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Le plaisir éprouvé à lire ou à regarder un film tend à naturaliser ce qui a trait à la création et la diffusion des biens symboliques. Ainsi, pourrions-nous dire, « le créateur est inspiré, l’éditeur découvreur est inspiré, le critique littéraire est inspiré », et tous ces gens inspirés porteraient au jour des oeuvres par des affinités de goûts qui produisent la valeur des oeuvres promues. Dans sa dimension la plus visible, cette valorisation des oeuvres ainsi que des auteurs et des auteures peut faire l’objet de mises en scène de lancement de livre dans des lieux comme la Fnac, Virgin Megastore, qui rendent spectaculaire l’actualité littéraire. Or cette appréhension abstraite du commerce éditorial de la littérature est oublieuse des agents qui opèrent les connexions entre ces acteurs et actrices du champ littéraire et éditorial. En effet, les formes de médiatisation évoquées ne viennent pas d’elles-mêmes : elles s’inscrivent dans un dispositif réglé en amont pour médiatiser les oeuvres, émanent d’une somme de mises en liens qui constituent autant de séquences de travail entre l’auteur ou l’auteure, « producteur cardinal » (Becker 1988 : 41), et les cercles de « réception » en vue de susciter l’intérêt pour le livre destiné à être vendu. Les citations d’oeuvres dans les colonnes des journaux et la participation d’auteurs ou d’auteures à des émissions audiovisuelles résultent d’un travail relationnel entre des professionnels et des professionnelles du livre et ces différents lectorats.

Si ces intermédiaires, « personnels de renfort », appartiennent aux mondes de l’art (Becker 1988), ils sont restés jusqu’à présent un point aveugle de l’analyse du fonctionnement du champ littéraire (Bourdieu 1992). Or ces intermédiaires participent activement en amont à la « coïncidence qui s’établit entre les différentes catégories d’oeuvres offertes et les attentes des différentes catégories de public » (Bourdieu 1992 : 231), et donc aux mécanismes de mise en lumière et de valorisation littéraire de ceux et celles qui écrivent (Naudier 2004).

Le présent article veut mettre en évidence le travail des intermédiaires, soit les attachés et les attachées de presse de l’édition littéraire en France, qui participent au monde de l’art entendu comme « un réseau établi de liens de coopération entre les acteurs » (Becker 1988 : 22). En sondant la zone grise des « personnels de renfort », à l’ombre des professions artistiques (Moulin 1992, Bourdieu 1992, Sapiro 1999, etc.), on reconnaît un autre principe de division du travail : la division sexuelle du travail. Dans les coulisses travaillent majoritairement des femmes. Elles oeuvrent à la mise en lumière du travail des hommes, puisque les journalistes de la presse écrite comme les journalistes du secteur audiovisuel[1] (Reiser et Gresy 2008 : 82-84) et les personnes qui écrivent sont en majorité (environ les deux tiers) des hommes (Naudier 2008). Dans cette division du travail de création et de production de la valeur des oeuvres, la hiérarchie entre les fonctions se double d’une hiérarchie entre les sexes : le travail invisible est délégué aux femmes. En mettant le focus sur les attachées de presse (environ 90 % sont des femmes), la sociologie des rapports sociaux de sexe permet aussi de déconstruire le mythe du génie créateur et de sa valorisation. Elle lève le voile sur la croyance en la naturalité des affinités électives en matière de production de la valeur artistique et littéraire, car l’on peut saisir en pratique les opérations menées pour obtenir une recension de livre ou une invitation de l’auteur ou de l’auteure dans une émission.

Après une brève présentation de l’activité d’attachée de presse dans la première partie de notre article, nous nous attacherons, dans la deuxième partie, à montrer l’hétérogénéité et la hiérarchisation interne propre à cette fonction de communication. Enfin, dans la troisième partie, nous interrogerons la constitution du « capital réputationnel » des attachées de presse et ses usages pratiques pour médiatiser les oeuvres.

La démarche méthodologique

Cette enquête qualitative, dans sa phase exploratoire, repose sur une quinzaine d’entretiens biographiques d’une durée de 2 heures environ avec des attachées de presse de l’édition littéraire mais aussi avec trois responsables des deux syndicats majoritaires des métiers des relations de presse (Information presse communication; Syndicat national des attachés de presse et des conseillers en relations publiques). Les entretiens ont, en leur majeure partie, été réalisés sur les lieux de travail. La première attachée de presse rencontrée a été jointe par téléphone : on a appelé, sans recommandation. Elle nous a ensuite fourni les contacts d’autres collègues. Parmi les personnes ayant participé à l’enquête, trois, dont deux hommes, sont installés à titre indépendant et une partie importante de leur chiffre d’affaires provient des contrats passés avec les entreprises d’édition qui externalisent le travail de médiatisation des livres.

