Résumés
Résumé
L’intersexualité est déjà abordée depuis plusieurs années au sein des théories féministes, où elle est généralement présentée comme l’exemple par excellence de la construction des sexes. Cependant, les personnes intersexes y apparaissent peu comme sujets, les analyses militantes et universitaires qu’elles produisent de même que leurs projets politiques demeurant largement ignorés. Serait-ce que les personnes intersexes ne peuvent qu’être objet et non sujet du féminisme? En examinant différentes conceptions du « nous femmes » et en relevant les modes par lesquels les femmes intersexes sont façonnées par l’hétérosexisme, l’auteure envisage une compatibilité d’action politique en s’appuyant sur la lecture qu’offre Young du genre comme structure sérielle.
Mots-clés :
- féminisme,
- intersexualité,
- sujet politique,
- hétérosexisme,
- médecine
Abstract
Intersexuality has already been a common topic in feminist theory since a few years. It is generally submitted at the evidence per excellence of the construction of sex. However, intersex persons rarely appear as subjects, while their activist and academic analyses and their political projects largely remain ignored. Does this mean that intersex persons can only be objects and not subjects of feminism? Through an examination of different conceptions of « us, women », as well as through an introduction to the ways intersex women are shaped by heterosexism, we envision Young’s gender as seriality proposal as offering legitimacy for common political action.
Corps de l’article
Femmes intersexes, du corps au sujet politique[1]
L’intersexualité a longtemps été l’objet exclusif d’investigation et d’intervention de la médecine, si ce n’est un produit de sa vaste entreprise de catégorisation et de normalisation des corps (Foucault 1976; Klöppel 2010)[2]. Au début des années 90, des chercheuses féministes, au premier plan Kessler (1990) et Fausto-Sterling (1993), l’introduisent dans les sciences sociales pour démontrer la validité des savoirs qu’elles produisent sur le corps et le genre, de même que pour dévoiler les assises culturelles des disciplines biologiques et médicales qui prétendent à l’objectivité (Morland 2005b)[3]. Bien que Kessler (1990) et Fausto-Sterling (1993) critiquent le refus de reconnaissance de l’intégrité corporelle et de l’autodétermination des personnes intersexuées/intersexes[4] par la médecine, une large part des écrits féministes qui suivent mobilisent l’intersexualité pour démontrer avant tout la nature construite des sexes (Holmes 2008a; Koyama et Weasel 2002). Dans une moindre mesure, ils exposent les prémisses (hétéro)sexistes sur lesquelles la médecine se fonde pour justifier et orienter les pratiques chirurgicales sur les enfants intersexués[5] (Koyama et Weasel 2002).
Ces démarches analytiques et théoriques ont pour horizon politique l’émancipation du sujet « femmes », produit à travers des rapports sociaux matériels ou discursifs, ou les deux à la fois, de domination pouvant se décliner, selon les orientations politiques et théoriques, sous le patriarcat, la pensée straight ou la matrice sexe/genre/sexualité. Malgré les différends qui les séparent, les féminismes matérialistes, le lesbianisme politique ou les féminismes queers considèrent tous que le sexe lui-même est construit ou qu’il est déjà du genre. Ils estiment également que le découpage naturalisé « homme/femme » est un pilier sur lequel reposent les rapports de domination, ce qui aiguise la nécessité de sa critique ou de sa déstabilisation, sinon l’abandon éventuel des catégories « hommes » et « femmes » (Butler 2006a et 2006b; Guillaumin 1992; Wittig 2007). Comme cette naturalisation est particulièrement ancrée dans le sens commun, l’intersexualité devient un exemple de choix pour l’ébranler (Koyama et Weasel 2002).
Si plusieurs des thèses et des analyses développées par des féministes s’avèrent des outils précieux pour les revendications et les luttes des personnes intersexes, ces dernières y apparaissent cependant rarement comme sujets (Holmes 2008a). C’est en tant que corps produits et objets sociaux que les personnes intersexuées/intersexes sont envisagées, leur propre parole et leurs nombreuses contributions analytiques demeurant largement absentes des réflexions féministes sur l’intersexualité[6]. Les enjeux concrets dans lesquels elles sont plongées de même que les démarches de subjectivation politique, les revendications et les mobilisations dans lesquelles elles sont investies sont toujours méconnus, à quelques exceptions près[7]. Cela constitue d’ailleurs une des principales critiques qu’activistes et spécialistes de la recherche intersexes formulent à l’endroit de théoriciennes féministes et queers (Holmes 2008a; Koyama et Weasel 2002; Moreno 2004). Nous y ajoutons notre voix, et ce, à partir de notre perspective située de chercheuse intersexe et féministe. Sous l’illustration suivante, titrée « Portée d’une interrogation », nous rendons d’office visible le marquage médical de notre corps, tant pour émerger du tabou qui nous confine dans le secret que pour concrétiser la tension entre l’assignation comme domination médicale et les positions féministes adoptées à l’égard des catégories de sexe, des personnes intersexes ou du genre.
Portée d’une interrogation
L’absence des sujets intersexes, nous tenons à le souligner, n’est cependant pas limitée au monde universitaire anglophone : elle est aussi relevée dans la littérature hispanophone par Mauro Cabral (2011), comme nous la mettons en évidence à notre tour dans la littérature francophone. Dans cette dernière, l’appel de Kraus et autres (2008) en vue de l’inclusion des personnes intersexes comme sujets politiques du féminisme est le seul qui ait été jusqu’à présent formulé, les auteures soulignant le fait que bon nombre de personnes intersexes politisées d’Europe estiment que les violences et la non-reconnaissance qu’elles subissent trouvent leur ancrage dans l’hétérosexisme[8].
