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Cet ouvrage réunit, sous la direction de Manon Tremblay, grande spécialiste de ces questions, quelques collaborateurs et de nombreuses collaboratrices. Il englobe 37 pays sur les 191 que comptent les Nations Unies, répartis sur les 5 continents. Des pays pauvres, des pays riches, des pays où les droits des femmes sont respectés, des pays où ils ne le sont pas : un échantillon, somme toute, représentatif du monde d’aujourd’hui. De plus, des études aussi exhaustives en langue française sont rares, sinon inexistantes.

La somme des informations ainsi diffusées est impressionnante. Les fiches synthèses qui précèdent l’analyse de chacun des pays étudiés sont particulièrement utiles, en elles-mêmes mais aussi en les comparant les unes aux autres; elles permettent d’obtenir, rapidement, une vision globale, objective, chiffrée, de la situation actuelle, par exemple, des écarts de revenus entre les femmes et les hommes.

Plusieurs questions essentielles sont posées tout au long de la présentation et de l’analyse de chacun des cas étudiés : comment faire en sorte que des femmes soient élues dans les parlements nationaux ou fédéraux? Quelle différence cela fait-il, en ce qui concerne l’ordre du jour des gouvernements, qu’il y ait ou non des femmes élues dans ces assemblées? En d’autres termes, la présence de femmes dans ces instances change-t-elle la donne politique? Les thèmes les intéressant particulièrement sont-ils ou non mieux pris en considération?

Les réponses données à ces questions sont, de mon point de vue, satisfaisantes et pertinentes. À la première question concernant la meilleure manière de faire élire des femmes dans les parlements, on constate qu’il n’y a pas de réponse miracle. Le scrutin proportionnel est plus susceptible de permettre l’émergence de candidatures féminines, les partis de gauche sont souvent plus sensibles à la question de la représentation des femmes, les quotas peuvent être utiles, la mobilisation des mouvements de femmes est pratiquement incontournable, mais aucun de ces ingrédients à lui seul ne garantit l’élection d’un nombre significatif de femmes. Car les partis politiques veillent au grain et trouvent toutes sortes de (mauvaises) raisons pour continuer à présenter dans des circonscriptions dites « prenables » des candidats et non des candidates.

Par ailleurs, toute la question du désir des femmes de faire de la politique et surtout d’être élues est bien posée. Pourquoi y a-t-il si peu de femmes en politique au-delà des raisons structurelles tout juste évoquées? Parce que, explique-t-on dans plusieurs chapitres, les femmes n’ont pas les mêmes réseaux que les hommes, l’argent nécessaire pour faire campagne est plus difficile à trouver, et, bien sûr aussi, les femmes ont d’autres centres d’intérêt que la politique, s’investissent dans d’autres secteurs de la sphère privée et même publique. C’est pourquoi l’existence d’un mouvement de femmes fort et déterminé à agir sur ce plan est si important. Car alors il prend les moyens nécessaires pour parvenir à ses fins : entraide, formation, pressions, lobbying, financement, etc. Les meilleurs résultats sont obtenus lorsqu’un tel mouvement est en mesure de convaincre des gouvernements et des partis politiques qu’il y va de leur intérêt d’accueillir et de soutenir des candidatures féminines.

Depuis longtemps, les premiers de classe sont les pays scandinaves, la palme revenant à la Suède avec 45,3 % de femmes élues à son parlement. Les derniers sont les pays de la péninsule arabique où, dans certains États, les femmes ne peuvent toujours pas voter ni être candidates aux élections : Arabie saoudite (0 % de femmes parlementaires), Émirats arabes unis (0 %), Bahreïn et Qatar (0 %). À mon sens, il y a là une autre preuve d’une relation entre une certaine interprétation de l’islam et la piètre condition des femmes.

Dans presque tous les pays, les auteurs et les auteures constatent des progrès : le pourcentage de femmes élues tend à augmenter. Cependant, cela se fait de façon si désespérément lente, me semble-t-il, qu’il est permis de se demander si, à la fin du XXIe siècle, la parité sera atteinte sans un vigoureux coup de barre. On dénote, enfin, un lien – évident – entre démocratie et représentation des femmes, même si l’on trouve des distorsions. Ainsi, le Rwanda compte 48,8 % de femmes élues à la Chambre des députés et la France – qui traîne la patte en Europe – 12,2 %. Toutefois, ne vaut-il pas mieux être élue pour laisser une trace dans un pays démocratique que dans un pays classé par Freedom House en 2005 comme non libre et où domine un seul parti politique? Comme l’écrit Anne-Marie Dussault dans sa préface, à propos du Rwanda : « Ces chiffres sont trompeurs. Ces femmes sont cooptées, choisies par le pouvoir en place. Des femmes qui ne menacent pas le gouvernement d’un éventuel coup d’État. Le haut pourcentage de représentation féminine n’est donc pas nécessairement un indice de progrès social » (p. 13).

