Corps de l’article

Avoir un cancer incurable et vieillir sont des expériences incarnées qui, sans s’y limiter, passent par le corps, alors soumis à maints changements. Le corps, pôle identitaire important qui permet d’être dans le monde et d’entrer en relation avec autrui, est alors transformé. Lorsqu’elles vieillissent, les femmes voient dans leur miroir une image qui ne correspond pas toujours à celle qu’elles connaissaient, et il arrive qu’elles ne se reconnaissent plus dans ce reflet (Beauvoir 1970). Le personnel médical et les proches s’adressent souvent à ces femmes à propos de leurs douleurs physiques. Toutefois, ils se penchent beaucoup moins fréquemment sur leurs souffrances psychologiques, sociales ou existentielles, particulièrement celles qui sont issues de l’expérience de leur corps. Or, soigner la personne dépasse l’aspect physique et touche plus largement les aspects psychologiques, sociaux, environnementaux, spirituels et autres de l’expérience de la personne.

Des études en gérontologie et oncologie montrent que la souffrance psychique liée à l’expérience du corps peut être importante chez les personnes atteintes d’un cancer et chez les femmes âgées (Black 2005; Calasanti, Slevin et King 2006; Daneault et autres 2004; Dany, Dudoit et Favre 2008; Esbensen et autres 2008; Gould et autres 2009; Sinding et Gray 2005). Toutefois, à notre connaissance, aucune recherche ne porte précisément sur la souffrance psychologique vécue par les femmes âgées atteintes d’un cancer incurable en rapport avec l’expérience de leur corps. Nous croyons que la compréhension de la souffrance que vivent ces femmes commence par l’écoute de leur témoignage : c’est pourquoi nous avons choisi de leur donner la parole, tout comme le préconisent plusieurs chercheuses féministes (Freixas, Luque et Réma 2012; Calasanti et autres 2006).

Dans l’article qui suit, nous présenterons le cadre théorique de notre étude en nous penchant sur la souffrance, la gérontologie féministe et les études portant sur le corps. Suivra un exposé de la démarche méthodologique, des objectifs, de l’échantillonnage, des entretiens réalisés et de l’analyse effectuée des catégories de conceptualisation. Les résultats démontreront la manière dont l’image de soi projetée et transformée, l’autonomie menacée, l’incertitude et les inquiétudes relativement à son corps et à son avenir ainsi que les traitements se relient aux souffrances des femmes âgées atteintes d’un cancer incurable. La discussion présente la synthèse des résultats et une révision de la définition de la souffrance.

Le cadre théorique

La souffrance

Ricoeur (1994) a élaboré une conception de la souffrance particulièrement riche, qu’il distingue de la douleur. Abiven (1994 : 206) résume comme suit la conception de la souffrance chez Ricoeur:

[La] souffrance est liée à la prise de conscience d’une limitation de soi vis-à-vis de soi-même, comme vis-à-vis d’autrui […] Selon cette conception, on pourrait alors la définir comme l’état douloureux d’une conscience réalisant que ce qu’elle vit, l’état dans lequel elle se trouve provoque limitation de son soi et impuissance.

La souffrance peut être classée sur deux axes. L’axe soi-autrui se réfère à l’altération du rapport à soi-même et à autrui, tandis que l’axe agir-pâtir se reporte à la « diminution de la puissance d’agir » (Ricoeur 1994 : 59) qui s’observe dans une impuissance à dire, à faire, les atteintes portées à la fonction du récit dans la constitution d’une identité personnelle et l’impuissance à s’estimer. Cette conception de la souffrance est particulièrement pertinente dans le cas de l’étude de gens atteints d’une maladie incurable (Abiven 1994) qui vivent une situation où les limitations sont nombreuses. Elle sera ici au coeur de notre étude.

Kahn et Steeves (1986) ont également proposé une définition de la souffrance, avançant qu’elle est vécue lorsqu’une menace pèse sur l’intégrité personnelle. Cette définition offre des pistes de réflexion sur les sources de la souffrance sans toutefois fournir la richesse sémantique de la définition de Ricoeur (1994).

La gérontologie féministe

Depuis quelques décennies, des spécialistes de la recherche féministe qui travaillent en gérontologie déplorent le manque de recherches sur les femmes âgées (Freixas, Luque et Réma 2012; Lagrave 2009 ; Hurd 2000; Hillyer 1998). C’est dans ce contexte que la gérontologie féministe s’est développée et que maintes études ont été réalisées, ce qui a permis de combler une part de ce manque. La gérontologie et le féminisme se rejoignent effectivement dans leur lutte contre les inégalités, leur désir de comprendre la réalité des femmes âgées dans toute sa diversité, leur dénonciation de l’âgisme et de l’invisibilité des femmes âgées, leur promotion d’une amélioration des conditions de vie des femmes âgées et de leur autonomisation (empowerment) (Freixas, Luque et Réma 2012 ; Covan 2005; Garner 1999). Notre étude s’inscrit dans ce courant de pensée.