Une catégorie professionnelle récente sans droit d’entrée explicite

La profession d’attaché ou d’attachée de presse est relativement récente. Le décret Peyrefitte de 1964 définit une mission identique aux professions de conseiller ou de conseillère en relations publiques ainsi que d’attaché ou d’attachée de presse et fixe « le principe de l’incompatibilité des activités d’attaché de presse avec celles de journalistes professionnels et d’agent de publicité ». La convention collective des métiers de l’édition de 2000 définit ainsi leurs attributions :

Diffuse auprès des médias des informations sur l’entreprise et ses ouvrages en vue du développement de sa notoriété et de ses ventes. À ce titre :

  • conçoit et coordonne la réalisation des dossiers et communiqués destinés à faire mieux connaître un ouvrage ou un auteur;

  • entretient et développe les relations avec les journalistes;

  • coordonne l’organisation des interviews d’auteurs;

  • organise des manifestations destinées à l’information des médias et du public;

  • assure l’envoi du service de presse [2].

Sans « droit d’entrée » explicite l’expérience fonde donc la qualification dans l’édition littéraire. En l’absence de transmission académique de ce savoir-faire, les compétences de l’attaché ou de l’attachée de presse sont naturalisées en les rattachant à des qualités individuelles à l’instar des activités sans formation validée par un diplôme. Les prises de poste sont d’ailleurs souvent l’occasion de découvrir une activité inconnue auparavant :

[Après mes études, je] me suis rendue compte d’une chose, c’est que je ne savais rien faire : ni écrire, ni peindre, ni filmer, mais que j’aime tout ça. Et en fin de compte, ce tout ça ce sont les livres : j’aime les livres d’art, de cinéma, j’aime les romans, et tout ça se trouve en librairie. Mais quand vous venez d’un autre milieu, vous ne savez pas que tout ça existe, je ne savais pas comment on fabriquait un livre, je ne savais même pas qu’il y avait des attachées de presse […] Une copine m’a dit que chez XXX ils cherchaient une assistante. Je m’y suis présentée et même si l’attachée de presse me trouvait bizarre parce que je ne savais rien faire de concret, elle m’a quand même prise pour remplacer une femme qui attendait un bébé […] Même si je ne savais rien faire, je faisais partie de ces gens très obéissants : j’arrivais bien à 9 h, je revenais bien à 14 h, je prenais bien les messages et puis je regardais bien comment ça fonctionnait. (directrice de communication senior[3], petite maison dans un groupe d’édition)

Le remplacement d’une femme enceinte, qui est l’un des fréquents motifs de recrutement des attachées de presse débutantes, témoigne, en l’absence de compétences professionnelles avérées, du préjugé implicite qui relève, à l’instar notamment des chanteuses de jazz, « de valeurs socialement construites comme féminines : le relationnel, la communication, la parole » (Buscatto 2007 : 61). Toutes partagent l’expérience d’un apprentissage effectué « sur le tas » en regardant travailler celles qui sont en place et en composant avec leurs ressources sociales, professionnelles et culturelles. L’une des dispositions favorables à l’engagement dans cette activité concerne l’investissement de soi dans les tâches proposées et la prise d’initiative :

On [l’attachée de presse dont elle était l’assistante et elle] était dans le même bureau, et c’est au fur et à mesure que les choses se font. Je voyais bien comment elle faisait, lire les livres évidemment, pouvoir en parler, donner envie, ne pas rappeler souvent, ce sont des choses assez logiques, qui se mettent en place d’elles-mêmes quoi! Être organisée, suivre un peu, savoir qui on appelle, où on en est, ça s’est fait un peu tout seul. Comme on était dans le même bureau, elle a sûrement dû me dire : « Là fais plutôt comme si », mais je n’ai pas tellement de souvenir parce que moi aussi je la voyais bosser. On était face à face, je la voyais travailler, je voyais comment elle faisait […] Enfin, voilà, les choses se sont mises en place progressivement. (attachée de presse senior, maison réputée dans un groupe d’édition)

À l’instar d’autres professions de services comme les hôtesses d’accueil, les attachées de presse mobilisent « un savoir-être intériorisé qui n’est pas simplement un savoir-être social, mais également un savoir-être genré » pour tenir le rôle que l’on attend d’elles au niveau tant symbolique que matériel (Schültz 2006 : 138). L’apprentissage d’une assistante d’attachée de presse s’effectue en regardant faire sa supérieure directe. Le travail d’assistanat consiste principalement en un travail administratif souvent assimilé au « sale boulot » (Hughes 1996 : 63), peu gratifiant, comme la réalisation de photocopies, la mise en forme de revue de presse, la saisie des programmes correspondant aux sorties des livres, la liste des journalistes à contacter, les réponses à faire au téléphone, les envois aux services de presse, etc. Autant de tâches inhérentes au secrétariat, éloignées du travail relationnel plus valorisant.

