Comptes rendus

Alice Demars Clémence Royer, l’intrépide. La plus savante des savants. Paris, L’Harmattan, 2005, 289 p.[Notice]

  • Micheline Dumont

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  • Micheline Dumont
    Université de Sherbrooke

« La femme devient, mais elle n’est pas », proclame Clémence Royer devant la Société d’anthropologie dont elle est devenue membre à l’arraché, en 1870, forte de la réputation que lui a valu sa traduction de L’origine des espèces de Charles Darwin en 1862. Simone de Beauvoir avait-elle lu Clémence Royer? Probablement pas, car la mémoire et les écrits de Clémence Royer avaient sombré dans l’oubli depuis sa mort en 1903, oubli à peine rompu par une célébration à la Sorbonne, pour le centenaire de sa naissance, en 1930. Qui est Clémence Royer? Autodidacte qui accède à tous les savoirs, elle se révolte à 20 ans contre la maigre instruction qu’elle a reçue et surtout contre l’éducation religieuse. À la mort de son père, elle refuse le mariage conventionnel auquel on la destine. Devenue libre-penseuse, elle se cherche une profession, passe trois examens en un an, puis part en Angleterre enseigner dans une institution protestante. Par la suite, elle se réfugie en Suisse romande où elle dévore littéralement tous les ouvrages de la bibliothèque de Lausanne : exégèse, philosophie, physique, chimie, anthropologie, économie, mathématiques, géologie, droit, histoire naturelle. Elle y développe en 1858 un cours de philosophie destiné aux femmes qui se pressent à ses conférences et elle accède ainsi à la notoriété. C’est là qu’elle rencontre un homme marié, Pascal Duprat, proscrit du Second Empire, qui lui commande un roman et elle devient rapidement sa maîtresse, car elle est partisane de l’amour libre. Elle publie en 1862 la première traduction en français de l’ouvrage de Charles Darwin L’origine des espèces, traduction précédée d’une longue préface où elle anticipe les conclusions les plus audacieuses du chercheur britannique, que lui-même ne formulera qu’au cours des années subséquentes. Ayant suivi son ami en Italie, Clémence Royer y donne naissance, en 1866, à un fils. Le couple revient à Paris en 1869 et tente de gagner sa vie par son activité intellectuelle. Clémence Royer multiplie les conférences, les articles dans les grandes revues savantes de l’époque, présente ses textes aux « concours » et se signale par ses idées avant-gardistes, en défendant, entre autres, l’impôt progressif sur le revenu en 1869, ce qui est alors une proposition inouïe. Elle soutient également des opinions sur le « travail » des mères et des épouses. La Sorbonne lui interdit l’usage d’un amphithéâtre pour y donner une conférence en 1880. Clémence Royer est la première, et sera longtemps la seule, femme à être admise à la prestigieuse Société d’anthropologie de Paris, en 1870, et elle multiplie les interventions où elle tient tête à tous ses détracteurs. Un de ses textes, en 1873, sur la natalité, est toutefois fermement censuré tant les propos qu’elle y tient scandalisent : elle défend la régulation des naissances et l’avortement pour assurer la liberté des femmes. Ce texte est toujours inédit. Elle collabore de loin avec les associations féministes et prend parti contre le suffrage féminin, qu’elle considère comme un problème non urgent. Retraitée après la mort de Pascal Duprat, Clémence Royer continue sa vie de travaux intellectuels et reçoit tardivement des hommages lors de cérémonies spectaculaires en 1895, en 1897 et en 1900, à l’initiative de ses amies féministes. Elle meurt en 1903. Cet ouvrage d’Aline Demars comporte trois parties. La première, intitulée, « Une vie », propose d’abord la trop brève autobiographie de Clémence Royer, rédigée en 1895, à la fin de sa vie. Singulièrement incomplet, ce texte est élargi et se termine par une longue section de Demars : « Ce qu’elle dit, ce qu’elle ne dit pas », texte qui éclaire les principales étapes …