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Imaginons une maison, adaptée pour devenir un lieu de réunion, située à la périphérie de Gatineau, à cinq minutes de l’autoroute mais en pleine campagne. Ajoutons une vingtaine de femmes venant de quatre continents, et cela donne la réunion du Réseau des revues féministes, (Feminist Journals Network). Une idée fascinante et un réseau où la revue Recherches féministes a été un des membres fondateurs.

Tenue à Gatineau au début du mois d’avril 2004, cette réunion était la troisième du Réseau (les deux premières ayant eu lieu à Halifax et à Kampala). Ce dernier est une idée de Marilyn Porter, sociologue à l’Université Memorial, qui a beaucoup travaillé en Indonésie où elle avait été très impressionnée par le travail du Jurnal Perempuan (le terme perempuan veut dire « femmes »). Ce périodique est l’oeuvre d’une organisation non gouvernementale (ONG) qui, outre qu’elle publie une revue féministe, présente des émissions à la radio et produit des CD-ROM. Marilyn Porter a alors pensé qu’un réseau réunissant des rédactrices de revues féministes du Nord et du Sud pourrait être utile pour plusieurs raisons : permettre à certaines perspectives féministes des pays du Sud d’avoir des chances d’accès plus grandes à certains réseaux féministes du Nord ; effectuer des échanges de compétences (soit la capacité, plus développée dans les revues du Nord, de produire des articles universitaires et la capacité, plus développée dans les revues du Sud, de produire des documents selon des formats susceptibles de rejoindre un plus grand public) ; offrir des formes de collaboration quant aux technologies électroniques pour faciliter, en particulier, la diffusion de revues disposant d’un faible financement.

La réunion d’avril 2004 a regroupé une vingtaine de personnes et les revues suivantes étaient représentées :

  • Review of Women’s Studies (Philippines) ;

  • Feminist Studies (États-Unis) ;

  • Jurnal Perempuan (Indonésie) ;

  • Women : A Cultural Review (Grande-Bretagne) ;

  • International Feminist Journal of Politics (la représentante vient de l’Inde) ;

  • Asian Journal of Women’s Studies (Corée) ;

  • Gender, Technology and Development (revue de l’Asian Institute of Technology à Bangkok ; la représentante vient de l’Inde) ;

  • Atlantis (Canada) ;

  • Canadian Women Studies (Canada) ;

  • Revista Estudos Feministas (Brésil) ;

  • Women’s Studies Journal (Vietnam ; la revue est publiée surtout en vietnamien, avec un numéro par année en anglais) ;

  • Recherches féministes (Québec).

Les objectifs précis de cette réunion étaient triples : 1) la poursuite de la discussion sur les fondements idéologiques des revues, en particulier sur les liens entre les publications féministes et le changement social ; 2) une discussion sur les différentes activités du Réseau ; et 3) des ateliers sur les processus d’édition, de production et de distribution des revues féministes.

Il y a eu d’abord un échange d’information, chaque revue ayant alors l’occasion de parler de ses numéros récents et des initiatives en cours. Toutes sortes de projets innovateurs ont été ainsi mieux connus. Notamment, le Jurnal Perempuan produit des vidéos qui correspondent aux thèmes principaux des numéros de la revue. Les participantes ont vu, par exemple, ceux sur la traite des femmes (trafficking in women) qui permettent à ce périodique de rejoindre un plus large auditoire que celui qui est habituellement touché, grâce à un format qui facilite la communication.

Un autre projet innovateur est venu du Brésil et de la Revista Estudos Feministas. Les revues féministes du Brésil ont joint leurs efforts pour trouver des solutions collectives aux problèmes de distribution. La Dotation Ford les a appuyées financièrement afin qu’elles créent un réseau qui serait étendu aux revues de toute l’Amérique latine, celles des ONG autant que celles des universités. Des projets concrets ont été élaborés, entre autres, en vue d’assurer une présence collective à des conférences pour exposer l’ensemble des revues et proposer des abonnements.

La réunion de Gatineau a donné lieu à des discussions passionnantes sur la question linguistique, à savoir pourquoi certaines revues ont décidé de publier en anglais et d’autres non. La revue publiée au Vietnam l’est en vietnamien, mais elle a récemment décidé de produire un numéro par année en anglais pour être mieux connue sur la scène internationale. La revue Asian Journal of Women’s Studies est produite en Corée et publiée en anglais, car son mandat est de couvrir toute l’Asie. Par contre, la revue brésilienne, Revista Estudos Feministas, publie en portugais, car elle veut fournir une documentation féministe aux étudiantes et aux étudiants qui, de façon générale, ne lisent pas l’anglais. La revue est consciente que ce choix impose des limites importantes à sa visibilité internationale, mais elle fonde sa décision sur le fait que sa mission première consiste à outiller la population étudiante. Cette discussion a débordé sur celle de qui peut parler pour qui. Dans la construction des réseaux mondiaux du féminisme, qui interprète quelle réalité ? Dans ce contexte, le mot « international » est-il devenu synonyme d’anglais ? Comment le réseau peut-il traiter de cette question ? Il est vrai que la réunion s’est déroulée surtout en anglais — avec des traductions officieuses… La question a été soulevée, et les débats ont été extrêmement intéressants, mais les participantes ne sont pas parvenues à dégager des solutions.

La décision de publier un ouvrage contenant un article de chacune des revues du Réseau avait déjà été prise lors de la réunion tenue à Halifax. Ce premier livre du Réseau (qui sera bientôt copublié par Zed Books et Inanna Press) sera en anglais et l’article sélectionné par Recherches féministes est celui de Jeanne Bisilliat sur le rôle des femmes dans la formulation des politiques publiques au Brésil (publié en 1997 : vol. 10, no 2). La revue a choisi de faire traduire l’article pour rejoindre le public anglophone, compte tenu du fait que l’ouvrage est en anglais.

Le Réseau espère organiser une prochaine réunion en Corée, lors du Congrès international et interdisciplinaire sur les femmes du 19 au 24 juin, 2005 (pour plus ample information sur ce congrès, on peut se renseigner à l’adresse suivante : ww05@ewha.ac.kr). Rappelons que l’existence du Réseau est fragile, car le financement des réunions et des activités est coûteux et difficile à obtenir. Pour la tenue de la réunion à Gatineau, des fonds ont été obtenus de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), en plus de l’appui de l’Université Memorial et de l’Université d’Ottawa (que nous remercions vivement).

Le Réseau est une belle illustration des possibilités de collaboration mondiale féministe. Il est extrêmement important que les perspectives féministes des pays du Sud soient mieux connues des milieux féministes du Nord et que ces perspectives viennent des chercheuses et des militantes du Sud. Le Réseau des revues féministes (Feminists Journals Network) est ainsi un petit pas dans cette direction.