La hiérarchisation des tâches et des statuts

L’analyse des parcours professionnels des attachées de presse fait apparaître que cette activité, au-delà de la dénomination, renferme en réalité des pratiques qui varient au gré des statuts acquis au sein d’une maison. En se concentrant sur les tâches exercées, on peut ainsi à la fois déconstruire le préjugé qui lierait l’activité communicatrice à une nature féminine intégrée mais aussi la catégorie même d’attachée de presse qui, si elle fait référence à certaines prérogatives inscrites dans la convention collective du secteur de l’édition, est en réalité protéiforme. On peut ainsi faire le parallèle avec l’activité de secrétaire qui « recouvre une très grande diversité d’emplois : le contenu des tâches, les conditions de recrutement et de promotion, les horaires, les salaires sont en grande partie déterminés par les pratiques des différents employeurs qui reflètent l’hétérogénéité du marché de l’emploi » (Pinto 1990 : 33). En effet, si les attachées de presse apparaissent être des pièces interchangeables chargées de valoriser les oeuvres auprès des critiques, au plus près de la réalité du travail opère un ensemble de facteurs distinctifs qui territorialisent cette activité selon la maison d’édition, l’ancienneté et le statut acquis au gré de la progression de carrière.

En l’absence de qualification requise pour exercer la fonction d’attachée de presse, rien ne spécifie non plus les modalités de salaires et d’avancement professionnel. La hiérarchie des salaires entre junior (« débutante ») et senior (« chevronnée ») varie de 1 500 euros nets en début de carrière (attachée de presse débutante) à 4 000 ou 5 000 euros nets dès que l’on atteint le statut de senior. Certaines peuvent également négocier le fait d’accéder au statut de « cadre » et bénéficier de primes à discrétion du patron ou de la patronne. Les disparités de statuts dans les services de presse selon la gestion des ressources humaines propres aux différentes maisons et les conventions collectives qui les régissent font qu’il n’existe pas de grille salariale sur laquelle s’appuyer légalement pour estimer les salaires. Chacune négocie de gré à gré sa rémunération, selon son ancienneté, sa réputation et la structure où elle officie.

La dissémination des attachées de presse n’est pas sans effet sur l’absence de structuration de la profession dans le secteur éditorial[4]. Si les grandes maisons disposent de service de presse comprenant plusieurs attachées de presse, la hiérarchie entre elles, liée à l’ancienneté dans le service et aux types de collections dont on a la charge, ne favorise pas l’action collective. Enfin, l’intériorisation du tabou de l’argent dans les métiers liés à la culture semble également un facteur d’inhibition des revendications salariales ou d’amélioration des conditions de travail. Dans ce contexte, les professionnelles ne parviennent donc pas à s’affirmer comme un groupe autonome dans le secteur de l’édition, ce qui contribue à la méconnaissance des tâches afférentes au métier.

Une division du travail très hiérarchisée

Les attachées de presse sont surtout présentes dans les structures éditoriales les plus renommées. Elles dépendent de groupes comme Hachette (Grasset, Stock), Editis (Laffont-Julliard, Fixot) ou Flammarion, ou à fort capital familial comme Gallimard ou Albin Michel qui disposent de services de presse où l’on peut faire carrière en interne ou être repérées par des maisons d’édition concurrentes. Dans certaines structures de petite taille, octroyer une partie de la masse salariale à l’emploi d’une attachée de presse repose sur le choix de miser sur l’expérience d’une attachée de presse réputée.

Au bas de l’échelle, les assistantes sont les plus éloignées du travail de valorisation des oeuvres ainsi que des auteurs et des auteures. Elles font, après la standardiste qui distribue les appels téléphoniques, office de barrage filtrant au sein de la maison. Ce sont elles qui répondent simultanément à toutes les demandes afin de délester l’emploi du temps de leurs supérieures :

En littérature, on a chacune une assistante à plein temps […] On ne reçoit pas les appels en direct, toutes les demandes adressées au service de presse, c’est elles [les assistantes] qui les gèrent, nous on prépare les cahiers de presse, on coche, c’est elles qui collent […] le luxe c’est quand même que presque chaque fille a une assistante à plein temps. On s’en aperçoit quand elles ne sont pas là, le téléphone sonne sans arrêt pour le service de presse. (attachée de presse senior, maison indépendante réputée)

Pour les assistantes, la distance par rapport à l’objet livre est donc maximale. Leur activité professionnelle consiste à exécuter des tâches liées au secrétariat. Elles sont néanmoins des interlocutrices identifiables à force de répondre au téléphone pour leur supérieure. En outre, coller les adresses sur les enveloppes, fait en réalité partie de la socialisation « en poste » (Avril, Cartier et Serre 2010 : 108). La capacité d’identifier les journalistes au sein des rédactions s’acquière ainsi progressivement dans le contexte de la mise en place du service de presse en effectuant ce type d’activité.

