Comptes rendus

Yolande GeadahLa prostitution : un métier comme un autre ? Montréal, VLB éditeur, 2003, 294 p.[Notice]

  • Marie France Labrecque

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  • Marie France Labrecque
    Département d’anthropologie
    Université Laval

Ce n’est pas la première fois que Yolande Geadah entreprend d’aborder un sujet délicat touchant les femmes dans une perspective à la fois féministe et critique (Voir son précédent ouvrage : Femmes voilées. Intégrismes démasqués, Montréal, VLB éditeur, 2001). Dans le cas présent, elle saisit à bras-le-corps un débat actuellement en cours au sein du mouvement féministe québécois, à savoir s’il faut considérer que la prostitution est un métier comme un autre ou non, de là le mode interrogatif du titre. D’entrée de jeu, l’auteure annonce ses couleurs tout en les nuançant selon qu’il s’agit de la structure ou des acteurs sociaux, ici les personnes prostituées. Pas question de condamner ces dernières ni de nier leurs droits fondamentaux. Cependant, il n’est pas question non plus de verser dans la rectitude politique qui consiste à considérer que la prostitution est un travail comme un autre et à nier que c’est une forme d’exploitation sexuelle. L’ouvrage est donc construit de façon à appuyer cette position de départ tout en proposant une discussion des différents débats autour de la question et en suggérant de reconnaître la « dualité contradictoire inhérente à la nature même de la prostitution » (p. 18). Un des apports originaux de l’auteure est sans doute la façon dont elle campe les débats dans le processus de mondialisation et de la constitution des corps comme marchandises. C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’elle amorce son argumentation en faisant ressortir la façon dont se rejoignent la prostitution et le trafic sexuel. Elle souligne qu’en général le trafic sexuel se fait des pays pauvres vers les pays moins pauvres, du sud et de l’Europe de l’Est vers le nord ou vers l’ouest. Même si les conditions peuvent varier à l’extrême, la prostitution, tout autant que le trafic sexuel, est engendrée par la misère. Le véritable apport de cet ouvrage se situe néanmoins ailleurs : l’auteure montre de façon claire, concise et bien documentée où peut aboutir une adhésion non critique au courant féministe postmoderniste et aux positions relativistes absolues sur lesquelles il s’appuie. Voyons de quoi il s’agit. Lorsqu’on considère l’histoire, et malgré les chevauchements possibles, on trouve essentiellement trois modèles législatifs concernant la prostitution : le prohibitionnisme, le réglementarisme et l’abolitionnisme. Aujourd’hui, le prohibitionnisme, qui, comme son nom l’indique, interdit la prostitution et donc la refoule dans la clandestinité, est considéré comme totalement inefficace et n’est pas véritablement retenu au sein du mouvement féministe. Depuis les années 70 et encore davantage depuis les années 80, le véritable débat se déroule entre les versions modernes des deux autres modèles, le néo-réglementarisme et le néo-abolitionnisme, ou abolitionnisme moderne. Tous les deux placent la personne prostituée et ses droits au coeur du débat. Cependant, l’analyse que font les féministes de l’un et l’autre courant de même que les stratégies proposées sont divergentes. La façon pour les féministes néo-réglementaristes de se porter à la défense des droits des prostituées est de réclamer à la société de considérer que la prostitution est un métier comme un autre. Au coeur du courant néo-réglementariste se situe une vision néo-libérale qui met l’accent sur le choix économique de l’individu. Les néo-abolitionnistes, pour leur part, pensent que la prostitution est un système d’exploitation qui englobe à la fois les proxénètes et les clients. Si elles estiment que l’État doit sévir contre ces derniers, elles n’en dénoncent pas moins la répression qu’il exerce contre les personnes prostituées comme une violation de leurs droits fondamentaux. Le débat se tient à l’échelle internationale et oppose fondamentalement deux coalitions : la Coalition Against Trafficking in Women (CATW), néo-abolitionniste, et la Global Alliance Against Trafficking …