L’inaudibilité de la parole et l’invisibilité des projets politiques intersexes au sein des discours et des réflexions féministes peuvent donner l’impression que les sujets intersexes sont extérieurs au féminisme. Jusqu’ici, les réflexions féministes ne se sont pas encore penchées sur les implications que comportent pour le sujet politique du féminisme ou pour le féminisme lui-même : les diverses désignations et préférences identitaires des personnes intersexuées; le parcours de transition ou de réassignation de sexe que plusieurs d’entre elles entreprennent lorsqu’elles refusent l’assignation de naissance; de même que le statut sexe/genre dans les cas de préservation de l’intégrité physique.
Le taux de personnes qui dérogent aux figures développementales normatives « homme » et « femme » créées par la médecine, de même qu’étant susceptibles d’être corrigées par celles-ci durant la tendre enfance ou plus tard à l’adolescence, s’élève à environ 1,7 % (Blackless et autres 2000)[9]. Cependant, leur présence est aussi peu remarquée au sein du mouvement féministe – qu’elles occupent par ailleurs déjà – qu’elle ne l’est dans la société en général. Cela est attribuable d’abord au processus d’effacement par lequel il est difficile de reconnaître son expérience d’invalidation comme analogue à celle d’autres personnes intersexuées, la politique du secret et des informations partielles longtemps appliquée par les médecins à l’endroit des parents et des personnes intersexuées en étant la pierre angulaire (Guillot 2008; Holmes 2002; Karkazis 2008; Kessler 1998; Morland 2008)[10]. Cependant, ce fait est appelé à changer, notamment avec l’accroissement du réseautage numérique et l’essor de témoignages Web et médiatiques, comme avec la constitution de rassemblements intersexes internationaux.
Les positions de sexe/genre en fonction desquelles des personnes intersexuées/intersexes peuvent déjà être investies au sein du féminisme varient. L’orientation hétérosexiste du milieu médical s’est traduite par l’assignation d’un sexe « femme » lorsque le « phallus[11] » est d’abord estimé trop court pour effectuer une pénétration vaginale (il est alors qualifié de « micropénis »). Cette assignation survient aussi lorsqu’il y a présence d’utérus, d’ovaires et d’un vagin permettant la gestation (le phallus est considéré dans ce cas comme un clitoris hypertrophié). Les assignations d’un sexe « homme », quant à elles, se font lorsque le phallus est estimé assez grand pour effectuer une pénétration vaginale et que les organes internes ne permettent pas la gestation (Dorlin 2005; Fausto-Sterling 2000; Holmes 2008a et 2008b; Kessler 1998)[12]. Certaines personnes intersexuées/intersexes construites en tant que femmes à la suite de mutilations[13] chirurgicales et hormonales de même que par un renforcement social peuvent accepter l’assignation, mais refuser la légitimité des transformations, tandis que d’autres peuvent porter cette assignation pendant quelques années avant d’affirmer qu’elle ne leur convient pas et désirer recevoir une assignation « homme ». L’inverse est vrai, également, pour les personnes intersexuées/intersexes construites en tant qu’hommes.
Ainsi se pose la question : les personnes intersexuées sont-elles hors sujet du féminisme? Pour restreindre les axes d’analyse et prendre la tension à bras le corps, nous nous concentrons ici sur celles qui s’identifient comme « femmes intersexes » et les mesurons aux principales formes de compréhension du « nous femmes ». L’expression « femmes intersexes » inclut, dans un premier temps, les personnes qui acceptent l’assignation « fille/femme » à la naissance tout en étant l’objet de la correction médicale ou sujettes à celle-ci[14]. Dans un second temps, cette tournure fait également référence aux personnes assignées « garçon/homme » à la naissance et ayant subi la correction médicale, mais refusant cette assignation et se considérant comme des femmes[15]. Les façons de s’identifier en tant que femme intersexe peuvent ensuite varier, mais la politisation sous-tendue dans l’adoption du qualificatif « intersexe » s’accompagne généralement de perspectives critiques sur la pathologisation médicale ainsi que sur la distinction et la binarité des sexes, car les personnes visées leur préfèrent une conception approximative et estompée de « hommes » et « femmes ». Pour notre part, nous accordons d’emblée crédit à l’auto-identification, notre positionnement situé intersexe considérant comme une violence l’imposition médicale et sociale d’une assignation de genre sur la base d’une lecture culturelle sinon patriarcale du sexe. L’intersexualité est déjà considérée comme soluble dans le féminisme, mais les femmes intersexes doivent-elles s’y fondre plutôt que d’étirer à l’extrême le sujet politique « femmes »?
Femmes intersexes et féminismes : quelle compatibilité politique?