La maîtrise des ajustements à opérer pour orienter tels livres vers tels critiques, animateurs ou animatrices d’émissions audiovisuelles, acquise à l’ombre des attachées de presse, construit ainsi le savoir-faire. L’investissement de soi dans les différentes tâches permet en outre aux assistantes d’être reconnues dans leur travail et promues à l’interne ou à l’extérieur. Subordonnées, elles suppléent les attachées de presse, réalisent les tâches qui leur sont déléguées, mais elles bénéficient aussi de l’entregent de leurs supérieures. En effet, le repérage des assistantes peut s’effectuer tant à l’interne qu’à l’occasion de la fréquentation de salons du livre ou de cocktails :

Là, il y a de cela onze ans, j’ai été appelée par [un éditeur] chez qui un poste venait de se libérer à la province. À force d’aller dans des cocktails en étant l’assistante de quelqu’un d’assez important dans une maison d’édition, je commençais à connaître tout le monde, même à mon niveau d’assistante. C’est presque un métier de feeling. Le directeur m’a dit : « On se croise depuis pas mal de temps, est-ce que tu as envie d’être attachée de presse et de prendre le poste de celle qui passe en National? » (directrice de communication senior, petite maison dans un groupe)

La cooptation étant l’une des modalités de recrutement les plus courantes, la fréquentation des lieux de sociabilité propres à ce monde professionnel participe de l’évolution de carrière. Par exemple, être l’assistante d’un patron de service de presse ou d’une attachée de presse réputée est un indice de reconnaissance professionnelle.

La promotion professionnelle suit généralement un trajet qui comporte ses passages obligés. À l’assistanat succède le passage au service « province » qui est souvent la porte d’entrée de celles qui n’ont pas été assistantes. Cette progression dans la carrière, qui expose à une autre division du travail et à un autre principe distinctif est en réalité fondée sur les enjeux économiques propres aux maisons d’édition. Même si la presse quotidienne régionale peut être prescriptrice de succès dans les ventes, être en contact avec les journalistes de province « que la presse parisienne ne connaît pas» (directrice du service de presse senior, maison réputée) est moins valorisant en interne.

Le service « province » permet de « faire [s]es armes calmement » (directrice du service de presse senior, maison réputée dans un groupe) en se rapprochant des journalistes et en prenant en charge de nouvelles tâches comme l’accompagnement des auteurs et des auteures lors de déplacements en province. Le découpage des territoires professionnels entre les assistantes et leurs supérieures hiérarchise ces activités d’assistance. Néanmoins, les attachées de presse « province » (qui n’ont, dans leur majorité, pas d’assistante) bénéficient d’une moindre reconnaissance professionnelle que leurs consoeurs en charge du service « national » :

Le travail [d’une attachée de presse « province »] est différent parce que les enjeux ne sont malgré tout pas les mêmes […] Une maison qui a un tel service attend des résultats, sinon c’est chacune qui s’en occupe, et là c’était moi. Clairement, un article dans L’Est républicain par rapport à un article dans Le Monde, ça n’a pas le même impact, donc on est aussi beaucoup plus autonome parce que ce sont des gens que, dans la maison, les autres ne connaissent pas. On est amenées à beaucoup se déplacer et on a un contact différent avec les auteurs parce qu’il y en a qu’on ne voit jamais, ceux qui ne se déplacent pas, on les voit pas ou peu, la province, c’est moins important. (attachée de presse senior, maison réputée appartenant à un grand groupe)

L’accès à des tâches qui rapprochent des « éléments » centraux de la maison, soit les écrivains et les écrivaines (qui se déplacent), conduit aussi à parfaire l’apprentissage des relations avec les journalistes. Accompagner les auteurs ou les auteures en province signifie être à même d’organiser leurs déplacements, de savoir les renseigner sur les gens qu’ils y rencontreront, d’optimiser leurs séjours par des rendez-vous tant avec des journalistes locaux qu’avec des libraires, assurant ainsi la rentabilité du passage à l’occasion de la promotion du livre. Cette gestion logistique permet une meilleure connaissance des journalistes provinciaux, mais ces relations sont rarement ritualisées par les déjeuners réguliers au restaurant qui permettent de créer certaines complicités. Le statut des attachées de presse « province » est indexé à l’interne selon les lois qui régissent l’économie du champ littéraire et éditorial, centrée sur l’hégémonie parisienne des activités culturelles (Menger 1993). Le crédit accordé aux journalistes de la presse nationale qui énoncent les cotes littéraires contribue à la minorisation des attachées de presse « province » même si, dans certaines maisons, nous dit une attachée de presse, 80 % des ventes de livres sont réalisées en province. L’impulsion symbolique donnée par la presse parisienne prime la réalité économique.

Attachées de presse « province » et « nationale » organisent toutes deux les déplacements, gèrent les calendriers (plannings) des auteures et des auteurs, mais les modalités d’approche des journalistes varient. Pour celles qui ont en charge la presse « province », l’information sur les programmes de lancement des livres est effectuée de Paris, tandis que celles qui ont en charge la presse « nationale » sont en contact direct avec les journalistes. En outre, un principe distinctif accentue la différenciation des statuts, celui de la maîtrise du calendrier promotionnel et de la possibilité de détenir les épreuves du manuscrit longtemps à l’avance :

Généralement il n’y a, par maison, qu’une attachée de presse « province » qui s’occupe de toute la production. Elle est en accord avec des journalistes que la presse parisienne ne connaît pas. Elle ne travaille pas sur « épreuves », mais vient dans un deuxième temps, accompagnée par des papiers, des déplacements, des radios, des télés, en fonction des régions; avec ce qui a commencé à démarrer sur Paris. Je n’ai pas envie de faire de hiérarchie, même si le métier a naturellement et spontanément tendance à croire – et l’effervescence sur Paris semble le justifier – que le passage province/national est une promotion […] Quand on passe de province à Paris, on a tout de suite le sentiment d’avoir été promue, d’être dans la cour des grands. (directrice du service de presse senior, maison réputée littéraire au sein d’un grand groupe)

