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Sous la direction de Bérengère Marques-Pereira et Petra Meier, l’ouvrage Genre et politique en Belgique et en francophonie constitue une excellente mise en contexte des études sur les questions de genre en science politique en Belgique principalement et en francophonie. Cet ouvrage comprend cinq parties et onze chapitres. En introduction, les codirectrices analysent les origines des études politologiques sur le genre en Belgique. Elles s’intéressent à leur financement, à leur visibilité et à leur cheminement vers une plus grande institutionnalisation, tout comme elles interrogent les défis épistémologiques et méthodologiques des catégories d’analyses « femmes », « sexe » et « genre ». Elles dressent ainsi l’état des connaissances des études sur le genre et la politique belges, qu’elles organisent selon quatre volets de recherche développés au cours des quinze dernières années, soit la place des femmes en politique électorale et dans les partis politiques, les interactions entre les actrices, femmes ou féministes, et les institutions, les politiques publiques de même que les approches théoriques consacrées à la démocratie, à la citoyenneté et à la représentation.

Les parties 1 à 4 de l’ouvrage proposent deux articles selon chaque axe de recherche respectif. Portant sur un sujet à la fois classique et contemporain, le premier article, de Petra Meier, décrit les modalités du système électoral belge et la promesse des quotas. Il documente les défis d’un système proportionnel de listes préférentielles, tel que cela est permis par la Loi Smet-Tobback de 1994, qui ne garantissait pas, à l’origine, l’élection des candidates en ordre utile. Décrivant les modifications subséquentes à la Loi afin d’en faire respecter l’esprit, Meier met en évidence le sexisme subtil de plusieurs partis politiques en démontrant, par le moyen d’études empiriques, l’attribution supérieure des positions de listes dites « éligibles » aux seuls candidats. Dans un contexte comparé, cet article offre des leçons concrètes au Québec quant à l’importance de légiférer au sujet de la composition et de l’ordre utile des listes dans l’éventuelle réforme vers un système mixte-proportionnel.

Le second article attire l’attention vers l’évolution, depuis la Seconde Guerre mondiale, de la représentation des élues locales en Flandres et des profils socioéconomiques changeant des femmes. Herwig Reynaert et Dries Verlet observent le progrès, lent mais constant, jusqu’à 29,6 % d’élues en 2000, tout en nuançant les différences notables de la présence des femmes dans les divers partis politiques, ainsi que l’effet de la taille des villes et des populations. À l’instar du premier article, le second constate les insuffisances d’une loi exigeant un maximum de deux tiers de candidates ou de candidats du même sexe, sans pour autant leur garantir des places électoralement porteuses en pratique.

La deuxième partie de l’ouvrage porte sur les actrices, femmes ou féministes, et les institutions publiques. L’article de Sophie Stoffel invite à une réflexion sur le lien entre la politisation des débats sur le genre et le féminisme en posant la question suivante (p. 50) : « Qui intervient, et de quelle manière, dans le processus de construction d’un débat politique autour de problématique liées au féminisme? ». Cette auteure situe la discussion dans le contexte de l’évolution du mouvement féministe et de ses positions jusqu’ici polarisées entre l’institutionnalisation et l’autonomie. Elle signale le dépassement actuel des termes du débat en faveur de stratégies globales d’inclusion, portées par une partie des agentes féministes, vers l’accès des femmes aux institutions politiques, et fondées sur une approche relationnelle des rapports sociaux de sexe. Pour sa part, Joke Wiercx complète cette partie avec un portrait du mouvement contemporain des femmes en Flandres, où il examine, notamment, la structure organisationnelle, les thèmes centraux abordés ainsi que les activités et les stratégies des 150 organisations se trouvant dans le fichier Amazone. Cet auteur souligne l’importance d’accorder un financement durable aux groupes. Il s’interroge également sur les défis particuliers que le mouvement des femmes doit relever même si plusieurs personnes continuent d’affirmer qu’il n’y a plus de problème.

