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Elles, ce sont les femmes qui animent les comités de condition féminine (CCF) des trois plus grandes centrales syndicales du Québec. Ces comités sont vieux déjà de plus de 30 ans. Nous avons demandé à ces femmes de se prêter à un exercice rétrospectif et analytique, indispensable à nos yeux pour mettre le présent numéro de Recherches féministes en perspective.

Nous avons donc rencontré Marie-France Benoît, responsable depuis 1998 du CCF/CSN (Confédération des syndicats nationaux), Carole Gingras, responsable depuis plus de vingt ans du CCF/FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec), et Chantal Locat, responsable du CCF/CSQ (Centrale des syndicats du Québec) depuis novembre 2004.

Voilà plus de 30 ans que la condition féminine est devenue un dossier syndical. Si l’on vous demandait de caractériser chaque décennie de l’action des femmes dans votre organisation, quels seraient les grands traits de chaque période?

Marie-France Benoît : Il est important au départ de comprendre que les luttes menées par les femmes des syndicats sont étroitement liées aux luttes portées par le mouvement des femmes du Québec et à celles qui ont été menées dans l’ensemble de la société québécoise.

Ces luttes des femmes ne datent pas d’hier. Il y a eu, pendant la période 1920-1960, des luttes nombreuses et importantes qui ont mis en lumière l’importance de l’éducation des filles et le droit d’étudier, d’avoir accès à certaines professions et de voter. Il a aussi fallu contrer le poids et les influences de l’Église sur la vie des familles, plus particulièrement sur la vie des femmes. Et, sur plusieurs aspects, toutes ces luttes ont eu des résultats concrets qui ont permis aux femmes d’acquérir une certaine autonomie financière.

Durant les années 60, l’accent a été mis sur les revendications en faveur du droit à l’égalité juridique. Puis, au cours des années 70, dans la mouvance de la Révolution tranquille, il y a eu d’importantes mobilisations en vue de la syndicalisation des travailleuses dans le secteur public et parapublic. C’était l’époque de grands mouvements de grève, du premier front commun, qui a permis des hausses de salaire importantes, de même que des améliorations substantielles dans les conditions de travail des femmes (l’accès à des postes, à des vacances et à divers avantages sociaux).

C’est en 1974 que le comité de condition féminine de la CSN est lancé. Nous avons d’ailleurs célébré son trentième anniversaire en nous rappelant tout le chemin parcouru. Que l’on pense aux luttes pour atteindre l’égalité des salaires, aux congés parentaux, dont le congé de maternité, à la mise en place des services de garde (aujourd’hui appelés les « centres de la petite enfance » (CPE)), aux débats entourant le contrôle du corps des femmes (l’accès aux moyens contraceptifs, le droit à l’avortement, etc.).

À l’interne, cela a voulu dire d’engager des débats et d’amorcer une réflexion dans l’ensemble de nos syndicats afin de faire reculer les préjugés, de modifier les comportements sexistes et de travailler à changer les mentalités.

D’ailleurs, à la CSN, 53 % de nos membres sont des femmes. Cette présence des femmes est similaire à la proportion des hommes et des femmes dans la société.

Durant les années 80 et 90, nous avons ciblé le problème de la pauvreté des femmes, la féminisation de la pauvreté et le fait que les femmes sont particulièrement touchées par les modifications apportées au monde du travail, que ce soit par la hausse du travail à temps partiel ou, plus particulièrement, sa précarisation.

Nous avons aussi voulu avancer des solutions concrètes afin d’améliorer le quotidien des femmes. À l’époque, il y a eu la mise en oeuvre des programmes d’accès à l’égalité pour favoriser l’engagement de femmes dans des milieux majoritairement masculins là où les salaires sont plus intéressants. Nous avons aussi offert de la formation spécifique et négocié certaines ententes dans les milieux de travail pour permettre l’arrivée de femmes.

Nous avons été de tous les débats menant, après de nombreuses mobilisations, à l’adoption d’une loi québécoise sur l’équité salariale, tout en soutenant les démarches spécifiques entreprises lors de négociations dans le secteur public.

Nous avons été actives afin de mieux intégrer les revendications spécifiques des femmes au regard du grand dossier de la santé et de la sécurité au travail. C’est ainsi qu’en 1983 la CSN a organisé un premier colloque international sur la santé des femmes au travail. À cette occasion, nous avons pu, entre autres, mettre en lumière la nouvelle législation sur le retrait préventif de la femme enceinte ou qui allaite.

Puis, c’est toute la question du rapport entre la famille et le travail qui sera soulevée par plusieurs militantes à la condition féminine. Dans cette optique, nous avons amorcé une réflexion dans nos rangs afin d’améliorer les pratiques syndicales. Nous avons organisé des rassemblements de femmes pour bien ancrer ces revendications et développer des solidarités. Nous avons ainsi pu améliorer notre fonctionnement en tenant compte des responsabilités familiales de façon à limiter les heures des réunions syndicales, favoriser le remboursement des frais de garde, mieux partager les tâches à assumer, etc.

À partir des années 90 jusqu’au début du xxie siècle, c’est la poursuite de ces grands thèmes-là et des luttes contre des violences faites aux femmes, telles que la violence conjugale (offrir de l’aide à ces femmes) ou le harcèlement psychologique. La lutte contre la pauvreté des femmes au Québec a pris une importance toute particulière avec l’organisation de la grande marche « Du pain et des roses », marche qui a mobilisé des centaines de femmes, en 1995.

Je garde des souvenirs inoubliables de cette marche où, chaque jour, après 20 km parcourus difficilement, nous étions accueillies avec enthousiasme et émotion par la population.

Puis, cela a été la grande aventure avec la Marche mondiale des femmes et les 2 000 bonnes raisons de marcher! Nous avons pu, en travaillant étroitement avec les groupes autonomes de femmes, élaborer des revendications touchant les femmes d’ici et d’ailleurs afin de faire reculer la pauvreté et les violences dont elles sont trop souvent les victimes. La Marche mondiale des femmes nous permet encore de maintenir le mouvement des femmes uni autour de revendications des Québécoises et de développer des liens avec les femmes des autres régions du monde. La mobilisation, avec l’arrivée de la Charte mondiale des femmes pour l’humanité, en mai dernier, a encore une fois été l’occasion de vivre cette solidarité.