De vives discussions ont déjà cours sur la délimitation des sujets politiques du féminisme, dont la manifestation la plus fréquente est le sens que l’on accorde à l’expression « nous, les femmes ». Comme Lamoureux (1998) le souligne, il y a cependant confusion entre sujet ontologique et sujet politique, de telle sorte que les questionnements autour de qui « les » femmes désignent, ou autour de qui peut s’identifier comme femme, tournent parfois court sur les possibilités d’action collective et de transformation sociale. Si le passage de « la » femme à « les » femmes a été plus aisé au sein du féminisme, attaché à faire ressortir l’individualité et l’humanité de chaque personne assignée femme, les questionnements ultérieurs sur la communauté d’expérience du « nous les femmes », ainsi que sur qui peut se désigner comme membre du « nous » ou s’en dissocier, ont connu et connaissent bien des remous. Les plus illustres sont les disparités entre les expériences de femmes « racisées » et femmes blanches, entre femmes pauvres et femmes venant des classes aisées, entre femmes hétérosexuelles et lesbiennes, puis entre femmes « cisgenrées » et femmes transsexuelles et transgenres.
Bien que les féminismes matérialistes, de leur côté, présentent le « nous femmes » comme le produit d’un rapport social et non d’une ontologie fondée sur le biologique, où ce « nous » est « le sujet même du féminisme au sens où il pose les femmes comme catégorie socialement déterminée par la division sexuelle du travail, d’où la reconnaissance d’une oppression qui leur est spécifique en tant que femmes » (Descarries et Kurtzman 2009 : 5), il établit formellement comme condition à l’appartenance au « nous femmes » la pérennité de cette assignation et de la socialisation sexuée qui s’ensuit. Pourtant, ainsi que le met en lumière Mayer (2011), il y a une dimension arbitraire ainsi qu’un a priori biologique dans le fait que, selon les lectures féministes matérialistes, nous allons reconnaître à une enfant de 5 ans assignée fille/femme une expérience et une socialisation que nous allons refuser à une femme trans*[16] qui a effectué sa transition depuis plus longtemps, et ce, parce qu’une socialisation antérieure en tant qu’homme invaliderait de facto toute expérience ultérieure de traitement social en tant que femme.
Les enjeux politiques de ce travail de délimitation du « nous femmes », des expériences de domination et d’oppression qu’il désigne, de même que des sujets qui peuvent légitimement imprégner les orientations de l’action sociale féministe ne sont pas négligeables. S’il est juste que des personnes assignées et socialisées hommes se sont souvent trouvées à diluer ou détourner les objectifs féministes pour maintenir leurs privilèges, la prudence qui en découle ne devrait pas forclore la prise en considération des expériences (hétéro)sexistes que vivent dans leur quotidien les personnes qui remettent en question l’assignation qu’elles ont reçu/subie à la naissance.
Devant la délimitation restreinte du sujet politique « nous femmes » comme femmes hétérosexuelles ou cisgenres, certaines auteures soulignent les risques d’exclusion et de reconduction d’une matrice hétérosexuelle et d’un ancrage biologique inhérents à une telle lecture. Selon Butler (1992 : 15) :
[Any] effort to give universal or specific content to the category of women, presuming that that guarantee of solidarity is required in advance, will necessarily produce factionalization, and that « identity » as point of departure can never hold as the solidifying ground of a feminist political movement.
À l’extrême opposé d’une lecture matérialiste, certaines auteures postmodernes – dont Butler ne se réclame toutefois pas – vont jusqu’à déconstruire le projet politique et affirment la dissolution non seulement des expériences communes, mais semblables. Ces auteures ne s’engagent cependant pas ou peu sur la façon dont il est possible d’envisager autrement la mobilisation que sur le mode microdiscursif, ce qui fait alors perdre au sujet son caractère politique (Lamoureux 1998).
Nous préférons la proposition de Young (2007), qui soumet le genre comme catégorie sérielle et permet ainsi d’éviter l’écueil à la fois de l’essentialisme et de la dissolution, le tout en accueillant la possibilité de créations identitaires contingentes :
D’une part, rassembler les femmes permet de conceptualiser les oppressions liées au genre comme résultat de processus institutionnalisés. D’autre part, penser le genre comme une structure sérielle contourne les problématiques jusqu’ici évoquées liées à l’identité commune, stable et essentialisée des femmes. En fait, la série ne correspond pas à un contenu arrêté, elle ne peut être définie dans sa totalité : son unité est sans attributs nécessaires. En fait, une structure sérielle correspond à une collectivité sociale […] dont les membres sont unis passivement par les objets vers lesquels leurs actions sont orientées, ou par le résultat des effets matériels de leurs actions sur les autres. [Son unité] provient de la façon dont les individus poursuivent leur propre fin individuelle par rapport aux mêmes objets conditionnés par un environnement matériel constant, en réponse aux structures qui ont été créées par le résultat collectif involontaire des actions passées.
Young 2007 : 20
Notre point de référence théorique posé, nous nous appliquerons d’abord à relever dans leurs grands traits les objectifs politiques des personnes intersexes politisées, de même que des façons dont l’expérience des femmes intersexes est imprégnée par l’hétérosexisme. Nous pourrons saisir par la suite la potentialité de solidarité politique ou la possibilité de réunion sous un sujet politique féministe que les grandes orientations théoriques et politiques peuvent respectivement offrir aux femmes intersexes.