Une conception nuancée du vieillir

Plusieurs chercheuses et chercheurs se sont élevés contre une vision du vieillissement axée seulement sur ses aspects délétères comme les pertes et les afflictions et ont fait la promotion d’un « bien vieillir » (Vaillant et Mukamal 2001). Or, tout comme cela est de plus en plus relevé en gérontologie féministe, on assiste parfois à la promotion d’une position où le « bien vieillir » est finalement un « non vieillir » et nie les afflictions inhérentes au vieillissement (Freixas, Luque et Réma 2012; Lagrave 2009; Singin et Gray 2005). C’est pourquoi nous tentons par notre projet de rappeler que, sans s’y réduire, le vieillissement est aussi teinté de différentes souffrances qu’il ne faut ni oublier, ni taire, ni sous-estimer (Freixas, Luque et Réma 2012; Lagrave 2009).

La souffrance et l’expérience du corps chez les femmes âgées : des recherches en gérontologie

Les pertes et le vieillissement du corps, une expérience de déclin… social?

Gullette (1999) compare le phénomène social du vieillissement au féminin à une expérience de déclin principalement social. L’expérience des femmes âgées s’inscrit effectivement dans un contexte culturel où le vieillissement est très mal vu. Or, les identités sociales sont ancrées, entre autres, dans les représentations sociales d’un phénomène, et le corps associé à la perte et au dysfonctionnement dans le discours social est souvent vécu comme tel par les personnes aînées (Tulle-Winton 2000). L’aspect fragile et vulnérable du corps et l’impuissance devant le vieillissement, dénigrés par la société actuelle, sont aussi combattus par certaines personnes âgées (Marzano-Parisoli 2002). Ce combat prend parfois le visage d’une quête de maîtrise de leur corps. En effet, sous les notions contemporaines de la beauté, on trouve les présupposés suivants : si une personne se discipline, elle pourra conserver sa beauté et la jeunesse de son corps. Ainsi, elle est responsable de l’apparence de ce dernier (Freixas, Luque et Réma 2012; Hurd 2000). Cette logique permet de dévaloriser ceux et celles qui échouent dans ce contrôle de leur corps (Hurd 2000).

Or, le vieillissement est une expérience souvent aux antipodes de ce contrôle et les femmes âgées dont le corps accuse les signes de la vieillesse entrent parfois dans ce groupe de gens dévalorisés. De plus, les représentations sociales du vieillissement font que plusieurs femmes ont peur du vieillissement et l’associent à une perte de féminité ou à la fin de la possibilité d’être attrayante (Freixas et autres 2012; Hurd 2000).

Du déni de la mort au déni du vieillissement

Certaines études soutiennent que le corps des femmes âgées est tellement déconsidéré en Occident qu’il est effacé, dénié et invisible socialement (Charpentier et autres 2010; Freixas, Luque et Réma 2012), ce qui expliquerait qu’il est peu étudié et que l’on s’y attarde rarement. Ce déni s’enracinerait dans la peur. Cette dernière serait notamment une peur de la mort, résultat ultime du processus de vieillissement (Nelson 2002). Dans une société qui dénie souvent la mort, qui fait la promotion de la productivité, de la maîtrise et qui fait preuve de vitalisme (valorisation de la vie au détriment de la mort), la mort et le fait de mourir occupent une place bien sombre (Des Aulniers 2009). Dans un tel contexte de déni de la mort, le glissement vers le déni du vieillissement, qui rappelle la finitude de la vie, n’est-il pas facile? On explique parfois de cette manière l’âgisme (discrimination fondée sur l’âge) qui sévit en Occident (Freixas, Luque et Réma 2012; Nelson 2002). En blâmant et en méprisant les personnes aînées, les plus jeunes tentent de nier qu’elles et eux aussi seront vieux à leur tour (Nelson 2002).

Un corps qui se transforme

Le corps qui vieillit subit de nombreuses transformations : l’angoisse, l’inquiétude, la tristesse, la frustration et les soucis résultent parfois de ces changements (Hurd 2000 et 2002; Beauvoir 1970). La prise de poids est fréquente et, puisque la minceur et la jeunesse du corps sont valorisées, cela engendre une insatisfaction chez la majorité des femmes âgées et de la honte chez certaines (Freixas, Luque et Réma 2012; Bedford et Johnson 2006; Hurd 2002). Une très forte proportion de femmes âgées valorisent aussi les capacités fonctionnelles de leur corps (Freixas, Luque et Réma 2012; Hurd 2000). Toutefois, ces capacités décroissent souvent avec le vieillissement (et la maladie). De telles pertes ne pourraient-elles pas engendrer des souffrances importantes chez les aînées qui valorisent fortement cet aspect de leur corps?

