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Dans cet ouvrage, les auteures tracent un portrait des engagements d’une trentaine de jeunes femmes militant dans des groupes féministes, des partis politiques ou des groupes communautaires. Elles prolongent également le propos qui se dégage des récits de pratiques par une réflexion plus générale sur les formes contemporaines de l’engagement politique. Cependant, à la suite de cette lecture, il est toujours impossible de se faire une idée générale sur l’engagement politique des jeunes et plus singulièrement des jeunes femmes, même si l’on dispose d’une information très riche sur l’engagement des femmes qui ont fait l’objet de leur recherche.

L’ouvrage est divisé en cinq chapitres. Après une introduction portant autant sur les analyses classiques en sociologie politique concernant l’engagement que sur les formes de l’engagement, qui a principalement pour fonction de montrer que, si l’on veut comprendre l’engagement politique des jeunes, il faut chercher ailleurs que là où regarde la sociologie politique traditionnelle, les auteures consacrent le premier chapitre à la présentation des militantes interviewées et de leurs lieux d’engagement. Par la suite, quatre chapitres portent successivement sur les facteurs qui conditionnent l’engagement politique, sur les raisons du militantisme, sur les modalités de l’engagement et sur une comparaison du militantisme de ces jeunes avec celui des générations qui les ont précédées. La conclusion revient sur les formes contemporaines du militantisme.

Dans le chapitre 2 sur la venue au militantisme, trois questions sont abordées : 1) la diversité des pratiques et des lieux ; 2) l’importance du milieu familial et plus généralement des « modèles » ; et 3) la conjoncture politique. On y apprend que l’engagement commence tôt et que, souvent, les militantes ont tendance à avoir des implications multiples. Par ailleurs, la plupart de ces jeunes militantes viennent de milieux où leurs parents sont souvent engagés. En outre, les auteures soulignent l’importance d’événements déclencheurs, comme la Marche mondiale des femmes, le référendum de 1995 ou encore les manifestations de Québec contre la mise en place de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA).

Au chapitre 3, on aborde vraiment le coeur de l’analyse, à savoir les raisons qui poussent ces jeunes femmes à s’engager personnellement. Les deux auteures font ressortir certaines idées-force, soit la responsabilité envers l’avenir de la société, la sensibilité personnelle et le plaisir de l’action militante : « L’engagement est pour elles synonyme de responsabilité, d’obligation envers les autres, envers les institutions sociales » (p. 55). Quant aux causes dans lesquelles ces jeunes femmes s’engagent, elles doivent être ressenties personnellement : « C’est à chaque personne de trouver dans quoi elle a envie de s’impliquer. En ce sens, leur engagement est ciblé et doit correspondre, bien sûr, à leurs valeurs et intérêts particuliers. Liés souvent à leur identité […] » (p. 61). En même temps, l’engagement n’est que rarement adhésion a-critique à un « nous » ; au contraire, « [c]e qui est revendiqué aujourd’hui, c’est que le « Je » soit prédominant au sein du « Nous » » (p. 65). Enfin, l’engagement n’est pas qu’obligation, il constitue également un lieu d’amitié, de partage et d’apprentissages variés qui débouchent parfois sur des choix professionnels.

Le chapitre 4 porte sur les manières de militer. Là on peut distinguer deux grandes tendances chez les jeunes femmes : celles qui militent à l’intérieur des institutions et celles qui cherchent à s’en éloigner pour inventer d’autres façons d’agir politiquement. Celles qui sont dans les partis politiques peuvent s’avérer critiques sur la façon dont ces organisations fonctionnent, mais elles semblent quand même en avoir intériorisé certains principes. Quant aux militantes associatives, elles se révèlent très critiques à l’égard des institutions et misent plus sur les processus que sur les résultats.

Enfin, le chapitre 5 essaie de comparer les façons de militer des jeunes avec celles de leurs aînées. En fait, les seules pour qui une comparaison intergénérationnelle est faite sont celles qui sont engagées dans le comité jeunes de la Fédération des femmes du Québec. Ces jeunes femmes se perçoivent à la fois comme la « relève » féministe, mais elles disent également leur difficulté à prendre leur place, en tant que jeunes, dans une organisation déjà constituée. Les auteures en concluent que « les divergences intergénérationnelles seraient attribuables non pas aux objectifs de la lutte en tant que tels, mais plutôt aux moyens utilisés pour les atteindre » (p. 131).

À la lecture de cet ouvrage, on apprend énormément sur les jeunes femmes interviewées puisqu’une large place est laissé aux extraits d’entrevue. Il est ainsi possible de reconstituer des parcours et de percevoir la diversité des expériences et la richesse des engagements. Cependant, il me semble que la conclusion qu’en tirent les auteures, à savoir que les jeunes femmes ne sont pas apolitiques, est un peu abusive. Que certaines ne le soient pas, c’est évident, et les 30 femmes de leur échantillon sont tout à fait engagées. Cependant, elles sont peu situées par rapport à leur génération.

En fait, l’apport de cet ouvrage se situe sur deux plans. D’abord, il permet de comprendre les mutations dans les formes de l’engagement politique en mettant l’accent sur les parcours de ces jeunes femmes. Ensuite, il montre le caractère essentiellement singulier de l’engagement (p. 138) : « Même s’il passe par un groupe, leur engagement n’est cependant pas le synonyme d’une adhésion complète à celui-ci ou à une idéologie « en bloc ». Toutes les jeunes militantes tiennent en effet à leur indépendance d’esprit, refusent la pensée unique. Leur engagement est « distancié »… »