Formation des expériences et engagements politiques des personnes intersexes
Depuis le début des mobilisations de personnes intersexes, celles-ci s’adonnent peu à la démonstration du caractère construit du sexe et du genre, car elles s’investissent davantage dans celle du caractère subjectif, sexiste, hétéronormatif/hétérosexiste, capacitiste et violent de la pathologisation de leur corps ainsi que des pratiques chirurgicales et hormonales qui renforcent l’assignation des sexes sur les nouveau-nés, les enfants de même que les adolescentes et les adolescents intersexués/intersexes. Tout en validant la désirabilité de corps intersexes (Homes 1998), ces personnes remettent en question ou critiquent plus précisément : la volonté de médecins spécialistes de maintenir leur contrôle sur la prise en charge intersexe (Davis 2011; Holmes 2011; Morland 2005a); le dépistage de foetus intersexués et les modalités négatives de son annonce (Holmes 2002 et 2008b; Cabral 2009b); l’encouragement médical à l’interruption de grossesse (Holmes 2002; Klöppel 2010); la médication in utero (par exemple, la prescription de dexaméthasone) (Dreger, Feder et Tamar-Mattis 2012; Holmes 2008b); la poursuite des chirurgies et de l’hormonothérapie non consensuelles (Davis et Murphy 2013); la pratique traditionnelle du secret et les modes de transmission d’information sur l’intersexualité (Holmes 2008a; Kessler 1998); les examens gynécologiques privés et collectifs durant la formation de médecins résidants, ainsi que les prises de photos non consenties (Karkazis 2008; Kessler 1998).
Le fait que les personnes intersexuées/intersexes ont vécu ces expériences d’invalidation et d’invasion corporelles comme des violences qu’il est impossible de rectifier (Cabral 2009b; Holmes 1998 et 2008a; Karkazis 2008; Kessler 1998; Morland 2005a) aiguise leur motivation à travailler à l’obtention du droit des personnes mineures à l’intégrité corporelle, à l’autodétermination de leur identité de genre, puis à l’exercice d’un consentement pleinement éclairé en matière de modifications corporelles (Third International Intersex Forum 2013). Elles peuvent aussi s’appliquer à faire reconnaître les véritables besoins médicaux que certaines d’entre elles manifestent à l’âge adulte, et ce, en appelant à un décentrement des questions cosmétiques.
Les défis politiques se sont accrus depuis l’adoption de la terminologie « désordres du développement sexuel (DSD)[17] » en 2005 par des « spécialistes de l’intersexualité » venant principalement du milieu médical et réagissant à la réappropriation de la désignation « intersexe » ainsi qu’à la volonté des activistes de sortir l’intersexualité de sa sphère de pouvoir (Davis 2011). Le milieu médical développe alors un discours médiatique et se fait fort d’avoir abandonné les pratiques d’assignation de sexe forcé sur les enfants dont il juge le sexe ambigu (Davis et Murphy 2013; Holmes 2011; Karkazis 2008)[18]. On voit apparaître une profession de transparence dans le transfert des informations, de prudence dans la prise de décision concernant les prises en charge médicales, l’amélioration des techniques, sinon la prise en considération des besoins des patients (Lee et autres 2006). Cependant, l’examen critique des déclarations médiatisées, des publications médicales et de quelques entrevues menées auprès de spécialistes permet d’observer une poursuite de l’entreprise de pathologisation et d’effacement des corps intersexes, voire son élévation à un niveau eugéniste avec la promotion susmentionnée de traitements prénataux et l’encouragement, dans certains cas, à l’interruption de la grossesse (Cabral 2009b; Davis 2011; Davis et Murphy 2013; Dreger, Feder et Tamar-Mattis 2012; Holmes 2008b)[19]. Qui plus est, la validité des critiques d’activistes intersexes n’a jamais été officiellement reconnue dans le milieu médical et essuie encore aujourd’hui discrédit et ignorance (Bastien Charlebois et Guillot à paraître; Holmes 2008b; Karkazis 2008; Roen 2009).
L’aspect où les activistes et les spécialistes de la recherche intersexes rejoignent les politiques féministes est dans leur identification du sexisme, de l’hétérosexisme ou de l’hétéronormativité comme origine de l’oppression qu’elles subissent. Les discours déployés par la médecine sous-tendent une nécessaire complémentarité des sexes, comme le révèle notamment la présupposition que des personnes intersexuées assignées femmes et ayant un semi-vagin soient incapables de relations sexuelles, ou encore que des clitoris « hypertrophiés » seraient peu seyants et ne pourraient que susciter dégoût et inconfort chez des partenaires hommes qui y verraient une menace à leur « propre hétérosexualité » (Kessler 1998)[20]. Cet « hyperclitoris », que certaines personnes désignent comme en « excédent » ou en « trop », bouscule les représentations des femmes et des rôles sociaux qu’elles « devraient » occuper. Analysant une affirmation de ce type effectuée lors d’une émission spéciale de 20/20 sur l’intersexualité, Holmes s’interroge (2008a : 79) :
The mothers’ statement that the girls have only ‘ a little too much ’ takes as obvious that there is an appropriate limit to female genitals and that only a little more than that must be removed. Elizabeth Gordon’s statement begs the question and leaves unattended the assumptions that she, the doctors, and the show’s producers presume will be obvious to its viewers. But what is it really that girls such as Allison have too much of? too much potential? too much power? too much flesh? too much for what, and for whom? The answer, of course, is that they have too much of all the above to be appropriately subjectified girls, who not only must not have too much presence, but who must indeed represent absence of the phallus.