Avoir en main les épreuves longtemps à l’avance permet d’exercer la partie la plus noble du travail de l’attachée de presse. Elle se rapproche du travail intellectuel que font ceux et celles qui écrivent et celles et ceux qui les éditent sur les manuscrits. Ainsi, « être dans la cour des grands », appartenir au service de presse « national » signifie avoir fait la preuve de sa capacité à rencontrer les journalistes parisiens et à préparer le terrain des programmes des livres à défendre. Cette promotion de carrière consacre ainsi l’expérience professionnelle acquise au long des années.

L’inégale présence des attachées de presse dans les organigrammes des maisons d’édition contribue, comme nous l’avons mentionné, à les rendre invisibles et à minimiser leur savoir-faire professionnel, alors même qu’il résulte d’un apprentissage long, fût-il informel, au sein de cette activité de service. L’ensemble des tâches exercées, dont la plupart rappellent la gestion logistique du monde domestique (rassurer les auteurs ou les auteures, les accompagner, gérer leur agenda, éventuellement réparer leurs bévues, les instruire des contenus d’émissions ou des attentes de tels animateurs ou animatrices, être disponible tant pour ceux et celles qui écrivent ou pour les responsables de maisons d’édition que pour les journalistes[5]), tend à « genrer » les caractéristiques propres à ce métier :

On a un côté maternel même si on n’a pas d’enfant, on est très maternelle en fin de compte, il faut être très protecteur vis-à-vis des auteurs. On est au service des auteurs. Si vous regardez une attachée de presse faire à l’extérieur, on va leur chercher un café, on va les chercher en taxi, on les ramène, on les appelle pour bien vérifier qu’ils soient bien à l’heure à la radio, on les rassure, c’est très maman tout ça! (directrice de communication senior, petite maison dans un groupe d’édition)

La naturalisation de cette activité souvent qualifiée de « futile », le rôle de « nounou » qui materne les auteurs ou les auteures, mais aussi l’érotisation de la fonction liée aux déjeuners pour décrocher des recensions dans la presse, aux sorties nocturnes et aux déplacements en province pour accompagner ceux et celles qui écrivent associent cette profession aux différents répertoires de la féminité (Naudier 2010). La puissance des stéréotypes[6] estompe le caractère socialement construit des compétences efficientes pour exercer cette fonction, en le présentant comme un « métier de femme » (Perrot 1987), dont « l’activité de travail [à l’instar des médiatrices de musée] prolonge les qualités « naturelles » de la femme (bourgeoise), éducatrice et hôtesse hors pair, disponible et patiente » (Peyrin 2008 : 66). Cette partie de leurs prérogatives inscrites dans la convention collective de l’édition occulte la dimension intellectuelle (lecture, construction d’un argumentaire convaincant) de l’activité. Ces stéréotypes véhiculent, comme ceux qui concernent les assistantes d’avocats ou d’avocates, des « aptitudes à séduire, mais dénient leurs possibilités intellectuelles » (Pierce 2003 : 61).

Pourtant, les attachées de presse que nous avons rencontrées sont majoritairement diplômées de l’enseignement supérieur. Leurs propriétés sociales et culturelles constituent des atouts qui, dans ces situations de travail, opèrent comme autant de compétences professionnelles qu’elles soient diplômées en littérature, en histoire de l’art, en psychologie, etc. En effet, nombre d’entre elles appartiennent aux classes moyennes supérieures et déclarent avoir un réel et ancien intérêt pour les activités culturelles (Naudier 2010). L’imbrication de leurs dispositions de classe et de genre constitue des ressources utiles à ce commerce littéraire où le sésame qui détermine la réputation de l’attachée de presse est le carnet d’adresses. Sa constitution est là aussi une mise à l’épreuve de la capacité à établir des contacts personnels sans l’entremise des supérieures, ce qui, à la fois, exprime sa singularité, marque son territoire relationnel, tout en s’affirmant à travers sa manière de nouer les relations :

Quand je suis entrée dans cette maison, il y avait [attachée de presse très réputée] au-dessus de moi à qui j’ai demandé une ou deux fois des conseils. En vieille routarde de 30 ans de métier, elle m’a un peu rabrouée en disant : « Comment, tu ne connais pas ça? » Je me suis dit qu’il y avait deux possibilités : soit je faisais mes déjeuners avec elle, mais très vite je me suis aperçue que ça pouvait être très infantilisant et que, prise sous son aile, cela m’aurait retardée; soit je partais sur ma lancée toute seule, même si c’était plus risqué. Vous vous installez dans le statut de jeune attachée de presse quand vous allez avec quelqu’un qui a 20 ans de métier de plus que vous. Même si c’est plus confortable, je me suis très vite dit que je devais faire ça toute seule […] Quand vous avez le titre d’attachée de presse, vous allez au charbon; les gens ne viennent pas à vous, c’est vous qui allez vers eux pour leur présenter une rentrée littéraire. J’ai donc pris mon téléphone et j’ai appelé une par une toutes les rédactions en demandant aux gens comment ils travaillaient, comment il fallait que je travaille avec eux : petits-déjeuners, déjeuners, apéritifs, rendez-vous récurrents, en envoyant des livres, en rappelant après, etc. (directrice de communication senior, maison réputée dans un groupe)