Nous la poursuivons et la traduisons d’ailleurs concrètement par notre participation à certaines luttes spécifiques à caractère international, telles la lutte contre le féminicide au Mexique, à Ciudad Juàrez, et la poursuite de notre campagne de soutien à l’éducation des jeunes filles et des femmes en Afghanistan par le financement de trois classes pour l’éducation des jeunes filles.

Carole Gingras : En 1973, c’était la création officielle du CCF à la FTQ. Les femmes constituaient alors 20 % des 275 000 membres de la FTQ. Les travailleuses du secteur public participaient aux batailles du front commun pour de meilleurs salaires, une indexation au coût de la vie, une meilleure sécurité d’emploi et un congé de maternité payé de dix-sept semaines. En 1974, une expérience pilote en éducation est mise sur pied et permet à des militantes de discuter des femmes au travail et dans les syndicats ainsi que de la condition féminine en général. En 1979, la FTQ organise un premier colloque en condition féminine ayant pour thème « Une double exploitation, une seule lutte ». Ce colloque portait sur un ensemble de positions et de revendications en vue de la reconnaissance pleine et entière du droit au travail pour les femmes et de l’élimination de toute forme de discrimination sexuelle. Près de 500 militantes y participent, et ce colloque constitue un important coup d’envoi au dossier des femmes.

Durant les années 80, les femmes de la FTQ réaffirment leur volonté d’améliorer leurs conditions de travail et de vie. Elles ne demandent plus, elles exigent! Les comités de la condition féminine se multiplient dans les rangs de la FTQ. Au congrès de 1981, la FTQ adopte une politique très importante concernant la présence des femmes dans des postes de responsabilités. On reconnaît la sous-représentation des femmes dans des postes de responsabilités, on met sur pied un programme de mesures de redressement (positive action) (structures, activités de formation, conditions facilitantes pour le militantisme) et l’on recommande aux syndicats affiliés de multiplier les comités de condition féminine.

À la suite de l’adoption d’une résolution au congrès de 1981, la FTQ crée en 1982 le Service de la condition féminine, qui a pour mandat, entre autres, de stimuler et de soutenir la création de comités de condition féminine dans les syndicats et les sections locales. En même temps, l’effectif féminin de la FTQ est en pleine croissance, les femmes y représentant 30 % des membres, soit 90 000 travailleuses. Deux colloques importants se tiennent au cours des années 80 : en 1984 a lieu un colloque sur l’accès à l’égalité en emploi pour les femmes, intitulé « L’égalité source de changement »; en 1989 se déroule un autre colloque : « L’équité salariale, ni plus ni moins… une question de solidarité! ». Il engendrera l’adoption d’une politique syndicale. Au congrès de 1989, on adopte le rapport du comité sur l’accès à l’égalité des femmes dans les structures syndicales et une résolution pour la tenue d’une rencontre en condition féminine entre chaque congrès.

Pendant les années 90, le dossier des femmes prend de plus en plus de place à la FTQ et les problématiques s’élargissent. Ainsi, la conciliation travail-famille s’ajoute au congé de maternité et à la politique familiale; des revendications pour l’égalité des sexes, on passe à celles pour l’équité (salariale et en emploi). Du harcèlement sexuel, on intègre tous les aspects de la violence; à partir du retrait préventif pour les travailleuses enceintes, on investit davantage le domaine de la santé et de la sécurité des travailleuses… À la suite des tragiques événements de Polytechnique de 1989, le congrès adopte une résolution instituant la Journée de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes (6 décembre). La FTQ publie deux rapports de recherche : l’un sur la violence conjugale et ses effets en milieu de travail ; l’autre sur l’accès des femmes aux emplois traditionnellement masculins et leur intégration : Quand le masculin se conjugue au féminin. La FTQ participe au Regroupement Femmes en tête pour préparer le 50e anniversaire de l’obtention par les femmes du droit de vote au Québec. En 1995, la FTQ prend part activement aux préparatifs et aux actions de l’Année internationale de la famille, ainsi qu’aux différentes tables gouvernementales sur la conciliation travail-famille. Enfin, tous les syndicats affiliés et la FTQ jouent un rôle aux diverses étapes de la marche « Du pain et des roses » (contre la pauvreté des femmes). Les femmes de la FTQ se joignent également à la vigile et au rassemblement contre la pauvreté à Québec, de même qu’à la marche pancanadienne contre la pauvreté et au rassemblement à Ottawa, en juin 1996.

Et durant les années 2000, l’équité salariale prend une place de plus en plus importante, tant sur la scène provinciale (Loi sur l’équité salariale au Québec) que sur la scène fédérale, où la FTQ poursuit, avec le Congrès du travail du Canada, ses travaux pour l’obtention d’une loi proactive sur l’équité salariale. Nous participons à une commission parlementaire sur le bilan des entreprises employant de 10 à 49 personnes au Québec et, en avril 2003, se tient un important séminaire sur le maintien de l’équité salariale. Des femmes de la FTQ vont même jusqu’à occuper les bureaux de la Commission de l’équité salariale à Montréal pour protester contre les agissements de cette dernière. Enfin, la FTQ participe massivement à la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la commandite. Elle y soutient l’ensemble des revendications québécoises. Enfin, l’effectif féminin continue d’augmenter. Les femmes représentent maintenant plus du tiers des effectifs de la FTQ, ce qui en fait la centrale qui représente le plus grand nombre de travailleuses syndiquées au Québec.

Chantal Locat : Je suis à la CSQ depuis peu, mais je sais que la lutte à l’intérieur de la CSQ a toujours été très liée à celle des femmes au Québec. Nous sommes une centrale dont les membres, à 70 % des femmes, travaillent dans les services publics : éducation, santé et services sociaux; il est certain que cela colore nos revendications et nos actions.

En 1973, le congrès de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) élabore un plan d’action en vue de l’amélioration des conditions des femmes travailleuses au foyer ou à l’extérieur de celui-ci ou encore militantes syndicales. Inutile de dire que l’entrée massive des femmes sur le marché du travail rémunéré apporte son lot d’inégalités. Les femmes étaient cantonnées dans des emplois de services mal rémunérés et dévalorisés socialement. Le 8 mars 1974, la première fête populaire mixte organisée à Montréal par la CEQ, la CSN, la FTQ, des groupes autonomes de femmes et des organisations populaires aura pour thème : « Ménagères et travailleuses, un même combat ». Des mentalités sont à changer, et ce sera la marche des petits pas.

