pour dénoncer l’oppression des hommes sur les femmes. Ainsi, l’ONG Bonuvoni Khatlon [Femmes du Khatlon] a imprimé et diffusé une plaquette d’information dans les villages autour de Qurghon-Teppa en 2007 pour lutter contre les inégalités au sein du mariage. Ce document reprend l’article 33 de la Constitution de la République islamique sur l’égalité de droit pour les hommes et les femmes, ainsi que sept articles du Code de la famille sur le droit des femmes dans le mariage. La dernière page, « L’islam à propos de la famille », transcrit en tadjik quatre sourates sur la responsabilité de l’homme dans le divorce. Ainsi, selon le verset 241, sourate Al-Baqarah, « les divorcées ont droit à la jouissance d’une allocation convenable ».

Les travaux de l’association Gender va tapaqqiot [Genre et développement], financés par le Fonds des Nations unies pour la population (FNUP) montrent également la compatibilité entre islam et droit de la femme. En effet, à partir des versets du Coran, de hadiths ou de paroles de leaders religieux, cette association légitime le droit à la contraception et à l’avortement. Selon le verset 49 du Coran, sourate al-Qamar, Dieu a affirmé : « Nous avons créé toute chose avec mesure » et selon le verset 28, sourate An-nisa, « Allah veut vous alléger, car l’Homme a été créé faible. » Ces deux versets justifient le recours à la régulation des naissances. On peut ainsi lire sur les documents mis à la disposition de la population par l’association : « La religion musulmane encourage les naissances, mais il faut espacer les naissances d’au moins deux ans au regard de la santé de la mère et de l’enfant »; « en accord avec la croyance hanafite, l’avortement jusqu’à quatre mois (120 jours) en cas de nécessité, c'est-à-dire si la vie de la mère est en danger, est possible ».

Une autre initiative est née du conseil des oulémas de la République du Tadjikistan qui ont soulevé la nécessité de rédiger un livret sur la responsabilité de l’homme dans la famille. Ce projet est réalisé grâce à l’aide financière et logistique de l’organisation internationale UNIFEM, qui tente d’intégrer davantage les dirigeants religieux à ses programmes de développement. Le livret s’intitule Mas’uliati mard dar buniyodi binoi oila az nigohi islom. Mavod baroi imomkhatibboni macjidhoi Tojikiston [Responsabilités de l’homme dans les fondements de la famille du point de vue de l’islam. Outil pour les imomkhatib des mosquées du Tadjikistan]. L’objectif est de montrer que l’islam ne porte pas un discours patriarcal, mais que la domination des femmes est liée au contexte culturel, social et économique. Cette interprétation de l’islam dénonce le mariage forcé, le divorce par message SMS et soutient la scolarisation des filles : « Dans notre société dirigée par les aînés, les filles sont fiancées à 17 ans. Mais ils [les pères qui organisent le mariage de leurs filles avant l’âge de 18 ans] oublient un point important, c’est que le mariage demande des responsabilités et qu’ils [les jeunes] doivent aussi avoir une vie indépendante. »[24] Dans cette interprétation, les jeunes doivent être responsables et éduqués pour fonder une famille et l’épanouissement personnel est une étape nécessaire pour la stabilité et le bonheur du foyer. Des figures de femmes pieuses et actives dans la société musulmane sont données en exemple pour soutenir le rôle des femmes dans la société : « Dans la famille, la femme et l’homme sont égaux en droit. Depuis le début de l’islam, les femmes étaient très actives dans la société. Elles ont participé aux guerres, elles ont soigné les blessés, elles ont étudié et enseigné. Les meilleures d’entre elles étaient Aisha, fille d’Abubakr et épouse du prophète. »[25]

Cependant, ces interprétations du Coran, soutenues par certaines institutions internationales, restent cantonnées en réalité dans la défense des droits élémentaires dans la sphère privée. En effet, il s’agit essentiellement de programmes sur la contraception, sur le sida, sur la violence domestique, sur le droit de divorce et sur l’héritage. Promouvoir une interprétation de l’islam dans une certaine mesure et sur des sujets restreints, sous prétexte du respect de la culture locale, permet aux institutions internationales de défendre certains droits basiques des femmes tout en maintenant les Tadjikes dans un cadre bien défini. Il ne s’agit en aucun cas d’une remise en cause globale de la société ni d’un cadre pour élaborer des revendications politiques et sociales. Il existe une réelle différence entre ces citations du Coran relevées par les institutions internationales et par les ONG tadjikes et un travail de relecture et de « dépatriarcalisation » des textes religieux. En Iran, les féministes islamiques ont effectué un travail de relecture du Coran et des lois islamiques dès le début des années 90. Elles ont diffusé cette nouvelle interprétation grâce à des magazines comme Zanan [Les Femmes] dans lequel elles soutiennent la possibilité pour les femmes de prendre la direction religieuse, juridique et politique du pays tout en respectant les préceptes islamiques (Kian 2010). Par leur ancrage dans la population et par leur alliance avec les féministes laïques, les féministes islamiques jouent un rôle politique majeur dans l’opposition au gouvernement en place (Direnberger 2011). Contrairement à la situation en Iran, le contexte tadjik est marqué par l’accaparement du discours des droits des femmes par le gouvernement et les institutions internationales, par le manque d’espace de contestation politique et par l’absence de mouvement féministe.