Quant à la question concernant la représentation « substantive » des femmes par les femmes, là aussi la réponse donnée dans cet ouvrage est nuancée. Dans plusieurs pays, notamment les pays scandinaves, la présence de femmes élues a sûrement favorisé la prise en considération de thèmes intéressant particulièrement les femmes et mené à l’adoption du modèle social de cette région du monde. Et vice-versa : Christine Bergquist rappelle que « beaucoup de chercheuses, féministes ou non, ont conclu que le modèle suédois (ou scandinave) de l’État providence universel a joué un rôle majeur pour obtenir une plus grande égalité des sexes » (p. 550). Cependant, les auteurs et les auteures font remarquer que les femmes ont des expériences différentes, des origines diverses et des convictions propres et qu’elles défendent des idéologies concurrentes. Il leur arrive parfois de s’allier le temps d’une bataille et de se projeter au-delà de leurs allégeances partisanes, mais entre Rosa Luxemburg et Margaret Thatcher il n’y a pas grand-chose de commun. Ainsi, en Iran, une députée élue en 2004 « a soutenu la polygamie, plaidé pour l’imposition de mesures répressives à l’encontre des femmes « mal voilées » et contre la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes » (p. 246).

Cet ouvrage arrive à point nommé, au moment où une femme se présente à la course à la direction du Parti québécois et où se pose à nouveau la question de savoir si la société québécoise est prête à élire une femme à la tête d’un des principaux partis politiques. À première vue, il semble bien que ce soit encore un handicap malgré les belles paroles de circonstance entendues au cours de cette campagne. Manon Tremblay, qui a abordé la problématique québécoise dans Québécoises et représentation parlementaire, explique, dans sa vaste et instructive introduction, pourquoi l’ouvrage sous sa direction ne se penche que sur les parlements fédéraux ou dits nationaux.

On me permettra, malgré tout, de terminer ce compte rendu sur une note plus personnelle. Mon expérience, en tant que députée et ministre au Québec, de 1994 à 2003, m’amène à conclure qu’il y a des moments cruciaux où les femmes font la différence. Je pense à trois dossiers en particulier : celui des garderies, celui de l’équité salariale et celui de la lutte contre la pauvreté. Dans ces trois cas, les organisations de la société civile, notamment les mouvements de femmes, ont été très actives et fort offensives, et c’est la jonction entre les femmes parlementaires et ces organisations qui a permis l’adoption de ces lois progressistes. Il y a eu d’autres dossiers, bien évidemment, qui n’ont pas abouti à la satisfaction des mouvements de femmes et qui ont éloigné, par exemple, la Fédération des femmes du Québec du gouvernement du Parti québécois. Je pense particulièrement à plusieurs revendications liées à la Marche des femmes en 1995. Toutefois, quand il y a eu succès, il a été le résultat de l’harmonisation entre les femmes militantes et les femmes parlementaires.

J’ajouterai que les femmes ont tendance à nommer des femmes comme sous-ministres et à la tête des organismes dont elles ont la responsabilité, ce qui peut se révéler bénéfique, à terme, pour la cause des femmes. Soulignons aussi que le nombre de femmes membres du Conseil des ministres est aussi sinon plus important que le nombre de femmes élues à l’Assemblée nationale. Au Québec, depuis plusieurs années, ce nombre dépasse en pourcentage celui des parlementaires. Enfin, je ne peux passer sous silence que Jacques Parizeau, dans un geste sans précédent, a nommé en 1994 trois femmes (Louise Harel, Pauline Marois et moi-même) sur les six membres du Comité des priorités, le Saint des Saints où s’exprime la vision à long terme d’un gouvernement et où se prennent les décisions stratégiques. Contrairement au titre de l’ouvrage de Lise Payette, écrit à sa sortie de la vie politique, nous avions du pouvoir. Comment l’avons-nous exercé? C’est une tout autre histoire!