La CEQ a aussi mis sur pied son comité de la condition des femmes cette année-là. Les thèmes de l’heure étaient notamment la reconnaissance du travail des femmes, le droit à un salaire égal pour un travail de valeur équivalente, les garderies, l’avortement, les congés de maternité et la place des femmes dans la structure syndicale. Il reste alors encore beaucoup de chemin à faire.

Vers 1980, même si ce n’est pas un fait nouveau, on met en relief toutes les violences faites aux femmes : discrimination, harcèlement sexiste, harcèlement sexuel, agressions sexuelles, violence conjugale. En 1986, la convention collective du personnel des commissions scolaires aura des clauses pour contrer le harcèlement sexuel. La même année, la CEQ publie la recherche intitulée : La pornographie, cause importante de la violence envers les femmes.

L’accès des femmes aux études et au marché de l’emploi, les stéréotypes sexuels et sexistes ainsi que l’éducation sexuelle nous préoccupaient alors, et c’est encore le cas de nos jours. Aussi, comment donner tout l’espace aux femmes doublement discriminées, par exemple les femmes de minorités ethniques? Le port du voile islamique sera aussi un bien grand débat à la CEQ.

Les revendications et les mobilisations se poursuivent pour un salaire égal pour un travail équivalent. Le comité de la condition des femmes de la CEQ participe à la formation, en 1989, de la Coalition sur l’équité salariale. Il soulève le débat à l’interne sur la féminisation du langage : « elles » ne voulaient plus être entre parenthèses. En 1987, le comité organise un forum sur la désexisation des apprentissages. Formation, sessions de sensibilisation et fiches pédagogiques sont les outils de travail retenus pour faire avancer la cause des femmes et faire reconnaître les inégalités qui persistent.

Le portrait statistique du personnel féminin des commissions scolaires, réalisé en 1987, illustre de manière non équivoque la discrimination systémique dont les femmes sont victimes. Une lutte de plus s’ajoute ainsi au programme. En 1988, un groupe d’enseignantes d’une commission scolaire porte plainte pour discrimination systémique auprès de la Commission des droits de la personne. À ce moment-là, on trouvait très peu de femmes dans des postes de direction d’école. Pourquoi?

Le 6 décembre 1989, quatorze jeunes femmes sont assassinées, et ce, parce qu’elles sont des femmes. C’est le choc! Les féministes sont accusées de récupérer le drame. Maintenant, tous les ans, le 6 décembre, nous participons à des événements de commémoration… C’est là que l’on voit que l’égalité est loin d’être atteinte, et on nous en veut de prendre « notre » place.

En 1990, le congrès de la CEQ adopte une résolution demandant l’élaboration d’un programme d’accès à l’égalité syndicale pour les femmes. Voilà qui est loin d’être gagné encore aujourd’hui. La participation équitable des femmes au processus décisionnel est une des priorités pour le comité de la condition des femmes. En 1997, ce dernier tient un forum des femmes portant sur les différentes formes de pouvoir : « Le pouvoir, un métier non traditionnel! » Cela permettra, par la suite, la réalisation du document intitulé La déclaration du réseau de la condition des femmes de la CEQ. Nous sommes aussi préoccupées à cette époque par l’accès des femmes à des métiers non traditionnels : c’est une question de passion et, bien sûr, d’autonomie financière.

L’accès à l’égalité, l’équité salariale, la précarité, la conciliation famille-travail, la violence faite aux femmes et la pauvreté sont les principaux thèmes de mobilisation. C’est déjà pas mal… Avec la marche « Du pain et des roses », le mouvement des femmes du Québec a su mettre en évidence toute la discrimination économique dont les femmes sont victimes. La pauvreté a un sexe, c’est clair. Cette marche-là était la plus belle. C’est celle qui est ancrée le plus à l’intérieur de moi. C’est aussi celle qui a apporté le plus de gains et qui a renforcé la solidarité entre les différents groupes de femmes.

L’an 2000 évoque tout de suite la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence faite aux femmes. Ce n’est pas rien. Les femmes du Québec, dans leur belle folie, lancent l’idée d’une grande marche avec les femmes du monde. C’est la mondialisation des solidarités. La Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) devient la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), ce qui est plus représentatif des membres qui la composent.

Les dossiers suivent leur chemin. Les responsables des services de garde affiliées à des centres de la petite enfance sont reconnues comme des « travailleuses », ce qui signifie qu’elles pourront enfin se syndiquer! Cependant, dès l’arrivée du gouvernement libéral, le premier ministre Charest leur refuse ce droit. C’est fort!

L’échec scolaire des garçons fait également la une des journaux. Nous sommes tout aussi inquiètes de la situation, certaines personnes ayant même blâmé les féministes. Mais les recherches ont prouvé autre chose. Toute la société devrait se pencher sur le problème de la réussite scolaire, de l’égalité des chances. Le plus dur est qu’avec les politiques néolibérales nos membres, majoritairement des femmes, ont de plus en plus des conditions de vie et de travail qui se détériorent, alors, l’épuisement professionnel les guette…

Mondialisation, libre-échange et accords commerciaux renforcent les inégalités, on n’a pas fini d’en subir les conséquences, et les femmes sont encore et toujours celles qui en souffrent le plus.

La place des femmes dans les instances est-elle satisfaisante? La FTQ, contrairement aux autres, a une politique de quotas au bureau de direction : quelle évaluation en fait-on à la FTQ? Qu’en pensent les autres?

Marie-France Benoît : À la CSN, la réflexion s’était faite en 1994 par une consultation dans ses propres instances menant à la tenue d’un grand rassemblement des militantes de la CSN, en 1995.

Nous n’avons pas opté pour la formule de quotas. Chaque centrale a fait son choix. À la FTQ, il y a des caractéristiques spécifiques avec une majorité d’hommes et une structure basée sur le fait d’être une fédération, avec des syndicats affiliés aussi à des syndicats canadiens et internationaux. Cette situation est différente de la nôtre.

Pour notre part, nous avons adopté en 1995 un programme d’accès à l’égalité (PAE) pour les femmes de la CSN, programme qui retient huit recommandations afin de promouvoir la place des femmes et aussi de s’assurer que les responsables politiques de l’ensemble des organisations affiliées, c’est-à-dire tant les fédérations, qui sont là sur une base professionnelle, que les conseils centraux, dont le rôle est de regrouper les syndicats sur une base régionale, et que la CSN dans ses instances confédérales, aient une préoccupation importante pour viser une égalité de la représentation dans les fonctions électives des hommes et des femmes et que chaque organisation affiliée adopte un PAE qui va tenir compte de la proportion des femmes selon la représentation de son effectif. Par exemple, si je suis dans une fédération qui représente 50 % de femmes, le PAE adopté doit faire en sorte de fixer comme objectif que 50 % des personnes ayant un poste de représentation dans les instances, les conseils de direction, les comités, etc., soient des femmes.