De recherches en oncologie

Les pertes et les transformations du corps

Les recherches menées sur l’expérience du corps des personnes atteintes d’un cancer rejoignent en certains points ce que la gérontologie nous apprend. Ainsi, le cancer, surtout lorsqu’il est incurable, implique souvent des transformations physiques souffrantes (Thomé 2003). La prise de poids est parfois conséquente aux traitements et peu appréciée. L’alopécie et les ablations sont aussi difficiles à vivre (Thomé 2003), symboles de la maladie et changeant le regard que les gens portent sur les femmes qui vivent ces transformations (Caron et autres 2007). Ces dernières se voient alors parfois réduites à leur identité de « personne atteinte de cancer » dans le regard d’autrui.

La discrimination et la stigmatisation des personnes atteintes d’un cancer

On remarque aussi dans certaines études que les traces que laisse le cancer sur le corps sont liées à toutes sortes de discriminations, de représentations et d’imaginaires sociaux négatifs, voire de stigmatisation (Bataille 2006; Chapple, Ziebland et McPherson 2004; Clément-Hryniewicz et Paillaud 2008; Esbensen et autres 2008; Froucht-Hirsch 2005; Gould et autres 2009; Sinding et Gray 2005; Moulin 2005). Le cancer rappelle aussi souvent la mort. Or, dans une société où la mort est vue négativement, être atteint d’un cancer incurable suscite souvent un malaise.

Le cancer : la peur et le combat

Avoir un cancer, c’est aussi souvent subir effractions et violences corporelles (Lussier et Daneault 2005). Cette violence serait vécue lors du choc initial de la nouvelle, lors de la reconnaissance que rien de plus ne peut être fait, puis chaque fois que la maladie reprend de plus belle (Lussier et Daneault 2005).

Des peurs résultent de cette expérience (Lussier et Daneault 2005). Certaines personnes font face à ces peurs en adoptant une attitude de combat. Celui-ci peut certes être bénéfique dans certains cas, puisqu’il donne l’impression d’avoir un pouvoir, une prise sur la maladie et le corps, et qu’il permet notamment de canaliser leurs énergies afin de guérir. Toutefois, le combat est dangereux à d’autres égards puisqu’il place la personne dans une position précaire, particulièrement lorsqu’il est « perdu » et que le cancer est incurable (Bataille 2003). La souffrance alors vécue par celle-ci peut prendre de multiples visages tels que la colère, la tristesse, la dépression ou l’isolement. Cette valorisation de l’attitude héroïque dans un combat contre la maladie peut aussi avoir comme effet de taire les souffrances ou les peurs vécues, et c’est d’ailleurs pourquoi certaines femmes âgées atteintes d’un cancer vont refuser d’endosser ce rôle (Sinding et Gray 2005).

Les objectifs de la recherche et la démarche méthodologique

En somme, diverses souffrances pourraient se lier à l’expérience du corps des femmes âgées atteintes d’un cancer incurable. Toutefois, les études portant sur ces deux facettes de l’expérience de ces femmes (vieillissement et cancer) sont encore peu nombreuses (Esbensen et autres 2008; Thomé 2003).

C’est pourquoi nous avons décidé de réaliser une recherche qualitative exploratoire, intitulée « La souffrance chez les femmes âgées atteintes d’un cancer incurable », qui se penche sur trois grandes dimensions de la souffrance : l’expérience du corps, du temps et de la communication. Dans le présent article, nous exposons l’analyse des résultats de la dimension de l’expérience du corps des femmes rencontrées. Notre objectif général est de mieux comprendre la manière dont l’expérience du corps des femmes âgées atteintes d’un cancer incurable se relie à leur souffrance. Plus précisément, nous voulons mieux saisir les sources, les manifestations et la définition de cette souffrance.

Notre recherche est issue du courant humaniste existentialiste de la psychologie et d’une perspective herméneutique. La psychologie humaniste existentialiste tente de comprendre l’expérience de l’être humain face à lui-même, aux autres et au monde (Misiak et Sexton 1973). Nous adhérons aux présupposés de cette approche ainsi qu’à ceux de l’approche herméneutique. En effet, nous croyons que la réalité est coconstruite, complexe, et qu’elle se comprend par le dialogue (Gadamer 1960). C’est pourquoi les premières concernées furent rencontrées afin qu’un dialogue puisse s’établir avec elles. C’est aussi pour cela que nous adoptons une méthode de recherche qualitative ouverte aux nuances et aux complexités de la réalité.

L’échantillonnage

Les critères d’inclusion étaient les suivants : être une femme âgée de 65 ans et plus, atteinte d’un cancer incurable (diagnostic posé par un ou une médecin) et connaissant ce diagnostic. Les participantes ont été recrutées au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et au Centre de santé et des services sociaux Cavendish à Montréal. Les coordonnées de vingt participantes potentielles ont été recueillies par des spécialistes et des personnes-ressources, et nous avons communiqué avec ces femmes.

Six d’entre elles ont refusé de participer à notre étude pour des raisons de santé ou des motifs personnels, dont une qui était allophone; trois ont changé d’hôpital et n’ont pu être jointes; et une est décédée. Dix femmes ont donc été rencontrées.

