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L’histoire des services de garde au Québec a été marquée par la mobilisation constante des parents et des travailleuses de ce réseau. Dans un premier temps, les efforts ont été concentrés pour faire reconnaître l’importance des services et, par la suite, pour améliorer les conditions de travail. Afin de mieux faire comprendre les enjeux actuels du réseau et les batailles des travailleuses pour l’obtention de l’équité salariale, nous présentons ci-dessous un bref survol historique.

En 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale, des garderies ont été créées avec l’aide du gouvernement fédéral, car celui-ci avait besoin de femmes sur le marché du travail, particulièrement dans les usines d’armement. Ces garderies ont fonctionné jusqu'à la fin de la guerre, en 1945, et ont alors été fermées pour inciter les femmes à retrouver leur place au foyer.

Ce n’est qu’au début des années 70 que des groupes populaires et des groupes des femmes ont mis sur pied des garderies pour faciliter l’accès des femmes au marché du travail dans le but de créer des conditions favorisant l’égalité entre les hommes et les femmes et de mettre à leur disposition des services répondant aux besoins à combler en vue du développement des enfants. De nombreuses luttes pour la reconnaissance des garderies ont été menées par ces groupes, dont les comités de condition féminine des organisations syndicales et les syndicats des travailleuses et des travailleurs des garderies affiliés à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) de la Confédération des syndicats nationaux, (CSN) à partir des années 80.

Les revendications des années 70 et 80 avaient pour objet la mise en place d’un réseau de garderies universel, accessible, gratuit, financé par l’État et contrôlé par les parents et les travailleuses.

À compter de 1974, l’État a accepté de financer les garderies, qui relevaient alors du ministère des Affaires sociales, par l’entremise d’une aide financière directe aux parents. En 1978, les garderies ont commencé à recevoir des subventions directes (environ 15 % de l’aide financière accordée aux parents). En 1979, par des pressions et des luttes des garderies, les critères de subvention ont été modifiés en fonction du nombre de places. Des subventions ont également été accordées pour les pouponnières.

En 1983, plusieurs garderies, particulièrement à Montréal, ont dû faire la grève des loyers en raison du manque de financement de l’État. Après de dures batailles, les garderies obtenaient des subventions au logement, mais ces dernières ne couvraient même pas le coût du loyer. Grâce aux pressions et aux luttes, les garderies ont réussi à obtenir un certain financement. Il faut se rappeler qu’à cette époque les tarifs dans les garderies variaient beaucoup d’une région à l’autre et même d’une garderie à l’autre (en règle générale, il en coûtait de 20 à 30 $ par jour par enfant).

Jusqu’à récemment, les programmes d’aide gouvernementaux aux garderies ont toujours été considérés comme des mesures d’assistance sociale, les gouvernements refusant systématiquement de reconnaître la responsabilité collective de la société en ce qui a trait à la garde et à l’éducation des enfants d’âge préscolaire.

En 1979, l’adoption de la Loi sur les services de garde et la création de l’Office des services de garde à l’enfance ont permis de modifier certaines mentalités quant à la place de l’enfant dans la société. Cela a été un pas important dans le bon sens. Le financement des garderies avait alors deux sources principales : les frais de garde payés par les parents et la subvention indirecte du gouvernement sous forme d’aide financière aux parents. Sans compter le bénévolat qui, même sans être comptabilisé de façon officielle, représentait et représente encore une contribution souvent importante.

En 1997, le gouvernement du Parti québécois adopte une nouvelle politique familiale et crée le ministère de la Famille et de l’Enfance. Les garderies deviennent à ce moment-là des centres de la petite enfance (CPE) qui donne des services autant dans le milieu familial que dans les installations. Dès lors, les parents ont bénéficié d’une réduction et d’une uniformatisation du tarif à 5 $ par jour, tandis que les CPE ont vu leur subvention directe augmenter pour compenser la part que les parents ne payaient plus. Depuis, les CPE se sont développés : le Québec offre 40 % du nombre de places en garderie existant au Canada. Cette politique répondait aux revendications formulées depuis des années par le milieu.

