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Dans son ouvrage intitulé Cherchez la femme : trente ans de débats constitutionnels au Québec, Chantal Maillé analyse la question des femmes et des débats constitutionnels au Québec à l’aune des thèmes de l’identité et de l’appartenance. Elle poursuit trois objectifs : démontrer la participation des femmes à ces débats, documenter la vision actuelle des femmes eu égard aux enjeux constitutionnels et remettre en question les raisons de la sous-représentation féminine dans les instances politiques officielles. Pour ce faire, l’auteure combine une discussion théorique des pistes analytiques offertes par la théorie féministe, une analyse des documents permettant de retracer les interventions des groupes de femmes dans les débats constitutionnels de 1968 à 1995 et plusieurs entrevues (sept avec des représentantes du mouvement des femmes, dix avec des leaders d’opinion et vingt avec des citoyennes engagées).

Maillé souhaite donc démontrer à la fois l’apport historique et actuel des femmes aux débats constitutionnels ainsi que la richesse de la perspective féministe postmoderne pour rendre compte de cette problématique et l’analyser. À cet égard, elle retient, entre autres, l’attention accordée à la complexité du processus identitaire, à la multiplicité des pôles d’appartenance et aux problèmes posés par la représentation, notamment concernant la diversité des femmes et le poids des groupes minoritaires. L’auteure considère qu’une nouvelle analyse doit émerger, libérée des modèles théoriques traditionnels, ce qu’elle appelle le « mode de pensée déjà encodé » (p. 25), cette analyse puisant à la source, soit dans la multiplicité des discours féminins sur la question.

Dans un premier temps, Maillé démontre qu’au Québec la majorité des interventions des femmes dans les débats constitutionnels s’est réalisée non pas dans les arènes constitutionnelles officielles, mais par l’entremise des organisations féminines. Ces dernières ont donc joué, et jouent encore, un rôle fort important de représentation politique et elles ont été très engagées lors des moments clés des débats constitutionnels, que ce soit le rapatriement de la Constitution, l’Accord du Lac Meech, l’Entente de Charlottetown ou le deuxième référendum sur la souveraineté du Québec. L’auteure retrace ainsi les diverses prises de position des femmes et dégage certains points de convergence : les groupes s’investissent dans les débats afin de promouvoir des améliorations concrètes des conditions de vie des femmes, dans l’espoir de modifier leur quotidien. Par ailleurs, les femmes s’insèrent dans le débat à partir de leur propre expertise. De plus, leurs prises de position se situent souvent à l’extérieur du débat partisan, soit de la polarisation quasi obligée entre les adeptes de l’une ou l’autre des options constitutionnelles. Pour les femmes, tout nouveau projet de société passe nécessairement par des principes d’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Finalement, le mouvement des femmes a démontré une réelle volonté de représentation de la diversité des femmes et des groupes minoritaires, même si cette volonté reste bien souvent imparfaite.

Dans un deuxième temps, l’analyse des entrevues réalisées auprès de 30 femmes permet à Maillé de confirmer ses deux hypothèses (p. 39) :

Les rapports que les femmes du Québec entretiennent avec les options constitutionnelles sont multiples. Ils sont marqués par la longue période d’exclusion des femmes des droits politiques formels et se situent dans le prolongement de cette exclusion ; ainsi, il n’y a pas de position commune des femmes par rapport aux options constitutionnelles, dans la mesure où ces positions se construisent en relation avec les processus d’identification et d’appartenance.

Les choix politiques des femmes concernant les différentes options constitutionnelles sont influencés par un ensemble de facteurs plus complexes que les caractéristiques socio-démographiques explicatives que l’on retrouve dans les sondages, tels l’âge, l’emploi, la région habitée, la langue parlée et le statut matrimonial.

Par exemple, certaines femmes définissent leur identité en fonction de concepts plus classiques comme le genre ou le territoire, tandis que, plusieurs insistent aussi sur leur profession, leur communauté d’idées et que d’autres encore refusent toute catégorisation. Il devient donc clair que les catégories normatives utilisées pour réfléchir à l’identité, notamment le groupe ethnoculturel et son niveau « d’enracinement », ne conviennent plus.