L’arrêt du recrutement a été guidé par le vaste contenu livré lors des entrevues, soit la diversité des témoignages, des caractéristiques des participantes et des problématiques soulevées. La saturation des données a également motivé la cessation du recrutement.

La description de l’échantillon

Les dix participantes rencontrées étaient âgées de 66 ans à 83 ans. Trois d’entre elles étaient âgées de 65 ans à 70 ans; cinq, de 71 à 75; une avait 78 ans et une autre 83 ans. Elles étaient atteintes de différents types de cancer qui avaient été diagnostiqués comme incurables : sept souffraient d’un cancer du poumon; une, d’un cancer du sein; une, de cancers multiples; et une, du cancer du pancréas. Une participante était anglophone; les neuf autres, francophones. Neuf participantes étaient de religion catholique et une, de religion juive. Quatre participantes étaient mariées; trois étaient célibataires; deux, divorcées ou séparées; et une était veuve. Enfin, huit de ces femmes avaient des enfants. Voici un tableau qui résume quelques caractéristiques sociodémographiques des participantes. Nous utiliserons le numéro attribué à chaque participante pour les désigner dans notre analyse.

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Les entretiens

Des entretiens semi-dirigés (Mayer et autres 2000) ont été menés au domicile des participantes ou dans un lieu de leur choix. Ces entretiens étaient d’une durée variable de 45 minutes à 2 heures 30 minutes, généralement 1 heure 30 minutes. L’état de santé des participantes était souvent précaire et les sujets abordés, délicats. La durée des entrevues était donc déterminée par le désir de l’interviewée de poursuivre et sa capacité physique à le faire. Les entrevues ont été réalisées avec empathie et respect par la chercheuse principale, formée pour ce type d’entretien et expérimentée à cet égard. Ce type d’entrevue a été choisi parce qu’il permet aux répondantes de partager leur histoire, leurs souffrances; il peut aussi jouer un rôle d’autonomisation chez les femmes rencontrées, ce qui peut également être soulageant et correspond à notre approche féministe (Opie 1992).

Chaque participante a été rencontrée à une (n = 1) ou deux reprises (n = 9). Dix-neuf entrevues ont été réalisées. Avec une des participantes, tous les thèmes ont été traités en une seule entrevue, alors que, pour les autres, deux entretiens ont permis d’aborder les différents thèmes.

L’éthique

Le projet a été soumis aux comités d’éthique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et du CHUM, qui l’ont accepté. Lors de la première rencontre, l’étude a été résumée aux participantes, et nous leur avons demandé de signer un formulaire de consentement éclairé que nous avions préalablement lu avec elles. Des références psychologiques leur étaient aussi fournies. Nous avons également pris plusieurs précautions afin de nous assurer de respecter leur anonymat.

L’analyse de catégories de conceptualisation

La première analyse de catégories de conceptualisation des données a été réalisée en procédant à la lecture et à la relecture des transcriptions des entrevues afin de jeter les bases des catégories (Paillé et Mucchielli 2012). Les entrevues ont été étiquetées par deux codeurs à l’aide du programme QSR N6. Puis le phénomène étudié a été repéré et délimité pour raffiner et retravailler les catégories. Enfin, les entrevues ont été codées à nouveau avec ces nouvelles catégories.

La validité de l’analyse a été assurée en suivant les recommandations de Des Aulniers (1993), notamment en clarifiant l’appareil théorique, en enregistrant les entretiens et en valorisant des concepts proches de l’expérience vécue des participantes. De plus, les comptes rendus intégraux (verbatim) contenus dans les catégories appuyaient les analyses et une comparaison interjuge a été réalisée.

Enfin, les règles d’exhaustivité, de représentativité, d’homogénéité, de pertinence et d’univocité des catégorisations et analyses ont été respectées (Mayer et autres 2000).

Les résultats obtenus

Il ressort de nos résultats que quatre dimensions de l’expérience du corps des femmes âgées atteintes d’un cancer incurable sont particulièrement souffrantes à vivre. Ce sont :

  1. les transformations vécues relativement à l’image de soi;

  2. les pertes fonctionnelles et d’autonomie;

  3. l’incertitude entourant le corps;

  4. les menaces et les peurs relatives au corps.

L’image de soi et l’image projetée transformées

Le cancer est une maladie souvent invisible, « cachée » dans le corps et la personne n’a pas toujours à en « porter » l’image. Une participante parle ainsi de son cancer : « Comme les grands brûlés, c’est difficile aussi là, tu sais […] porter toujours ça avec toi. C’est pas pareil en dedans parce qu’en dedans c’est caché » (1,1[2]). Toutefois, pour plusieurs, le cancer et ses traitements sont venus marquer leur corps. Toutes les femmes que nous avons rencontrées rapportent que leur apparence a été transformée par le cancer et le vieillissement. Leur corps est souvent devenu, bien malgré elles, messager de la maladie et de sa gravité.