En 1999, la ténacité et la combativité de milliers de syndiquées à la FSSS-CSN ont permis l’obtention d’une politique salariale avec d’importantes augmentations salariales et la mise sur pied de deux comités : l’un portant sur un régime de retraite et l’autre, sur l’application de la Loi sur l’équité salariale dans le secteur des CPE.

Ce n’est qu’en 2002, après le recours à la grève comme moyen de pression, qu’un règlement survient dans le dossier du régime de retraite. Un régime entre en vigueur le 1er avril 2003.

Cette année-là, avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral, le réseau est en état d’alerte. Plus les mois avancent, plus les craintes se confirment. Malgré une promesse électorale de ne pas hausser le tarif de 5 $, le gouvernement l’augmente à 7 $ et annonce une nouvelle politique familiale. Peu de temps après, le réseau subit des compressions successives de 43 millions et de 40 millions de dollars.

La même année, le gouvernement vote une série des lois en imposant le bâillon à l’opposition, dont le projet de loi 8 qui enlève le droit à la syndicalisation aux responsables des services de garde en milieu familial. En 2005, il dépose son projet de loi 124 à partir duquel la loi sera adoptée par le gouvernement en imposant le bâillon en décembre 2005 malgré une énorme mobilisation et une vaste coalition pour le maintien des services de garde en vue de contrer ce projet de loi.

Cette nouvelle politique plonge le réseau dans une restructuration complète des services puisque, dorénavant, les services de garde en milieu familial seront dispensés par des bureaux coordonnateurs en éloignant le milieu familial du soutien des CPE. Le sens communautaire et la proximité des services aux enfants sont mis de côté. C’est dans ce contexte que la longue lutte des travailleuses des CPE pour la reconnaissance de la valeur de leur travail et l’amélioration de leurs conditions de travail se déroule.

Le personnel des CPE se mobilise pour faire reconnaître le travail effectué dans le réseau et pour améliorer les conditions de travail depuis 25 ans. Jusqu’en 1999, les éducatrices étaient considérées comme des « gardiennes » malgré la formation et l’expérience qu’elles possédaient.

Au début de 2006, le réseau des CPE est constitué de 1 004 centres, de 14 200 responsables des services de garde en milieu familial et de 512 garderies privées (Perspectives CSN 2006 : 17).

L’équité salariale

Dans un avis qu’il adressait au gouvernement en 1994, le Conseil du statut de la femme recommandait de procéder à une valorisation importante des salaires dans le secteur des services de garde.

Si les recommandations du Conseil du statut de la femme s’appliquaient en 2006, les éducatrices gagneraient 24,12 $ l’heure comparativement au taux horaire de 18,73 $ qu’elles reçoivent actuellement au sommet de l’échelle, c’est-à-dire après dix ans de service, donc un écart de 31 %. Pour arriver à cette conclusion, le Conseil du statut de la femme s’est servi des outils d’évaluation des emplois du Conseil du trésor et des salaires établis dans le secteur public, en tenant compte que le bailleur de fonds principal est le gouvernement (85 % des budgets).

En 1996, l’entrée en vigueur de la Loi sur l’équité salariale a remis à l’ordre du jour la problématique de la discrimination salariale et des ghettos d’emplois à bas salaires, où l’on retrouve surtout des femmes. Or, on relève souvent les conditions salariales existant dans les services de garde comme un exemple typique de discrimination salariale. Même les gardiens de zoo sont mieux rémunérés que les éducatrices en garderie!

Rappelons que la Loi sur l’équité salariale a pour objectif de corriger, au sein d’une même entreprise, les écarts salariaux dus à la discrimination fondée sur le sexe à l’égard des personnes qui occupent des emplois dans des catégories d’emploi à prédominance féminine.

La loi favorise une approche par étapes. Selon la loi, chaque employeur est responsable de l’application de la démarche d’équité salariale dans son entreprise, il appartient donc à chaque CPE de se conformer aux obligations que lui impose la loi. Cependant, comme le gouvernement est le principal bailleur de fonds dans les CPE, il serait presque impensable qu’il ne soit pas lié par les résultats de la démarche d’équité salariale. C’est pour cette raison que les travaux en vue de contrer la discrimination salariale ont été effectués par un comité de travail tripartite (le ministère de la Famille et de l’Enfance, l’Association québécoise des centres de la petite enfance et la CSN).