La troisième partie de l’ouvrage concerne le genre et les politiques publiques. Interrogeant les représentations de l’égalité dans les politiques publiques et l’interrelation entre la liberté et l’égalité, Selma Bellal problématise les termes classiques des débats sur la citoyenneté et souligne l’importance du niveau international comme nouvel espace de sens qui force à une remise en question du rôle de l’État. Pour leur part, Bérengère Marques-Pereira et Laurent Vanclaire présentent les résultats d’une recherche comparée réalisée dans le contexte d’une étude sur la présence et les interventions des élues locales de sept pays européens. Portant sur trois communes belges, leurs données ont révélé que la présence des femmes dans les instances décisionnelles ne garantit pas une prise en considération des questions de genre. Il faut aussi tenir compte de l’influence d’autres facteurs structurels, tels que l’interaction avec le tissu associatif et les changements dans les modes de gouvernance.

La quatrième partie de l’ouvrage traite des approches théoriques et méthodologiques consacrées à la démocratie, à la citoyenneté et à la représentation. Décrivant les processus d’individuation comme un pilier fondamental de la citoyenneté moderne, Bérengère Marques-Pereira analyse les changements de paradigmes qui ont mené à une politisation d’enjeux tels la liberté reproductive, la violence contre les femmes et la représentation politique. Cette auteure critique la notion libérale de non-intervention dans la sphère dite privée et souligne l’importance des espaces et des possibilités de participation politique et sociale des femmes. Enfin, le texte de Karen Celis propose une discussion fructueuse des défis méthodologiques relatifs aux recherches sur les élues et la représentation féminine, c’est-à-dire sur les liens entre la représentation descriptive et substantielle. Elle offre des pistes de réflexion sur des stratégies anti-essentialistes afin de cibler, voire mesurer les « intérêts des femmes ». Cette auteure problématise l’absence d’un contrôle de la variable « sexe » et remet également en question les recherches mesurant l’influence des élues mais sans tenir compte des facteurs institutionnels et contextuels qui contraignent le jeu politique.

L’ouvrage conclut en mettant les textes belges en dialogue avec l’état des connaissances sur le genre en France, en Suisse et au Canada, en particulier au Québec. Pour ce qui est de la France, Janine Mossuz-Lavau rappelle l’évolution des recherches traitant la variable « sexe », qu’il s’agisse du droit de vote et des comportements politiques, de la place des femmes dans les élites ou du rapport des élues aux politiques publiques. Cette auteure soulève la question des défis pratiques de la parité relativement au non-respect de l’esprit de la Loi sur la parité, ainsi que des enjeux philosophiques, dont l’opposition entre égalité et complémentarité. Dans son tour d’horizon des recherches suisses francophones, Lorena Parini met également en évidence certains obstacles à l’opérationalisation d’une approche anti-essentialiste, la variable « sexe » étant souvent généralisée au-delà de sa portée réelle. Elle plaide en faveur d’une agrégation de multiples indicateurs constitutifs du « sexe social » et d’analyses qui tiennent compte de la complexité de l’État vu comme un acteur hétérogène.

Enfin, le dernier texte, celui de Jane Jenson, offre une excellente recension des écrits canadiens et québécois sur le sujet. Cette auteure étudie l’impact des revendications féministes et des structures officielles sur la prise en considération hâtive des questions de genre par le gouvernement et les universitaires, entre autres. Elle présente les études sur le comportement des femmes en politique, les mouvements des femmes, les politiques publiques, ainsi que la relation entre l’État et la reproduction des rapports de genre. Elle clôt son article en parlant de l’impact du néolibéralisme sur les récentes mobilisations transnationales du mouvement féministe québécois, reflet des nouveaux fondements de l’action de solidarité.

En somme, l’ouvrage Genre et politique en Belgique et en francophonie constitue une recension exhaustive, soutenue par des exemples contemporains, de la recherche politologique sur le genre en Belgique et en francophonie. Cependant, il serait souhaitable que les éditions subséquentes de cet ouvrage incluent aussi des textes d’auteures de la francophonie non occidentale pour élargir d’avantage la portée du volet d’analyse comparée et des réflexions qui en découlent. Toutefois, le fait de rassembler dans un même ouvrage les textes de spécialistes belges francophones et néerlandophones ainsi que de l’Europe et de l’Amérique francophones constitue déjà une contribution importante à la recherche comparée sur le genre et la politique. Cette lecture devient ainsi incontournable pour les spécialistes des recherches en ce domaine dans la francophonie et ailleurs.