Puis nous avons organisé un colloque, dont le thème était « Prendre l’avenir avec les femmes », pour regrouper les femmes de la CSN. Nous avons pu depuis analyser l’application du PAE. Nous avons mis à jour le portait sur la situation des femmes dans l’ensemble des organisations. Les choses ont pu avancer, mais nous devons être vigilantes et nous assurer d’un suivi et de l’application des mesures adoptées. C’est pourquoi, et c’est un de nos mandats votés au congrès de 2005, nous allons refaire une grande mise à jour du PAE, revoir les mesures et faire le point ensemble. En passant, il y a un gain qui est intéressant : on compte treize conseils centraux à la CSN et, actuellement, la majorité des postes à la présidence sont occupés par des femmes. Il s’agit d’un fait historique, c’est du jamais-vu!

Depuis 1999, il y a une égalité hommes-femmes au conseil de direction de la CSN, et cela se maintient. Mais on ne veut pas qu’une femme soit élue simplement en raison de son sexe. Ce n’est pas ainsi qu’il faut envisager cette question. Au regard de l’imposition de quotas, on doit prêter attention au fait que les postes dévolus aux femmes peuvent cacher qu’il s’agit de postes où s’exerce peu de pouvoir. À mon avis, ce n’est pas simplement le nombre de postes occupés par les femmes qui traduit leur influence réelle. Par ailleurs, le fait que des postes sont occupés par des femmes peut créer des conditions favorables au développement des préoccupations qui mettent les femmes au centre de l’action. Par exemple, la majorité des présidences des conseils centraux étant occupées par des femmes, cela favorise un appui réel aux activités des comités de femmes dans les conseils centraux.

Carole Gingras : En 1987, nous avons créé à la FTQ trois postes réservés aux femmes au bureau « exécutif ». Il s’agit en effet d’un quota, qui concerne trois postes de vice-présidentes représentant les femmes de la FTQ. Ces postes ont d’ailleurs fait l’objet d’une évaluation en 2001. Ils ont été maintenus avec des améliorations pour les titulaires.

En même temps que nous mettions en place ces postes, nous adoptions un rapport de comité, L’accès à l’égalité, en 1989. Ce rapport trace un portrait statistique de la présence et de la participation des femmes dans l’ensemble des structures syndicales, met en évidence des obstacles et propose des mesures à mettre en avant pour corriger les iniquités, et ce, pour tous les syndicats affiliés à la FTQ.

Ce rapport a ouvert toute une réflexion chez nos syndicats affiliés, qui a permis de réaliser que la participation des femmes a connu une certaine progression, mais que celles-ci sont encore loin de participer en toute égalité à tous les niveaux de nos structures. Si les femmes sont présentes dans une bonne proportion au sein de différents comités dans les sections locales, exception faite des comités sur la santé et la sécurité, sur les régimes de retraite, etc., elles semblent avoir du mal à trouver leur place à l’échelle des délégations, entre autres, au conseil général de la FTQ, où la participation féminine est très faible. Des mesures permettant d’atteindre des objectifs précis ont été proposées dans le rapport et adoptées en congrès.

Chantal Locat : La place des femmes n’est pas du tout satisfaisante. Nous sommes 70 % de femmes à la CSQ, mais, dans les postes de pouvoir, nous ne sommes même pas 50 %. C’est encore la politique des petits pas, même que, j’ai parfois l’impression qu’il y a un recul. Changer les mentalités n’est pas facile. Plusieurs pensent encore aujourd’hui que les femmes n’ont pas d’embûches, qu’elles n’ont qu’à y aller…

Toutefois, ce n’est pas vrai. Nous avons eu le résultat d’une recherche en mars 2006 sur la sous-représentation politique des femmes à la CSQ. Cela n’a pas vraiment changé depuis les années 90. Les raisons pour lesquelles les femmes n’y vont pas sont les mêmes qu’il y a plus de dix ans. On doit joindre les actes à la parole. Un vote ne suffit pas, il faut aussi une volonté. Nous avons un programme d’accès à l’égalité syndicale, mais est-ce que les milieux se l’approprient? Faudrait-il mettre un peu plus de dents aux mesures proposées? Différents facteurs se côtoient en fin de compte : qu’il s’agisse de la structure syndicale elle-même, de la façon dont le pouvoir est exercé de la conciliation famille-travail qui prend une place énorme ou du fait que les femmes ne sont encore, pour plusieurs, jamais assez compétentes pour s’y rendre […] Il faut qu’elles aient le goût de se présenter, mais pour cela on doit prendre des mesures facilitantes. Les femmes ne sont pas suffisamment soutenues.

Il y a beaucoup trop de résistances. Aussitôt qu’il est question de postes réservés, les yeux se crispent, le ton monte… Comment peut-on se rapprocher de ses membres (70 % de femmes), prendre en considération leurs préoccupations, si on ne les retrouve pas dans des postes de décisions?

Les quotas, c’est une idée très difficile à faire accepter, même pour plusieurs femmes. J’ai déjà pensé ainsi, en 1997, mais force est de constater que les choses n’ont pas avancé beaucoup depuis, et il faudra probablement en arriver là. Pas de quota, la preuve est claire, cela ne marche pas.

Les CCF et les conseillères syndicales disposent-ils d’une certaine autonomie par rapport aux instances de direction?

Marie-France Benoît : Dans les limites des orientations de la CSN, je peux dire que j’ai une très grande autonomie. Certes, le congrès et les autres instances du mouvement votent des mandats qui me lient. J’ai cependant une grande latitude pour pouvoir développer des choses, mais il y a des limites budgétaires dont je dois tenir compte. Par exemple, on ne peut pas libérer à volonté les militantes du comité national ou libérer à temps plein tous les réseaux de condition féminine. Cependant, il existe une forme importante d’autonomie, et cela relève beaucoup de l’organisation du travail de la CSN, soit l’autonomie professionnelle est là. Le cas des comités de condition féminine est différent de celui des conseillères, les premiers étant encadrés par les statuts et règlements de leur propre organisation et donc, encore une fois, cet encadrement est là et peut être très variable. Il y a aussi certains comités qui ont moins de latitude que d’autres, et cela n’est pas attribuable aux règlements et statuts, mais au fonctionnement de leur équipe. Dans la mesure où les militantes ont à coeur de réaliser des projets, en général, il y a un appui, mais c’est variable. On peut avoir des militants qui ne s’intéressent pas vraiment à la question des femmes et un président de syndicat qui ne trouve pas cela important, mais, quand des personnes le souhaitent, des personnes qui sont minimalement combatives et qui savent où elles veulent aller, il est possible de faire beaucoup de choses.

