Comptes rendus

Dominique Bourque Écrire l’inter-dit : la subversion formelle dans l’oeuvre de Monique Wittig. Collection « Bibliothèque du féminisme », Paris, L’Harmattan, 2006, 167 p.[Notice]

  • Claire Michard

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  • Claire Michard
    Linguiste

Dans cet ouvrage, Dominique Bourque structure son analyse à partir de deux puissantes stratégies de la subversion littéraire : l’intertextualité et l’interdiscursivité. Ces deux approches se révèlent parfaitement appropriées à leur objet, qui est de nous faire pénétrer au coeur du processus de la création littéraire de Monique Wittig et du point de vue dissident sur le monde qu’elle signifie. Pour Dominique Bourque, la pierre angulaire du projet littéraire de Monique Wittig est « la création de nouvelles formes littéraires à partir de l’agencement explosif d’“intertextes”, ou textes cités » (p. 27), agencement intertextuel ordonné à partir de deux niveaux : celui de l’entrecroisement systématique d’éléments appartenant à l’épopée et au poème lyrique, qu’elle nomme hybridation radicale, et celui du montage intertextuel à l’intérieur de chaque roman qui restructure le genre auquel il appartient, appelé hybridation structurale. L’auteure montre tout d’abord comment l’architexte romanesque est subverti par l’hybridation radicale. En commentant avec brio des exemples de l’entrelacement des textes homériques (épiques) et saphiques (lyriques), elle nous fait saisir comment Wittig intervient sur les fondations mêmes du genre romanesque, ses personnages, ses styles et ses thèmes. Après cette vue d’ensemble, elle expose trois des principaux procédés de l’hybridation radicale : le dé-marquage, la restylisation et le métissage thématique, qui conduisent à une ouverture radicale des perspectives sur le monde et la littérature. Un apport nouveau et très intéressant est le concept de dé-marquage, ou remplacement d’un personnage sociosexué par un personnage qui échappe à cette catégorisation légitimant un rapport de force. Bourque montre comment les procédés formels ne « féminisent » pas les figures de guerriers, ni ne « masculinisent » les personnages d’amantes, c’est-à-dire n’inversent pas les rôles, mais détruisent les pôles de la sociosexuation, ce qui fait émerger des personnages inattendus sur la scène littéraire, les lesbiennes, qui ne se situent plus en fonction des catégories de sexe. La restylisation, ou hybridation stylistique, est la fusion des styles propres à l’épopée et à la poésie lyrique. Bourque interprète judicieusement deux passages extraits du Corps lesbien et de L’Opoponax, dans lesquels style épique et style lyrique sont emmêlés, comme conduisant à l’une des subversions majeures du genre romanesque : la destitution du couple hétérosexuel au profit de protagonistes lesbiens, encore plus exclus de la scène littéraire que les personnages homosexuels. Elle estime à juste titre que Wittig rompt avec une forme romanesque fondée sur la notion de « différence des sexes » (roman sentimental ou érotico-pornographique) et que ses romans ne parlent pas des relations entre « femmes », mais des relations « entre individus en rupture par rapport au système de représentation qui naturalise leur domination » (p. 52). Le métissage thématique est le rapprochement d’intertextes sur la base d’une correspondance sémantique ou d’une mise en résonance d’un thème commun. Bourque souligne que la typologie romanesque liée aux rôles attribués à chaque sexe (aux héros, le roman d’apprentissage, d’aventures ou libertin; aux héroïnes, le roman précieux, épistolaire ou sentimental) est détruite par la création de personnages aussi courageux qu’aimants. Les oeuvres tendent alors à faire coïncider les registres de l’action et de la passion, du geste et de la perception, du public et du privé. Le deuxième volet de l’analyse de l’intertextualité est l’hybridation structurale, qui entraîne la transgression des formes romanesques. Outre les textes épiques et lyriques, Wittig entremêle dans chacun de ses ouvrages un large éventail de productions littéraires : extraits de La Bible, des Pensées de Pascal, de contes, de chansons populaires, de manuels scolaires, d’essais philosophiques, de proverbes, de traités militaires, renvois à des films …

Parties annexes