Le « capital réputationnel »

Si les stéréotypes sexistes imprègnent encore les représentations de la profession, en pratique, chaque attachée de presse construit sa réputation en se constituant ce carnet d’adresses et en sachant donner des gages de professionnalisme tels que l’exécution rapide de services, la disponibilité, la compétence de lectrice et la capacité à construire des argumentaires adaptés aux cibles journalistiques qu’elles visent pour publiciser les livres. N’étant pas à l’origine d’un ouvrage, pas plus qu’elles ne le publient, les attachées de presse occupent des positions subordonnées dans l’organisation du travail éditorial, étant liées contractuellement à leur employeur, et déclarent souvent « faire corps » avec la maison qui les emploie. Leur place dans l’organigramme des maisons d’édition les vouent, à l’instar des secrétaires, « à une relation sociale de dépendance individualisée par rapport à une position – celle de patron – fondamentalement définie comme masculine (même lorsque, par exception, elle est occupée par une femme) » (Pinto 1990 : 33). Leur subordination est redoublée par leur « mise au service » des écrivains et des écrivaines dont il faut orchestrer la médiatisation. Elles défendent ainsi les ouvrages de la maison en mettant de côté leurs propres goûts littéraires. La réputation qu’elles acquièrent dans le champ journalistique et les succès des livres dont elles font la promotion contribuent à leur donner une valeur professionnelle dans l’édition.

Par ailleurs, le degré de réputation littéraire des maisons est un avantage non négligeable dans le travail de négociation de placement d’article. Par exemple, travailler chez Gallimard facilite le travail, car les auteurs et les auteures bénéficient d’un préjugé favorable auprès des critiques, tandis que pour d’autres maisons, plus commerciales, la construction d’une relation de confiance entre les attachées de presse et les journalistes emprunte des canaux plus sinueux pour attirer l’attention sur les livres publiés en leur sein. C’est pourquoi, si le travail des attachées de presse varie selon le lieu d’exercice, petite ou grande maison et réputation littéraire, il importe toujours pour elles de se constituer un « capital réputationnel » qui peut jouer en leur faveur et compter dans le déroulement de leur carrière. Ce sont précisément leur expertise d’ajustement entre offre et demande littéraire et leur capacité à construire un argumentaire qui vont produire la valeur des attachées de presse.

La réputation d’une attachée de presse « nationale » est fondée non seulement sur sa connaissance des réseaux journalistiques mais aussi sur celle des mobilités professionnelles d’une rédaction ou d’une rubrique à l’autre. Une partie du travail de ces intermédiaires consiste donc à repérer les mouvements dans les rédactions afin de cibler avec le plus d’efficience les envois d’épreuves. Cette connaissance des arcanes médiatiques et journalistiques est un atout essentiel :

Les gens qui lisent Le Parisien n’attendent pas la même chose que les gens qui lisent Le Monde ou Le Figaro littéraire ou Les Inrocks ou Télérama, et ça c’est le métier d’attachée de presse, c’est avoir connaissance de qui on a affaire : pour qui je travaille, quel type de livre je défends et à qui je le propose? Il faut toujours réfléchir à ça. C’est pour ça que le métier d’attachée de presse, c’est pas seulement envoyer des livres, c’est réfléchir à tout ça. C’est se dire : « Ce livre à qui je vais l’envoyer, à qui je vais en parler, quel type de journal va pouvoir parler de ce lire? » (directrice de communication senior, petite maison au sein d’un grand groupe)

Cette connaissance indispensable du milieu journalistique et médiatique est approfondie, voire peaufinée, à l’occasion des déjeuners professionnels où circulent les ragots sur le landernau médiatique. Cependant, cette posture de veille est également repérable dans l’espace domestique :

Le temps que je passe à lire la presse est pris sur mon temps libre, mes week-ends, mes soirées. Dans la journée, ce n’est pas possible. L’intrusion du professionnel dans le privé est obligatoire parce que tout vous nourrit : un film, une activité, un voyage génèrent de l’information […] Je lis systématiquement L’Express, Le Point et Le Nouvel Obs. Je prends les quotidiens de façon aléatoire. Je prends aussi toute la presse spécialisée et professionnelle. Le matin, à partir de 7 h je regarde Télé-matin et Canal+; dans ma cuisine j’écoute RTL, Europe1 et France-Inter. Quand je pars, j’ai déjà intégré plein de choses. C’est un automatisme. (directrice de communication senior, grand groupe d’édition; enseignante et responsable d’un syndicat professionnel)

