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L’ouvrage Violence conjugale : des spécialistes se prononcent constitue un compte rendu des principaux thèmes abordés lors de la Conférence québécoise sur la violence conjugale intitulée « Vivement la sécurité! Dégager de nouvelles perspectives pour la protection des femmes et des enfants », tenue les 26, 27 et 28 mai 2004, à l’Université de Montréal. Cette conférence était organisée par le Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale. L’auteure du volume a choisi « de privilégier un style journalistique [et de] regrouper les interventions par thèmes, ponctués ici et là par des allocations reprises intégralement » (p. 12). Le livre est ainsi structuré autour de trois thèmes principaux que nous reprenons ici pour en effectuer la synthèse : 1) Dans quel monde vivons-nous? 2) Où en sommes-nous? 3) Où allons-nous?

Dans quel monde vivons-nous? La première section aborde certains courants politiques, mouvements ou phénomènes sociaux, comme l’idéologie néolibérale, l’antiféminisme, le masculinisme, la sexualisation de plus en plus précoce des jeunes filles, l’image des femmes dans la publicité et la violence exercée par les femmes, en vue d’examiner leur impact sur la violence faite aux femmes. Ces courants ou phénomènes, observés actuellement par plusieurs groupes de chercheurs et de chercheuses ainsi que de spécialistes et de personnes-ressources, démontrent avec beaucoup d’évidence à quel point les luttes du mouvement des femmes contre la violence conjugale sont loin d’être terminées!

Où en sommes-nous? La deuxième section présente d’abord un vaste bilan des pratiques, en commençant par les programmes de prévention et de promotion. Ensuite, divers projets de dépistage et d’intervention en matière de violence conjugale sont décrits. Enfin, il est question des stratégies de protection des femmes et des enfants victimes.

Dès 1995, la Politique d’intervention en matière de violence conjugale : Prévenir, dépister contrer énonçait des orientations claires en ce qui a trait à l’importance de la prévention. Maître Claudine Laurin explique à ce propos le chemin parcouru jusqu’à présent en prévention de la violence :

Bien que l’ampleur de la violence conjugale dans la société québécoise demeure difficile à mesurer, certains indicateurs permettent de conclure que les efforts de sensibilisation déployés au cours des dernières années, particulièrement à l’égard de la dénonciation de la violence, n’ont pas été investis en vain […] Cependant, force est de constater que les actions menées jusqu’à aujourd’hui dans le but de prévenir la violence conjugale et de promouvoir des rapports égalitaires entre les sexes s’avèrent insuffisantes. Devant l’ampleur du phénomène et compte tenu de ses conséquences graves sur le plan humain, social et économique, des mesures énergiques s’imposent en matière de prévention et de promotion.

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Les maisons d’hébergement jouent évidemment un rôle essentiel dans la prévention, notamment auprès des enfants exposés à la violence conjugale. Il existe aussi différents programmes de prévention fort intéressants qui sont décrits brièvement dans cet ouvrage, par exemple : les programmes VIRAJ et PASSAJ qui ont pour objet de prévenir la violence dans les relations amoureuses chez les adolescents; le programme Branchons-nous sur les rapports de force en vue de conscientiser les spécialistes et personnes-ressources en milieu scolaire ainsi que les jeunes du primaire à l’existence de certains rapports de force et aux manières de les contrer; le projet Relations amoureuses des jeunes : promouvoir, prévenir, accompagner; l’organisme communautaire Filles d’action prônant l’éducation critique, l’engagement social et le développement personnel des jeunes filles.

Concernant le dépistage et l’intervention, Françoise Alarie et Solange Cantin expliquent comment le mouvement féministe a permis :

l’élaboration d’une intervention spécifique auprès des femmes victimes de violence conjugale et l’adoption des principes suivants : l’empowerment, la sécurité des victimes, la prise de conscience des stéréotypes sexistes, la « collectivisation » du problème de violence conjugale, l’établissement de rapports égalitaires entre les intervenantes et les femmes violentées, la défense des droits et le changement social.