L’alopécie : source de tristesse, d’isolement

Un changement visible que certaines ont vécu à la suite des traitements du cancer est l’alopécie, soit la chute des cheveux (n = 3). Comme on le constate dans l’extrait qui suit, cette perte est source de souffrance chez elles :

Regarde ça. [Elle montre ses cheveux.] J’ai jamais porté les cheveux courts de même. C’est parce que je les perds. Regarde le fond de ma tête. [Elle pleure.] Ça, ça me fait quelque chose. J’avais une bonne chevelure là.

10,2

Pour éviter que leur alopécie soit visible, deux participantes ont décidé de porter une perruque. Une d’elles rapporte que ses contacts sociaux ont ainsi été peu altérés parce sa maladie est presque invisible. Toutefois, cette invisibilité et le fait que son cancer est asymptomatique font que son entourage et elle-même ont eu de la difficulté à croire qu’elle est atteinte d’un cancer, comme elle le raconte :

Je suis pas malade encore. J’ai pas de symptômes, j’ai rien […] Allez donc comprendre quelque chose. C’est pour ça que les enfants ils ont de la misère à croire ça parce qu’ils disent : « Maman t’es pas malade. » […] Moi-même j’ai eu de la misère avec ça au début parce que c’est asymptomatique le cancer du poumon.

10,1

Une autre participante (9,1) rapporte ne pas avoir perdu ses cheveux, mais que, si cela lui était arrivé, elle ne l’aurait pas dissimulé pour que les gens sachent qu’elle est atteinte d’un cancer. Elle note que le fait que la maladie est visible peut parfois avoir des retombées positives, comme de recevoir des gestes de compassion, la compréhension des gens, leur aide, etc. Inversement, lorsque la maladie est « invisible », il peut être difficile d’obtenir du soutien puisque certaines personnes peuvent ne pas savoir ou avoir de la difficulté à y croire.

Les changements de poids difficiles à vivre

Presque toutes les participantes rencontrées (n = 7) précisent que leur poids a changé avec la maladie et le vieillissement. Deux rapportent avoir vécu une prise de poids et une troisième dit avoir « enflé » avec les traitements. Les conséquences esthétiques et fonctionnelles de cette prise de poids sont déplorées.

Toutefois, plusieurs soulèvent plutôt ne pas apprécier maigrir (n = 4), comme le raconte cette participante :

Mon corps n’est plus comme il était avant… Je suis devenue tellement maigre et mes jambes si maigres, et c’est… regardez, je suis flétrie, je suis vraiment flétrie. Je ne suis pas très belle à voir, vous savez. J’avais de tellement beaux, pas gras, mais des bras bien remplis et je n’avais pas ça [elle montre ses bras, amaigris à l’interviewer] ni rien de ce genre, mais depuis que j’ai perdu du poids j’ai changé. (traduction libre)[3]

5,1

L’expression « pas très belle à voir » met en évidence le fait que cette participante ne se trouve pas jolie et qu’elle conçoit que c’est la même chose pour autrui. La même participante dit plus loin dans l’entrevue qu’elle se trouve émaciée. Ici la perte de poids est perçue différemment de celle qui est vécue par les gens qui ne sont pas malades et l’accueillent avec joie. Elle est plutôt symbole du cancer, de la gravité de la maladie, voire de la fin de vie. Une autre participante (9,1) raconte qu’elle souhaitait autrefois perdre du poids, mais déplore aujourd’hui d’avoir maigri.

La souffrance de femmes qui ne trouvent pas leur corps beau

Comme on l’a vu dans certains extraits, des participantes trouvent que leur corps a changé et qu’il n’est plus beau (n = 3). Elles n’aiment pas leur apparence et rapportent souvent que c’est une expérience très difficile à vivre. Une participante raconte qu’on lui a enlevé des dents pour un traitement pour son cancer :

J’ai l’air d’une sorcière […] Ça, c’est une souffrance parce que moi j’avais toutes mes dents […] La souffrance, c’est ça. Je me fais arracher une dent, je suis laide, à cause du traitement que je vais avoir.

8,2

Cette participante associe directement sa souffrance au fait de ne pas trouver son visage joli. Dans cette situation, la perte des dents altère négativement l’image de soi de cette femme qui ne se trouve pas jolie. Elle compare même son apparence à celle d’une sorcière, représentation de la femme souvent laide, dangereuse, menaçante, qui fait peur.

Une autre participante ajoute qu’elle trouve son corps « laid » et qu’elle préfère ne pas le voir nu, qu’elle aime mieux « le regarder habillé » (9,1). Ce désir de camoufler ce corps, de ne pas le voir, pourrait traduire une difficulté à l’apprécier tel qu’il est.

Les changements du corps : les camoufler ou les accepter?

D’autres participantes disent qu’elles n’accordent pas beaucoup d’importance à leur image et aux changements vécus à cet égard (n = 3). Ainsi, deux évoquent que leur corps change, mais qu’il faut l’accepter. La participante 7 rapporte que son corps a changé et se dit surprise de constater ces changements. À l’instar de la participante 5, elle montre ses bras, mais elle se dit plutôt surprise de voir comment ils ont changé avec sa perte de poids, la maladie et le vieillissement. Elle dit qu’« il faut le prendre » (7,1) qu’il faut accepter ces changements qui surviennent dans son corps.