Connaître les rédactions journalistiques et avoir des liens directs avec les chefs de service est un enjeu crucial pour les attachées de presse « nationale ». Les relations qu’elles tissent au long cours constituent le fondement de leur réputation professionnelle. Un des éléments de la construction de ce « capital réputationnel » consiste à savoir mettre en forme un discours sur des livres adaptés aux attentes et aux goûts des journalistes. Le statut acquis au sein de l’entreprise d’édition leur confère un accès aux programmations des livres sur six mois, voire un an à l’avance. Elles peuvent ainsi, lors des déjeuners avec les journalistes, distiller de l’information sur les parutions à venir longtemps à l’avance. Cette divulgation anticipée des publications contribue à l’entretien des liens en faisant partager les secrets qui entourent les prochaines parutions et à l’« apprêtement » (Lemieux 2000 : 432) du discours tenu sur les oeuvres. C’est pourquoi, en vue d’optimiser le travail de ciblage, il incombe aux attachées de presse de taire leurs opinions personnelles (Naudier 2010), tout en étant à l’écoute des personnes avec qui elles font affaire, pour trouver un angle qui servira les intérêts commerciaux de la maison d’édition et de l’écrivain ou de l’écrivaine :

Par exemple, quand je déjeune avec un journaliste, on parle dix minutes de l’entreprise et deux heures de la vie du journaliste, de ce qu’il pense, de ses vacances, etc. Mais dans les dix minutes pendant lesquelles je vais parler de mon objet ou d’une action, il faut que je trouve tous les éléments pour le convaincre du bien-fondé de sa présence et de la réelle opportunité d’écrire un article. C’est en mettant en valeur, en écoutant la personne qui est en face de nous, qu’on établit une relation de confiance, qu’on construit un relationnel qui servira pour placer, en fonction de ce que chacun est, le bon produit à la bonne personne. Je sais que telle personne adhérera au projet parce que ça lui correspond. (directrice de communication senior, grand groupe d’édition; enseignante et responsable d’un syndicat professionnel)

C’est ce carnet d’adresses et l’habileté avec laquelle les attachées de presse le manient qui leur procurent un micropouvoir sur le marché du travail éditorial. En sorte que les relations ainsi nouées et les services qu’elles rendent en étant disponibles pour répondre aux demandes des journalistes qu’elles côtoient régulièrement peuvent atténuer certaines critiques défavorables ou au contraire permettre la publication inespérée d’une critique dans la presse. La mouvance des frontières entre les relations professionnelles et amicales qui lient, à long terme, les deux parties en présence est au fondement des relations de confiance et du crédit accordé à l’argumentaire de l’attachée de presse :

Avec [critique réputée] on se connaît depuis 20 et quelques années, depuis qu’elle est rentrée au Monde des livres […] Vous imaginez bien que […] je ne peux absolument pas me permettre de lui dire : « Lis ça, c’est génial », alors que ça ne l’est pas et que je sais pertinemment qu’au bout de deux pages ça va lui tomber des mains et qu’elle va se dire : « Mais elle est complètement timbrée! » Et la fois d’après, elle ne me croira pas et elle ne l’ouvrira pas. (responsable d’un service de presse senior, maison littéraire dans un grand groupe)

Le lien de subordination qui rattache contractuellement les attachées de presse à l’organisme employeur entraîne un devoir de réserve. Cette contrainte constitue une difficulté supplémentaire pour maintenir leur réputation auprès des journalistes. Elles doivent rester crédibles à l’égard des journalistes tout en répondant à l’impératif de décrocher un maximum d’articles et d’émissions quand la maison d’édition a versé une grosse avance à valoir à un auteur ou à une auteure, notamment. Dès lors, les relations anciennes ou complices entre les deux parties permettent de négocier ou de faire entendre les contraintes qui pèsent sur l’attachée de presse :

Parfois on est obligée d’insister parce qu’il faut obtenir un résultat, mais, dans ces cas-là, la personne que vous avez en face de vous, elle sait pertinemment pourquoi vous insistez, donc à un moment elle va répondre à votre insistance, voilà, et ça c’est totalement souterrain. Y’a évidemment une relation professionnelle, et en même temps y’a des non-dits en permanence, sur lesquels on rebondit, dont on profite, sur lesquels parfois on s’arrête et on se dit : « Bon bah là, c’est pas la peine d’insister, j’arrête », […] [mais on peut] faire comprendre à un moment donné, que ce serait quand même bien, même s’il n’a pas aimé le livre, qu’il en parle ou qu’il réponde à votre insistance.