Les activistes intersexes vont également souhaiter une remise en question de la naturalisation des sexes et des genres, de même qu’une abolition des rapports de domination (hétéro)sexistes ou un relâchement de l’hétéronormativité. Toutefois, ils et elles sont dans un état de subordination corporelle qui déplace chez plusieurs les priorités politiques vers l’urgence de mesures concrètes. Attendre une transformation culturelle globale des représentations de sexe/genre et des rapports sociaux dans lesquels les personnes intersexuées sont imbriquées avant de cibler le pouvoir exercé par l’institution médicale peut se faire au prix de la pérennité de leur existence.
Les pratiques et les recherches médicales menées présentement sur les personnes intersexuées problématisent encore fondamentalement les « femmes » – et les « hommes », dans une moindre mesure – dont les comportements de genre ne sont pas normatifs et dont l’orientation n’est pas hétérosexuelle. Comme le relèvent Dreger, Feder et Tamar-Mattis (2012) dans leur récente mise en garde au sujet de la prescription de dexaméthasone aux mères qui portent un foetus ayant reçu un diagnostic HGS, le recours accru à cette méthode d’effacement prénatal de l’intersexualité est largement attribuable à une volonté de garantir la naissance de filles « normales » répondant à l’anxiété et aux attentes hétéronormatives attribuées par les médecins aux parents[21]. Maria New, endocrinologue reconnue par ses pairs et sommité en matière de traitement du diagnostic HGS, en est une des principales promotrices, vantant à la fois le contournement des critiques intersexes et les capacités normalisatrices de cette médication (Dreger, Feder et Tamar-Mattis 2012; Holmes 2008b). À cette démarche active d’effacement s’ajoutent des recherches aux implications éthiques sensibles, les spécialistes de l’intersexualité considérant les personnes intersexuées/intersexes comme objets d’étude privilégiés pour tenter d’isoler les fondements biologiques supposés de l’identité de genre (core gender identity) ainsi que de l’orientation sexuelle (IVIM et autres 2009)[22].
Une forte probabilité de tension apparaît cependant dans le tournant médical vers l’effacement prénatal de l’existence intersexe. Dans un contexte social où les mères subissent toujours une grande pression relativement à la prise en charge des enfants qui requièrent davantage de soins ou de protection, l’annonce d’un foetus intersexué sous un angle pathologisant contribue à des interruptions de grossesse (Holmes 2008b). Respecter le droit des femmes à disposer de leur corps tout en prenant sérieusement en considération les préoccupations intersexes au sujet de l’effacement (potentiellement rapide) de leur réalité exigera écoute, concertation et actions communes.
Sujets et exigences politiques des féminismes
Implications pour les femmes intersexes du « nous femmes » fondé sur l’assignation et l’expérience
En se concentrant sur l’assignation, la formule du « nous femmes » reconnaît l’existence de l’appareil institutionnel médical et étatique qui établit le statut de sexe. L’assignation est le premier acte qui forge l’appartenance à une catégorie ou à une classe de sexe, produite par des rapports sociaux inégaux. Cependant, utilisée comme condition à la pleine participation à des mobilisations féministes, la formule du « nous femmes » accorde à cette assignation un pouvoir de vérité sur l’appartenance à un sexe. À partir de l’acte fondateur de l’assignation, l’appartenance de classe est scellée.
Que faire alors des personnes intersexuées qui ont subi des chirurgies ou de l’hormonothérapie pour être assignées « femmes » en raison des ancrages sociomédicaux hétérosexistes[23] et qui contestent non seulement ces actes correctifs, mais également l’assignation et la socialisation qu’elles ont reçue, partageant ainsi avec les personnes trans* un parcours de ré-assignation[24]? Selon certaines lectures matérialistes et constructivistes, la conformation ou l’approximation de leur corps fabriqué dans l’enfance avec un phénotype normatif « femme », de même que la socialisation féminine leur ayant été inculquée depuis, seraient considérées comme les conditions satisfaisantes et définitives de leur construction en tant que membres de la « classe des femmes ». Suivant la logique animant l’invalidation des hommes trans*, ces personnes intersexuées assignées femmes qui ne veulent pas en rester à la critique des mutilations et qui affirment être hommes deviendraient alors comme eux des « déserteurs » faisant faux bond à la classe des femmes ou convoitant les privilèges des hommes, outre qu’elles seraient des personnes en « déni de réalité ». De leur côté, des personnes intersexuées qui ont été assignées « hommes » en raison des mêmes ancrages hétérosexistes[25], mais qui refusent l’assignation et s’identifient comme femmes, seraient techniquement illégitimes. Un sujet politique « femmes » fondé sur l’assignation à la naissance ne serait donc pas inclusif des femmes intersexes qui requièrent ou ont effectué une réassignation ou une transition, ou les deux à la fois. Il n’inclurait pas non plus les personnes intersexuées assignées femmes à la naissance qui s’identifient davantage à un sexe « homme » et procèdent éventuellement à une transition. Seules les femmes intersexes qui, tout en dénonçant les chirurgies ou l’hormonothérapie corrective qu’elles ont subies, acceptent l’assignation faite à la naissance seraient techniquement incluses. Cependant, cela se ferait au prix d’une désolidarisation avec les autres membres du sujet politique de l’activisme intersexe, dont les violences subies se trouveraient minimisées.
Femmes intersexes parmi le « nous femmes » inclusif et flexible : subversives ou trouble-fêtes?