Dans un même ordre d’idées, une participante dit de son corps changeant :

Ça me dérange pas parce que je me dis : « Je suis vieille, acceptons-le. » De toute façon, même si je n’avais pas le cancer, le corps vieillit quand même. Fait que, on l’accepte. On le camoufle! [Rires.]

9,2

On constate dans ces extraits une forme d’injonction à l’acceptation. On devine que l’adoption d’une telle attitude d’acceptation peut, dans une certaine mesure, aider à vivre ces changements. Toutefois, on voit aussi que la participante 9 camoufle son corps, ce qui pourrait témoigner d’un désir qu’il soit différent de ce qu’il est ou manifester une certaine pudeur, un désir de ne pas accentuer l’image de dépérissement qu’il peut refléter.

L’autonomie menacée

Une autre conséquence de la maladie et du vieillissement sur le corps des femmes rencontrées est l’accumulation de pertes fonctionnelles. Toutes les participantes vivent une baisse d’énergie et neuf ont même subi des pertes fonctionnelles qui s’accentuent avec le temps. Ces limitations engendrent toutes sortes d’émotions telles que le découragement, la déception, la tristesse, la frustration, la résignation, etc. Une participante rapporte par exemple ceci :

Je ne peux pas bouger à cause des métastases […] tout ce que j’aimais, je ne peux pas le faire.

8,1

La maladie empêche cette participante de faire ce qu’elle aimait. Or, elle soutient au fil de l’entrevue vivre beaucoup de tristesse et de frustration par rapport à ces pertes.

Plusieurs participantes (n = 6) disent valoriser leur autonomie fonctionnelle. Elles étaient autonomes avant d’être atteintes par la maladie et certaines le sont toujours. Le fait de perdre leur capacité de prendre soin d’elles et d’accomplir diverses tâches quotidiennes à cause de pertes fonctionnelles crée de grandes souffrances chez plusieurs. Par exemple, une participante dit que ce qui est souffrant dans son expérience est l’aspect suivant :

Tu ne peux plus rien faire. Tu ne peux plus avoir de projets, tu ne peux plus même cuisiner. Moi qui adorais cuisiner, c’est fini. [Elle pleure.] […] tout est trop fatigant. Je m’épuise à rien faire, alors tu te dis en toi-même, [souffrir], c’est de dépendre des autres, de plus être capable de faire rien par soi-même.

3,1

Ce qui est souffrant pour cette participante est le fait de subir ces limitations quant à ses activités quotidiennes, de voir son énergie diminuer, d’avoir l’impression qu’elle dépend des autres et ne peut plus rien faire, comme si ses possibilités d’agir étaient bloquées, anéanties (comme on le voit dans l’extrait « je ne peux plus rien faire »).

Certaines, pour qui la perte d’autonomie est particulièrement dure à vivre, résistent à ces pertes (n = 2). Une participante raconte : « J’ai marché beaucoup, parce que je ne voulais pas rester clouée au lit parce que j’étais habituée d’être autonome » (4,1). Pour contrer la perte d’autonomie, ces participantes s’activent, mobilisent leur énergie afin d’être le plus autonome possible.

L’incertitude et les inquiétudes par rapport à son corps et à son devenir

L’incertitude par rapport à son corps

L’évolution incertaine des changements, les pertes, les douleurs et les traitements que le corps subira avec la progression de la maladie et le vieillissement sont une autre source de souffrance, de craintes et d’appréhensions chez la majorité des participantes (n = 7). Une d’elles raconte ceci :

Il m’intimide mon corps en ce sens que si j’ai quelque chose là […] moi, le corps là, je n’ai pas de contrôle dessus […] S’il décide quelque chose, ce n’est pas moi, ça ne sert à rien, non. Parce que t’as beau essayer de camoufler tout ça…

6,2

On devine que l’imprévisibilité et la perte de contrôle de son corps qui intimide cette participante pourraient s’accroître avec l’évolution de la maladie. Par exemple, une participante raconte qu’elle peut subir à tout moment des détériorations physiques très importantes (cécité, paralysie, décès). Elle doit donc vivre dans l’incertitude de ce qui l’attend et toujours se questionner avant de faire un geste :

Si je tombe, je me demande : « qu’est-ce que je vais faire, comment je vais me relever? » […] À chaque mouvement que je fais, il faut que je me dise en moi-même : « Est-ce que je suis capable de le faire? Je vais-tu être capable de me relever? Je vais-tu être capable de redescendre de là? » Ça fait que ça exige beaucoup plus de mon temps.

3,1

Cette participante, qui habite seule, doit toujours évaluer ses capacités avant d’accomplir une action, toujours avoir conscience de son corps, de ses limites et de ses capacités fonctionnelles changeantes. Elle ajoute dans la deuxième entrevue : « Ce qui s’en vient, ça je le sais pas. […] Ça, ça me fait peur. » (3, 2). On constate ici que l’avenir incertain est source de peurs.