Depuis l’entente de principe intervenue en mai 1999 sur les salaires, la question de l’équité salariale demeure un point culminant dans la poursuite des revendications du secteur.

Près de 30 000 personnes salariées travaillent en services de garde, dont plus de 20 000 dans les CPE. Sur les 9 000 personnes syndiquées, on en compte plus de 8 000 à la CSN. Quoique le nombre d’hommes commence à augmenter depuis quelques années, le secteur demeure très fortement féminin.

Ces chiffres ne comprennent pas le milieu familial, car, depuis l’adoption du projet de loi 8, les responsables de ces services sont considérées comme des travailleuses autonomes. Ce statut les prive, entre autres, d’être syndiquées ainsi que d’avoir accès aux régimes publics d’assurances (Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et assurance emploi), au régime de retraite du secteur et, bien sûr, à une démarche d’équité salariale.

Particularités de la démarche d’équité salariale pour les entreprises sans élément de comparaison masculin

Comment concilier une loi qui a pour objet d’éliminer la discrimination salariale à l’intérieur d’une entreprise où il n’y a pas d’éléments de comparaison masculins? Forcément, la tentation pourrait être grande de croire qu’il n’existe pas d’iniquité à l’intérieur de ces entreprises parce qu’elles ne comprennent pas de catégories d’emploi à prédominance masculine. Cependant, ne pas faire une démarche d’équité salariale serait une grave erreur, car on constate que c’est précisément dans ces entreprises que les emplois sont parmi les plus défavorisés sur le plan salarial. C’est pourquoi la loi reconnaît que l’absence d’élément de comparaison masculin dans l’entreprise ne doit pas constituer un prétexte pour ne pas réaliser l’équité salariale. Le législateur a donc prévu une application pour ces entreprises qui doivent prendre en considération ce qui se fait à l’extérieur.

La Commission de l’équité salariale a ainsi élaboré une approche devant permettre aux employeurs qui n’ont pas de catégorie à prédominance masculine de réaliser leur démarche d’équité salariale. Dans ces entreprises, une telle démarche est quasi virtuelle. En l’absence d’éléments de comparaison masculins, les entreprises doivent en effet corriger les écarts salariaux en utilisant les catégories masculines types fournies dans le Règlement sur l’équité salariale dans les entreprises où il n’existe pas de catégories d’emploi à prédominance masculine.

L’employeur doit donc « inventer » les salaires pour établir la comparaison de ces deux catégories d’emploi comme si ces dernières existaient dans son entreprise, et ce, selon une description de fonctions rédigées de façon générale. Ces deux emplois fictifs sont un contremaître et un concierge (ou des variations de ces catégories d’emploi). Le taux de salaire attribué à ces catégories doit refléter le secteur d’activité de l’entreprise, sa taille et la région où elle est en activité. Cependant, il faut un écart de 60 % au niveau salarial entre le contremaître et le concierge. Selon le règlement, le concierge doit gagner un salaire commissural au salaire payé dans le secteur d’activité et ne doit pas être inférieur à celui du salaire minimum.

L’établissement des salaires des éléments de comparaison imposés par le règlement se fait en considérant ce qui se passe dans un secteur d’activité comparable à celui de l’entreprise. Il existe cependant une certaine latitude dans l’établissement précis des tâches et des salaires des emplois de comparaison. C’est pour cette raison que, bien que le principe d’équité salariale ne se négocie pas, la discussion entre les parties sur l’application du règlement est tout à fait possible et fortement encouragée. La bonne foi des parties est primordiale pour atteindre les objectifs d’une telle démarche.

Les préalables pour arriver à une entente

Le processus doit être très rigoureux quant aux données existantes (établissement des catégories, détermination de leur prédominance, évaluation des emplois basée sur les tâches actuelles et non sur les tendances que l’on voudrait établir, et ce, à la suite des enquêtes de qualité supérieure, etc.). Comme trois parties sont en cause et que celles-ci n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts, encore une fois, il faut un niveau de bonne foi très élevé entre les trois.

