Comptes rendus

Léo Thiers-Vidal, De « L’Ennemi Principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination, Paris, L’Harmattan, 2010, 372 p.[Notice]

  • Diane Lamoureux

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  • Diane Lamoureux
    Université Laval

Cet ouvrage nous est parvenu entouré d’une aura tragique. En effet, peu de temps après avoir soutenu la thèse de doctorat qui sert de base à ce livre, Léo Thiers-Vidal s’enlevait la vie. Dans ce texte d’une remarquable honnêteté et probité intellectuelles, il explore ce que signifie être un homme (individu de sexe masculin) dans une société patriarcale et cherche à trouver des voies qui permettraient à un homme hétérosexuel de ne pas contribuer à la reproduction du patriarcat comme système social. L’ouvrage de Thiers-Vidal est divisé en trois parties. La première explore à la fois les théories féministes radicales et les analyses critiques de la masculinité. La deuxième traite des modes de constitution de la masculinité. La troisième analyse le cheminement de huit hommes qui tentent d’adopter une position critique et réflexive par rapport à leur position dans les rapports sociaux de sexe. La première partie est de facture classique. Thiers-Vidal présente dans le premier chapitre les principales thèses du féminisme radical, puis les analyses masculines engagées et il évalue ensuite dans le deuxième chapitre les secondes au regard des premières. On y trouve un bon résumé des thèses élaborées par Delphy, Guillaumin, Wittig, Mathieu et Tabet ainsi qu’une analyse de quatre domaines dans lesquels se déploient les rapports de pouvoir entre les sexes : 1) le monopole des outils et des armes; 2) la production domestique; 3) l’appropriation des corps; et 4) le contrôle de la reproduction. L’analyse de Thiers-Vidal soulève un enjeu central, soit « la possibilité de penser l’oppression en même temps que la marge de manoeuvre, la structure déterminante ainsi que l’action créatrice […] sans pour autant nier ou diminuer la place du pouvoir dans les rapports de genre » (p. 49). L’évaluation des analyses masculines engagées est plus intéressante et originale et constitue un apport important à la compréhension de ces (parfois faux) amis du féminisme. Thiers-Vidal s’intéresse particulièrement aux thèses de Stoltenberg, Welzer-Lang, Connell et Bourdieu. Cela le conduit à opérer une démarcation entre Stoltenberg et Connell, d’une part, qui « appellent tous les deux à la destruction et l’abolition de la masculinité comme identité et pratique, basées sur l’exploitation et l’oppression des femmes » (p. 77), alors que Bourdieu et Welzer-Lang soutiennent « l’idée que les hommes sont également victimes des représentations androcentriques qui gouvernent le monde » (p. 77), ce qui aboutit à faire du patriarcat une structure de domination sans sujets où il n’y a que des victimes. Thiers-Vidal fait donc sien l’appel de Stoltenberg « à détruire la masculinité, à devenir des traîtres à notre classe de sexe » et partage son projet de « s’impliquer au quotidien dans la lutte contre l’oppression de genre auprès des féministes » (p. 79). Le troisième chapitre de la première section prend en considération l’épistémologie du point de vue principalement de son rôle dans la construction des savoirs. Ainsi, Thiers-Vidal prend au sérieux l’expérience dans la constitution des savoirs concernant le patriarcat, mais il accorde aussi de l’importance au décalage, au petit pas de côté, au décentrement, qui peut permettre à des individus objectivement situés du côté de la domination (qu’elle soit de classe, de genre ou de race) de tenter de s’en extirper et d’adopter le point de vue des personnes dominées. Il montre ainsi que les analyses en termes d’aliénation masculine (Bourdieu et Welzer-Lang) ont le double désavantage d’opérer une fausse symétrisation du groupe dominant et du groupe dominé dans les rapports sociaux de sexe et de dédouaner les personnes qui en sont à l’origine de toute analyse de leur propre participation à la production et à la reproduction du …