Une incertitude qui touche les questionnements au sujet de la mort et du fait de mourir

Les incertitudes à l’égard du corps se lient à des questionnements au sujet de la mort et du fait de mourir. Une participante raconte : « Le futur de la maladie, je vais te dire franchement, le cancer, je ne connais pas tellement ça. Je veux dire, je ne sais pas comment on meurt, moi, d’un cancer du poumon, je n’en ai aucune idée. » (1,1). Dans cet extrait, le futur prend le visage de l’inconnu. Dans un même ordre d’idées, une autre participante dit au sujet de son cancer : « Je ne le sais pas comment ça finit ça, comment ça finit cette affaire-là. Des fois, j’y pense, puis je me dis : « Mon Dieu Seigneur, peut-être que je vais empirer, puis que je vais mourir, tu sais. » (2,1)

Les incertitudes de ces participantes se lient à un questionnement, à une réflexion, voire à une certaine angoisse devant la mort et le fait de mourir.

Des corps traités, des corps mutilés

Un corps éprouvé source de peurs

Six des participantes rencontrées ont subi des traitements ou enduré des symptômes très douloureux et difficiles à vivre, comme en témoigne la participante 9 : « La sonde était brûlante là, ça a brûlé en dedans. Ça a duré au moins une heure, une heure et demie. Les traitements […] j’ai trouvé ça dur » (9,1). Beaucoup rapportent en détail ce qu’elles ont subi, les peurs qu’elles ont vécues (d’étouffer, de mourir). Pour décrire son expérience, une participante dit que son corps a été « défait » (1,1), tandis qu’une autre emploie le mot « charcuté » (8,1).

Des récits de cancers et de peurs

Des participantes racontent aussi avoir vu ou entendu parler de personnes atteintes d’un cancer qui ont vécu de grandes douleurs, des traitements très difficiles ou qui sont morts d’un cancer (n = 8). Parfois, elles se comparent et trouvent que leur expérience est moins difficile que celle des autres. Toutefois, ces récits leur font souvent craindre ce qui pourrait leur arriver. Cependant, ils les aident parfois à tracer des limites aux traitements qu’elles accepteront de subir, comme le dit cette participante : « Ils lui ont coupé la moitié de la langue […] Des fois je pense à ça, je suis couchée là, puis je me dis : « Oh non, moi ils ne me feront pas ça, ça n’a pas de bon sens. C’est effrayant. » (4,2)

Ces femmes craignent souvent d’avoir à vivre de telles expériences, d’avoir mal, de souffrir, de mourir (n = 4). Elles ont peur de subir des atteintes à leur intégrité physique analogues à celles dont elles ont été témoins ou qui leur ont été racontées.

La discussion

Une synthèse des constats de cette recherche

Selon nos résultats, avec le vieillissement, la maladie et les transformations qui s’opèrent dans le corps, un changement de l’image de soi s’instaure souvent chez les femmes âgées atteintes d’un cancer incurable. Ces transformations peuvent prendre la forme d’une alopécie souffrante à vivre (rejoignant les constats de Caron et autres (2007) et d’Esbensen et autres (2008), d’une prise de poids tantôt critiquée ou d’une maigreur encore plus dépréciée, puisqu’elle est le symbole de la gravité de la maladie (Bacqué 2007), voire de la menace de la mort. Cette transformation de l’image de soi est aussi souffrante à vivre dans la mesure où elle empêche la réalisation de certaines activités, des participantes préférant se retirer, de crainte que leur rapport à l’autre ne soit altéré. C’est là une limitation de leur capacité d’agir, une forme claire de la souffrance (Ricoeur 1994). La réflexion de l’image dans le miroir en surprend quelques-unes (Beauvoir 1970) et déplaît à plusieurs. Des femmes « accepteront » ces changements qui s’opèrent, mais c’est pour lutter contre ce changement de leur image que d’autres choisiront de camoufler les transformations qui se produisent dans leur corps (Lagrave 2009). Ce désir de camoufler son corps pourrait être une tentative d’avoir une maîtrise sur celui-ci (Marzano-Parisoli 2002; Hurd 2000) ou une manière de préserver une pudeur, ce qui rejoindrait les propos de Froucht-Hirsch (2005). Dans un contexte où les femmes atteintes d’un cancer incurable n’ont pas toujours beaucoup de contrôle sur ce qui arrive à leur corps, cela pourrait aussi témoigner d’une tentative bien légitime de se réapproprier celui-ci.