Enfin, Maillé se questionne sur les raisons expliquant la sous-représentation des femmes dans la politique institutionnelle. Selon elle, le faible pourcentage de femmes présentes découle d’une forme de discrimination systémique au sein des institutions :

[…] laquelle reproduit le modèle du politicien blanc, éduqué, appartenant à la classe moyenne, modèle qui a prévalu lors de l’instauration des institutions politiques de la démocratie représentative (p. 157).

De plus, les maigres résultats obtenus par les mesures correctives qui s’adressent aux femmes elles-mêmes, prises dans leur individualité, prouvent qu’une réforme en profondeur s’impose afin que le Québec parvienne à atteindre une représentation femme/homme égalitaire. Pour ce faire, Maillé propose une réforme du mode de scrutin en vue d’instaurer un système proportionnel et l’adoption de mesures paritaristes. À son avis, ces deux transformations permettraient une meilleure représentation des voix marginales et minoritaires, l’émergence d’un parti politique féministe et l’adoption de mesures correctives. Le plaidoyer de l’auteure pour une meilleure représentation des femmes se fait au nom du respect de la diversité femme/homme. Maillé rejette les idées plus essentialistes d’une représentation de « la Femme » ou encore d’une « façon femme » de faire de la politique. Elle conclut son livre en rappelant l’importance et l’urgence de tenir un vaste débat, au Québec, sur le sujet.

Ainsi, l’auteure propose dans son ouvrage une analyse de la problématique « femmes et débats constitutionnels » qui rend compte de toute la complexité de la question, qui n’hésite pas à renverser les idées largement admises et qui ne simplifie pas les défis posés par le rejet d’une analyse homogénéisante du point de vue du genre. De plus, cet ouvrage permet de faire entendre les voix des femmes sur les questions constitutionnelles, et ce, dans le respect de leur diversité. Il rappelle aussi avec insistance le peu d’énergie déployée au Québec pour s’attaquer au problème de la sous-représentation des femmes en politique. La proposition de Maillé, à cet égard — d’ailleurs bien documentée et argumentée —, apporte une riche contribution aux débats actuels sur le mode de scrutin.

Par contre, les ambitions de ce livre sont peut-être un peu grandes, en ce sens que l’auteure se disperse dans plusieurs voies : documenter les interventions passées des femmes dans le débat constitutionnel, remettre en question leurs positionnements actuels tout en recherchant de nouvelles pistes d’analyse, alimenter la réflexion sur l’absence des femmes en politique. La logique argumentative s’en ressent parfois, mais surtout la lectrice ou le lecteur reste un peu sur sa faim. Il nous semble que le matériel des entrevues est sous-exploité : il manque, croyons-nous, une section plus analytique à son sujet.

En outre, le saut opéré par l’auteure entre le positionnement des femmes à l’égard des débats constitutionnels et leur absence en politique nous laisse un peu perplexe. En quelques lignes, Maillé explique que, si les femmes sont engagées à l’intérieur du mouvement des femmes et non au sein du pouvoir officiel, c’est parce qu’elles sont exclues de ce pouvoir. Cette vision nous paraît un peu réductrice ou, à tout le moins, elle aurait nécessité plus de nuances. Les mouvements sociaux ne sont pas qu’un simple palliatif ou substitut du pouvoir politique. Et comme Maillé le rappelle elle-même, à plusieurs endroits, les femmes militantes — comme le sont beaucoup d’hommes d’ailleurs — sont extrêmement méfiantes et cyniques à l’égard de la politique. Elles choisissent volontairement de militer à l’extérieur de celle-ci. L’auteure opte donc pour l’étude du rapport entre les femmes et la politique institutionnelle. Ce choix se justifie et la question s’avère fort importante ; par contre, il ne nécessite pas une telle réduction du rôle des mouvements sociaux. Enfin, l’analyse de Maillé laisse de côté tout le rôle politique joué par le mouvement des femmes dans les débats constitutionnels à l’extérieur des institutions politiques, dans ce que Maheu (1992) appelle l’« espace social public-politique ». Loin de nous l’idée de le reprocher à l’auteure, mais cette question complémentaire serait aussi très pertinente à poser.