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L’échographie foetale, ou technique d’imagerie du foetus en cours de grossesse, n’a rien d’anodin. Outre le fait que son efficacité demeure toujours à démontrer, l’échographie contribue à séparer femme et foetus et à façonner l’individualité du foetus, individualité souvent perçue comme indépendante de la femme enceinte. D’un point de vue féministe, la subjectivisation du foetus peut nuire aux droits de la femme et à son intégrité. Des efforts sont donc nécessaires pour éviter de biaiser l’échographie foetale ou de porter préjudice aux femmes qui la subissent.

Lisa M. Mitchell, dans son ouvrage intitulé : Baby’s First Picture, démontre à quel point l’échographie est, au Canada, culturellement définie. Elle explique comment les échographistes, l’environnement social entourant le phénomène de la grossesse, notamment les publications offertes aux femmes enceintes, et les femmes enceintes elles-mêmes contribuent à créer l’« individualité » du foetus. Des témoignages ciblés nous permettent alors de comprendre l’importance de ce phénomène et de poser un regard critique sur l’ensemble de cette pratique.

Le premier chapitre expose les éléments théoriques liés à la question de recherche et à l’analyse. L’auteure est anthropologue, et son regard sur l’échographie tient d’une école précise : elle cherche à explorer et à comprendre ce que signifient les images obtenues lors de l’échographie et comment ces images façonnent l’expérience de la femme, de la maternité ou encore de la perception du foetus.

Dès le deuxième chapitre, l’auteure démontre que l’échographie, comme toute technologie, n’est pas un instrument neutre. Le développement historique de l’échographie s’est fait autour de deux axes : l’anatomique et le pathologique. Selon le premier axe, l’échographie devait permettre de cartographier l’intérieur du corps. Tandis que selon le second axe elle devait permettre de détecter l’anormal. L’échographie foetale se trouve précisément à la jonction des deux axes : l’intérieur du corps de la mère est visualisé pour détecter les anomalies du foetus. L’auteure rappelle aussi dans ce chapitre que la sécurité des ultrasons de l’échographie n’est pas démontrée hors de tout doute, tandis que son efficacité pour modifier les issues de grossesse fait encore l’objet de controverse.

Le troisième chapitre positionne les éléments liés à la collecte de données de Mitchell. La chercheuse a assisté à plus de 1 000 échographies, questionné et accompagné six échographistes (deux techniciens et quatre obstétriciens) et interviewé en détail 48 femmes (avant l’échographie, immédiatement après celle-ci et à l’accouchement). Elle précise les caractéristiques et les limites de sa collecte. Petit détail, en tant que Québécoise, j’ai trouvé très intéressant de voir comment la société québécoise y est décrite. Cependant, le regard de l’anthropologue demeure superficiel à cet égard.

Les trois chapitres suivants traduisent l’expérience de la grossesse en relation avec l’échographie et les échographistes. Il est clair que les échographistes contribuent à la personnification du foetus et à son individualisation. Une individualisation que les femmes n’hésitent pas à reproduire malgré le fait qu’elles ne comprennent pas nécessairement tout ce qu’elles voient sur l’écran. Convaincues d’avoir observé leur bébé, elles n’ont pas de regard critique quant aux limites de cet outil. Pourtant, quelques mois plus tard, selon l’expérience de l’accouchement, des doutes sur l’efficacité de la technique émergeront chez certaines d’entre elles.

À la suite de la présentation de sa collecte de données, Mitchell remet l’ensemble de ses données en perspective pour appuyer sa thèse principale : l’échographie contribue à séparer le foetus de la mère, à en faire un sujet indépendant. Au-delà du divertissement attribué à cette technique, c’est-à-dire l’excitation de « voir » son enfant, l’échographie transforme l’expérience de la grossesse chez les femmes rencontrées. De plus, en attribuant des émotions à l’enfant lors de l’échographie, les échographistes renforcent chez les femmes enceintes la perception d’une personne indépendante. L’auteure s’étonne du fait qu’en aucun cas les femmes ne réalisent que l’échographie voit en elles… Ces dernières, au contraire, ne pensent encore qu’au fait que l’on voit leur bébé, indépendamment de leur propre personne. Elles s’effacent devant l’orientation foetale de l’échographie.

Pour conclure, l’auteure propose de modifier la technique pour la rendre plus neutre et éviter une discrimination foetale au détriment de la mère. Si la pertinence clinique et la sécurité de l’échographie demeurent toujours objet de controverse, Mitchell précise que cette technique ne devrait pas être employée de façon routinière mais bien sélective et avec un consentement éclairé adapté à ses limites. L’échographie ne devrait jamais être considérée comme allant de soi par les femmes enceintes ou les médecins. L’auteure propose aussi, lors de l’échographie, de parler des images plutôt que du bébé et d’éviter ainsi toute personnification, ne serait-ce que pour rappeler aux femmes les limites de la technique. Elle propose enfin de modifier, dans une perspective plus large, toute l’approche de la grossesse qui, par les outils offerts aux femmes, contribuent à maintenir une distance entre le foetus et la femme enceinte tout en personnifiant le foetus de façon indépendante.

Dans l’ouvrage Baby’s First Picture, le regard anthropologique posé sur l’échographie est parfois difficile à saisir. À ce titre, l’exposé initial du livre fait souvent appel à des nuances complexes qui demeurent occultes à la première lecture. Par ailleurs, une fois les trois premiers chapitres théoriques décortiqués, les chapitres suivants illustrent très bien le propos de l’auteure et nous rallient sans effort à sa position. Enfin, la mise en perspective des données recueillies et les solutions proposées par l’auteure en conclusion sont intéressantes et méritent notre attention.

La femme sans enfant que je suis, la médecine que j’exerce et mon filtre féministe m’amènent à être très prudente quant à l’échographie. L’ouvrage de Mitchell confirme cette impression de façon convaincante.