La démarche dans le secteur des CPE comprenait une enquête effectuée auprès de 562 personnes travaillant dans les différentes catégories d’emploi. Ces personnes ont répondu à un long questionnaire sur leur travail. L’analyse préliminaire des données recueillies a été faite par une équipe de vingt analystes. Le comité sectoriel (comité paritaire) a par la suite déterminé et évalué les principales catégories à partir des analyses préliminaires produites. En parallèle, le Ministère a fait une évaluation de certains questionnaires.

Cependant, voilà que le gouvernement met de côté les principes qui sous-tendent une réelle démarche devant mener à l’équité salariale et qu’il dépose aux CPE en 2006 une offre purement comptable sans lien avec les réalités observées. Il fait en sorte que les éléments de comparaison masculins qu’il a lui-même reconnus par voie législative ne deviennent que de vagues repères permettant de faire osciller la valeur des emplois féminins dans les CPE selon les objectifs du Conseil du trésor.

Le gouvernement fixe ainsi ses paramètres à l’intérieur d’un budget décidé à l’avance sans tenir compte qu’il faut y mettre les sommes nécessaires afin de rendre justice aux travailleuses des CPE pour régler le problème d’iniquité.

Depuis 1999, la FSSS (CSN) a consacré beaucoup d’énergie à cette question afin d’obtenir l’équité salariale. Elle a essayé, à travers sa participation au comité tripartite, de régler ce dossier de façon satisfaisante. À la fin de mars 2006, constatant l’échec des négociations et la mauvaise foi du gouvernement, elle a pris la décision, après analyse, de contester les résultats de la démarche d’équité salariale et la date d’application par les recours juridiques appropriés. Malgré une importante mobilisation qui comprenait des arrêts de travail, le gouvernement est demeuré sourd aux demandes des milliers de femmes travaillant dans les CPE.

D’abord, il y a fort à parier que la dernière offre déposée lors des négociations ne sera pas celle qui sera affichée par les CPE au cours des prochains mois. Le gouvernement sait trop bien qu’il serait très vulnérable s’il demandait aux CPE d’afficher les résultats de son dernier dépôt. Donc, il va probablement le bonifier. Si jamais l’affichage n’est pas satisfaisant pour les travailleuses, la FSSS (CSN) contestera les résultats dans les jours qui suivront son affichage. Rappelons qu’aucune contestation n’est possible avant l’affichage qui doit avoir lieu au plus tard le 5 mai 2007.

La date d’application des rajustements salariaux

Normalement, lors des discussions, entre autres en commission parlementaire, pour l’établissement de la Loi sur l’équité salariale, la date d’application devait être le 21 novembre 2001 pour tout le monde. Cependant, la Commission de l’équité salariale savait depuis le 21 novembre 1996 qu’elle devait prévoir un règlement pour les entreprises n’ayant pas d’élément de comparaison masculin. Pourtant, le règlement a été produit neuf ans plus tard et adopté en mai 2005. Cela a fait en sorte que l’application pour les rajustements salariaux destinés aux travailleuses de ces entreprises a eu lieu cinq ans et demi plus tard que pour les autres femmes du Québec. N’est-ce pas un problème lorsque les « ghettos » féminins, parmi les emplois les plus discriminés, se trouvent à être discriminés pendant une période plus longue?

C’est pour ces raisons que la FSSS-CSN conteste la constitutionnalité d’une loi fondamentale qui prévoit une application différente selon que l’on est dans une entreprise avec élément de comparaison masculin ou non. La jurisprudence semble claire : il ne peut y avoir deux applications. La FSSS (CSN) attend donc avec impatience l’interprétation de la Cour supérieure à cet égard.

La bataille pour l’équité salariale menée par la FSSS (CSN) prend maintenant le chemin des démarches juridiques. Outre qu’il s’en prend à l’intégrité du fonctionnement des CPE, le gouvernement libéral n’a pas la bonne foi nécessaire, selon la FSSS-CSN, pour lui permettre d’espérer l’équité salariale pour les femmes du secteur des CPE. Le comportement du gouvernement dans ce dossier est l’illustration d’un mépris profond à l’égard des femmes et de leurs droits. La volonté d’obtenir l’équité salariale n’en reste pas moins entière, car c’est une question de justice!