Présentation

Des syndicats, du travail et des femmes. Questions pour les féminismes[Notice]

  • Sirma Bilge,
  • Mona-Josée Gagnon et
  • Joëlle Quérin

La revue Recherches féministes n’avait jamais consacré de numéro à la question des femmes dans le mouvement syndical, ne l’ayant traitée qu’indirectement. Et pourtant, comme les femmes ont progressé depuis la montée du néo-féminisme au sein même des organisations syndicales durant les années 70, à l’exemple de ce qui s’est passé dans la société québécoise! Qu’il s’agisse de leur place dans les structures, des lois arrachées pour mettre un terme à la discrimination, des conditions de travail négociées, les avancées peuvent être qualifiées de considérables. Et les syndicats, après avoir ouvert la voie à des dossiers comme les harcèlements sexiste et sexuel, les problèmes de santé propres aux emplois féminins, continuent à en traiter d’autres, comme la conciliation travail-famille, le harcèlement moral, les travailleuses du sexe. Bref, il a semblé approprié de consacrer un numéro au thème « Femmes et syndicalisme ». Notre étonnement a été double. D’une part, nous avons reçu globalement peu de textes, si l’on compare aux autres numéros en moyenne; d’autre part, ces textes venaient surtout de l’étranger (France), situation là encore atypique. Nous avons donc décidé de proposer des pistes de réflexion sur le sujet, car nos constats interpellent tant la communauté des chercheuses féministes que les féministes au sein des organisations syndicales. Et, manifestement, cela a une résonance différente selon que l’on est au Québec ou en France. Nous avons donc choisi de faire davantage ici qu’un article de présentation, et de réfléchir à ce paradoxe : plus les femmes avancent, moins on s’intéresse à elles! Viennent compléter les textes scientifiques des notes d’action, lesquelles exposent de nombreux éléments de réflexion… et de possibles explications à notre paradoxe. Dans la première partie, nous brossons à grands traits un tableau de l’émergence et de l’évolution des recherches sur l’objet « femmes » dans les sciences sociales du travail en France et au Québec. Dans la deuxième partie, nous présentons les résultats d’une analyse de contenu « femmes/syndicalisme » que nous avons réalisée (1977-2006). Dans la troisième partie, nous proposons des pistes de réflexion à la fois sur la recherche sur les femmes dans les syndicats de même que sur l’action féministe syndicale, en prenant appui sur quelques différences fondamentales entre les syndicalismes français et québécois que l’on ne saurait ignorer et qui constituent un décor que l’on peut qualifier d’heuristique. Puis, bien sûr, on trouvera la présentation détaillée du contenu de ce numéro. Avant d’être syndiquées, les femmes doivent être présentes sur le marché du travail. Elles y étaient, mais la sociologie du travail – et cela vaut pour tous les pays développés – a été, jusque durant les années 70, la sociologie du travail masculin. La rareté des travaux sur le syndicalisme traitant de la problématique du genre ou, selon une désignation qui persiste, de la « question – ou condition – féminine », ne peut donc s’éclairer sans une mise en relation avec l’absence des femmes en tant qu’objets de recherche dans les sciences sociales du travail (sociologie, histoire, science politique, relations industrielles, etc.) et avec leur exclusion physique des instances de pouvoir au sein tant des organisations syndicales que des lieux de production des savoirs. Les femmes ont toujours été sur le marché du travail (Sullerot 1968; Lavigne et Pinard 1983), mais leur présence s’est accentuée au cours des années 60 , notamment avec l’expansion du secteur public (après un boom éphémère pendant la Seconde Guerre mondiale). Et pourtant, les travaux fondateurs de la sociologie du travail ont complètement occulté les femmes, ce qui a été le cas aussi par la suite des travaux sur les mouvements sociaux (Rogerat et Zylberberg-Hocquard …

Parties annexes