Comptes rendus

Nicole Rousseau et Johanne Daigle, Infirmières de colonie, Soins et médicalisation dans les régions du Québec, 1932-1972, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2013, 466 p. [Notice]

  • Chantal Maillé

…plus d’informations

  • Chantal Maillé
    Université Concordia

Cet ouvrage de Nicole Rousseau et Johanne Daigle présente les résultats d’une recherche financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) de 1992 à 1997 qui a été réalisée en partenariat avec l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et le dispensaire de La Corne, en Abitibi. La recherche s’appuie sur une série d’entrevues effectuées auprès de 48 infirmières de colonie et de 15 femmes ayant bénéficié de leurs services, ainsi que sur un travail d’archives minutieux. Ce dispositif permet de documenter en profondeur le travail des infirmières de colonie au sein du Service médical aux colons (SMC), fonction instaurée dans le contexte du projet de colonisation du gouvernement du Québec qui a été maintenue jusqu’en 1972. Au cours des années 30, les familles frappées par la crise économique ont été envoyées sur des terres à défricher éloignées des centres urbains, là où tout était à faire. Pour bénéficier d’un programme de colonisation, un aspirant-colon et sa famille devaient en principe être relativement jeunes et en santé, puisque les conditions de vie étaient éprouvantes. Cependant, les plans de colonisation n’ont pas toujours produit les effets recherchés et l’attribution du statut de colon à des hommes plus désireux de toucher les primes que de faire fructifier leur terre ou qui n’avaient pas la santé pour relever le défi a eu des conséquences, notamment sur le plan sociosanitaire (p. 162). Les infirmières de colonie ont eu le mandat de prendre soin de ces familles, soit d’accompagner les femmes dans leurs nombreuses grossesses, de faire les accouchements et de répondre à un ensemble de besoins de santé. L’idée de confier à des infirmières la responsabilité des soins de santé de populations éloignées des villes se situait dans la continuité d’un engagement croissant de l’État dans la prestation de services aux personnes indigentes (p. 7). Selon les auteures, le SMC a été exceptionnel pour la liberté que ses infirmières ont eue d’effectuer régulièrement des interventions considérées comme faisant partie du champ d’exercice exclusif des médecins, et cela, avec le consentement tacite des autorités tant gouvernementales que médicales (p. 2). Le recours aux infirmières de colonie a constitué la solution la plus raisonnable à l’absence de médecins dans les régions éloignées des centres urbains, solution d’abord retenue pour des raisons budgétaires dans un contexte de crise économique, puis maintenue bien au-delà de cette période parce que, même après l’implantation de l’assurance maladie, les médecins ont continué de bouder les régions (p. 16-17). Rousseau et Daigle ne manquent pas de relever le double discours que les autorités médicales ont constamment tenu au sujet de la définition de tâches des infirmières de colonie : « cet art de dire “ non ” tout en ouvrant la porte à une forme de “ oui ” et de prévoir des exceptions, souvent nombreuses, à la règle » (p. 129-130). L’étude proposée, divisée en six chapitres, permet d’amorcer une réflexion sur la nature de la pratique des infirmières de colonie. Celles-ci prodiguaient à la fois des soins et des traitements médicaux sans chercher à distinguer ces deux concepts, en partie parce que les circonstances les y forçaient, mais aussi parce que, comme elles appartenaient à une profession au statut ambigu, elles acceptaient de faire une multitude de tâches pour bien répondre aux besoins très larges des communautés auxquelles elles étaient rattachées (p. 3). Dans le chapitre 2, consacré au rôle de sage-femme qu’ont joué les infirmières de colonie, on apprend que l’assistance aux femmes en couches constitue la première justification invoquée pour la création de tels postes (p. 87). De fait, les infirmières s’acquittaient si bien …