Carole Gingras : Bien sûr, nous avons une autonomie dans notre travail de conseillères syndicales. La mission générale est de contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail des femmes en participant activement à la vie syndicale. C’est un rôle technique que les conseillères au dossier des femmes jouent. À la FTQ, c’est nous qui alimentons, entre autres, le CCF de la FTQ et la FTQ dans le dossier des femmes. En travaillant au Service de la condition féminine, nous sommes branchées sur l’actualité et les diverses coalitions. Il faut assumer le suivi des congrès. Nous devons constituer des dossiers, appuyer les luttes des femmes, préparer des réunions, participer à diverses recherches, diffuser de l’information et produire des publications, faire de la représentation, participer à des consultations publiques, etc. Sans oublier le travail avec les autres services de la centrale pour établir des ponts sur les grandes priorités.

Chantal Locat : Je dirais que oui une certaine autonomie existe. À la CSQ, la responsable du CCF est élue par le conseil général, elle n’est pas engagée par l’organisation, ce qui lui donne encore plus d’autonomie d’une certaine façon par rapport au comité exécutif (CE), elle doit soutenir les revendications des femmes qu’elle représente. Cependant, cela se fait toujours dans le respect des décisions du congrès. On est là pour ébranler un peu l’ordre établi afin de faire ressortir les inégalités persistantes… Mais il ne faut pas oublier que les membres sont aussi une force alliée. On se doit d’être proactives. Enfin, je pourrais dire que parfois, les discussions sont houleuses, mais, avec des arguments solides, de la persévérance et de la bonne volonté, les idées font leur chemin. Les gains obtenus dans notre syndicat ou dans la société ont souvent été des luttes d’abord portées par les femmes : garderies, congés de maternité, équité salariale, harcèlement psychologique, et j’en passe…

Quels sont actuellement vos dossiers prioritaires?

Marie-France Benoît : Nous sortons d’un congrès tenu en mai 2005. Nous avons voté cinq grands thèmes à travailler au cours des trois prochaines années, et cela, en plus des autres dossiers sur lesquels nous nous penchons généralement, que ce soit la célébration du 8 mars, la Journée internationale des femmes, la poursuite du travail sur la question de la violence et du harcèlement, les liens avec le mouvement des femmes dans le contexte de nombreuses coalitions, dont la coordination que j’assume dans le Regroupement pour un régime québécois d’assurance parentale, ou l’appui à des dossiers concrets portés par des fédérations, etc.

Le premier grand thème concerne la poursuite de la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes : nous soutenons, avec l’ensemble du mouvement des femmes, la nécessité de maintenir le Conseil du statut de la femme et le Secrétariat à la condition féminine avec des missions identiques et les budgets nécessaires à leur bon fonctionnement, de même qu’une véritable politique de l’égalité que doit déposer sous peu le gouvernement Charest.

L’autre thème concerne la syndicalisation des femmes : nous voulons mieux comprendre les secteurs où travaillent les femmes, comment mieux se préoccuper des milieux de travail où se trouvent les femmes, tels que le secteur des services où elles travaillent à temps partiel, à petit salaire et avec beaucoup de précarité.

Nous avons aussi retenu la Marche mondiale des femmes et la solidarité internationale. D’ailleurs, nous allons nous engager concrètement en allant soutenir le travail du Secrétariat international lors de la sixième rencontre internationale qui se tiendra au Pérou prochainement.

Nous souhaitons également poursuivre notre participation afin d’améliorer la prise en charge des revendications concernant la nécessaire articulation ou conciliation famille-travail, la place et l’importance de la politique familiale et la défense des CPE.

Notre dernier sujet est les femmes en milieu traditionnellement masculin. Nous voulons mettre à jour une recherche qui a déjà été faite dans ce dossier, développer un meilleur accueil dans les milieux de travail et mieux tenir compte de l’arrivée des femmes dans les milieux historiquement réservés aux hommes. Il y a énormément de choses à faire. Ce sont des femmes fort courageuses qui travaillent dans ces emplois où elles sont très minoritaires. À titre d’exemple, je parlais récemment à une femme qui venait de perdre son emploi parce qu’elle ne pouvait pas arriver sur les chantiers de construction avant l’ouverture du CPE à 7 h 30. C’est injuste, mais c’est la triste réalité!

Carole Gingras : La syndicalisation des travailleuses est un dossier prioritaire. Elles sont encore majoritairement dans des secteurs d’activité « féminins » comme les bureaux, la vente, les soins de santé, l’enseignement. Elles sont aussi sur-représentées dans les emplois atypiques. Or, ces derniers sont souvent caractérisés par de faibles salaires et avantages sociaux, peu de protection sociale et de sécurité d’emploi. Il s’agit là d’un défi important, soit rejoindre ces travailleuses qui se trouvent souvent dans de petits milieux de travail où la syndicalisation est plus difficile.

Le dossier de l’équité salariale est un incontournable! Il s’agit d’un dossier clé pour la reconnaissance à sa juste valeur du travail des femmes. Le concept d’« équité salariale » est un droit fondamental reconnu depuis longtemps par divers instruments internationaux ratifiés par le Canada (Loi canadienne sur les droits de la personne, 1977) et par le Québec (Charte des droits et libertés de la personne du Québec, 1975). La Loi sur l’équité salariale, adoptée en 1996 par l'Assemblée nationale, comprend une démarche spécifique pour y arriver. Comme toutes les lois, celle-ci n’est pas parfaite, et à la FTQ, nous nous en servons comme d’un outil de grande valeur. Les efforts pour établir l’équité salariale dans nos milieux de travail sont nombreux et une autre phase, le maintien de l’équité salariale, est aussi importante et comporte de nombreux défis.