On constate aussi que la souffrance se manifeste lorsque l’autonomie est menacée par des pertes fonctionnelles (Thomé 2003) ou d’autonomie. Ce type de souffrance renvoie directement à l’idée de limitation de la définition de Ricoeur (1994) : la conscience réflexive consciente de son impuissance et les nouvelles limitations dans la capacité d’agir qui s’accumulent avec le temps sont ici source de souffrance. Celle-ci est aussi liée au fait que certaines participantes doivent, ou craignent devoir, dépendre des autres. Dans une société qui valorise fortement l’autonomie des personnes âgées et où beaucoup d’entre elles adhèrent à cette valeur (Bourgeois-Guérin et autres 2008), il n’est pas surprenant de voir que ce type de perte soit aussi difficile à vivre.

Nos résultats dévoilent en outre que l’incertitude par rapport à leur corps et à leur avenir est liée à diverses souffrances chez ces femmes. Des peurs et des souffrances sont éprouvées relativement à l’avenir de leur corps et à l’imprévisibilité de ce dernier. Ces souffrances sont aussi liées aux limitations, à l’impuissance ainsi qu’à des questionnements, à des angoisses ou à des peurs devant la mort et le fait de mourir. Ce sont là des manifestations de souffrance tant dans leur rapport à la limite (Ricoeur 1994) qu’en ce qui concerne la menace de mort qui gronde.

Enfin, la souffrance est liée chez les participantes à la peur de vivre ou de revivre ces expériences qu’elles ont vécues, vues ou entendues, qui ont durement éprouvé leur corps ou le corps d’autrui. Les termes que ces femmes choisissent pour décrire ce qu’elles ont subi dans leur corps renferment une notion de violence qui rejoint les constats de Lussier et Daneault (2005). Certaines de ces expériences revêtent également les caractéristiques du trauma, notamment dans la mesure où la vie de ces femmes est menacée (Clément-Hryniewicz et Paillaud 2008). De plus, la souffrance vécue est une crainte de la mort. En effet, plusieurs des femmes que nous avons rencontrées ont peur de vivre ou de revivre des expériences similaires de grande douleur ou de mutilation ou encore une mort douloureuse.

La définition de la souffrance revisitée

En somme, il ressort de nos résultats que les souffrances sont souvent engendrées par diverses limitations qui découlent de la maladie et du vieillissement, ce qui rejoint la définition de la souffrance de Ricoeur (1994). La notion de menace émerge toutefois du témoignage de ces femmes et rappelle la définition de la souffrance de Kahn et Steeves (1986). Pour notre part, nous proposons d’élargir un peu le spectre de la définition de Ricoeur (1994) en nous inspirant de cet élément de menace. Ainsi, la définition de Ricoeur, résumée par Abiven (1994), pourrait s’articuler comme suit (caractères en gras ajoutés) :

[La] souffrance est liée à la prise de conscience d’une limitation ou d’une menace de limitation de soi vis-à-vis de soi-même, comme vis-à-vis d’autrui […] Selon cette conception, on pourrait alors la définir comme l’état douloureux d’une conscience réalisant que ce qu’elle vit, l’état dans lequel elle se trouve provoque limitation de son soi et impuissance.

Cette menace pourrait être altération de soi à l’égard de soi (menace de désintégration, de mort, de perte d’intégrité, etc.) ou d’autrui (menace de stigmatisation, de discrimination, etc.). La possibilité d’intégrer la notion de menace à la définition de Ricoeur (1994) mériterait d’être explorée davantage dans de futures recherches.

Conclusion

Parler avec des femmes âgées atteintes d’un cancer incurable de leur corps, de leur vieillissement et de la maladie permet de mieux saisir tout un pan des souffrances qu’elles vivent, souffrances qui sont, dans plusieurs cas, en rapport avec l’expérience de leur corps et qui méritent d’être connues, reconnues.

Mieux connaître les souffrances que vivent ces femmes a également des retombées pour le personnel médical et les proches de ces femmes. Avoir conscience des diverses facettes de la souffrance que ces femmes peuvent éprouver et du contexte social dans lequel elles s’inscrivent peut aider à tracer un portrait plus complet des souffrances qu’elles doivent subir et à intervenir de manière plus appropriée avec elles. Cela peut aussi contribuer à avoir une meilleure compréhension des peurs, des déceptions, des réticences et des réactions de certaines.

Les résultats de notre recherche rappellent aussi l’importance de soutenir les initiatives encourageant à voir autrement le corps des femmes âgées atteintes d’un cancer. L’âgisme et les conceptions négatives du vieillissement et de la mort témoignent d’un déni important de la dégénérescence et du fait de mourir de la société occidentale actuelle (Lagrave 2009). Certaines participantes nous ont d’ailleurs dit ne jamais avoir parlé de leur expérience liée à leur corps avant cette étude. Pourtant, elles vivent plusieurs souffrances à cet égard et affirment avoir beaucoup apprécié le fait de pouvoir parler de ces dernières. Aborder ce sujet avec ces femmes s’inscrit en soi dans une démarche pour faire sortir de l’ombre l’expérience de leur corps. Cela rappelle l’importance de s’opposer à cette tendance au déni qui s’exprime aussi dans l’invisibilité de l’expérience du corps de ces femmes âgées atteintes d’un cancer incurable.