Le « nous femmes » non définitif, perméable et ouvert à la resignification est la formule qui semble d’emblée pleinement inclusive des femmes intersexes et intersexuées. Là où il y a possibilité d’achoppement avec les féminismes qui privilégient un sujet politique ouvert, c’est dans le mode de subjectivation politique promu. Étant donné l’intense effort de construction effectué sur les corps des personnes intersexuées, des féministes, qu’elles soient radicales ou queers, peuvent présumer que ces personnes seront spontanément enclines à relever la nature construite des sexes et des genres et à entretenir, par conséquent, des attentes politiques élevées à leur endroit. S’attendre que les personnes intersexuées refusent toutes une identité femme ou homme et soient des porte-étendards révolutionnaires ou subversives de la lutte contre le patriarcat ou de l’assouplissement du système sexe/genre/sexualité est méconnaître le degré d’énergie qu’elles doivent investir dans leur propre survie, de même que la force des représentations naturalisantes des sexes. Voici ce qu’en dit Holmes (2008a : 16) :
Whether the motivation is to argue a utopian or dystopian morality tale, to consolidate biomedical power, or make a feminist point about the horrors of a two-sex system, there is a prevailing demand for intersexed persons to be hermaphrodite caryatids bearing the burdens of social order for everyone else.
Dans les espaces où les identités subversives sont idéalisées et promues comme modèles à émuler, cela risque d’invalider les personnes qui se rapprochent des conventions de genre, et ce, indépendamment de leur adhésion ou non à la domination qui les produit.
Il est possible de présumer qu’un « nous » inclusif se traduise par un accueil de la diversité des corps et des expériences intersexes. S’il s’accompagne cependant d’une forte croyance constructiviste en la plasticité des corps et en l’influence de la socialisation sur l’identité de genre, celle-ci va envoyer aux personnes intersexuées le message que leur lecture de soi aurait pu être malléable à l’assignation et à l’intervention chirurgicale ou hormonale « corrective » qu’elles ont subies, malgré la critique que l’on peut adresser à l’hétéronormativité qui la sous-tend. De plus, les personnes qui refuseraient l’assignation de genre qui a été pratiquée sur elles et aspirent à une transition deviendraient alors conservatrices.
Dans la même lancée théorique se déployant sur le plan du sujet ontologique, on peut en venir à des conclusions qui vont envers et contre l’expérience subjective de personnes qui vivent au quotidien l’expérience intersexe, qui se mobilisent politiquement et qui créent ensemble une culture. À titre d’exemple, pensons à la théorisation produite par Eckert (2009), qui propose de remplacer « personne intersexe » ou « intersexuée » par l’expression « processus d’intersexualisation » ou personnes « intersexualisées » afin de mettre en relief la production médicale des personnes intersexuées. S’il est techniquement juste, dans la conjoncture actuelle, que les expériences intersexes sont largement produites par le biopouvoir, le fait de les rendre plus instables et artificielles que les sexes qu’elles contribuent à produire aura pour effet d’invalider les bases sur lesquelles les personnes intersexes tentent de tisser leur humanité et d’émerger du déni médical de leur existence. Pour que le poids critique et la responsabilité politique s’équivalent, il faudrait dorénavant désigner chaque personne assignée femme comme « femmesexualisée » et assignée homme comme « hommesexualisé », et ce, de façon constante. Les élucubrations théoriques auxquelles notre existence de personnes intersexuées donne lieu servent parfois plus les intérêts individuels ou professionnels que la protection des droits de la personne[26].
Par ailleurs, certains modes d’organisation politique des féminismes qui empruntent la voie de la subversion sont incompatibles avec les mobilisations intersexes. La performance parodique du genre comme acte de mise en lumière de la performativité hétéronormative du sexe/genre/sexualité, qui s’incarne souvent dans l’invitation enthousiaste à « jouer avec son genre », à s’investir dans le genderbending ou le genderfuck, obtiendra peu de succès chez les personnes intersexes. Celles-ci n’ont pas le luxe de considérer cette activité comme un jeu, puisqu’elles portent les cicatrices physiques et psychiques d’un « genre » que la médecine a choisi de transformer, a tordu et a agressé, et puisque la « performance » de quelque trait associé à « l’autre sexe » leur rappelle la perte de leur intégrité et de leur corps d’origine.
Féminismes et extrêmes : du tranchant de la distinction de classe à la fragmentation du sujet
Les femmes intersexuées ou intersexes sont hors sujet de certains féminismes, mais pas d’autres. Elles remettent en question la catégorie de « femmes assignées femmes », et ce, en prolongeant les points d’interrogation apportés par la médecine au début de leur trajectoire de vie. Quant au féminisme qui entretient une vision non finie du « nous femmes » ou « nous féministes », les personnes intersexuées y sont considérées comme valides à titre de sujets politiques, mais l’extrême volonté de déconstruction du sujet ontologique qui y règne parfois entraîne à son tour un risque d’invalidation de leur autodétermination identitaire et politique.