J’ai parlé beaucoup de conciliation travail-famille. Qui n’a pas d’obligations en dehors du travail, que ce soit à l’égard d’enfants, de parents âgés, de proches qui sont malades ou ont des besoins spéciaux, ou encore à l’égard de soi-même (vie sociale, syndicale, communautaire, études et perfectionnement)? Les hommes comme les femmes sont visés, bien que les femmes continuent d’assumer la plus grande part des tâches et des soins. Nous avons travaillé beaucoup sur divers volets liés à cette importante question, notamment les services de garde à l’enfance, l’assurance parentale (congés et remplacement du revenu liés à la venue d’un ou d’une enfant) et la conciliation travail-famille. Le défi consiste maintenant à obtenir une véritable politique québécoise sur la conciliation travail-famille et la mise en place de réelles mesures dans les entreprises.

Les femmes et la santé et sécurité : on croit souvent à tort que les emplois occupés par les femmes ne comportent aucun danger. Or, les femmes sont peut-être deux fois moins victimes d’accidents de travail que les hommes, mais elles souffrent deux fois plus de lésions professionnelles. Et ces maladies professionnelles ont un effet à plus long terme. À la FTQ, nous travaillons depuis 1993 avec l’équipe « L’invisible qui fait mal », dans le contexte d’un vaste programme de recherches sur le terrain concernant la santé et la sécurité des travailleuses. Il s’agit d’un partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur la biologie, la santé,  la société et l’environnement (CINBIOSE) et l’Université du Québec à Montréal (UQAM). L’objectif est de rendre visibles les problèmes de santé des femmes au travail et de mettre en évidence les conditions de travail problématiques. Toutes les recherches sont effectuées avec la collaboration de divers syndicats affiliés.

Enfin, nous avons plusieurs autres priorités, notamment les violences au travail, dont le harcèlement psychologique, l’accès et le maintien des femmes dans les emplois « non traditionnels » et la mondialisation.

Chantal Locat : Dans nos décisions de congrès, nous avons retenu trois priorités cette année au CCF : le programme d’accès à l’égalité syndicale, la conciliation famille-travail-militantisme et l’hypersexualisation. Ce dernier dossier est très présent, et ce, depuis plusieurs années. On dirait que, plus on avance, plus on recule. Ce n’est pas avec des publicités sexistes, dont nous sommes des otages, des émissions comme Loft Story, des vêtements pour les jeunes filles où on les déshabille plus qu’on les habille… que l’on arrivera à proposer des rapports égaux, de la dignité. Cela me rappelle le « Sois belle et tais-toi »… Nous sommes en partenariat avec le Service aux collectivités de l’UQAM : nous travaillons à la réalisation de fiches pédagogiques et de formation sur cette question.

La relève militante féministe, c’est aussi un enjeu majeur pour les années à venir.

La CSQ est partenaire également avec l’équipe « L’invisible qui fait mal » de l’UQAM. Dans ce cas, nous examinons la santé des femmes au travail par l’entremise de recherches sur le terrain.

Nous sommes bien sûr avec les femmes du Québec et du monde entier. Donc nos actions entourant la Marche mondiale se poursuivent. Contre la pauvreté et les violences faites aux femmes… je pense que l’on va marcher encore pendant des années.

Les problèmes éprouvés par les syndicats ces temps-ci, notamment la dégradation du marché du travail, se répercutent-ils différemment sur les conditions de travail des femmes?

Marie-France Benoît : Oui. Les temps sont durs, tant pour les femmes du secteur public que pour celles du secteur privé, avec le vent de droite qui souffle présentement. Une partie importante de nos membres doivent subir les attaques et les reculs dans le secteur public, comme le dernier décret l’illustre fort bien. Particulièrement chez nous, c’est le cas dans le réseau de la santé, où les travailleuses ont vu leur convention collective être attaquée de façon sauvage.

Les lois qui ont modifié l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux de même que l’organisation complète des syndicats sont très difficiles à vivre pour plusieurs militantes et travailleuses. C’est antidémocratique et triste. Je pense aussi au secteur privé où de plus en plus d’emplois sont précarisés en raison de la sous-traitance, des risques de fermeture, etc.

Il faut également être aux aguets pour la défense de nos programmes sociaux. Je songe particulièrement à l’allocation de 1 200 $ que le premier ministre canadien, Stephen Harper veut donner aux familles ayant de jeunes enfants, et ce, tout en refusant de respecter les ententes négociées avec le gouvernement du Québec concernant le financement des services de garde. Sous prétexte de soutenir les familles, n’est-on pas en train de préparer en douce la privatisation des services de garde?

Carole Gingras : Oui, les problèmes se répercutent, et oui, on travaille ensemble pour mener des actions afin de trouver des solutions communes. Par ailleurs, je voudrais aussi ouvrir la discussion sur les pertes d’emplois. Dans certains secteurs, par exemple dans le secteur manufacturier, il y a eu énormément de pertes d’emplois au Québec. Voilà plus de deux ans que nous intervenons aux différents paliers de gouvernements pour tirer la sonnette d’alarme sur la disparition d’emplois, notamment dans le secteur du vêtement et du textile, où se retrouvent un grand nombre de travailleuses, dont plusieurs sont issues d’une communauté culturelle. Ces femmes ont perdu leur emploi et les gouvernements n’ont pas fait grand-chose pour les soutenir.

C’est toute la question de la compétitivité des entreprises qui se pose. Celles-ci disent : « On peut faire mieux avec moins », c’est à peu près cela. C’est un discours raccourci, tandis que les droits et les conditions de travail sont remis en question : « Vous êtes les mieux payés, vous avez des avantages, si vous vous comparez avec d’autres. » Cela a été vérifié dans le cas de l’équité salariale, où certains chefs d’entreprise disaient : « Pourquoi faire l’équité salariale? » Nous assistons de plus en plus à la « wal-martisation » des emplois proches du salaire minimum, sans régime de retraite ou d’assurance, avec pour seule bouée de sauvetage le recours à des banques alimentaires, des comptoirs de vêtements et des mesures d’aide temporaires. Nous menons des luttes importantes pour syndiquer des travailleuses, notamment dans le commerce ou la restauration. C’est une lutte difficile à mener, car nous faisons face à des multinationales qui contestent de façon systématique le droit à la syndicalisation.

Chantal Locat : Comme nous travaillons dans les services publics (majorité de femmes) et que notre patron, c’est le gouvernement, il va sans dire que les membres chez nous en ont plus qu’assez! Les gels de salaire, les conditions de travail qui se détériorent, l’épuisement professionnel et la désertion professionnelle, je ne sais pas ce que cela va prendre pour que le gouvernement comprenne. Je ne crois pas qu’il soit possible d’aller plus bas. Chez nous, une travailleuse ou un travailleur sur trois est susceptible d’être victime d’épuisement professionnel!