ça veut dire que l’on active d’autres ressorts?

oui, l’amitié, la nécessité, le renvoi d’ascenseur et l’intérêt parce qu’on est dans des zones de pouvoir aussi donc bien sûr oui, c’est agiter tout ça, mais on ne le dit pas forcément, c’est induit aussi par le fait qu’on connaît bien les gens et qu’à un moment donné aussi on se fait confiance (directrice de communication et du service de presse senior, maison édition littéraire grand public dans un grand groupe)

Une stratégie fréquente consiste alors à obtenir un article sans entamer le crédit du journaliste. Cet arrangement exprime l’ancienneté des relations professionnelles et les relations d’interdépendance entre les journalistes et les attachées de presse à long terme. Ces dernières peuvent dès lors susciter une idée de médiatisation du livre débarrassée de tout jugement sur le contenu :

Par exemple, vous avez un bouquin et ce bouquin-là dans une rédaction va être lu par une personne qui ne va pas l’aimer, une fois qu’on vous a dit « Non », c’est compliqué de revenir dessus. Ce bouquin-là se met à marcher pour X raisons, ça ne changera rien au fait que le journaliste n’a pas aimé, sauf qu’à un moment donné le succès peut être un argument, vous pouvez lui dire : « Essaie de décrypter » donc là, on n’est plus dans un papier critique, on est dans un décryptage du phénomène, ce qui fait que là le critique peut s’abriter, il n’a plus à donner son avis de critique. Il peut dire, « ça marche » avec des arguments à l’appui que l’on va lui donner ou que les libraires vont lui donner ou que l’auteur va lui donner qui vont constituer son papier. Donc vous allez contourner le fait que le journaliste n’ait pas spécialement aimé le bouquin, mais il va quand même en parler. (directrice de communication et du service de presse senior, maison édition littéraire grand public dans un grand groupe)

Si les attachées de presse ne peuvent pas faire part de leurs déconvenues devant une critique négative ou une absence de citations des livres à défendre par les journalistes, leur gestion relationnelle des contacts permet cependant aussi parfois d’éviter des éreintements. Bien que les attachées de presse soient transparentes aux yeux du public, elles disposent, malgré leur position de subordonnées dans l’organigramme, de marges de manoeuvre pour consolider au moins personnellement leur avancement dans la carrière. La visibilité médiatique obtenue pour les auteurs ou les auteures est un gage pour leur réputation. Le crédit qu’elles acquièrent peut, en certaines circonstances, être un atout lorsqu’un désaccord interne expose au licenciement et qu’une attachée de presse mobilise ses alliés ou alliées journalistes pour défendre son poste contre sa direction. C’est pourquoi certaines attachées de presse très cotées sont engagées par de petites structures qui misent sur leur carnet d’adresses et leur savoir-faire professionnel pour développer leur maison d’édition. Les attachées de presse se voient alors reconnaître un tout autre statut, même si leurs prérogatives et pratiques n’en sont pas fondamentalement bouleversées, car elles concilient la gestion tant matérielle des auteurs et des auteures (déplacements, calendriers) que symbolique (argumentaire, travail de conviction) du traitement et du placement efficient des oeuvres. Elles accèdent dès lors au statut de directrice de la communication. Cette fonction, prestigieuse, permet parfois d’accéder au comité de lecture où elles peuvent assurer une expertise spécifique sur le « potentiel presse[7] » d’un projet d’ouvrage. Accéder à ce poste marque alors la reconnaissance de la qualification accordée aux activités de communication qui, dans l’édition, consiste à orchestrer la médiatisation des auteurs et des auteures.

La construction des carrières professionnelles des attachées de presse dont la socialisation « en poste » est caractéristique des emplois d’exécution dans les services (Avril, Cartier et Serre 2010 : 108) met en jeu une combinaison de caractéristiques « genrées » à chaque étape de la carrière. Elle opère par la gestion logistique réalisée dans l’invisibilité et la constitution d’un « capital réputationnel » individuel reposant sur la légitimité acquise en matière de représentation des écrits littéraires de la maison d’édition auprès des journalistes. L’objectivation du « capital réputationnel » de certaines attachées de presse, mesuré en particulier par les retombées médiatiques des lancements qu’elles ont orchestrés à plus ou moins long terme, leur permet d’être davantage visibles et contribue, semble-t-il, à la reconnaissance de cette activité de communication dans le champ éditorial. Longtemps stigmatisée, même si les préjugés sur les attachées de presse sont encore tenaces, cette activité semble gagner en prestige, comme peut l’indiquer notamment l’existence du prix Lilas, attribué depuis 2007 à une attachée de presse chaque année. Ces intermédiaires de l’écrit littéraire, véritables « passeuses » de livres, élaborent des argumentaires destinés aux critiques ainsi qu’aux animateurs et aux animatrices d’émissions audiovisuelles et s’inscrivent dans une dynamique commerciale encore déniée alors même qu’elle est au fondement de cette activité. Elles ont pour impératif professionnel de faire écrire ou parler les journalistes autour d’une mise en scène de l’image des écrivains et des écrivaines, avec l’objectif de vendre leurs livres et d’augmenter leur renommée. Bien qu’elles soient apparemment des chaînons transparents, entre ceux et celles qui écrivent et les critiques, qui contribuent à la fabrication de la magie littéraire dans le contexte d’une division sexuelle du travail éditorial très marquée, leur subordination statutaire ne les entrave pas inexorablement dans leurs pratiques professionnelles. Leur position, au carrefour de plusieurs fonctions prestigieuses, leur procure, au contraire, une autorité en matière de gestion relationnelle qui leur permet de monnayer la réputation qu’elles acquièrent sur ce marché du travail.