Nous comprenons que, dans un contexte de vive dépréciation des féminismes, de réaffirmation des déterminismes sexués et de perduration des inégalités ciblant les femmes, l’invitation à l’inclusion des femmes ou des personnes intersexes suscite des craintes. La mobilisation politique féministe est semée d’embûches, au premier plan la résistance à son affirmation identitaire, suivies des nombreuses critiques adressées à sa volonté d’établir des bases organisationnelles où le sujet politique du féminisme peut viser l’autodétermination de ses actions. Ces bases organisationnelles, employant par ailleurs une non-mixité à géographie variable en raison de l’intériorisation de la subordination devant les membres de groupes dominants, ont en elles-mêmes leur mérite. Cependant, la crainte de l’infiltration de comportements dominants dans certaines communautés féministes s’exprime par une quête de l’exactitude où tout ennemi potentiel doit être retranché. Paradoxalement, cette application du tranchant devient une réitération de celui que pratiquent les médecins sur les personnes intersexes, comme sur les personnes trans*. Dès l’acte fondateur de l’assignation, on refuse toute reconnaissance des expériences ultérieures des pratiques correctives sur les personnes intersexuées et des rapports sociaux marqués par la perception d’une appartenance à la catégorie « femme » au moment d’un parcours de réassignation, ou à la suite de ce dernier, pour les personnes intersexes et trans*. De notre côté, nous affirmons également que, dans l’optique où les possibles que les idéaux politiques de ces personnes envisagent sont une spéculation à laquelle elles peuvent rarement obtenir une réponse hors de la conjoncture dans laquelle elles se trouvent, une approche respectant les rythmes des échanges et des apprentissages est de mise. Ainsi peut-on davantage s’approcher d’une démocratie profonde et de modes d’inclusion interne, tout en se gardant d’atomiser les sujets politiques à l’extrême.
La proposition de structure sérielle de Young permet d’éviter bien des écueils. Elle ouvre la porte aux développements identitaires tout en affirmant leur caractère contingent, non essentiel et non déterministe. Elle échappe à une fragmentation ontologique paralysante comme à une homogénéisation excluante des sujets. Et, tout en établissant cet équilibre, elle ne confine pas les sujets dans des figures désincarnées à qui l’on retire (une fois de plus, pour les personnes intersexes) leurs expériences du corps. Les personnes intersexes étant ciblées et façonnées par le sexisme et l’hétérosexisme, qu’elles soient assignées femmes à la naissance, avec ou sans chirurgie et hormonothérapie « correctrices », ou qu’elles soient réassignées femmes au cours de leur vie, elles y trouvent une égale possibilité d’exploration culturelle et de mobilisation politique.
Parties annexes
Note biographique
Janik Bastien Charlebois est professeure au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes. Elle est cochercheuse au sein de l’équipe partenariale Cultures du témoignage et mène présentement une recherche sur l’émergence de la parole des personnes intersexes.
Notes
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[1]
Nous tenons à remercier Ulrike Klöppel et Ev Blaine Matthigack pour leur lecture attentive du présent texte et leurs commentaires judicieux.
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[2]
Foucault ainsi que Klöppel situent l’enclenchement de ce processus au début du xixe siècle, en plein essor du biopouvoir médical.
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[3]
Dans la littérature francophone, Kraus (2000) est la principale artisane de ce passage, par l’entremise d’un article examinant les a priori culturels qui orientent l’analyse biomédicale du développement sexuel.
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[4]
L’expression « personnes intersexuées » désigne l’ensemble des personnes qui dérogent aux figures développementales normatives « homme » et « femme » créées par la médecine, et susceptibles d’être « corrigées » par celle-ci durant la tendre enfance ou à l’adolescence. L’expression ne fait pas référence à une position identitaire spécifique. Le terme « intersexe », par contre, renvoie à une position affirmée, généralement d’ordre politique. Il ne désigne pas forcément une identité de genre qui n’est ni masculine ni féminine, mais il peut le faire dans certains cas.
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[5]
Nous ne mentionnons ici que les interventions chirurgicales – entendues comme celles qui sont pratiquées sur les organes génitaux –, car ce sont elles qui ont fait jusqu’à présent l’objet de critiques de la part de féministes non intersexes.
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[6]
Parmi les universitaires qui mènent des recherches et qui sont ouvertement intersexes, on compte Iain Morland, Mauro Cabral, Georgiann Davis, Cary Gabriel Costello, Morgan Holmes et Emi Koyama. Une bibliographie est consultable sur le site Web de l’Organisation internationale intersexe – francophonie : www.oiifrancophonie.org.
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[7]
Nous pourrions citer en exemple les travaux de Kraus et autres (2008) et de Lucie Gosselin (2011 et 2012).
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[8]
Ce collectif a produit le premier numéro de Nouvelles Questions féministes consacré à l’intersexualité, intitulé « À qui appartiennent nos corps? Féminisme et luttes intersexes » (Gosselin et autres 2008). Il a le mérite d’accorder une large place à la parole intersexe, qui y partage ses expériences, ses réflexions et ses analyses. Ainsi a-t-on évité une théorisation émanant du dehors et s’exerçant sur un objet intersexe. Reste que ces personnes sont peu citées par la suite dans les écrits féministes francophones qui reprennent la thématique de l’intersexuation.
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[9]
Bien que la fréquence des enfants dont le sexe est considéré par la médecine comme « ambigu » à la naissance soit traditionnellement de 1 sur 2 000 (Fausto-Sterling 2000), la forme la plus courante d’intersexualité, qui reçoit le diagnostic d’« hyperplasie congénitale des surrénales tardive » (HGS) (Congenital adrenal hyperplasia ou CAH) et se développe à l’adolescence, représente 1,5 personne sur 100. À noter que, si nous mettons le qualificatif « ambigu » entre guillemets, c’est que nous en critiquons l’emploi. Comme le soulignent Cabral (2009a), Holmes (2008a) et Morland (2005a), les traits sexuels des personnes intersexuées sont en soi très clairs. Ce qualificatif traduit davantage les anxiétés culturelles présentes au sein du corps médical : « it is the prejudice of the expert readers that renders theses bodies ‘ ambiguous ’, and […] intersexed bodies are actually quite clear in and of themselves, not necessarily a blurry combination of the only two legitimate sexes » (Holmes 2008a : 33).