Du point de vue professionnel, les mauvaises conditions de travail sont ce qui touche le plus les femmes du réseau de la condition des femmes de la CSQ.

Les CCF sont-ils proches des groupes de femmes?

Marie-France Benoît : Oui, les CCF sont proches des groupes de femmes, particulièrement dans nos régions, où nous avons des CCF dans chacun des conseils centraux. Il y a aussi des tables régionales de groupes de femmes et, dans beaucoup de cas, la représentante de la CSN siège avec les autres femmes à ces tables régionales.

Nous sommes également très actives dans de nombreuses coalitions, que ce soit avec le Collectif du 8 mars, des coalitions sur l’équité salariale, sur les congés parentaux ou avec la coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes.

Tant au niveau national que dans l’ensemble de nos structures, nous avons développé une grande complicité avec les groupes de femmes. C’est une force importante, porteuse d’espoir et de solidarité.

Carole Gingras : Je dirais que les CCF sont très près des réalités des conditions de travail. Ils interviennent aussi sur des questions sociales, lesquelles se rapprochent des préoccupations des groupes de femmes. Ces comités font beaucoup de travail en coalition avec les groupes de femmes, entre autres, sur l’assurance parentale, l’équité salariale, la conciliation travail-famille, le 8 mars. Sans oublier la Marche mondiale des femmes, qui est un bon exemple de la solidarité que l’on peut développer ensemble, des objectifs et des priorités. Ainsi, les CCF font partie du mouvement féministe, il n’y a aucun doute.

Chantal Locat : Oui, je crois que les CCF sont proches des groupes de femmes. On tente de se connecter à la base. Ce n’est jamais parfait, mais on se sert des évaluations et des sondages auxquels les femmes ont répondu pour choisir une bonne partie des thèmes qui seront proposés lors des réseaux. Le 6 décembre, le 8 mars et la Marche mondiale des femmes sont porteurs d’une bonne mobilisation. Toutefois, ce qui est dommage, on a beau travailler sur des dossiers, faire des avis, concevoir des fiches pédagogiques, si les syndicats ne les diffusent pas largement à la base, c’est peine perdue… et… cela arrive.

Comment analysez-vous la multiplication de comités de nature identitaire?

Marie-France Benoît : Je n’ai pas vraiment de problème à accepter ces comités parce qu’il y a des luttes spécifiques à mener. La question des femmes est transversale, c’est-à-dire que cela ne peut se limiter à une seule identité. Il y a deux sexes. Et cela traverse toutes les identités. On pense et on continue de penser à la CSN qu’il y a une oppression spécifique des femmes qui est basée sur le sexe, et cela fait en sorte de transporter plein de discriminations systémiques basées sur le travail, le salaire et sur la quasi-absence des femmes de la vie politique. Si l’on tient compte de cette analyse-là, il est évident que la question de la lutte des femmes est de viser à l’égalité et de faire en sorte que la question des femmes, la question spécifique des femmes, traverse l’ensemble des préoccupations de la CSN, et ce, que l’on soit jeune, lesbienne, vieille, etc. Pour autant, je ne nie pas le fait qu’il puisse exister une nécessité d’avoir des comités qui, de façon plus pointue encore, font en sorte de mettre en lumière les problèmes qui leur sont propres.

Carole Gingras : À la FTQ, nous avons un comité sur les droits des gais et lesbiennes, un comité sur les jeunes. Ces comités-là sont des lieux pour mettre en lumière leur situation, leurs réalités, les obstacles rencontrés, et c’est très correct. Maintenant, cela vient-il diluer le travail des CCF? Pas du tout, pour autant que ces comités soient maintenus. Cependant, il est intéressant que les CCF tissent des liens avec les autres comités. Par exemple, nous avons eu au moins deux rencontres avec le comité sur les jeunes à la FTQ, pour faire des débats ensemble sur le dossier de la conciliation travail-famille. Ces rencontres se sont d’ailleurs tenues à la demande du CCF de la FTQ. Et nous avons fait la même chose avec le comité sur la santé et la sécurité au travail.

Chantal Locat : À la CSQ, on les appelle des comités-conseils. Ils ont à réfléchir sur des dossiers qui les préoccupent. Alors, c’est essentiel. Ces comités sont indispensables pour faire des prises de conscience. Nous avons justement des recommandations de congrès là-dessus, qui réaffirment leur importance. Il nous est déjà arrivé de travailler avec le comité et le réseau des jeunes sur la relève syndicale ou la conciliation famille-travail. Il y a des liens possibles, des dossiers où l’on aurait avantage à échanger plus pour mieux connaître des différences de points de vue. Cependant, il existe aussi des spécificités que l’on ne peut taire. Tant qu’il y aura des inégalités, de la discrimination, on verra des regroupements.

Les jeunes femmes syndiquées sont-elles féministes? S’identifient-elles à l’action des CCF?

Marie-France Benoît : Plusieurs jeunes femmes tiennent pour acquis qu’elles sont libres de faire leurs choix et que l’avenir sera radieux. Cependant, parce que des reculs potentiels arrivent à nos portes, je pense qu’il faut qu’elles continuent de s’identifier au fait que, parce qu’elles sont des femmes, elles doivent s’engager, faire preuve de vigilance et poursuivre des luttes que l’on qualifiera de féministes ou non.

Avec la complicité de jeunes militantes de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), des jeunes femmes s’identifient au féminisme. Dans les rangs de la CSN, elles vont reprendre des orientations et des luttes concrètes sans nécessairement les qualifier de « féministes ». Ce mot-là a effectivement toujours posé problème. Il est un peu tabou encore dans notre société.

Carole Gingras : Je pense que les jeunes femmes ne sont peut-être pas toutes féministes, mais qu’elles arrivent à s’affirmer sur des sujets particuliers. Aux comités de jeunes, on voit des jeunes femmes s’engager personnellement et souvent elles sont très militantes. On les voit dans des manifestations, dans des mobilisations importantes qui les touchent de près. J’ai vu des jeunes femmes participer aux marches organisées par la FFQ. Cependant, il y a un problème avec les CCF. Les jeunes femmes s’identifient peut-être plus à des comités de jeunes qu’à des comités de femmes. Donc, nous croyons qu’il faut organiser des activités communes et parler de leur engagement, de la relève aux CCF. Il faut aussi cibler davantage nos activités pour mieux les rejoindre. Il est clair que nous avons du travail à faire pour qu’elles soient davantage présentes aux CCF et nous devons leur tendre la main. Je suis certaine qu’un très grand nombre d’entre elles sont féministes, à leur façon. Elles ont en effet une vision différente du féminisme, et il nous faut composer avec cela.

