Comptes rendus

Pascale Dufour et Isabelle Giraud, Dix ans de solidarité planétaire. Perspectives sociologiques sur la Marche mondiale des femmes. Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2010, 245 p.[Notice]

  • Elsa Beaulieu

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  • Elsa Beaulieu
    Université Laval

Cet ouvrage, dont l’écriture s’est terminée tout juste avant le lancement de la troisième campagne d’actions mondiales de la Marche mondiale des femmes (MMF) en mars 2010, représente, aujourd’hui encore et à notre connaissance, la seule monographie globale publiée sur la MMF, mis à part les publications issues de la MMF elle-même. Il s’agit d’un ouvrage à la fois humble et ambitieux. En effet, la MMF, composée de milliers de groupes de femmes distribués dans toutes les grandes régions du monde, dont les efforts de coordination se construisent à de multiples échelles géographiques, et dont la composition évolue sans cesse, est une créature extrêmement diversifiée et complexe qui défie toute description empirique globale. S’essayer à une monographie qui tente de la décrire dans sa globalité, et pour une période qui comprend toute la durée de son existence, est nécessairement un exercice très ambitieux. Cependant, les auteures approchent cette tâche colossale avec humilité, en reconnaissant à de multiples occasions certaines des limites de leur démarche, de leurs sources, et quelques-uns des inévitables biais qu’introduisent nécessairement ces diverses lacunes. Elles ne prétendent pas pouvoir généraliser au-delà de ce qu’elles ont tiré de leurs sources, qui sont évidemment limitées par rapport à « l’extrême variété des situations locales au sein du réseau » (p. 22), mais elles font le pari que l’on peut tout de même, au risque de simplifier et d’« aplatir », faire de la MMF une analyse générale et en tirer des apprentissages significatifs. Écrit à partir d’un point de vue extérieur au mouvement, l’ouvrage présente la MMF sous un angle historique et sociologique. Il s’adresse aux militantes de la MMF et à ceux et celles qui sympathisent avec celle-ci. Il cherche, en conséquence, à allier la facilité d’accès à la rigueur d’une investigation approfondie. Les auteures ne s’intéressent pas tant aux obstacles, aux conflits, aux rapports de pouvoir à l’intérieur du mouvement, aux échecs et aux limites qu’à la capacité créatrice des militantes : à ce qui fonctionne, à ce qu’elles ont inventé en réponse aux différents problèmes éprouvés pour régler la situation afin que la MMF puisse continuer d’exister et d’évoluer. Globalement, l’exercice est assez réussi : l’ouvrage est clair, concis et accessible; il rassemble et organise une somme importante d’informations empiriques sur la MMF (ce qui, dans le contexte d’une rareté d’ouvrages et d’articles sur la question, n’est pas un mince mérite) et fournit des analyses intéressantes. Le premier chapitre, fort intéressant, prend comme point de départ les principaux thèmes des actions mondiales de 2010 et retrace leurs origines dans l’évolution des discours de la MMF depuis 2000. Les auteures montrent notamment qu’il y a eu un approfondissement et une radicalisation de l’analyse féministe au sein de la MMF au cours des dix dernières années, notamment en fait d’intégration d’une compréhension des différentes formes d’exploitation du corps des femmes au sein des quatre thèmes centraux des actions mondiales de 2010, et en ce qui concerne l’appropriation de leur temps et de leur force de travail à travers la division sexuelle du travail. Le deuxième chapitre porte sur les répertoires d’actions de la MMF. Il insiste notamment sur la signification et la portée du choix de la « marche » comme symbole et mode d’action privilégié, sur le caractère festif et créateur comme manière privilégiée de se faire voir et de se faire entendre, sur la diversité et la multiplicité des répertoires d’actions de la MMF à l’échelle du monde. Le troisième chapitre décrit l’évolution des principaux modes d’organisation de la MMF de 1999 à 2010, la manière dont ces modes constituaient des réponses à des défis précis …