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Le mouvement féministe a aussi pris part à la création des maisons d’hébergement. Ces organismes apportent une contribution significative à l’offre d’aide aux femmes et aux enfants victimes de violence conjugale. D’autres groupes d’acteurs participent en outre au dépistage et à l’intervention en violence conjugale, par exemple les centres de femmes, l’organisme S.O.S. violence conjugale, les centres locaux de services communautaires (CLSC) et les hôpitaux. Il existe également des programmes de dépistage offerts dans les garderies et les centres de la petite enfance (ex. : Quand ça gronde dans ma famille) et dans les écoles (ex. : Arrêt de la violence). Certaines communications présentées lors de cette conférence ont abordé les interventions particulières pour les enfants exposés à la violence conjugale ainsi que pour les femmes violentées qui subissent de surcroît une autre forme d’oppression parce qu’elles sont âgées, parce qu’elles présentent un handicap ou encore parce qu’elles sont immigrantes, lesbiennes, toxicomanes ou atteintes d’un problème de santé mentale.

Enfin, deux aspects se rapportant aux stratégies de protection sont discutés plus en profondeur et soulèvent des questionnements très pertinents. D’une part, l’analyse de l’évolution de la judiciarisation en matière de violence conjugale permet de bien faire ressortir les limites du processus judiciaire en ce qui a trait à la protection des victimes. Quelles stratégies permettraient de mieux responsabiliser les conjoints violents? Comment évaluer avec plus de précision le degré de dangerosité des cas de violence conjugale? D’autre part, un enjeu majeur émerge des exposés : la conciliation difficile entre le droit de l’enfant à la protection et à un développement harmonieux et les besoins de la mère victime de violence conjugale d’être protégée et aidée. Quelle est la responsabilité des services de protection de la jeunesse dans l’intervention auprès des enfants exposés à la violence conjugale? Quelle place réserve-t-on à cette problématique dans le processus actuel de révision de la Loi sur la protection de la jeunesse?

Où allons-nous? La troisième et dernière section soulève trois défis majeurs pour les prochaines années. Premièrement, plusieurs spécialistes soulignent l’importance d’améliorer les efforts de prévention et d’investir davantage dans ce domaine, notamment par un soutien accru aux programmes de prévention offerts dans les écoles. Cependant, ces efforts doivent se faire de façon cohérente et concertée avec diverses instances, plus particulièrement les médias, le système judiciaire et la sécurité publique. Il faut donc : 1) sensibiliser les médias à l’influence négative d’un traitement médiatique qui banalise la violence ou encore qui met l’accent uniquement sur le sensationnalisme; 2) mettre en place des lois plus sévères pour sanctionner la violence; 3) assurer une surveillance continue de la violence conjugale par l’entremise des services policiers. Deuxièmement, cette conférence a aussi fait ressortir la nécessité d’adapter l’analyse féministe, en vue de mieux répondre aux besoins diversifiés et complexes des femmes et des enfants victimes de violence conjugale. Troisièmement, il apparaît urgent de mieux harmoniser le système judiciaire avec les besoins des victimes. Cela signifie que les décisions légales et le processus judiciaire devraient leur procurer une protection réelle contribuant à renforcer leur processus de dévictimisation et non à y nuire. En ce sens, il importe d’accorder une plus grande attention à la problématique de la violence conjugale avant d’entreprendre systématiquement une démarche de médiation ou encore avant de prendre des décisions liées à la garde des enfants.

La conclusion de l’ouvrage met en évidence une piste de solution intéressante pour mieux faire face à ces nombreux défis : la concertation. On y présente divers projets innovateurs centrés sur l’amélioration de la concertation entre plusieurs organismes et regroupements touchés par la question de la violence conjugale : les maisons d’hébergement, les bureaux des substituts du procureur général, les services correctionnels, les groupes d’aide aux conjoints violents, les services policiers, les CLSC, les écoles, etc., et même les chauffeurs de taxi, les coiffeuses et les esthéticiennes!