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bell hooks et le politiqueLa lutte, la souffrance et l’amour[Notice]

  • Estelle Ferrarese

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bell hooks  est l’auteure d’une oeuvre aussi prééminente au sein du black feminism qu’homogène dans le temps. Se décrivant comme socialiste et ‘féministe révolutionnaire’, elle a produit une oeuvre abondante où essais et recueils se mêlent aux autobiographies et aux livres de témoignage, tandis que ses enseignements — elle a notamment été professeure d’African-American Studies à la University of California de Santa Cruz et à Yale University — sont pour elle « un travail politique ». La principale inflexion qu’il est possible de distinguer au fil de la trentaine d’ouvrages dont elle est l’auteure touche à un intérêt de plus en plus marqué, à partir des années 1990, pour la pédagogie , une pédagogie engagée, très influencée par les travaux de Paulo Freire, une « pédagogie libératoire » (hooks, West, 1991 p. 16). Mais cet intérêt lui-même procède d’une posture épistémologique et politique adoptée par bell hooks dès le commencement de son oeuvre. Caractérisée par une décision en faveur de la simplicité, la conviction d’une perméabilité des thématiques et des préoccupations ordinaires et universitaires, cette posture implique une didactique particulière. Concevant d’un côté l’université comme un lieu d’éducation à la conscience critique, bell hooks appelle, de l’autre, les intellectuels à aller parler « dans les églises et dans les maisons » (hooks, West 1991, p. 162). Sa stratégie de l’accessibilité trouve une autre illustration dans une prose dénuée de jargon, dans l’utilisation sans réserve du ‘nous’ dans ses travaux, dans les anecdotes biographiques qui émaillent ses écrits, et constituent autant de vignettes naïves qui n’ont pas été sans la placer en porte-à-faux au sein de l’université. C’est encore au nom de cette posture que bell hooks a contesté l’hégémonie de la théorie déconstructiviste et du courant postmoderne dans le contexte académique américain. Dans un article fameux, intitulé « Postmodern Blackness », elle relève qu’il « esttristement ironique que le discours contemporain qui parle le plus d’hétérogénéité, de sujet décentré, qui adopte des positions nouvelles permettant la reconnaissance de l’altérité, continue à adresser sa critique à un public spécialisé, avec lequel il partage un langage commun enraciné dans les grands récits qu’il prétend remettre en question »  (1990, p. 25). Avant ‘l’intersectionnalité’ de Kimberlé Crenshaw (1989), avant ‘les systèmes d’oppression imbriqués’ et ‘la matrice de la domination’ de Patricia Hill Collins (1990), bell hooks a parlé d’interconnectivité des oppressions de sexe, de race et de classe (inter-relatedness of sex, race and class oppression) (1984, p. 31). Dès Ain’t I a Woman, son premier livre (1981), elle déploie une conception des rapports entre genre, race et classe qui ne suppose pas des catégories préexistantes qui s’influenceraient par la suite mutuellement, mais qui interroge les processus de leur co-construction. Elle accumulera, au fur et à mesure de ses écrits, de subtiles analyses des mécaniques et des alliances, des affinités électives et des effets pervers qui constituent les femmes noires américaines en vaincues radicales de l’étrange quadrille qui règle les rapports entre hommes blancs, femmes blanches, hommes noirs et femmes noires depuis l’époque de l’esclavage. Foucault écrivait dans l’Histoire de la sexualité que, par pouvoir, il faut comprendre la multiplicité des rapports de force qui sont immanents au domaine où ils s’exercent, le jeu qui par l’intermédiaire d’affrontements incessants les transforme et les renforce, les appuis que ces rapports de force trouvent les uns dans les autres, de manière à former système, ou au contraire les décalages, les contradictions qui les isolent les uns des autres (Foucault 1976, p. 121). Si l’on considère ce cadre, l’inclusion des femmes noires dans la dynamique du pouvoir, selon la description de bell hooks, …

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