Comptes rendus

Marie-Aimée Cliche, Maltraiter ou punir? La violence envers les enfants dans les familles québécoises 1850-1969. Montréal, Boréal, 2007, 418 p.[Notice]

  • Jean Trépanier

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  • Jean Trépanier
    Université de Montréal

La violence choque, particulièrement lorsqu’elle concerne les enfants. Il n’est pas évident qu’un livre qui en traite soit agréable à lire. Marie-Aimée Cliche remporte ce pari dans un ouvrage où elle aborde la violence envers les enfants du milieu du XIXe siècle jusqu’à l’aube de la Révolution tranquille au Québec. Son périple, qui mène de la pédagogie noire à l’éducation nouvelle, se fait en trois étapes : la première prend racine dans une société largement rurale (1850-1920); la deuxième voit l’urbanisation de la société (1920-1939); et la troisième mène de la Seconde Guerre mondiale à la Révolution tranquille (1940-1969). L’accent est mis principalement sur la présence de la violence dans l’éducation des enfants. L’auteure a recours à des sources à la fois diverses et différentes, qui se complètent bien. Les revues québécoises pertinentes y sont présentes, qu’il s’agisse de revues pédagogiques ou de revues destinées aux parents. Allô Police, journal populaire consacré aux affaires criminelles, y occupe une place qui doit être mentionnée. Sans parler des dossiers des tribunaux pour les moins de 18 ans, dans lesquels Marie-Aimée Cliche a recueilli des données considérables qu’elle exploite fort habilement. On peut s’y attendre, les discours sur l’éducation ont considérablement évolué au fil des 120 années que scrute l’auteure. Aucune époque ne connaît d’unanimité. Même la première des trois périodes, dont l’auteure dit qu’elle se caractérise par un discours plein de bonnes intentions, connaît ses divergences de vues. La « pédagogie noire » y côtoie des idées que ne désavouerait pas la psychologie moderne. La préoccupation qui est au coeur des discours sur l’éducation des enfants y est fort marquée par la présence de l’Église catholique : il faut former les enfants à la vertu, ce qui inclut au premier chef l’obéissance. Plusieurs prônent une approche autoritaire où la discipline doit passer avant la persuasion, la sévérité précéder la douceur. La correction corporelle y trouve sa place parmi les méthodes privilégiées, ce qui peut aller jusqu’au fouet qui est jugé acceptable s’il est administré dans le calme. « Qui aime bien châtie bien », dit-on. D’autres prônent une approche raisonnée. Ils n’endossent pas la méthode forte et émettent des réserves à l’endroit des punitions corporelles (s’accordant en cela avec la position prise par les archevêques canadiens en 1894). Nombre d’auteurs empruntent aux deux approches, mais la dimension morale et religieuse demeure présente unanimement. Si des positions contraires continuent à s’affronter dans l’entre-deux-guerres, des changements s’amorcent : l’hygiène sociale et la psychologie font leur apparition, et l’on ne prône plus des méthodes aussi extrêmes que l’usage du fouet. Cependant, c’est surtout durant la troisième et dernière période que les changements se font le plus marquants. Avec la montée en force de la psychologie, les experts dominent par leur présence. On le sent dans leurs interventions et également dans celles d’autres personnes qui reprennent leur discours, que ce soit pour l’endosser ou encore pour le critiquer (comme le fait notamment le pape Pie XI). L’analyse des discours publiés qu’effectue Marie-Aimée Cliche compte parmi les pages les plus intéressantes du livre. Elle atteint une densité qui dépasse celle d’autres parties de l’ouvrage et fait bien ressortir les idées dominantes et les tendances fortes des trois époques. L’intervention judiciaire fait partie de celles auxquelles on s’attend lorsque des personnes – et tout particulièrement des enfants – sont victimes de violence. Marie-Aimée Cliche y consacre une partie importante de son ouvrage. L’analyse est fondée sur un échantillon de 300 causes entendues par le « Tribunal des mineurs » de Montréal, de 1912 à 1965, dans lesquelles l’auteure a pu mettre en évidence l’usage de …

Parties annexes