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[10]
D’autres facteurs sont en jeu, mais nous ne pouvons les exposer ici faute d’espace.
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[11]
Nous employons ce terme non dans un sens lacanien, mais plutôt pour désigner le continuum qui part de ce qui est reconnu comme clitoris et comme pénis. En médecine, on illustre ce continuum par l’échelle de Prader, mais aucun terme n’englobe l’appareil génital sous toutes ses variances.
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[12]
Les critères et les modes d’assignation sont sujets à des variations culturelles.
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[13]
Notre emploi de ce terme est soupesé. Il renvoie au bris de l’intégrité physique, que celui-ci se fasse sous anesthésie ou non, à l’aide d’instruments stériles ou non, et suivant de bonnes intentions ou non. Nous sommes préoccupée de voir qu’il est employé plus volontiers lorsqu’il est question de pratiques propres à d’autres cultures.
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[14]
La formulation « tout en étant l’objet de ou sujette à » englobe l’expérience de personnes intersexuées/intersexes qui ont subi la médicalisation non consensuelle (« objet de ») ou qui y ont échappé pour une quelconque raison d’exception (« sujette à »). Ces échappatoires, peu fréquentes, existent néanmoins, qu’il s’agisse du refus catégorique des parents d’imposer des traitements « correctifs » à l’enfant, de l’accès inégal au milieu hospitalier ou de la « non-détection » initiale lorsque le personnel médical n’a pas d’expertise intersexe.
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[15]
Cette correction médicale, chez des jeunes assignés « garçon/homme », consiste généralement en un retrait des ovaires accompagné d’une hormonothérapie où de la testostérone est donnée à l’enfant.
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[16]
L’expression « trans* » est une formulation qui regroupe « transsexuel » et « transgenre ».
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[17]
En français, on voit aussi les expressions « troubles du développement sexuel » ou « anomalies du développement sexuel ».
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[18]
Davis (2011) et Karkazis (2008) examinent le processus d’adoption de la terminologie DSD, ainsi que l’argumentaire employé par le milieu médical pour en faire la promotion. Ainsi prétend-on, par exemple, que cet emploi réduit la pression à la chirurgie, les parents étant moins apeurés par « DSD » que par « intersexe ». Le milieu médical soutient également que cette appellation est considérée comme moins stigmatisante par les patients qu’« intersexe » ou « hermaphrodite/pseudo-hermaphrodite ». Dans la déclaration de clôture du Second Forum mondial intersexe de l’International Lesbian, Gay, Bisexual and Trans Association (ILGA), cet accent pathologique a été critiqué, bien que les activistes soient conscients que « DSD » est un terme d’identification pour certaines personnes, avec la variante relativement commune de « différence du développement sexuel ».
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[19]
Au Québec, les endocrinologues Guy van Vliet et Cheri Deal, de l’Unité de pédiatrie de l’Hôpital Sainte-Justine, confirment en entrevue qu’il y a intervention chirurgicale. La seule occasion où l’équipe médicale suggère aux parents d’attendre est « quand l’ambiguïté est peu visible » (Allard 2009). Cheri Deal a été interviewée à deux reprises au courant de l’année 2013, une fois pour la Gazette des femmes et l’autre pour Le Devoir (Gravel 2013; Poulin-Chartrand 2013) : elle justifie la correction en évoquant les demandes des parents.
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[20]
Les affirmations de la docteure Chantal Guimont à l’émission Les docteurs, diffusée le 9 avril 2013 par la Société Radio-Canada, démontre que cette vision est encore d’actualité : « [Ces personnes] ont vraiment des seins, une vulve, mais un tout petit vagin, vraiment une toute petite ouverture qui ne permet habituellement même pas une relation sexuelle. Il faut qu’elles soient opérées ces personnes-là pour créer un vagin qui serait capable d’avoir une relation sexuelle. »
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[21]
Pour un examen critique de l’argumentaire selon lequel les médecins qui pratiquent l’effacement de l’intersexualité ne font que répondre à la demande des parents, voir Roen (2009).
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[22]
Voir également à cet effet Meyer-Bahlburg et autres (2007).
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[23]
Dans ce cas-ci, ces personnes ont été traitées parce que leur phallus n’était pas considéré comme suffisamment grand pour effectuer une pénétration vaginale.
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[24]
L’assignation est l’acte performatif et institutionnalisé d’attribution d’un sexe/genre par la médecine peu après la naissance. Dans un contexte social où cette attribution est inscrite dans les registres d’état civil, toute affirmation d’un sexe/genre différent de celui qui se trouve sur l’acte de naissance doit répondre à des conditions institutionnalisées avant d’être traduite par une réassignation officielle.
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[25]
Pensons, à titre d’exemple, à la présence d’un phallus suffisamment grand pour effectuer une pénétration, mais à l’absence d’un utérus permettant la procréation combiné à un microvagin et à des ovaires.
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[26]
Nous remercions Ev Blaine Matthigack pour le partage de cette réflexion.
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