Chantal Locat : Je pense que cela dépend du domaine. Ainsi, dans le mouvement des femmes au Québec, les jeunes féministes, elles sont là et elles sont présentes. Par contre, si l’on considère l’intérieur même de la CSQ, mon opinion est très mitigée. La réalité est très différente, variable. À mon avis, c’est une question d’éducation et de sensibilisation. Est-ce que nos membres sont syndicalistes? Pas de manière unanime. Toutefois, quand une personne prend connaissance de toutes les luttes, des gains, et bien là, elle adhère aux idées de la CSQ, et y milite plus facilement.

Nous sommes dans une période de reculs, le droit à la négociation est brimé, les antiféministes font la une plus facilement que les féministes. De nos jours, le droit à l’égalité et à la dignité n’est pas facile.

L’histoire ne doit pas être oubliée…

L’ancien comité des femmes de la CSN s’était sabordé durant les années 60 pour permettre une pleine intégration des femmes. Pouvez-vous imaginer qu’un jour il ne soit plus nécessaire d’avoir un dossier « femmes » et d’offrir des services à cet égard?

Marie-France Benoît : Je pense que non. Cela voudrait dire qu’il y a dans notre société une réelle égalité de fait entre les hommes et les femmes, et ce, à tous les niveaux. Qu’il n’y a plus de division sexuelle dans le monde du travail, qu’il n’existe plus de harcèlement sexuel et que le pouvoir est également partagé. Que les femmes sont intégrées facilement où elles veulent dans tous les milieux de travail, peu importe les secteurs. Ce serait seulement à ce moment-là que l’on pourrait remettre en question la pertinence d’avoir encore un CFF! Et il faut aussi considérer les différences qui existent entre les femmes elles-mêmes, selon leur appartenance de classe, etc. Bref, les CCF ont encore une longue vie devant eux…

Carole Gingras : J’espère que la population ne pense pas que l’égalité pour les femmes est atteinte. D’après moi, beaucoup de personnes estiment que tellement de choses ont été faites qu’il faudrait mettre les énergies ailleurs. Bien entendu, les syndicats sont un reflet de la société aussi, car à force d’entendre cela et de le lire dans les journaux, bien des personnes se disent que c’est probablement vrai. Alors nous avons le devoir de contrer ce discours et de faire la preuve qu’il subsiste encore beaucoup de discriminations à l’égard des femmes. C’est pourquoi nous croyons que, à un moment où les acquis des femmes sont sérieusement fragilisés, il faut travailler à les maintenir et ne pas céder à la tentation d’intégrer les CCF dans d’autres structures syndicales. Le rôle de l’État est crucial pour y arriver. Il doit démontrer une volonté politique réelle de maintenir et d’améliorer les ressources et les structures en matière de condition féminine au sein du gouvernement.

Chantal Locat : Quand on viendra me prouver qu’il n’existe plus de discrimination, qu’il n’y a plus de violence qui est faite aux femmes, que les femmes ne sont pas les plus pauvres, qu’elles ne sont pas les plus précaires, qu’elles n’ont aucune difficulté à concilier le travail et la famille, etc., là, on pourra peut-être envisager l’abolition des CCF. Car tout cela est lié à des droits. Je ne pense pas que cela soit acquis à l’heure actuelle, surtout quand on voit la montée des intégrismes.

L’intégrisme religieux est directement une atteinte aux droits des femmes. De même, le conservatisme politique ainsi que la montée de la droite sont gages de recul et pour les syndicats et pour les femmes. Souvent aussi, ce sont les femmes qui travaillent dans les manufactures qui sont touchées par les impacts du libre commerce… Il y aura toujours des luttes, ici comme ailleurs.

Vous travaillez au sein d’organisations plus ou moins féminisées. Cela suppose-t-il que vos actions sont plus ou moins facilitées ou encore de nature différente?

Marie-France Benoît : Tant de facteurs influent sur le déroulement et la prise en charge de nos actions. Il est certain que plus on comptera de femmes dans nos organisations, plus il y aura évidemment une prise en charge de nos préoccupations. Pour nous, il est fort intéressant de constater qu’à la CSN une femme est présidente. Ce n’est pas magique, mais cela permet de poursuivre concrètement les engagements et les orientations féministes. Cependant, je ne dis pas que les hommes qui étaient là avant ne s’en préoccupaient pas, mais c’est certain qu’il y a maintenant une plus grande sensibilité. Il existe une majorité de présidentes dans les conseils centraux et une présence évidente de femmes dans les conseils de direction des organisations. Toutefois, il y a dans certains comités, comme le comité de santé et de sécurité, on a vécu un certain recul concernant la présence de femmes. Un point est certain, les choses bougent : des personnes prennent leur retraite, d’autres changent de fonction et de nouvelles militantes s’engagent davantage.

Carole Gingras : On compte plus du tiers de femmes chez les membres de la FTQ, et c’est quand même cette dernière qui représente le plus grand nombre de travailleuses syndiquées au Québec. Il ne faut pas oublier cela. C’est vrai que l’on est minoritaire à la FTQ, il faut le dire, et je suis convaincue que c’est différent par rapport à la CSQ, par exemple, où les femmes sont largement majoritaires. Alors cela teinte assurément la façon de travailler, parce qu’on agit donc toujours à deux niveaux. Le projecteur est dirigé sur les problématiques spécifiques des femmes et en même temps sur l’ensemble des priorités syndicales pour intégrer les préoccupations des femmes. Il faut toujours avoir le souci de travailler avec les militantes et avec l’ensemble des directions syndicales, de refaire les ponts constamment pour éviter de s’isoler et pour s’assurer de continuer à faire progresser la situation des femmes.

Chantal Locat : Oui, l’argument est sûrement le nombre. Cela aide d’avoir le nombre. Cela donne un poids le fait d’être nombreuses. L’histoire, les statistiques et le gros bon sens, cela aide. Dans certains syndicats, depuis quelques années, on remet en question la pertinence des CCF ou le fait d’avoir une « libérée politique » à temps plein pour ces dossiers. C’est dire qu’il faut encore se retrousser les manches. Rien n’est jamais acquis.