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Cet ouvrage de Christine Verschuur s’inscrit dans la série « Cahiers genre et développement » qui a été lancée en 2000. Il se veut un reflet des grandes tendances théoriques et pratiques des perspectives de genre et de développement. Ce recueil d’articles en français inclut des textes originaux et des traductions qui ont joué ou jouent présentement un rôle important dans la définition de la relation genre et développement. Ce cinquième cahier essaie de combiner les enjeux des mouvements populaires urbains et environnementaux dans le développement ainsi que de montrer la manière dont la perspective de genre peut y être intégrée pour mieux comprendre les défis et les limites du développement. Il continue de construire les bases nécessaires afin de mieux intégrer les éléments de transformation essentiels pour promouvoir un développement plus équitable quant au genre de tous les points de vue, que ce soit économique, social, politique ou culturel.

Le thème « genre et développement » s’est limité pendant de très longues périodes aux discours des spécialistes anglophones ou venant des pays développés. Cependant, comme ce cahier nous le fait découvrir, les spécialistes du Sud et de toutes les langues peuvent contribuer significativement à cette littérature et ainsi lier de façon rigoureuse la perspective de genre aux défis du développement. Ici, ces aspects sont présentés dans le contexte des mouvements urbains et environnementaux, deux éléments qui limitent souvent la transformation des rapports de genre dans le développement.

Ce cahier est divisé en quatre sections : 1) cadre conceptuel, genre, environnement et développement urbain; 2) mouvements sociaux et genre; 3) mouvements urbains et environnementaux; et 4) recherche et politiques publiques à l’épreuve du genre. Bien que chaque texte puisse se lire de façon indépendante, chacun contribue à sa section et chaque section se bâtit sur la précédente. Les deux premières sections exposent surtout les aspects théoriques et conceptuels, tandis que les deux dernières apportent des exemples concrets et frappants permettant de mettre en rapport tous ces aspects. On réalise très vite que, bien que des efforts réels aient été faits pour améliorer les conditions de vie des femmes, on revient finalement toujours au point de départ. Beaucoup reste donc à faire.

En tout premier lieu, Verschuur positionne les concepts « femmes », « développement » et « environnement » et présente les personnes qui ont eu une influence sur ces mouvements dont d’Eaubonne, Shiva et Mies. Tout de suite s’enchaîne la première série de textes sur le développement, le genre et l’environnement. Bien que les mouvements urbains soient mis en avant dans l’introduction, les concepts présentés restent limités. Ces textes illustrent plutôt les liens entre développement et genre dans un contexte traditionnel où l’historique du développement durable fait face aux défis de la vision économique traditionnelle des hommes pour un développement prétendument durable. Un aspect frappant dans la première section est que plusieurs des textes, tout en ayant été écrits il y a plus de dix ans, restent toujours d’actualité. Le texte de Moser, par exemple, reflète clairement cette situation. On peut faire ressortir aujourd’hui les mêmes débats concernant les agences de développement que Moser avait exposés à l’origine dans son texte.

La deuxième section cible surtout les concepts liés aux mouvements sociaux et les positionnent en fonction de diverses variables comme les organisations non gouvernementales (ONG), l’altermondialisation, les luttes anticapitalistes et la pauvreté. Le fil conducteur qui en ressort est le travail fondamental mais habituellement peu reconnu des femmes dans tous ces mouvements. Elles sont considérés comme coupables, victimes ou complices selon le niveau de reconnaissance (ou de pouvoir perçu et donc de menace) au regard de leurs actions et de leur soutien aux hommes dans ces mouvements. Cette section nous ouvre vraiment la porte sur les deux dernières sections qui offrent des exemples frappants de l’importance des femmes dans les mouvements sociaux (autant urbains qu’environnementaux) et le développement. À travers un voyage dans plusieurs quartiers et collectivités défavorisés, marginalisés ou limités socialement ou culturellement, on peut y découvrir des illustrations vibrantes de ce dilemme entre mouvements sociaux de développement et mouvements de genre.

Les deux dernières sections ont un effet convaincant sur l’importance de continuer le débat des femmes et le développement. Les textes qui y sont réunis illustrent par des exemples concrets non seulement la vulnérabilité des femmes à l’égard des actions et des décisions de développement et d’exploitation normalement prises par les hommes, mais aussi leurs forces et leur volonté de survivre lorsqu’elles sont marginalisées ou menacées. L’existence même des actions et des mouvements sociaux dirigés par les femmes représente dans plusieurs pays en développement les concepts vrais de développement. Ceux-ci ne sont pas protégés par des lois ou des politiques. La plupart sont aussi peu connus des agences de développement. Pourtant, comme le démontrent Shiva, Vigna et Bentvelsen dans leurs extraits d’article, sans les mouvements sociaux des femmes, le développement économique aurait prévalu sur les enjeux environnementaux comme la gestion de l’eau. Dans ces exemples, comme dans les autres, on peut relier la survie de ces collectivités à l’apport des femmes. Il est dommage que tous ces textes n’aient pas été exploités pour en extraire des généralisations. Il revient alors aux lectrices et aux lecteurs de se faire une idée de ce que le développement devrait inclure afin d’être équitable pour ce qui est du genre et durable sur le plan économique, environnemental et socioculturel.

On reste donc perplexe et sur sa faim. Pourtant, ce cahier aurait pu contribuer encore plus significativement aux agences de développement et aux organisations sociales si les caractères communs et les leçons apprises avaient été dégagés de ces textes. Considérant le peu de progrès accompli jusqu’à ce jour dans le cas des aspects du développement qui considèrent la perspective de genre, on ne peut que conclure que bien des choses restent encore à faire. Et il est malheureux que chacun ou chacune poursuive ses travaux de développement tout en faisant les mêmes erreurs que dans le passé. Que pouvons-nous apprendre de ces textes? Sans les mouvements sociaux dirigés par les femmes, le vrai développement durable ne serait pas encore à la portée des pays et des collectivités vivant dans la pauvreté ou vulnérables aux conditions environnementales.